25/04/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Ce jeudi 28 avril marque les 10 ans jour pour jour du démarrage des services en libre accès de NTV-Italo en Italie. L’occasion de revenir sur cet incontestable succès qui fût un moment unique en Europe, alors que maintenant la concurrence à grande vitesse prend son envol en Espagne et en France.
Nuovo Trasporto Viaggiatori, plus connue sous le terme commercial de NTV-Italo, est une entreprise privée de transport par train à grande vitesse qui a démarré ses services le 28 avril 2012. Elle est la seconde entreprise ferroviaire à être créée en Italie, après la tentative avortée en 2010 de Arenaway. C’est probablement à ce jour l’exemple le plus abouti d’une compagnie de transport ferroviaire privée à grande vitesse en Europe.
Elle fût fondée en 2006 par plusieurs industriels italiens de renom : Luca Di Montezemolo (patron de Ferrari), Diego Della Valle (PDG du maroquinier Tod’s), Gianni Punzo (PDG de la société logistique CIS) et Giuseppe Sciarrone, un ancien de chez Trenitalia et Rail Traction Company. Fait remarquable : il s’agit ici de la première firme privée à grande vitesse d’Europe avec comme but de concurrencer les lignes grande vitesse de l’entreprise Trenitalia, alors en pleine restructuration. Parmi les actionnaires, la SNCF en personne, ce qui provoqua fin 2011 la fin de la coopération Artesia entre Trenitalia et la SNCF (et la naissance de Thello).
Quel type de politique à grande vitesse ?
Le modèle italien de grande vitesse a une analogie plus prononcée avec le modèle allemand plutôt que le modèle français. Il s’agit de relier un chapelet de villes, assez proches les unes des autres entre Milan et Naples ainsi que sur la transversale Turin-Milan-Venise.
Des ambitions fortes
NTV a d’emblée affiché un choix ambitieux en optant pour un investissement massif, soit plus d’un milliard d’euros dont 628 millions rien que pour l’achat de 25 nouvelles rames à grande vitesse qui n’existaient que sur papier. La nouvelle compagnie envisagea de proposer trois classes de voyages à l’image de l’aérien. De quoi bousculer un modèle ferroviaire historiquement basé sur deux classes de voyage.
Le modèle d’affaire se voulait tout aussi ambitieux, dans un contexte défavorable au transport ferré italien. Dès le départ, la structure de coût de NTV devait aussi se rapprocher des opérateurs low cost aérien et les plans stratégiques prévoyaient d’embaucher 1.000 employés en direct (dont 100 conducteurs et 700 personnels de bord) pour une cible de 8 millions de clients à l’horizon 2014. NTV avait aussi décidé de sous-traiter certaines tâches pour l’entretien des rames, la restauration et la billetterie.
Il était ainsi prévu d’acquérir 20-25 % de parts de marché à l’horizon 2014-2015, d’être à l’équilibre financier dès 2014 et d’ouvrir, dans une deuxième étape, de nouvelles liaisons à destination de Bologne, Padoue, Venise et Turin.
Des débuts difficiles
L’arrivée de cette concurrence ne s’est pas faite sans mal, la législation n’étant pas encore véritablement rédigée en faveur de la concurrence à cette époque. Il n’y a pas encore de véritable régulateur comme exigé par l’Europe.
Le démarrage des premiers trains, le 28 avril 2012, se fait au travers de zones grises juridiques dont profite pleinement l’entreprise historique Trenitalia, notamment en ce qui concerne l’accès aux facilités essentielles. NTV-Italo a dû fonctionné pendant un an et demi dans un environnement où aucune autorité de régulation compétente ne surveillait le marché. Avec des conséquences fâcheuses. Lors de l’inauguration en gare de Rome-Ostiense (et non Rome-Termini), NTV-Italo se présenta à quai… dans une gare entièrement fermée par un grillage.
Fin 2014, NTV-Italo ne se portait pas bien au niveau financier et était proche de prendre la direction du tribunal. La SNCF se retira à ce moment-là…
Nouveau départ
L’arrivée du nouveau régulateur du rail en 2014, l’ART (« Autorità di Regolazione dei Trasporti »), a été décisif sur le plan institutionnel : la baisse des péages ferroviaires et la mise en place d’un cadre légal pour les accès au réseau ferroviaire. La nouvelle grille des péages redevables par les entreprises à grande vitesse (dont Trenitalia, l’opérateur historique), pour l’année 2015, a conduit à une réduction d’environ 30%, passant ainsi de 12,8 euros par train-kilomètre à 8,2 euros par train-kilomètre. Auparavant, ces péages étaient estimés à environ 13,4 euros par train-kilomètre.
En 2015, une action importante concerna les dettes de 681 millions d’euros contractées par NTV et qui furent rééchelonnées dans le but de rembourser 70% pour 2028 et les 30% restants pour 2033. Une recapitalisation de 100 millions d’euros pu donner de l’air à NTV-Italo qui réalisa ses premiers bénéfices en 2016.
Les affaires fonctionnèrent par la suite beaucoup mieux avec une extension du réseau en Italie ainsi que l’achat complémentaire de 22 rames EVO aptes à 250km/h, portant le parc de NTV-Italo à un total de 47 rames.
Côté trafic, NTV-Italo enregistrait après seulement six années d’exploitation près de 17 millions de passagers transportés en Italie sur l’année 2018, soit pratiquement 2 fois et demi ce que Thalys avait fait en 20 ans.
Nouveaux actionnaires
En 2018, NTV-Italo était vendu pour 1,98 milliard d’euros au gestionnaire de fonds international Global Infrastructure Partners III et en septembre 2018, la compagnie d’assurances allemande Allianz acquérait une participation de 11,5% dans Italo-NTV auprès de Global Infrastructure Partners III (GIP), faisant d’Allianz le deuxième actionnaire de la société.
Dans la Péninsule, certains furent pris d’un grand effroi de voir une pépite nationale vendue à l’étranger. Réponse cinglante du fondateur Luca Cordero di Montezemolo : « Quand nous étions sur le point de fermer en 2014, pour porter les comptes devant les tribunaux, personne n’a levé le petit doigt, à l’exception de la banque Intesa SanPaolo. Et même maintenant, lorsque l’offre GPI est arrivée, je n’ai vu personne proposer d’hypothèses alternatives, d’être prêt à prendre plus de 40 pour cent. Le groupe américain est un grand signe d’optimisme envers les possibilités [d’investissements] dans notre pays, un acte de confiance particulièrement important dans des moments comme celui-ci. »
Après les affres de la pandémie, qui avait pratiquement mis le service à l’arrêt en 2020, les choses semblent repartir sur de bonnes bases même si le contexte n’est plus celui de 2019.

