23/10/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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De notre série « Aah, les trains d’hier… »
La confusion est savamment entretenue, mais les pros du ferroviaire savent faire la différence. Une voiture-couchettes n’est pas une voiture-lits. On vous explique pourquoi.
On rappelle que le terme « wagon-lits » est une invention, pour l’Europe, du belge George Nagelmackers, qui en avait tiré l’idée de l’américain George Pullmann. Mais revenons encore plus en arrière. Dès 1846, Paris et Bruxelles étaient déjà reliés par train où un trajet prenant entre 12 et 14 heures était nécessaire pour relier les deux capitales. Une des liaisons se fait déjà par nuit, dans un inconfort notoire. Les premiers trains de nuit circulèrent en « Prusse » dès 1852, avec un confort tout aussi relatif.
En 1873, les premiers « wagons-lits » sont mis en service sur les liaisons Berlin-Ostende, Paris-Cologne et Paris-Vienne. Confort absolu pour l’époque, que seule une clientèle aisée peut se payer. Suivirent plus tard les vrais trains de nuit gérés par la Compagnie Internationale des Wagons-Lits (CIWL), avec l’Orient-Express né en octobre 1883 et le Calais-Nice-Rome en décembre de la même année.
L’accroissement des vitesses permet de relier l’ensemble du territoire européen aux villes les plus éloignées, mais avec des voyages d’une durée de 12h à… parfois une journée. En 1908, quelques trains de la compagnie Paris-Orléans comportaient des compartiments de trois-lits avec toilettes et lavabos et des compartiments-couchettes à quatre places, préfigurant d’un concept moins onéreux. Le 1er janvier 1922, la Deutsche Reichsbahn mettait provisoirement en service des « wagons-lits 3ème classe » dans un train express Cologne-Berlin. Le nom générique de la voiture était WLC6ü. Elle offrait 12 compartiments de trois places chacun, mais la literie n’était plus fournie comme dans les wagons-lits de la CIWL. En termes de confort, c’était un mélange entre la voiture-lits de 2e classe et les voitures-couchettes que l’on va connaître trente ans plus tard. La même année, on trouvait des voitures mixtes 2e et 3e classe avec places couchées sur la ligne Paris-Brest du réseau Ouest-État. Dans les années 1932 à 1937, le réseau ÖBB autrichien avait converti 15 voitures anciennes à deux essieux en voitures-couchettes. Celles-ci avaient quatre compartiments avec six couchettes chacune et une toilette, qui furent principalement utilisées dans les trains de sports d’hiver. L’installation de six couchettes préfigure de ce qui va arriver après la seconde guerre mondiale.
Le train pour tous
Dans les années 50, le train reste encore largement dominant dans le transport européen, y compris sur les grandes lignes, et le tourisme de masse prend son envol. Pour pouvoir transporter de plus en plus de monde sur un même train de nuit, tout en étant « couché », il fallait moins de wagons-lits. Cela tombe bien car cette clientèle nouvelle, plutôt de classe moyenne, n’est plus prête à payer des sommes rondelettes pour bénéficier d’une chambre avec lavabo en « wagon-lits », jugé trop onéreux.
Le concept du compartiment à six couchettes devient la norme pour des trains de plus en plus démocratiques. Il se distingue des wagons-lits – que l’on va désormais appeler « voitures-lits », par des compartiments plus grands mais n’ayant aucun lavabo ni serviettes, ni attirail de confort d’une chambre d’hôtel. Un accompagnateur officie aussi comme dans les voitures-lits, pour le service et la prise des billets afin de ne pas être dérangé la nuit. Le compartiment couchettes obéissait de plus à une demande pour les voyages en famille ou en groupe, notamment au travers des grandes émigrations des années 50 à 70 du Sud vers le Nord de l’Europe. L’accès à une couchette demandait de s’acquitter d’un supplément qui s’additionnait au tarif normal du trajet.
La jeune Deutsche Bahn sort en 1954 une voiture de 26,40m, sous le code X de l’UIC. Elle est encore classée CL4ümg-54, « C » parce qu’il s’agit de la 3ème classe, qui ne va plus durer puisque dès 1956 la troisème classe disparaissait officiellement en Europe. La voiture devient une Bc4ümg-54. Les italiens se mirent à construire leur Carrozza a cuccette tipo 1959 serie 45000, les seules au look très « années 30 ».
Ces voitures furent rapidement supplantées par les voitures couchettes de type UIC-X que l’Italie construisit en grand nombre, sur base du modèle allemand.
Le boom des années 60
Il serait difficile pour ce seul article d’énumérer la quantité de type de voitures-couchettes qui fut construit dans les années 60. Retenons que pour la plupart, il s’agissait de construction neuve, tandis que quelques pays se mettaient à transformer d’anciennes voitures des années 40 et 50. Tel fut le cas de la Suède, où il a été constaté que les voitures Ao14b datant de… 1940 étaient adaptées à la reconversion en couchettes, car elles avaient déjà des compartiments spacieux qui pouvaient facilement être équipés de lits. Les voitures furent donc reconstruites en 1964-1966 en voitures-couchettes et furent versées au type Bc, puis BC1 lors de la réforme de 1970.

