02/02/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Qu’y-a-t-il de commun entre Liège et la ville industrielle allemande de Duisbourg ? Un fleuve emblématique et un port fluvial pour chacune des deux villes. Mais Liège a de grandes ambitions.
Duisbourg (Duisburg) en Allemagne n’est connue que des initiés. Cette ville industrielle de presque 500.000 habitants, reliée en temps normal à Bruxelles par Thalys, est idéalement située sur les bords du Rhin. Un fleuve qui a créé sur 800 kilomètres et depuis plusieurs siècles l’une des zones les plus riches du monde. Si on en parle dans le petit milieu de la logistique, c’est parce que ce lieu est devenu un centre incontournable fleuve/rail d’Europe : 250 entreprises, 36.000 travailleurs et 21 bassins portuaires au sein du plus grand hub logistique d’Europe. Mais Duisbourg s’est aussi rendue incontournable sur un nouveau trafic : jusqu’à 60 trains par semaine circulent désormais entre Duisbourg et diverses destinations en Chine. Le trafic intermodal représentait en 2020 près de 4,2 millions d’EVP (Equivalent Vingt Pieds) et le trafic ferroviaire 30% des 61 millions de tonnes passant par cet ensemble. Qu’est-ce que cela à avoir avec Liège ? En fait, pour une raison que peu connaissent…
Liège, presque 200.000 habitants, a bien des points communs avec Duisbourg : un grand fleuve (certes moins « international »), un passé industriel révolu et des zones portuaires fluviales. La Meuse, au cours des siècles, n’a peut-être pas engendré l’une des zones les plus riches du monde, mais le fleuve compte beaucoup dans les activités de la région et est relié aux deux plus grands ports d’Europe : Rotterdam (où Meuse et Rhin se rejoignent), et Anvers, (via le canal Albert). Liège, par rapport à Duisbourg, est plus proche de ces deux grands ports mondiaux : 14h de bateau pour Anvers et 24 heures pour le port néerlandais.
Le Port Autonome de Liège (PAL) a été créé en 1937 et demeure le premier port intérieur belge (21 millions de tonnes en 2019) tout en étant le troisième port fluvial d’Europe. Le PAL assure la gestion de 33 zones portuaires, soit 382 hectares mis à la disposition des utilisateurs de la voie d’eau, échelonnés le long de la Meuse et du canal Albert en province de Liège. La zone portuaire liégeoise occupe près de 8.000 emplois directs et s’affirme comme un pôle économique régional de premier plan. Le Port de Liège continue à promouvoir l’intermodalité par la combinaison des différents modes de transports de marchandises en utilisant les atouts de chacun. Les plates-formes multimodales, comme celle de Renory et particulièrement celle de Liège Trilogiport, servent de centres de consolidation et de massification des flux de / vers les ports maritimes comme Anvers et Rotterdam.
(photo Port de Liège)
Le projet Trilogiport
Parmi ces zones, celle du Trilogiport tient une place à part. En 2003, la Région Wallonne entamait la procédure d’acquisition des 120 ha du site d’Hermalle-sous-Argenteau. La réalisation des travaux, en 2 phases, débuta en novembre 2008, après plus de cinq ans de procédures. Le site dispose de différentes connexions. Au niveau du réseau ferroviaire, le site est depuis récemment raccordé par une ligne longeant le canal pour arriver au centre de la plate-forme. Le Port autonome de Liège et la Wallonie ont ainsi investi près de deux millions d’euros pour aménager cet accès ferroviaire jusqu’au terminal à conteneurs. Le nom du projet est donc bien représentatif des trois modes de transport desservant le site: route – eau – rail.
Sur ce site de 120 hectares, sont rassemblés
- un terminal à conteneurs géré par DPW Liège Container Terminals (15 ha);
- une zone logistique (60 ha);
- une zone d’intégration environnementale (40 ha).