Milan-Rome non-stop
Parmi les nouveautés du changement d’horaire 2022, citons les nouvelles liaisons vers Gênes, les trajets directs entre Udine et Milan, l’augmentation des services vers le Sud et un investissement important sur la ligne Milan – Rome, la principale liaison de l’entreprise qui accueille chaque jour la clientèle d’affaires, et qui peut compter sur 64 services par jour.
Sur ces 64 services quotidiens, soit un toutes les 20 minutes aux heures de pointe, 32 sont « NoStop » (sans arrêts intermédiaires). La gare de Milano Rogoredo est de plus en plus importante, desservie par 39 services, dont 19 « NoStop ». L’entreprise a également décidé de renforcer le service et le confort, qui sont depuis toujours les traits distinctifs des voyages avec Italo.
Quelques conclusions
Trenitalia, opérant sur tous les segments de marchés du transport de passagers, bénéficiait dès le départ de significatives et positives économies d’échelle et de réseau. Ces dernières représenteraient un avantage économique substantiel en défaveur des nouveaux de NTV-Italo, qui partait d’une feuille blanche avec un réseau bien moins étendu.
Selon certains auteurs académiques, plutôt qu’une menace, l’arrivée d’un concurrent a en réalité révélé que Trenitalia s’est montré à même d’apporter des innovations majeures dans ses services, ses prix et ses coûts opérationnels pour répondre à la pression concurrentielle. Une situation que NTV-Italo aurait sous-estimée.
En 2015, face à la bonne résistance de Trenitalia et aux déboires financiers de NTV-Italo, les actionnaires historiques de l’opérateur privé ont engagé un profond revirement stratégique, manifestant leur confiance dans Italo. Cette action reflète l’importance d’avoir un management lucide et prouve qu’il est possible de redresser une situation périlleuse sans avoir l’aval de la politique.
L’endettement a été drastiquement réduit, de près de 30 % entre la fin 2017 et le pic de 2012.
Au final, Trenitalia, pressé d’améliorer ses services et de réduire ses coûts d’exploitation, a vu son trafic GV continuer d’augmenter et sa situation financière globale s’améliorer. NTV a enregistré un véritable succès commercial, avec des parts de marché atteignant 25 % à 30 % au bout de seulement 5-6 ans de compétition.

Le graphique ci-dessus, limité à 2016 et aimablement autorisé par l’auteur, nous montre très clairement quatre phénomènes :
- Le trafic grande ligne subsidié (en gris) est prépondérant jusqu’au-delà des années 2000 et l’arrivée de l’aviation low cost;
- La grande vitesse non-subsidiée (en vert), mais en monopole, permet de se battre contre l’aviation low cost, sans toutefois enrayer le déclin des parts du rail;
- La part de la grande vitesse, non-subsidiée, devient prépondérante dès 2009 sans toutefois arriver à stopper la baisse du trafic, suite à la crise de 2008;
- En 2012, l’arrivée de NTV-Italo (en orange) se conjugue avec une remontée du trafic grande vitesse de… Trenitalia !
Au final, une opération win-win qu’il faut cependant de se garder de reproduire ailleurs dans d’autres pays de l’Union. La singularité italienne a joué, notamment au niveau de l’architecture du réseau, très étiré sur 800 kilomètres avec tous les 200 à 300 kilomètres une ville importante.
Il reste aussi à mesurer les défis du transport ferré après deux années de pandémie, alors que les trafics d’affaires ne reviennent pas à leurs niveaux d’avant 2020 et que ce sont plutôt les trafics de loisirs qui semblent prédominer.

25/04/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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