02/12/2014 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Historique
Note : cet article avait été modifié plusieurs fois au cours du temps pour correspondre à l’actualité des chiffres jusqu’en 2018
Comme le rappelait un ministre des Transports dans les années 90, les British Railways (BR) manquaient d’efficacité parce que, en tant qu’organisme public, leur programme d’investissement restait toujours limité par les finances publiques. Nationalisés en 1948, les services voyageurs de British Rail avaient été réorganisés en 1982 en trois secteurs clés : InterCity, Réseau Sud-Est et Chemins de Fer régionaux.
À partir du milieu des années 1990, le Royaume-Uni eut l’idée de la séparation verticale et l’a poussé bien au-delà de ce que Commission européenne voulait mettre sur pieds. Il est à noter qu’en 1991, Margareth Thatcher avait été évincée du pouvoir. C’est l’aile dure des Tories, le parti conservateur britannique, qui exigea la privatisation complète de British Rail, à laquelle Margareth Thatcher s’opposait. C’est John Major, son successeur, qui mit en place cette promesse électorale à laquelle – dit-on, il ne croyait pas beaucoup…
Les anciens chemins de fer britanniques intégrés verticalement ont été ainsi entièrement divisés, l’infrastructure privatisée sous une société nommée Railtrack et les services de trains répartis en 25 franchises différentes, à l’exemple de ScotRail, réseau « South-East », Gatwick Express et bien d’autres. Après le désastre bien connu de l’ère Railtrack – finalement plutôt courte -, l’infrastructure ferroviaire revenait en 2004 vers une société anonyme appelée Network Rail, laquelle appartenait intégralement au gouvernement britannique.
On notera que l’arrivée au pouvoir du Labour de Tony Blair, dès 1997, ne remit jamais en cause cette politique ferroviaire britannique qui reste – il faut le marteler -, une exception quasi mondiale, et dont les principes ne furent copiés nulle part ailleurs en Europe. Il est donc vain, comme on le lit encore trop souvent de nos jours, à vouloir à chaque fois prendre comme (mauvais) exemple le cas britannique pour justifier le service public à la française ou d’autres formules…

Régulation
Le point central du système britannique était que les opérateurs devaient contracter d’une part avec le gestionnaire d’infrastructure et d’autre part avec une société de location de matériel roulant. C’est l’Office of Rail Regulation (ORR) qui proposait au gouvernement le niveau de revenu dont pouvait bénéficier Network Rail. Les règles d’accès étaient codifiées car ils pouvaient être une source de litiges. En tant que régulateur indépendant, l’ORR opèrait dans un cadre fixé par la législation du Royaume-Uni et de l’UE et était responsable devant le Parlement et les tribunaux.
Matériel roulant
Lorsque la Loi sur les chemins de fer de 1993 a séparé l’infrastructure, le matériel roulant a été vendu en 1996 à trois entreprises privées appelées ROSCO (Rolling Stock Company). Ces entreprises louaient le matériel roulant aux sociétés d’exploitation des franchises (TOC) qui ensuite, les déployaient sur leur(s) ligne(s). Le matériel roulant disponible était à l’époque celui de l’ancienne British Rail. Certains anciens ingénieurs des BR ont pu fortement multiplier leur salaire en s’occupant d’une ROSCO et en imposant leurs critères, car à l’époque personne n’avait de connaissances ferroviaires suffisantes…
Dans la foulée, le gouvernement britannique intervenait directement pour se procurer de grosses commandes de matériel roulant auprès des constructeurs de trains. L’âge moyen du matériel roulant sur le réseau ferroviaire en Grande-Bretagne avait augmenté d’un peu plus de 15 ans en 2007/08 à plus de 18,5 années en 2012/13. Cela masquait cependant des variations significatives : les trains dans le Merseyside et du réseau du Great Western avaient une moyenne d’âge de plus de 30 ans alors que les trains sur le Trans-Peninne et de la côte Ouest étaient âgés de moins de 10 ans.
Le système de franchisage britannique
La concurrence au sein du secteur ferroviaire voyageur en Grande-Bretagne se déroulait «pour un marché» par le biais d’un système de franchise, qui est analogue à une « concession », sans pour autant être de service public. Il n’y avait donc pas de concurrence entre franchises qui se chevaucheraient ou entre opérateurs de trains de voyageurs franchisés, en un mot il n’y a pas de cas généralisé de «libre accès» comme en Italie ou en République tchèque, à quelques rares exceptions.
