Comment le fret ferroviaire peut revenir après le Covid19

Shuttle Melzo-Rotterdam de passage dans le Limbourg néerlandais, avril 2019 (photo Rob Dammers via license flickr)

Contrairement à une idée fort répandue, ce ne sont pas les transporteurs maritimes qui ont créé la mondialisation mais bien les industriels eux-mêmes. Au fil des décennies, les entreprises mondiales ont pu ainsi concentrer leur production géographiquement afin d’économiser de l’argent et de créer des usines mono-produit, parfois au niveau mondial. Le transport maritime n’a été qu’un simple facilitateur, un outil de la mondialisation, matérialisé par le conteneur ISO. Mais ces transporteurs n’étaient pas à l’origine des flux. C’est là que se situe le plus grand défi pour les chemins de fer. Pour plusieurs raisons.

Prenons justement l’exemple du transport de conteneurs par rail : il dépend entièrement des décisions industrielles des chargeurs. Certains préfèrent décharger dans un port plutôt qu’un autre, pour des raisons très diverses qui concernent l’optimisation de leur chaîne logistique. Les politiciens, malgré leur bonne volonté, ne peuvent rien faire sur la construction de ces flux : cela relève de l’entreprise privée, de son business et de sa clientèle. Si plusieurs industriels décident de modifier leurs flux logistiques, il peut arriver qu’un transporteur maritime préfère alors éviter un port et se concentrer dans un autre port voisin. Cela a un impact majeur sur le trafic des trains : une route maritime en moins, cela signifie la disparition de 10 à 30 trains intermodaux par semaine. Personne ne demandera l’avis des opérateurs ferroviaires, qui sont en position de simples sous-traitants. Or tout le monde connait la très lente réactivité du chemin de fer, contrairement au transport routier. Ce qui se passe avec le monde maritime pourrait très bien arriver au sein du Continent européen.

Jadis, le fret ferroviaire en Europe avait comme unique actionnaire l’État, ce qui signifiait souvent un manque d’argent et des décisions industrielles absurdes, souvent politiques. Tout le monde est perdant avec ce système.

Parfois, il y a un manque très clair de réactivité. En France par exemple, la SNCF a supprimé l’année dernière, pour des raisons techniques, un flux de produits alimentaires entre Perpignan et Paris. Elle aurait pu remplacer les vieux wagons par des conteneurs frigo à l’instar de ceux utilisés par les espagnols, de la firme hollandaise Unit45. Mais rien ne s’est passé. En Allemagne, le rachat du logisticien Schenker par la Deutsche Bahn n’a pas apporté la souplesse et les trafics au rail, parce que les flux logistiques de Schenker « ne convenaient pas au transport par rail et aux habitudes de travail du chemin de fer  » ! Tout cela montre la grande difficulté de faire coïncider les métiers ferroviaires avec ceux de la logistique…

>>> À lire : Fret ferroviaire, pose-t-on les bonnes question ?

C’est cela qu’il faut éviter après la pandémie : il y a de l’espoir pour un renouveau du fret ferroviaire, à condition de ne plus répéter les erreurs du passé.

Transformation à long terme
La pandémie du COVID-19 oblige la plupart des entreprises à apporter de grands ajustements à leurs besoins actuels en matière de chaîne d’approvisionnement. Beaucoup de CEO déclarent que les flux industriels sont appelés à devenir davantage « régionaux », plutôt que mondiaux. Même le patron du transporteur maritime français CMA-CGM ne dit pas le contraire, et cela va même influencer son propre business maritime, a-t-il prévenu la semaine dernière. Ce régionalisme pourrait être une grande opportunité pour les chemins de fer.

Plutôt que d’être de simples sous-traitants, les opérateurs ferroviaires devraient « avoir la main » sur les flux logistiques, en proposant des services complets entre bassins de production et de consommation. Il se peut que certaines propositions de flux puissent convenir à un grand nombre d’industriel.

