Chemin de fer : plus de technologie et moins de procédures

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
29/11/2021 –
(English version)
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Il existe une tendance « naturelle » à considérer la technologie ferroviaire comme arriérée, consanguine et à la fois résistante et lente à adopter les innovations des autres industries. En réalité, au-delà de la technologie, le rail doit aussi faire un saut qualitatif en éliminant cette tendance à étouffer le progrès par une montagne de procédures, mettant parfois en péril les attentes que l’on attendait d’une innovation.

C’est un fait : la voiture électrique existe depuis 130 ans… au travers du métro, du tramway puis du train électrique. L’utilisation de l’énergie verte n’est plus un défi pour le chemin de fer depuis longtemps. Aujourd’hui des trains roulent à 320 km/h de manière régulière grâce à un fil suspendu à plus de 5m au-dessus des voies. De même, des trains de 3.000 tonnes sont régulièrement mis en circulation en Europe avec une seule locomotive électrique, n’émettant pas les milliers de tonnes de CO2 de nos amis américains, brésiliens ou australiens.

La production d’électricité est évidemment à prendre en compte, car il y a une différence majeure entre des pays d’industrie nucléaire comme la France et des pays « charbon » comme l’Allemagne ou la Pologne.

Mais le sujet le plus important n’est pas de savoir si le train est plus vert que ses concurrents de l’aviation ou de la route. Le vrai sujet, c’est l’accélération des progrès technologiques des concurrents, boostés par des milliards en recherche et développement que le rail n’a pas.

Des milliards en recherche et développement
Selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), le secteur automobile est le premier investisseur de l’UE dans la recherche et le développement (R&D), dépensant 62 milliards d’euros par an pour l’innovation. Dans le top 10, on trouve également les secteurs du matériel et des équipements technologiques et des équipements électroniques et électriques qui dépensent ensemble plus de 27 milliards en R&D, tandis que le secteur de l’aérospatiale et de la défense dépense 8 milliards d’euros. Mauvaises comparaisons ?

Oui, si on tient compte que ces secteurs atteignent indifféremment 100% de la population d’une manière ou d’une autre, par le biais de nos appareils ménagers, nos smartphones, de notre consommation mais aussi pour nos déplacements quotidiens. Il est donc fatal que le train ne soit qu’une réponse partielle à nos besoins, ce qui indique qu’on ne le retrouve pas dans le top 10.

Mais cette comparaison peut prendre tout son sens quand on analyse d’un peu plus près le fonctionnement de ces secteurs. La principale chose est leur internationalisation. Aviation et automobile parlent une seule langue et partagent des valeurs communes à l’échelle de la planète, tout en se faisant concurrence au niveau de leurs réseaux de vente et de leurs produits.

De l’usine à l’entreprise digitale
Dans un monde où le développement agile, le déploiement rapide et l’échelle illimitée sont la nouvelle normalité, de nombreux constructeurs automobiles sont en passe de transformer leur culture d’entreprise, passant du statut d’usine métallurgique à celui d’entreprise technologique axée sur les logiciels. La digitalisation peut aider les constructeurs automobiles à réussir leur parcours de transformation numérique.

Le secteur est fortement aidé par une nuée de petite startups plus innovantes les unes que les autres, ce qui manque cruellement aux chemins de fer. Armé d’un lobbying de très haut niveau, le secteur automobile est donc en passe de faire valoir ses atouts et de démonter son aptitude à être une des solutions pour atteindre les objectifs climatiques nationaux.

Le risque est grand de voir apparaître des solutions décarbonées automobiles plutôt que ferroviaires. On se retrouverait alors dans la même situation que les années 1950, quand le rail fut relégué dans son petit coin alors que l’automobile répandait au sein de la population son nouveau way of life.

