Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
27/08/2020
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(Texte du même auteur, déjà paru en 2017 sur le blog Global Rail Network, et réactualisé)
Cette brasserie datant de…1753 brasse environ 2,25 millions d’hectolitres par an. Elle est située dans une cuvette à la lisière des belles forêts du parc naturel de l’Arnsberger Wald, à 70 kilomètres à l’Est de Dortmünd, en Allemagne. Sa taille impressionnante montre l’importance de cette entreprise qui fait travailler quelques 800 personnes au fin fond d’une vallée dans les environs de la petite ville de Warstein.

Le propriétaire Albert Cramer repéra qu’un potentiel significatif d’environ 200.000 tonnes par an pouvait être transféré par rail, permettant de soulager la ville de Warstein de quelque 15.000 voyages de camions (y compris les trajets à vide), signifiant aussi une réduction confortable du CO2, dès l’instant où on est voisin d’un parc naturel. Depuis le 5 avril 2005, la brasserie Warsteiner est reliée par une petite ligne de 4,3 kilomètres à la gare même de la ville. Au passage, la ligne dessert aussi une carrière qui utilise le rail pour ses expéditions, renforçant son activité et son attractivité.
Les fortes déclivités de cette « ligne de la bière » ont accouché, sur le site même de la brasserie, d’une solution originale. Un portique à conteneur a été installé sur un pont, qui enjambe un petit faisceau de réception des rames. Les rames doivent elles-mêmes évoluer sous le pont, seul point de chargement des conteneurs, alors qu’habituellement c’est le portique qui se déplace tout le long d’un train. La ligne et les installations sur site ont coûté près de 30 millions d’euros. Bien que des fonds furent apportés par le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie ainsi que par la ville de Warstein elle-même, le volume principal du financement a été porté par la brasserie elle-même.
C’est la société privée WLE (Westfälische Landeseisenbahn), un OFP local, qui s’occupe des prestations ferroviaires, du regroupement/dégroupement des rames et du transfert jusqu’à Warstein, puis, via Lippstadt, jusqu’à Neubeckum. En principe, trois trains hebdomadaires quittent la brasserie : deux destinés à Munich-Riem et le dernier pour Berlin. Complété en 2017 par un nouveau train multi-client vers Hambourg. Le terminal dispose d’une capacité d’extension l’amenant à transférer 400.000 tonnes, soit un total de 30.000 camions en moins, mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Par ailleurs, le malt est importé également par train, mais par wagons trémie qui doivent retourner à vide. De même que les trains de conteneurs, ainsi que des camions – car il en reste – reviennent à la brasserie…également à vide.
Du côté développement durable, l’entreprise a reçu en 2014 le premier prix du Global Reporting Initiative (GRI) pour son premier rapport de développement durable. « Cela nous rend très fier d’être la première entreprise dans le secteur de la brasserie allemande à répondre à ces exigences élevées en matière de développement durable », explique Peter Himmelsbach, directeur technique de la brasserie Warsteiner. Qui poursuit : « Grâce à notre rapport de développement durable, nous voulons donner l’exemple dans l’industrie alimentaire et des boissons qu’une gestion responsable des entreprises et une position significative sur le marché ne s’excluent pas mutuellement, mais peuvent utilement faire un ensemble ».

Fort de ce succès ferroviaire, un véhicule de manœuvre à batterie TeleTrac RW60AEM était réceptionné, remplaçant les lourdes DE ou G2000 fonctionnant au diesel. La batterie embarquée pèse 2,5 tonnes et fournit suffisamment d’énergie pendant plusieurs jours ouvrables. La charge de la batterie est effectuée via un câble à partir de n’importe quelle prise secteur 400V. C’est le constructeur Windhoff qui a livré cet engin particulier, qui peut déplacer jusqu’à 12 wagons porte-conteneurs chargés.


En 2017, la brasserie, qui vend dans 60 pays, constatait des flux contrastés selon les destinations, notamment une baisse vers l’Italie, qui pouvait compromettre le train de Munich. Avec des trains parfois moins remplis, il fallait trouver une solution pour rentabiliser davantage le terminal privé. Un contrat est passé avec le logisticien Fr. Meyer’s Sohn, une société de transport internationale familiale, dont les services englobent l’importation et l’exportation d’envois LCL (envois Less than Container Load, où les marchandises de plusieurs expéditeurs sont transportées dans un seul conteneur), les envois FCL (Full Container Load) ou les envois en vrac. Les trains deviennent alors multi-clients et le terminal est ouvert aux expéditeurs de la région.

Ulrich Brendel, directeur technique de la brasserie Warsteiner, déclarait alors : « Avec nos partenaires, nous avons pu organiser une logistique de transport de marchandises orientée vers l’avenir et ainsi relier notre région au port de Hambourg à des conditions favorables, avec un haut niveau de service et un faible impact environnemental. Avec les liaisons ferroviaires déjà existantes Munich et Berlin, nous sommes ravis de la nouvelle destination portuaire, qui sert bien sûr également nos activités d’exportation de bière dans 60 pays du monde entier ».

Le train de Hambourg ne sert pas uniquement pour la brasserie. Il est complété par des conteneurs maritimes et des caisses mobiles d’autres expéditeurs en trafic combiné entre leur propre terminal Warsteiner KV et le terminal Eurogate du port de Hambourg. Westfälische Landes-Eisenbahn GmbH (WLE) est toujours responsable de la traction ainsi que de l’exploitation technique ferroviaire du train de conteneurs. La brasserie rentabilise ainsi un actif lourd et partage les frais ferroviaires.
Comment maintenir les petites lignes
La particularité de cet exemple tient aussi au fait que la petite ligne Lippstadt – Warstein (30,88 km) est ce qu’on appelle en Allemagne une « NE-Bahn », c’est à dire une infrastructure ferroviaire n’appartenant pas au gouvernement fédéral, autrement dit non-gérée par la Deutsche Bahn. À ce titre, ce sont les Länder qui prennent leur entretien en charge. En juin dernier, le « gouvernement » de Rhénanie du Nord-Westphalie a mis sur la table 2 millions d’euros à répartir dans sept entreprises de transport, de logistique et de chemin de fer. Cet argent provient du programme du Land visant à maintenir et à améliorer l’infrastructure ferroviaire des chemins de fer publics « non fédéraux » pour le transport de marchandises. Une partie de cet argent ira donc à l’opérateur WLE qui se chargera de remplacer les rails et les traverses entre Lippstadt et Warstein, pérennisant ainsi les trafics de la brasserie.
Cet exemple, où plusieurs acteurs se rassemblent, démontre qu’il est parfaitement possible de créer des conditions de transfert route-rail, moyennant un environnement politique accueillant et une bonne complicité entre le privé et le public.

27/08/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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