Un domaine dans lequel les chemins de fer peuvent gagner des parts de marché est celui de l’entreposage, qui a beaucoup changé au cours de la dernière décennie, les systèmes d’information ayant rendu ces entrepôts plus efficaces pour localiser et préparer les articles stockés. Actuellement, de nombreuses entreprises offrent des espaces d’entreposage à court terme pour servir les entreprises qui ont besoin d’une plus grande flexibilité dans leur stockage. C’est une demande croissante d’entreprises plus petites, qui n’ont pas les capacités techniques des grands opérateurs comme DHL ou Amazon.

Le chemin de fer dispose là d’une grande opportunité, à condition d’être associé à un ou plusieurs partenaires qui dispose(nt) des ressources nécessaires pour construire des flux massifiés. L’État peut encourager cela, en disposant des terrains industriels, en encourageant la législation du travail vers plus de flexibilité la nuit et par des mesures fiscales au lancement. Tout cela doit bien-sûr être contrôlé.

Ces entrepôts doivent être des outils de massification des petits et grands colis, lesquels doivent pouvoir chaque soir remplir 2 ou 3 trains complets, chacun reliant en une nuit un bassin de consommation en Europe. L’idée n’est évidemment pas neuve, mais les chemins de fer n’ont jamais bénéficié d’entrepôts conçu pour ses caractéristiques. Plutôt que de construire le long des autoroutes, il faut construire le long des voies ferrées, même si cela impacte sur la signalisation du réseau (aiguillages supplémentaires, ré-espacement des signaux). Un entrepôt conçu sur base des techniques ferroviaires est un entrepôt conçu en longueur, 300 ou 500m. Cela permet d’éviter de devoir couper un train et d’effectuer de nombreuses manœuvres, très coûteuses.

Vers un renouveau

Le cabinet international d’avocats Baker McKenzie relatait récemment que la gestion des risques de la chaîne d’approvisionnement est devenue une priorité pour de nombreuses entreprises. Si le coût de ces processus de gestion des risques peut être élevé, il est souvent plus que compensé par les économies qu’il peut générer en contribuant à éclairer les décisions relatives à l’achat de stocks, à la gestion et à la délocalisation des processus de production entre les sites. Il est clair que cette activité s’est accrue de façon urgente, afin d’atténuer certains des impacts immédiats de COVID-19, notamment la chute énorme de la production dans certains secteurs.

À plus long terme, la numérisation de la chaîne d’approvisionnement sera de plus en plus le moyen par lequel les entreprises commenceront à élaborer des stratégies et à acquérir une résilience commerciale contre les perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Dans ce contexte, les grandes analyses de données peuvent aider les entreprises à rationaliser leur processus de sélection des fournisseurs, tandis que le cloud computing est de plus en plus utilisé pour faciliter et gérer les relations avec les fournisseurs.

>>> À lire : Digital : un potentiel énorme pour le rail

Les opérateurs ferroviaires disposent déjà d’une flotte de locomotives modernes construites et entretenues par l’industrie, qui peuvent passer les frontières plus simplement que par le passé. Il faut maintenant accélérer la numérisation des wagons, par exemple l’identification par QR Code et le positionnement par satellite, accélérer la mise en place de processus automatisés, comme l’attelage automatique, et numériser l’ensemble de la chaîne opérationnelle.

Certains emplois basiques disparaîtront, quand d’autres seront créés. Profitons de l’ère de l’après-Covid pour remettre en selle un chemin de fer moderne, diversifié et en phase avec les flux logistiques de demain.

La politique des transports post-Covid ne passera pas par des interdictions de tel ou tel mode de transport. Elle passera par un encadrement et une diversification des transports, là où ils sont le plus pertinents. Le chemin de fer a une belle carte à jouer.

Il est donc impératif que le rail prenne lui-même en charge les flux logistiques et démontre sa capacité à servir les chaines industrielles de manière optimale. Souplesse, flexibilité dans les processus de travail et digitalisation des supply chains ferroviaires sont les clés du futur.

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(photo railcare)

cc-byncnd

Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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