C’était il y a quarante ans. Déjà…
C’est un beau morceau de l’histoire ferroviaire française que nous vous proposons aujourd’hui. Il y a 40 ans jour pour jour, la rame TGV n°16 battait le record du monde de vitesse sur rail. Retour sur ce moment.
Quelles pouvaient être les limites de la technique rail/roue alors que la France s’apprêtait à lancer ses TGV commerciaux à l’automne 1981 ? C’est la question que se posaient les différents corps d’ingénieurs tant à la SNCF que chez Alsthom, avec « h » à l’époque. Les derniers records de la SNCF en la matière dataient des années 50, avec dans un premier temps la CC 7121 et trois voitures Dev montant à 243km/h en 1954, puis le fameux exploit du 29 mars 1955 avec la CC 7107 atteignant les 331 km/h au milieu des Landes. Verdict : beaucoup d’enseignements techniques, et notamment l’absolue nécessité de revoir la conception de la voie (celle des Landes était dans un triste état après ce record). Mais surtout : le rail à grande vitesse demande une sécurisation accrue ce qui impliquait :
- une signalisation déclinée dans le poste de conduite et non plus à l’extérieur;
- une ligne entièrement sécurisée sans aucun passages ni intrusion de tiers.
C’est de là que viendra l’idée de la nécessité d’une « ligne nouvelle dédiée », car avec le poids de l’histoire, aucune ligne du réseau existant n’offrait les exigences minimales de la grande vitesse. Un sujet toujours incompris de nos jours chez certains…
Tant la SNCF que Alsthom désiraient voir jusqu’où on pouvait aller, la technologie des TGV n’étant plus du tout celle de la CC 7107. Il s’agissait de pousser au maximum les limites de divers paramètres, comme le contact pantographe/caténaire, la rotation maximale des moteurs, la tenue du transformateur, l’aérodynamisme et, bien-sûr, la tenue de voie. Les nouveaux tests avaient cette fois lieu sur une ligne nouvelle, et non sur une ligne existante comme en 1955. Nom de code : « Opération TGV 100« .
Une différence fondamentale avec le record de 1955 est qu’en 1981, c’était l’aboutissement de 25 années de recherches et d’essais, menés tant par la SNCF que par l’industrie française. Décidée le 15 février 1980, cette nouvelle opération était destinée, selon Jacques Pélissier, alors président du CA de la SNCF, «à souligner la valeur de matériel ferroviaire et la maîtrise technique des constructeurs français. » Mais il s’agissait aussi de démontrer les possibilités de marches au dessus de 250km/h, qui était un peu le « plafond » de l’époque.
Côté technique, il avait été décidé de n’utiliser qu’une rame de série, excluant tout type de prototype. La SNCF visait 350km/h sans rame spéciale mais avec quelques modifications. La rame TGV-PSE n°16, sortie d’usine en octobre 1980, fut la candidate désignée à cet essai. Elle eut droit néanmoins à :
- un allègement à 302 t, par retrait de trois remorques intermédiaires ;
- une légère surcharge mécanique pour atteindre le « chiffre rond » de 100m/seconde ;
- une modification des ailerons des pantographes après des tests à 400 km/h en soufflerie à Modane-Arvieux ;
- une modification des rapports d’engrenage – 1,159 au lieu de 1,317 -, de façon à donner la même vitesse de rotation aux moteurs de traction et aux tripodes, éléments mécaniques de transmission à coulissement ;
- des moteurs de traction alimentés en 1.270 V au lieu des 1.070 habituels ;
- des modifications des roues motrices dont le diamètre fut porté de 920 à 1.050mm.
- une transposition des remorques d’extrémités : la « 16 » pris en effet les remorques 123 001 et 123 033 de deux autres rames.
Ainsi constituée, la « rame spéciale n°16 » fut soumises à des tests en Alsace, avec le constructeur Alsthom. «Les meilleurs ingénieurs de notre maison ont été employés à cette préparation, afin d’éviter d’éventuels ennuis mécaniques ou électriques lors des essais », rappelait un cadre SNCF dans La Vie du Rail.
Côté infrastructure, la caténaire voyait la tension mécanique du fil passer à 2000 daN au lieu de 1500daN, ainsi qu’un renforcement de la section du cuivre jusqu’à 150mm² au lieu des 120mm² usuels. Contrairement aux essais de 1955, il était impératif ici d’avoir le courant alternatif 25kV. Vu qu’il n’y avait qu’une seule rame en ligne pour ces essais, la SNCF disposait d’une marge pour faire monter la tension à 29 ou 30kV a départ de la sous-station de Sarry. C’était nécessaire pour obtenir les 1.270 V aux bornes du moteur. La voie, neuve, n’avait été mise sous tension que le 23 janvier 1981, et n’avait été parcourue que cinq fois, la rame n°21, tout juste sortie d’usine, permettant déjà d’atteindre 314km/h le 4 février.