Les franchises étaient des contrats entre le gouvernement central et les sociétés d’opérateurs privés pour la fourniture de services aux passagers dans une zone ou des lignes bien définies. Initialement il y avait 25 franchises mais ce nombre avait alors chuté à 16. Leur durée variait de 3 à 15 ans selon les termes.
Les franchisés devaient exécuter des services de trains prédéfinis, atteindre des niveaux spécifiés d’efficacité, de fiabilité, de ponctualité et comportaient pour certaines des indices de satisfaction client. Dans les faits, les opérateurs ferroviaires détenteurs d’une franchise louaient le matériel roulant auprès des ROSCO et payaient des frais d’accès à Network Rail pour l’utilisation des infrastructures et des gares. En ce qui concerne l’emploi, le personnel des BR fut transféré directement au nouveau concessionnaire. Une disposition qui restait prévue par la suite à chaque changement de franchise, où le nouvel opérateur n’amenait finalement dans la corbeille que sa propre petite équipe de gestion (très souvent d’anciens directeurs des ex-BR).
En ce qui concerne les soumissionnaires, le Ministère des Transports (DfT) évaluait le risque financier. La franchise gagnante était faite sur la base des prix, mais avec des dispositions vers d’autres éléments non-financiers à prendre en considération dans le cas où deux soumissions seraient trop proches financièrement. Le gouvernement choisissait l’entreprise qui offrait la meilleure franchise et le meilleur rapport qualité-prix. Les accords de franchise comprennaient des détails sur les normes de performance que les franchisés devaient rencontrer et les modalités de résiliation en cas de non-respect des normes.
Avec ce système, le DfT pouvait identifier au fur et à mesure les domaines à améliorer du fait de la complexité des franchises. Cela expliqua les tâtonnements au début du système de franchisage, qui firent l’objet de tant de critiques en Europe. La trop courte durée des franchises, par exemple, n’incitait pas les opérateurs à investir, ce qui était l’inverse de l’effet recherché. Ce fut corrigé plus tard.
Mais il apparaissait clairement des manquements d’expertise au niveau de l’État. En 2012, une affaire juridique complexe concernant le renouvellement de la franchise West Coast Main Line, opérée à l’époque par Virgin, a pu faire croire que le système était brisé. Mais une analyse plus approfondie et étayée dans le rapport Brown montra surtout que le DfT devait impérativement disposer d’un personnel technique et juridique doté d’un niveau d’expertise important pour gérer l’étude des franchises et les propositions des futurs soumissionnaires.
Cela remit au-devant de la scène la question d’une réglementation forte et des objectifs clairs à atteindre qui demeuraient nécessaires pour superviser la gestion des concessions ferroviaires régionales. Le DfT annonça le 26 mars 2013 un nouveau calendrier pour les franchises ferroviaires. Ce document énonçait le programme complet à venir pour les 8 prochaines années, couvrant toutes les franchises.
Des résultats négatifs
Comme on le sait, les résultats ont été plus que mitigés et Railtrack échoua de façon spectaculaire pour être finalement ramené en 2004 dans une société quasi-public nommée Network Rail. Selon The Independent (1), une étude entreprise pour Transport 2000 par le consultant indépendant Steer Davies Gleave avait conclu que le projet de loi sur les chemins de fer au total avait augmenté les besoins de subsides de 15% au cours de la décennie qui suivit la privatisation. La cause décelée était la charge administrative supplémentaire des 25 franchises, des trois organismes de régulation et du gestionnaire d’infrastructure.
