Régions de France consulte pour la libéralisation du rail

Port-Bou : l’Occitanie ne fait pas encore partie des régions qui veulent régionaliser leurs TER (photo Ferran Arjona via license flickr)

L’association Régions de France lance trois consultations publiques pour préparer à la régionalisation du rail français.

Votée en juin 2018, la loi prévoit que les régions peuvent ouvrir leurs TER à la concurrence dès décembre 2019, ce qui signifie dorénavant que les régions peuvent attribuer tout ou partie de leur service de transport ferroviaire par appels d’offres, sans passer nécessairement par la SNCF. Pour préparer ce nouveau cadre, les Régions avaient organisé entre mars et juillet 2017 des auditions de l’ensemble des parties prenantes pour identifier les conditions à réunir afin que ce processus d’ouverture soit réussi et maîtrisé. Elles avaient émis des premières recommandations en janvier 2018.

Dans les faits, cette ouverture à la concurrence des TER, obligatoire à partir de 2023, se fera toutefois très progressivement. Le temps de lancer et d’instruire les appels d’offres, il ne devrait pas y avoir de TER exploités par un opérateur autre que la SNCF avant 2021, voire même plus tard. En vertu du texte européen de 2016, une région est en effet autorisée à attribuer directement le marché à la SNCF pour une durée de dix ans au maximum.

Où en sont les régions ?

Pour la région Sud (ex-Provence-Alpes-Côtes-d’Azur), au territoire moyennement maillé (hors côte et bouches du Rhône), l’ouverture à la concurrence devrait permettre d’assurer un service qualifié de « fiable, profitable aux usagers qui bénéficieront d’un service de meilleure qualité » espère le président de région qui promet « aucune gare, ni ligne fermées ni prix en augmentation ». Deux lignes très fréquentées ont d’ores et déjà été retenues pour cette mise en concurrence : Marseille-Toulon-Nice, qui représente un quart des déplacements en trains régionaux, et Cannes-Grace, les Arcs Draguignan-Vintimille, Cannes-Nice-Vintimille, Nice-Tende, qui transportent 50.000 voyageurs au quotidien dont de nombreux touristes. Pour la première, il faudra cependant attendre décembre 2022 pour que le projet se concrétise et décembre 2024 pour la seconde.

La région Grand Est espère sauver des petites lignes et a décidé de profiter de l’ouverture à la concurrence pour rouvrir la ligne Nancy-Vittel-Contrexéville, fermée depuis 2016 et aujourd’hui desservie par autocars. Deux autres lignes, Epinal-Saint-Dié-des-Vosges-Strasbourg (portion actuellement fermée) et Sélestat-Molsheim-Strasbourg, seront aussi soumises à des services sur appel d’offre. « Ces petites lignes que nous rouvrons sont de véritables demandes de nos concitoyens pour le quotidien » détaille Jean Rottner au Figaro, qui voit là aussi l’opportunité de baisser les coûts pour la région. Rien n’est cependant prévu avant fin 2020, début 2021.

La région Hauts-de-France veut aussi faire bouger les lignes. Chaque jour environ 110.000 voyageurs empruntent les services TER des Hauts-de-France.  La région a défini dix lots de lignes qui pourraient potentiellement être soumis à un appel d’offre, comme Paris-Amiens, Paris-Saint-Quentin, Beauvais-Paris ou le réseau TER autour de Lille. Ce qui représente déjà 10% du réseau régional.

Le Parlement français a donc renforcé clairement les compétences des Régions, qui sont aujourd’hui amenées à consolider leur champ d’intervention en matière de transports et mobilité. On comprend dans ce contexte les inquiétudes que peuvent susciter ces initiatives pour une SNCF pas du tout habituée à ce rôle de sous-traitance. C’est un dossier de taille pour le tout nouveau patron de la grande maison désigné ce jeudi, et qui s’y connait, en matière de concurrence ferroviaire régionale.

Une régionalisation progressive

Depuis 2002, les Régions sont autorités organisatrices de transports ferroviaires régionaux de voyageurs, soit près de 7 900 TER et 6 200 Transilien par jour. Depuis 2017, les Régions se sont vu transférer les compétences d’organisation des transports interurbains de voyageurs et de transports scolaires hors agglomération. Autorités organisatrices de la mobilité, elles participent également de plus en plus fréquemment au financement des infrastructures ferroviaires et des matériels roulants.