À partir de 1963, près de 467 voitures de type Bcm243 comportant onze compartiments apparaissaient sur tous les trains de nuit, suivies par après de 60 voitures du type Bctm256, qui avaient la particularité d’avoir une longueur de 27,5 mètres avec des compartiments spéciaux double en milieu de voiture, appelés « préférentiels » et destinés aux agences de voyage.

À partir des années 70, la DB adopte sa fameuse livrée bleu/crème sur toutes les voitures de seconde classe, y compris les voitures-couchettes. Cette livrée restera la marque de fabrique du rail allemand jusqu’aux début des années 90.

À l’Est aussi, des voitures-couchettes...
À l’instigation de la RDA, la longueur intermédiaire UIC-Y de 24,5m devînt la norme dans toute l’Europe de l’Est, tout simplement parce que l’atelier de Delitzsch n’était pas en mesure de proposer des voitures de longueur supérieure. Comme la RDA était le principal fournisseur de voitures pour les pays du bloc communiste, on trouva des voitures-couchettes identiques de Varsovie à Sofia. Seule la couleur changeait sur ces véhicules que l’on pouvait voir à Paris, Bruxelles, Ostende, Bâle ou Innsbruck, entre autres. Ces voitures ont été construites sur ce schéma jusqu’en 1979.

Autriche et Suisse
Outre les 22 voitures-couchettes livrées par SGP-Simmering entre 1954 et 1956, les ÖBB ont acquit au fil du temps d’autres voitures, indiquant l’implication forte des trains de nuit pour un petit pays déjà desservis par d’autres réseaux voisins. SGP a fourni au début des années 60 onze voitures Bcm 51 81 50-50 tandis qu’entre 1976 et 1977, c’est la firme Jenbacher-Werke qui fournissait sous license Schlieren 30 voitures-couchettes Bcm 50-70 sous de type UIC-Z2, que l’on peut voir ci-dessous.

Les CFF possédaient 30 voitures-couchettes Bc4ü de 1960/61, dérivées des voitures BLS Schlieren, mais surtout par la suite de 50 voitures-couchettes UIC-Z2, produites en deux tranches, de série 5181 à 5200. Ces voitures avaient également dix compartiments de 6 couchettes et un local de service pour l’accompagnateur. Comme de coutume dans les années 60, le vert militaire dominait encore…

France/Belgique
La France des années 60 partait au début sur le modèle des voitures DEV de tous types, aux dimensions plus courtes UIC-Y, d’une longueur de 24,5m. Les trains de nuit abondants à l’époque demandèrent la construction de 448 voitures de type B9c9x, en plusieurs lots, basée sur le chaudron des B10 DEV de jour, mais avec 9 compartiments commerciaux et le 10e réservé au service de l’accompagnateur. Les 78 premières furent des B9c9s puis B9c9x, 51 87 59-70 501 à 578, construites de 1964 à 1966, avec même toiture que le chaudron des B10 construites en parallèle pour les voitures de jour.
La couleur vert militaire est là aussi choisie pour l’ensemble du parc, qui intègre rapidement tous les trains de nuit français. La SNCF innove cependant sur un aspect non repris par les autres réseaux : la voiture-couchettes de première classe. On reprend la même disposition que la voiture 1ère classe de jour, soit 9 compartiments, mais on n’y installe que 4 couchettes au lieu de 6, ce qui améliore le confort.
40 voitures d’un type identique, toutes de seconde classe, ont été achetées par le voisin SNCB, qui la désigna sous la série I3, là aussi pour les besoins de trains de nuit autos, tout particulièrement vers la France.

Par la suite, près de 370 voitures-couchettes B9c9x 51 87 59-70 581 à 950, renforcèrent le parc SNCF, mais cette fois avec toiture rehaussée, et dont les derniers exemplaires sont sortis en 1976, au moment où arrivaient les Corail. Progressivement, les voitures-couchettes SNCF obtiennent une nouvelle livrée bleu/blanc cassé avec la ligne verte « Corail » indiquant la seconde classe.
Entre-temps, la SNCB fait construire en 1967 une série de 45 voitures-couchettes de série I5 pour renforcer ses trains de nuit. Certaines de ses voitures étaient réservées pour les trains d’agence Railtour.
Munis de cet imposant parc de voitures-couchettes disons, de première génération, les réseaux peuvent partir à la conquête de deux décennies où les voyages et le tourisme de masse permettaient de faire circuler chaque jour plus d’une centaine de train. Les TGV et ICE ne sont encore qu’à l’état de papier et les autocars commencent, grâce aux autoroutes en construction, à devenir un mode de transport longue distance. Mais les chemins de fer préparent déjà la seconde génération de voitures-couchettes. (À suivre)
23/10/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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