Préparations… (photo CAV SNCF)
L’essai se déroula donc sur la ligne nouvelle LN1 entre les points kilométriques 130 et 192, dans les environs de Tonnerre (89), à l’Est d’Auxerre. Au sol, 31 points de mesure de la vitesse étaient répartis entre les PK 146 et 179 avec concentration tous les 500 ms entre les PK 152 et 162 (à tous les km + 200 et + 700). Ils étaient constitués par deux pédales distantes de 10 m dont la mise en place avait été réalisée par télémétrie. Il y avait aussi des limites à ne pas dépasser, comme le soulèvement des pantographes, les efforts horizontaux sur les rails, l’accélération transversale des bogies et des caisses ainsi que la température des boîtes d’essieux.
Le 25 février 1981, les premiers essais de montée en puissance avaient fait atteindre la rame n°16 à 371km/h, battant de facto celui des Landes 26 ans plus tôt. Cette journée de préparation permettait aussi de tester tous les appareillages de mesures en vue d’un « record incontestable ». «En 1955, la vitesse maximale n’ayant pas été atteinte là où l’on pensait, on s’était fié aux indications de bord », rappelait un cadre SNCF dans La Vie du Rail. «Nous avons donc utilisé dans ce cas-ci un essieu porteur sur lequel était branché un capteur à dents qui se déroulait devant une bobine ; les signaux ainsi reçus dans la bobine étaient décodés pour donner une mesure de la vitesse. Au cours des marches préliminaires avec la rame n° 16, nous avons pu vérifier que cette mesure était parfaite .»
Après une marche d’approche dans le sens impair, le record était battu à 340 km/h en sixième parcours sur la voie 2. Au huitième parcours, les diodes grimpaient jusqu’à 355 km/h, et au dixième, la réalité dépassait l’espérance : 371 km/h ! Tout était donc prêt pour le lendemain…
La fameuse journée du 26 février 1981
Dans l’après-midi de cette journée, le terrain d’essais était prêt. Le système de signalisation ne pouvait pas jouer son rôle, car il n’est pas encore opérationnel. À 15h28, le départ est donné à la rame n°16, sous 29kV et un plafonnement à 340km/h jusqu’au PK 165, début du parcours où la caténaire est renforcée. Les infos diffusées par le dispositif de surveillance permirent d’aller plus vite. 360, 370, à 15h41, la vitesse de 380 km/h était atteinte. Record battu, le contrat V100 était rempli.
Mission accomplie… (photo CAV SNCF)
Pour l’anecdote, ce fut le dernier record dont la conduite fut assurée par des cadres chefs de traction SNCF. Ce 26 février, c’était Henri Dejeux, chef de traction principal à Strasbourg, qui était aux commandes de la rame. Aboutissement d’une carrière, la symbolique n’était jamais très loin à la SNCF… Le jeudi 5 mars 1981, six marches aller-retour à des vitesses de 280 à 334 km/h eurent lieu avec la rame 16 sur la zone d’essais pour des prises de vue depuis un Transall de l’Armée de l’Air. Ces images diffusées n’étaient donc pas, contrairement à ce que beaucoup pensaient, celles du record.
La rame n°16 fut par la suite ramenée « au type » et intégrée dans le service commercial.
On n’oublie pas… (photo CAV SNCF)
Qu’est-ce qu’on en retient ?
Il fut ainsi prouvé que la sécurité d’un TGV roulant à 260km/h n’était pas inférieure à celle d’un Corail à 160km/h. La stabilité du train sur la voie à 380km/h fut remarquable. Les services de la Voie n’avaient d’ailleurs pas constaté d’écart ni de conséquences sur le terrain d’essais. «Au retour à Villeneuve, nous avons constaté que rien, absolument rien, n’avait été altéré ; nous avons conservé le même archet de pantographe ! », rappelait un cadre SNCF dans La Vie du Rail.
Ces essais ont évidemment permis d’enregistrer des milliers de données, dont la limite des moteurs à courant continu, les premiers et les derniers à être montés sur un train à grande vitesse, car sur l’Atlantique, quelques années plus tard, ce sera une tout autre technologie. Les conditions de captage du courant ainsi que l’envolée constatée de la consommation d’énergie au-delà des 350-360km/h militaient temporairement pour une barrière à 300km/h en vitesse commerciale « durable financièrement ».
Le 22 septembre 1981, François Mitterrand, fraîchement élu président de la République, inaugurait le service commercial TGV Paris-Lyon, départ d’une ère ferroviaire nouvelle en France qui débuta concrètement le 27 septembre. Combien de voyageurs sont passés depuis par Tonnerre sans même s’apercevoir de l’importance des lieux…
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