Le processus de franchisage fut cependant largement couronné de succès, avec des trafics à la hausse, jusqu’à l’accident de Hatfield en octobre 2000. Il y eut à l’époque beaucoup de débats en Grande-Bretagne pour attribuer les causes de cette croissance : était-ce dû à la privatisation ou, par opposition, à d’autres facteurs tels que le rebond de l’économie au cours de la période post-privatisation ? Selon le site Just Economie, les tarifs de trains et de bus avaient grimpé en flèche depuis la privatisation et la déréglementation, et jusqu’à 50% des citoyens du Royaume-Uni n’avaient pas accès à un service de base en transport public (vers les écoles, les hôpitaux ou la grande distribution, par exemple). Les dépenses eurent tendance à favoriser les itinéraires les plus lucratifs et ceux où les usagers étaient prêts à payer davantage, plutôt que là où les besoins de services pour les bas salaires étaient les plus importants. Globalement, les personnes plus précarisées se retrouvaient à payer le prix fort pour des services qui ne répondaient à leurs besoins ou alors que partiellement.
Des résultats positifs
Vu d’un autre spectre, le système était réputé comme « fonctionnant bien » selon l’industrie. Les opérateurs ferroviaires génèraient quatre fois plus d’argent pour les gouvernements que ce qui fût investi dans les services ferroviaires 15 ans plus tôt, le prix moyen payé par les passagers par mile était au plus bas, et davantage de personnes utilisaient les trains comme jamais, disait-on à l’époque. Selon l’opérateur Stagecoach, la franchise créait une forte incitation à attirer des voyageurs supplémentaires et à maximiser les revenus. Depuis la privatisation, les opérateurs ferroviaires avaient livré 22% de services en plus et attirés 60% plus de voyageurs supplémentaires.
D’après l’ORR, le trafic avait ainsi presque doublé depuis 1997 en dix ans. Selon le DfT, la concurrence pour les services ferroviaires de voyageurs avait été assez vigoureuse et n’avait fourmi aucun cas de collusion entre soumissionnaires. Il y a un nombre croissant d’entreprises différentes qui ont et continuent à concourir pour la concurrence d’une franchise.
Sur son site l’ORR montrait également que l’utilisation du rail était à la hausse et que les chemins de fer britanniques avaient transporté jusqu’à 1,23 milliards voyages en 2012. Cela représentait une augmentation de 6% du trafic voyageur par rapport à l’année précédente et devenait le pourcentage le plus élevé depuis le début des relevés en 1995-1996. Plus récemment, le nombre de voyages à l’échelle nationale a atteint le chiffre de 393,9 millions pour le premier trimestre 2014-15, soit une augmentation de 2% par rapport au même trimestre 2013 (2).
Les subsides
La question des subsides continuait cependant à être l’objet de vives critiques tant au Royaume-Uni que lorsque le système était examiné avec beaucoup de doutes par d’autres Etats membres européens. Pourquoi ? Parce qu’en réalité ce système visait à atteindre une baisse significative du volume des fonds publics. Était-ce le cas ?
Comme le rapporta le site Outlaw.com, les chiffres publiés par le DfT montraient une subvention totale versée aux exploitants de trains franchisés qui s’élevait à 6,8 pence par passager/mile en 2013/14, soit une baisse par 7,3% par passager mile par rapport à 2012/13. Le total versé aux opérateurs ferroviaires par le gouvernement était alors de 2,3 milliards de £, contre par exemple 3,2 milliards £ payé en 2009/10. L’ORR avait montré que la part globale du soutien gouvernemental au secteur ferroviaire a augmenté de 227 Mi de £ en 2016 pour un total final de de 5,3 milliards £.
Cependant, cette augmentation comprennait les dépenses pour les infrastructures et les grands projets, tels que Crossrail. « Une croissance phénoménale du nombre de voyageurs aide les exploitants ferroviaires à payer 2 milliards de livres par an en cash au gouvernement – cinq fois qu’il y a plus de 15 ans – et le gouvernement choisi de réinvestir cet argent pour encore améliorer le meilleur réseau de l’Europe », n’a pas hésité à déclarer le Rail Delivery Group, association qui représente les exploitants de trains et Network Rail.
Il faut donc faire attention à l’interprétation des chiffres d’autant qu’il faut comparer la quantité de subsides avec… la quantité de trains mis en service. Ce que l’on fait jamais !