Alléger les procédures
Il est clair que le chemin de fer évolue en ordre dispersé et n’a pas toujours des ressources dont disposent l’aviation et l’automobile. Le fait d’être un transport utilisant en partie l’énergie verte (l’électricité) et d’être un transport guidé (charges lourdes, grande vitesse), milite pour qu’on donne au transport ferroviaire une priorité majeure. On trouve cependant des raisons d’espérer.

Une première avancée nous vient par exemple de l’Agence ferroviaire de l’Union européenne (ERA), qui est désormais l’organisme de certification unique de l’Europe pour l’autorisation des véhicules, la certification de sécurité et l’approbation ERTMS au sol, en remplacement des anciennes agences de certification nationales de l’UE.

Ce changement vise à simplifier les processus et à réduire les coûts administratifs pour l’industrie ferroviaire en offrant un « guichet unique » aux fabricants ferroviaires et aux opérateurs internationaux, leur permettant de demander l’approbation dans chaque État membre simultanément, plutôt que pays par pays.

Pour obtenir les certificats de sécurité uniques (CSU) par exemple, un nouveau formulaire est prescrit par l’Agence ferroviaire européenne (ERA) et est reconnu par les autorités nationales (méthode de sécurité commune). Récemment, grâce à ce nouveau formulaire, l’opérateur suisse BLS Cargo a obtenu son CSU pour les cinq prochaines années, en coopération avec les autorités nationales de Suisse, d’Allemagne, d’Autriche et d’Italie, ce qui constitue un grand pas en avant et répond à une demande forte des opérateurs ferroviaires.

Il s’agit donc d’un progrès rendu possible par l’élimination des procédures, qui est devenu le point focal dans deux autres domaines.

Le premier concerne l’installation à bord d’une locomotive des systèmes de sécurité nécessaires pour évoluer dans un groupe de pays donné. Jusqu’ici cette installation est toujours très lourde et immobilise inutilement une locomotive en atelier pendant des jours, si pas des semaines.

Pour aller plus vite, la startup belge The Signalling Company tente de mettre au point le « téléchargement » à bord (en une nuit), d’un système de sécurité complet d’un pays. Cela permettrait à la locomotive louée d’être prête à l’emploi le lendemain pour une nouvelle mission. Ce téléchargement serait prévu sous forme d’une « app » aussi simple que celles sur votre smartphone. On attend les résultats pour 2022.

Il sera surtout intéressant de voir quel accueil cette innovation recevra au sein des organismes de sécurité.

Le second exemple est l’ETCS, dont on parle depuis 20 ans. Son implantation est coûteuse de sorte qu’on n’utilise pas ces nouvelles technologies sur les lignes qui en ont le plus besoin : les petites lignes à faible trafic.

L’idée d’éliminer un maximum de câbles et d’actifs à entretenir a produit le concept de blocs virtuels fixes (environ 5km) associé avec la technologie bien maîtrisée des compteurs d’essieux dans les petites gares où les voies se croisent. Cet ETCS de niveau 3 « régional » fait l’objet de tests en Italie en vue d’écrire les spécifications techniques valables pour tout le monde en Europe. Là aussi les résultats sont attendus prochainement. Le but est d’accélérer l’implantation du système et d’éliminer les lourdeurs traditionnelles.

Tout cela montre que même s’il semble improbable que le chemin de fer soit inondé à l’avenir de milliards en recherche et développement, une première démonstration de son efficacité serait d’éliminer les procédures inutiles ainsi que les égos nationaux, et de prouver que les innovations citées ci-dessus (il y a encore d’autres exemples), répondent tout aussi valablement aux critères de sécurité.

Il faudra cependant que le chemin de fer puisse lui aussi bénéficier d’un environnement de startup actives dans de nombreux domaines pour faire reculer l’horizon technologique et se montrer à la hauteur des autres transports.

Il faudra que les chemins de fer fassent davantage confiance à certaines propositions technologiques qui pourraient s’avérer prometteuses à moyen terme. Même si ce n’est pas une idée cheminote à la base…

Digital

29/11/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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