Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
27/09/2021 – (English version)
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Le chemin de fer ne fera jamais de transfert modal seul, par le fait de sa simple existence. Il faut d’autres atouts qui sont du ressort de l’État.
Patrick travaille à 37km de son domicile, et son bureau ne se situe pas vraiment en ville mais légèrement en périphérie, dans une zone dédiée aux activités tertiaires. Patrick vit à 7km d’une gare bien desservie. Il doit néanmoins déposer chaque matin Lucie et Arthur à l’école primaire, située à l’opposé, à 3km du domicile. Patrick devrait donc, si on suit les grands principes de décarbonation, se taper :
- un premier bus pour accompagner ses jeunes enfants à l’école;
- un second bus (20 minutes d’attente) pour aller de l’école à la gare;
- un train;
- un dernier bus qui l’emmène de la gare en centre-ville vers la périphérie, à 400m de son bureau.
Un tel périple chaque matin en transport public, qui prendrait des heures, est-il décemment vivable ? Bien-sûr, vous me direz que Patrick peut déléguer la tâche de l’école à sa compagne ou épouse. Pas de chance, elle est infirmière de nuit et dort plusieurs matins par semaine. On rétorquera que le couple n’avait qu’à se rapprocher de la ville – voire carrément vivre en ville – pour avoir des lieux de vie plus rapprochés. Pas de chance l’hôpital de l’infirmière est à l’opposé du lieu de travail de Patrick. On peut enfin dire que Patrick peut utiliser le vélo pour éviter les horaires des bus. Ah, et les enfants ? Du vélo à 7h le matin sous la pluie d’hiver ? Patrick a finalement, comme sa compagne, opter pour la voiture de bout en bout, malgré les embouteillages et le mauvais sort que cela réserve à la planète.

Cet exemple est celui de dizaines de millions d’européens. Il est bien clair que chaque citoyen qui choisit son style de vie doit en assumer les conséquences, positives ou négatives. Habiter au vert suppose de s’armer d’un véhicule, et c’est exactement ce que font ces millions de non-urbains plus ou moins ruraux. Travailler en périphérie ou pire, tout à fait en dehors d’une ville suppose aussi de s’armer d’une voiture, ou une moto si on n’a pas les enfants. Combien jadis de grandes usines étaient implantées bien loin du centre-ville ?
Le train est devenu un transport adapté à un public limité, sauf dans les très grandes villes comme Paris ou Londres, entourés d’espaces surpeuplés et pollués, où le train RER reste encore dominant. Ailleurs, le train n’a pu suivre les habitudes des citoyens. Voilà pourquoi il a dégringolé à 10% de part de marché. « Jadis, mes grands-parents prenaient la demi-journée complète pour faire deux courses à 10km de leur vieille maison ». Époque révolue, qui veut encore vivre de la sorte aujourd’hui ?
Le rail a déserté la vie tranquille de nos grands-parents. La faute au passé, quand des dizaines de lignes furent fermées dans les années 50 et 60. Oui, mais peut-on croire qu’avec les subsides actuels, une compagnie ferroviaire serait capable à elle seule de maintenir un service ferroviaire décent sur un réseau jadis au double de sa longueur ? Songeons à certaines lignes locales où il y a 4 trains par jour et des restrictions de vitesse à 60 voire 40 km/h dès qu’on passe un pont en ruine. Qui veut encore aujourd’hui être tributaire d’un tel service, juste pour sauver la planète ?
Mais le train est-il vraiment le fautif ? L’histoire démontre que non. Les États d’Europe, qui avaient tous nationalisés leur chemin de fer, on en réalité laisser faire ces entreprises en leur procurant un kit de survie financière. Ces mêmes États, régions et communes sont aussi coupables d’avoir fait en sorte que les gens habitent le plus loin possible d’une gare, « parce que le train, c’est bruyant et sale » et puis, « les trains, c’est pour les autres, hein, pas pour des gens en cravate ». Discours d’hier, qu’on entend encore de nos jours, avec heureusement de grandes nuances…

Pourtant, on a déjà pensé depuis longtemps à « rendre la ville aux habitants ». L’idée : ne plus amener de voitures au centre-ville et laisser respirer les petites rues. La solution : construire les emplois et les bureaux en périphérie, de même que les hôpitaux, les nouvelles annexes d’universités et, finalement, les commerces. En réalité, ce n’est pas aux habitants que l’on songeait mais à l’expansion impossible des universités, commerces et hôpitaux en centre-ville, en plein tissu urbain contraint. Tout est donc parti en périphérie, le long des voies routières rapides, et c’est ce qui a amené Patrick et sa compagne à opter pour l’auto pour rejoindre leur lieu de travail respectif et pouvoir disposer de toutes ces « facilités » en un temps de transport décent. Un exemple de cette politique est la ville belge de Mons. Combien y-a-t-il de Mons en Europe ? Des centaines…
Que retenir de tout cela ? Que si on veut que Patrick et sa compagne optent moins pour la voiture, il aurait fallu au minimum construire leur logement, l’école mais aussi leur lieu de travail, non loin d’une gare, plutôt que d’opter pour une politique foncière désordonnée « qui vivifie la construction », pourtant premier émetteur de CO2. Que plutôt que de faire porter tout le poids du transport ferré sur une seule compagnie, il serait préférable d’élargir l’offre à des compagnies locales disposant de leur côté d’autres moyens financiers, à l’image des entreprises suisses secondaires.
Au-delà du périmètre ferroviaire, afin de laisser respirer la ville, il faut cesser cette croyance du centre-ville desservis par sa gare unique. Est-ce écologique d’entasser tant de monde sur une aire si restreinte ? Habiter la ville n’est pas une solution universelle et ne s‘applique pas à l’ensemble de la population. Toutes les villes doivent-elles ressembler à Sao Paulo ou Calcutta ?
Il est temps aussi d’ôter des études ces stupides comparaisons de l’OCDE qui assènent que « tout le monde habite la ville ». Cette assertion englobe le tiers-monde, où des millions de pauvres s’agglutinent autour de villes monstrueuses comme Lagos ou Le Caire. Rien de tel sur une large partie de l’Europe où dominent des petites villes de 10 à 30.000 habitants, bien plus vivables, sans compter les nombreuses communes « aérées » de 5 à 10.000 habitants. Un paysage qui domine de Manchester à Bologne. Tout dépend évidemment de la définition de « ville ». Le même graphique de l’OCDE montre une Europe avec environ 30 à 40% d’urbains, considérés comme tels. Il faudra donc tenir compte des 60% de « Patrick » dans les études de transfert modal.
Si on veut qu’il y ait un transfert modal digne de ce nom, un maximum de lieux de vie doit être disponible dans un rayon raisonnable de chaque village ou quartier. La tâche de l’État est de formaliser les zones à bâtir, par exemple proche d’une gare, et celles qui ne le seront jamais. Cela pose la question de l’accès aux logements neufs, à la rénovation du bâti existant. C’est une politique inclusive qui aidera le chemin de fer à (re)devenir un transport de référence. On reste cependant conscient qu’on n’ira jamais à son tennis du soir ou au resto en train, ni même en bus. La mobilité, ce sont des transports multiples pour des activités multiples…

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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