Cependant, selon The Telegraph (3), les derniers chiffres publiés par l’ORR révèlait que le financement du gouvernement variait fortement au niveau régional : de 2,19 £ par trajet en Angleterre, à 7,60 £ par trajet en Ecosse et jusqu’à 9,33 £ au Pays de Galles. Dans la proportion du revenu total pour 2012/13, l’Angleterre avait le niveau le plus bas de subvention, à 27 % du revenu total de l’industrie ferroviaire, comparativement à 56 % au Pays de Galles et 54% en Ecosse. Le DfT avait défendu cette disparité en faisant remarquer que les services ferroviaires fortement subventionnés étaient le fait de la ruralité des lieux, particulièrement dans les régions reculées d’Écosse où les recettes voyageurs sont forcément moindres.

Une bonne affaire pour les entreprises étrangères !
Les marchés pour le programme InterCity Express, Thameslink ou encore Crossrail furent controversés pour une autre raison : l’attribution des contrats à des entreprises basées en dehors du Royaume-Uni. Ce n’était en effet pas un mystère que les trois principaux chemins de fer d’Europe furent « présents » en Grande-Bretagne. Selon Buzzfeed, les chemins de fer de l’Etat français, allemands et néerlandais concouraient à l’ensemble des franchises ferroviaires du Royaume-Uni. Comme l’a signalé Touchstoneblog, une recherche du syndicat RMT montre que les trois quarts des franchises ferroviaires du Royaume-Uni sont désormais détenues par des entreprises publiques ou ferroviaires européennes : la SNCF via Keolis, la DBAG par le biais d’Arriva et les chemins de fer néerlandais NS via Abellio.
Sur les 309 millions de passagers/miles parcourus sur les trains britanniques en 2012-13, 159 millions l’avaient été par des franchises entièrement ou partiellement détenues par un chemin de fer étatique étranger. Ce qui jstifia cette pique de Dan McCurry, un militant du parti travailliste : «Nous mettons ces franchises en adjudication parce que nous voulions que le secteur privé fournissent leur savoir-faire en gestion. Il s’avère que ces sociétés ne sont pas du secteur privé, mais par exemple ceux de l’Etat néerlandais. »
Retour à l’administration publique ?
Avant d’être éjecté du pouvoir par David Cameron en 2010, les dirigeants travaillistes de Gordon Brown avaient déjà indiqué qu’ils n’étaient pas prêts à renationaliser les lignes et que le gouvernement restait attaché au système existant. Cependant, et selon le Guardian à l’époque, le leader du parti travailliste avait également déclaré que le parti laisserait aussi le secteur public concourir pour des franchises ferroviaires (ce qui était alors interdit par loi), en faisant valoir que cela améliorerait les services voyageurs et mettrait fin à une situation dans laquelle les entreprises publiques étrangères concurrencent les trains au Royaume-Uni sans aucun équivalent britannique à l’étranger (4).
Natalie Bennett, dont le parti écologiste soutenait fermement la renationalisation, déclarait que « le fait que la majeure partie des bénéfices de nos chemins de fer – qui viennent des poches britanniques, que ce soit par le biais de tarifs ou de taxes – vont à des gouvernements étrangers illustre simplement l’absurdité de la politique [ferroviaire] actuelle » (5). Mais cette «absurdité » était tout simplement un marché ouvert en Europe, prioritairement demandé par les industriels et les secteurs financiers du Royaume-Uni lui-même.

Quel meilleur avenir du système britannique ?
En tout état de cause l’avenir n’est certainement pas à la relance de British Rail – qui était une organisation nationalisée disposant d’une relation difficile avec les gouvernements des années 60 à 1990. La classe politique sembla vouloir donner une chance pour construire quelque chose à la fois réalisable et bien meilleur, en s’appuyant sur les meilleures pratiques des réseaux de chemin de fer en Europe et au-delà. Selon de nombreux hommes politiques, une réglementation plus stricte, plutôt que la propriété de l’Etat, devait pouvoir sérieusement apporter des améliorations. Ce sera l’objet d’un rapport qui va devenir crucial pour l’avenir du rail britannique, et dont on vous parle dans une autre page. 🟧
(1) The story of a bad idea: Privatisation of BR
(2) Rail passenger journeys rise by 2% during April-June – ORR website
(3) England lags behind over £4 billion rail subsidy cash – The Telegraph
(4) Labour to allow public sector to challenge private rail operators
(5) How Foreign Governments Profit From Half Of British Railway Journeys
👉 Suite à la seconde partie : l’ère de Great British Railways
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