La plate-forme logistique devrait permettre d’accueillir plus de 200.000 EVP par an et mais accueille aussi deux zones logistiques gérées par D.L. Trilogiport Belgium/Jost Group et WSC, totalisant pour le moment 123.000m² et environ 600 emplois. Pour la suite, 191.000 m² restent encore à développer, ce qui démontre le potentiel de Liège. Le fait que Dubaï Port World (DPW), troisième exploitant au monde de terminaux portuaires, s’intéresse aux activités de Liège en dit long sur le potentiel de l’outil fluvial liégeois. La création en 2018 de DP World Liège Container Terminals SA, associée à Tercofin et Liège Container Terminal (LCT), permet ainsi de ne trouver qu’un seul prestataire qui offrira deux terminaux à conteneurs, TRILOGIPORT au nord et LCT au sud de la ville et de la zone industrielle afin de choisir le plan de transport le mieux adapté aux besoins spécifiques des chargeurs et d’optimiser les coûts du transport routier sur le dernier kilomètre.
Côté rail, Liège Trilogiport peut maintenant accueillir des trains de marchandises de 600 mètres de long mais doit les traiter sur deux voies de 320 mètres, ce qui implique des manœuvres. Le 9 décembre 2020, Trilogiport accueillait son premier train en provenance de Chine. Qu’on ne s’y trompe pas, ce train avait en fait été formé à… Duisbourg (on y revient, donc), où les conteneurs de divers trains provenant de Chine avaient été triés puis rassemblés sur un seul train à destination de Liège. Aucun wagon chinois n’arrive évidemment en Europe ! Le déroulé complet entre la Chine et Liège est le suivant :
- Trajet Chine-Kazakhstan (ou Russie via la Mongolie) – Les conteneurs changent de wagons à la frontière;
- Trajet Kazakhstan-Russie-Biélorussie jusqu’à la frontière polonaise (Malazewice) – Les conteneurs changent une seconde fois de wagons à la frontière;
- Trajet Malazewice-Duisbourg où tous les conteneurs sont déchargés et triés – Les conteneurs changent une troisième fois de wagons;
- Trajet final Duisbourg-Liège.
Soit 20 jours complets Chine-Liège. Ce qui reste nettement inférieur au classique trajet maritime via un grand port (Anvers ou Rotterdam). Reste à trouver du fret de retour, à moins de renvoyer en Chine des conteneurs vides, ce qui n’est pas durable.
>>> À lire : Pologne – Terespol, une ville frontalière très fréquentée par les trains de Chine
L’autre plateforme, celle de Renory, accueille aussi des trains « de Chine » à raison de plusieurs convois par semaine, tous transitant par Duisbourg. Le tout premier train « direct de Chine » est arrivé à Renory le 2 juillet 2020 et les conteneurs s’accumulent sur une zone qui, à l’origine, voyait surtout des produits sidérurgiques.
>>> Complément de lecture : notre dossier spécial sur les trains Chine-Europe
Il serait cependant réducteur de ne s’en tenir qu’à la seule Chine. Il importe que Liège, au travers de Renory et du Trilogiport, devienne une véritable porte, une destination en soi. Duisbourg, encore elle, est en effet reliée à diverses destinations européennes tant en Italie qu’aux Pays-Bas, l’Allemagne du Nord et même la Scandinavie. C’est cela qui lui permet de devenir un hub principal pour la Chine, et de placer des milliers de conteneurs sur d’autres trains vers l’Europe, dont Liège. Dans le même ordre d’idées, on peut aussi comparer avec la plate-forme de Bettembourg, dans le Grand-Duché, qui s’est positionnée comme hub entre le Nord et le Sud-Ouest de l’Europe, principalement l’Espagne.
>>> À lire : Comment quatre acteurs disparates créent un flux intermodal
Les deux plate-formes de Liège pourraient très opportunément s’ancrer sur ces flux européens très porteurs, tout particulièrement en cette période de Green Deal européen où le train peut être mis au devant de la scène comme jamais ! Faire de Liège un « Duisbourg sur Meuse » prendra probablement du temps mais le potentiel est là. Ne le gâchons pas…
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