26/07/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Note : article complété en octobre 2022 pour plus de visibilité et précisions
Le paquet « Fit for 55 » tant attendu de la Commission européenne, destiné à faciliter la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne de 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990, a pour mission principale de faire des années 2020 une décennie de transformation pour l’action climatique. De quoi s’agit-il exactement et quel impact sur les transports ?
Il est essentiel de parvenir à réduire ces émissions au cours de la prochaine décennie pour que l’Europe devienne le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici à 2050 et que le « Green Deal » européen devienne une réalité.
La communication sur le Pacte vert pour l’Europe (11 décembre 2019) plaçait la lutte contre le changement climatique au cœur de ses priorités d’action de la nouvelle Commission von der Leyen, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Compte tenu du poids des émissions dues au secteur des transports dans le volume global des émissions de l’UE, l’accélération de la transition vers une mobilité durable constitue l’un des volets les plus importants du pacte vert, qui met en avant la nécessité de réduire de 90 % d’ici 2050 (par rapport aux niveaux de 1990) les émissions du secteur des transports.
La Commission développait dans la foulée une stratégie en trois axes :
- Un nouvel objectif climatique contraignant à l’horizon 2030, validé par les chefs d’État et de gouvernement les 10 et 11 décembre 2020 : réduction de 55 % des GES par rapport aux niveaux de 1990;
- «Stratégie de mobilité durable et intelligente», publiée en décembre 2020, destinée à relever le défi de la transition climatique du secteur des transports;
- Et enfin, publication du paquet «fit for 55» ou «ajustement à l’objectif 55 » le 14 juillet 2021. Ce paquet constitue l’ensemble le plus complet de propositions jamais présenté en matière de climat et d’énergie.
Un rôle essentiel pour le rail ?
Selon l’UE, le nouveau plan « Fit for 55 » présenté le 14 juillet 2021 est un ensemble d’outils législatifs permettant d’atteindre les objectifs fixés dans la loi européenne sur le climat et de transformer fondamentalement notre économie et notre société pour un avenir équitable, vert et prospère.
Le paquet «fit for 55 » se compose de 8 actes législatifs révisés et renforcés, et de 5 nouvelles initiatives législatives. Ces textes combinent, dans un « équilibre soigneusement dosé entre tarification, objectifs, normes et mesures de soutien », le renforcement du système actuel d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) et son extension à de nouveaux secteurs, dont le transport maritime et routier; un recours accru aux énergies renouvelables; une amélioration de l’efficacité énergétique ; un déploiement plus rapide de modes de transport à faibles émissions soutenu par des mesures appropriées en matière d’infrastructures et de carburants; une mise en adéquation des politiques fiscales dans le domaine de l’énergie avec les objectifs du pacte vert pour l’Europe ; un dispositif visant à prévenir les fuites de carbone et des outils destinés à préserver et étendre la capacité des puits de carbone naturels.
Ce vaste paquet, qui contient des centaines de pages de propositions législatives, prévoit la création d’un nouveau système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) pour les bâtiments et le transport routier, une restructuration profonde de la fiscalité énergétique en Europe, des objectifs accrus en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, l’introduction d’un mécanisme d’ajustement aux limites du carbone et la révision des normes d’émission de CO2 pour les voitures neuves.
Les chemins de fer peuvent évidemment se réjouir d’être déjà sur le bon chemin dès l’instant où c’est notamment le secteur des transports qui est le plus visé par les mesures à venir. Mais attention tout de même à la réalité des choses.
Le transport ferroviaire est déjà conforme au « Green Deal » dans la perspective de 2030. Il n’est responsable que de 0,4 % des émissions de CO2 dues aux transports, alors qu’il ne représente que 8 % du transport de passagers et 19 % du transport de marchandises en Europe. Malgré sa solution à faible émission de carbone, le rail n’est pas spécifiquement mentionné dans les propositions publiées le 14 juillet. Le président de l’Association européenne du fret ferroviaire (ERFA), Dirk Stahl, s’en inquiète : « Il n’est pas surprenant que le rail ne figure pas de manière prédominante dans le paquet, étant donné les références écologiques existantes du rail, mais nous ne devons pas perdre de vue que le rail reste un élément clé de la solution ».
Cela pourrait paraître encore plus surprenant si l’on se rappelle que 2021 est l’année européenne du rail. Mais cette célébration ne signifie pas que les autres modes de transport sont mis en veilleuse. Il ne fait aucun doute que des dizaines de bureaux de lobbying très organisés continuent de travailler dur pour garantir les intérêts des secteurs automobile et aérien. Ces secteurs développent des arguments imparables pour perpétuer leur business, même s’il y a une conscience à propos de l’utilisation des énergies fossiles.

Le directeur exécutif du CER, Alberto Mazzola, reste optimiste : « Les chemins de fer sont déjà sur la voie d’une réduction de 55 % de leurs émissions d’ici à 2030 et d’un taux d’émission nul avant 2050. Le transfert modal accélérera encore la réduction des émissions européennes. Les principes du pollueur-payeur ne fonctionneront que si un prix du carbone solide est appliqué à tous les modes de transport. Et les recettes de la tarification du carbone doivent être affectées à la poursuite du développement de systèmes de transport à faible émission de carbone et à la protection des citoyens européens contre la pauvreté énergétique« .
L’idée de mieux taxer les transports polluants pour opérer un transfert modal vers le rail pose de nombreuses questions. D’un côté, il y a en effet la nécessité de mieux réguler le secteur routier car on a clairement atteint un point limite dans le « laissez-faire ». La route a engendré un éparpillement fatal des implantations logistiques et une guerre des prix qui nuit au métier de routier. L’overdose de camions nuit également à la santé des citoyens. Ce sont pourtant ces mêmes citoyens qui réclament de pouvoir consommer à moindre prix. Pourtant, le secteur de la logistique est très clair : toute augmentation de la fiscalité routière se répercutera de facto dans les rayons des magasins, jusqu’à doubler le prix du simple yaourt. Les précarisés en seront les premières victimes.
De l’autre côté, il ne faudrait pas que le transfert modal vers le rail soit analysé comme une bénédiction pour le secteur ferroviaire de ne rien changer concernant ses méthodes de travail ni d’infléchir les coûts de production. Car là aussi la logistique sortira son argument principal de hausse des prix dans les magasins si on l’oblige à prendre le train. Faire du train moins cher doit rester une priorité pour le secteur, quelle que soit la fiscalité routière. N’oublions pas que la route est indispensable pour les derniers kilomètres. Aucun train au monde ne mène directement vers une grande ou moyenne surface, et encore moins vers les magasins d’une rue piétonne…
Le plan Fit for 55 est une occasion de changements radicaux dans notre façon de consommer et de nous déplacer. Mais c’est aussi l’occasion pour le rail de faire son introspection et de revoir ses méthodes de travail, sans sombrer dans le dumping constaté dans le secteur routier. Il s’agit de trouver le bon équilibre, en taxant par exemple les longues distances routières plutôt que les courtes. Mais aussi en se mettant plus à l’écoute des utilisateurs du rail, que l’on ne doit plus considérer comme de simples usagers qui doivent se contenter de ce que l’État daigne leurs offrir. L’écologie doit être qualitative, pas uniquement coercitive…

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