>>> Voir nos pages sur la libéralisation

Fortes de leurs prérogatives renforcées, les régions ont identifié de nouvelles opportunités de contractualisation avec une pluralité d’acteurs au-delà des seuls opérateurs ferroviaires. Régions de France lance alors trois consultations publiques relatives à :

  • l’information multimodale, la distribution et la vente des titres de transport: au regard de leurs nouvelles prérogatives pour le développement de « MaaS (Mobility as a Service) » régionaux, les Régions souhaitent renforcer leur connaissance du marché des acteurs de la distribution des titres de transport : opérateurs ferroviaires mais aussi opérateurs économiques de gestion d’inventaire, de recettes, ou de distribution de titres de transport ;
  • la maintenance du matériel roulant: le nouveau pacte ferroviaire offre de nouvelles opportunités de gestion du matériel roulant régional. Les Régions identifient de nombreux acteurs pour en effectuer la maintenance et le développement de nouvelles fonctionnalités ;
  • la gestion des infrastructures ferroviaires: la LOM permettra aux Régions de reprendre la gestion d’une infrastructure ferroviaire et d’en effectuer les marchés de travaux, ouvrant ainsi la possibilité de contractualisation avec de nouveaux acteurs, gestionnaires d’infrastructures et de travaux, entreprises de travaux publics et ingénieries.

L’importance du cahier des charges

Cependant la mise en appel d’offre de services ferroviaires ne s’improvise pas. Dans la perspective de l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires, les régions ont cruellement besoin d’experts pour imaginer les lignes et lots pertinents sur lesquelles expérimenter cette libéralisation, et rédiger les cahiers des charges pour les premiers appels d’offres. Jusqu’ici, en dehors des services de transports urbains, les administrations régionales ne disposent pas de l’expertise ad-hoc pour rédiger leur cahier des charges au niveau ferroviaire.

Un autre problème concerne les données réseau et trafics nécessaires à la rédaction des cahiers des charges. Les élus des Hauts-de-France ont ainsi saisi l’Arafer (le régulateur du ferroviaire) afin de sommer la SNCF de leur transmettre les informations qu’ils estiment nécessaires pour ouvrir cette partie du réseau à la concurrence. Le tout est de savoir ce que recouvre l’ensemble des données à fournir.

Le 22 août dernier, un décret paru au Journal officiel, précisait plus finement les modalités de collecte et de communication des informations portant sur les services publics de transport ferroviaire de voyageurs. D’après le site Banque des Territoires, ce texte d’application n’épuise pas la question de l’accès aux données des régions en vertu de leur rôle d’AOT. L’Arafer souligne qu’« il subsiste de fortes incertitudes sur le périmètre des informations concernées, ce qui pourrait générer pour les AOT d’importantes difficultés à obtenir des données pourtant essentielles à la mise en concurrence des contrats de service public. » Europe ou pas, il faut aussi sauvegarder l’opérateur historique, dit-on. On peut voir dans d’autres pays la même rhétorique institutionnelle sur le plan régional, par exemple en Slovaquie ou en Autriche. On notera que les pays qui ont régionalisé leurs trains locaux, avaient eux aussi buté à leurs débuts sur les mêmes problèmes. Depuis lors, aidées par de nombreux consultants et l’expérience acquise au fil du temps, Länder, Provinces ou Comptés disposent maintenant d’une expertise plus fine pour rédiger leur cahier des charges, avec dorénavant leurs propres données et une législation nationale qui s’est elle aussi affinée. Un thème que Jean-Pierre Farandou, désormais ex-patron de Keolis, connait fort bien…

Les consultations publiques de Régions de France seront menées d’ici fin octobre 2019. Elles ont pour objectif de consolider les compétences des Régions, d’identifier les « marchés d’expertises » et de recueillir l’avis des acteurs concernés sur les questions évoquées ci-dessus. Ce socle commun d’analyses devrait permettre aux Régions d’affiner leurs stratégies ultérieures dans le cadre législatif à venir, explique leur site.

(photo Eric Allix Rogers via license flickr)

 

Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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