03/10/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Dépourvus de la grande vitesse, du moins à grande échelle, les pays de l’Est, de Scandinavie et de l’arc alpin ont continué à exploiter des trains grandes lignes sans nécessairement la grande vitesse. Du côté de l’Atlantique, la politique à grande vitesse a fait disparaître en grande partie ces trains. C’est le cas sur l’axe majeur Paris-Bruxelles-Cologne. Un retour de ce type de train serait souhaitable. On vous explique pourquoi.
Le train grande ligne est quelque chose qui a été mis en place dès le XIXème siècle, quand on s’est mis en tête qu’il devenait inutile de s’arrêter à toutes les gares quand une majorité de voyageurs d’un même train avaient une même destination à 100, 300 ou 500 kilomètres. De là vînt la différence entre « l’omnibus » local et « l’express ».
Dans les années 1960, la marque « Intercity » fût créée par British Railway pour marquer les services voyageurs express et longue-distances, et qui dominèrent le secteur des « express ». La marque InterCity s’étendit ainsi à travers tout le réseau de British Rail. L’Allemagne emboîta le pas en septembre 1971, avec quatre lignes où les trains étaient cadencés toutes les deux heures sous la dénomination « F » (Fernverkehr, F-Zug).
La grande vitesse comme seul salut ?
Dès 1981 en France, puis dans les années 90-2000 en Europe, le train à grande vitesse sur lignes dédiées se répandit rapidement, la Grande-Bretagne et la Suède restant singulièrement à l’écart de ce mouvement.
Dans les années 90-2000, percolaient deux idées pour revitaliser le trafic international :
- D’une part la grande vitesse avait été désignée comme un nouvel outil pour remplacer le train international classique, lequel n’avait plus sa raison d’être face à l’aviation. C’est sur cette idée qu’est né le réseau à grande vitesse appelé à l’époque « TGV Nord européen ».
- D’autre part il y avait la volonté de réformer la structure tarifaire et de la remplacer par un « produit » plus proche du marketing, mais aussi plus proche de la couverture des coûts.
Cette politique menait aussi – et on en parle fort peu -, à l’idée qu’il fallait protéger les lourds investissements de la grande vitesse en redirigeant la clientèle vers ce produit plus cher, mais plus confortable.
Malheureusement la conséquence a été une coupure complète entre les régions belges, le Nord de la France et le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui ne disposaient plus de trains qui desservaient des gares plus régionales comme St Quentin, Mons ou Namur, au profit de grands flux de capitale à capitale.
Changer de point de vue
Il persiste encore de nos jours l’idée que la remise en service de trains classiques en parallèle au TGV pourrait mettre en péril le difficile équilibre de la grande vitesse. Il y a des tas d’opinions contradictoires sur ce sujet.
Il semblerait que les transports de régions à régions ait repris plus de couleurs qu’on en l’avait cru il y a deux décennies. Dans cette optique, le train « express » ou « Intercity » classique conserve en réalité toute sa place sur un axe tel que Paris-Bruxelles-Liège-Cologne.
Un calcul horaire rapide montre qu’avec quatre rames – plus une de réserve -, on peut couvrir quatre allers-retours chaque jour, plus un aller-retour vers Cologne et Paris au départ de Bruxelles (cliquez sur l’image pour agrandir) :
Dans cet exemple, avec seulement deux rames (+ une de réserve), on peut déjà créer trois allers-retours, dont un au départ de Bruxelles. Question de choix, de marché.
Peut-on raisonnablement argumenter que ces trois ou cinq allers-retours entameraient le business de Thalys et de ICE International ? À priori non. Ils trouveront un public qui n’a pas besoin de la grande vitesse ni d’un service haut de gamme, et qui répond à des besoins plus régionaux sans faire des omnibus…
Connecter l’express avec le régional
La question de faire circuler les trains via Charleroi et Namur pose un autre débat. La tentation est grande de gesticuler pour « se connecter à l’Europe », mais on a plus l’impression d’une action symbolique que vraiment pragmatique. Quand un voyageur veut aller de Paris à Cologne, ce n’est pas pour débarquer à Namur…
Des tas de villes régionales en Europe se débrouillent très bien sans avoir nécessairement une tonne de connexions ferroviaires internationales. Songeons à Malmö, en Suède, Eindhoven et Groningen aux Pays-Bas, Toulouse ou Le Mans en France, Bilbao en Espagne, qui doivent leur transformation avant tout par une volonté politique locale forte, et pas vraiment par le passage de tel ou tel train.
La dorsale wallonne mériterait cependant de meilleures connexions avec ses régions voisines par le biais du train régional prolongé sur Aulnoye en France plutôt que Maubeuge. De même, la vallée de la Vesdre aurait dû avoir depuis longtemps ses Liège-Welkenraedt prolongés jusqu’à Aix-la-Chapelle. On pourrait aussi rêver que les Intercity régionaux Amsterdam-Maastricht aboutissent à Liège.
Nous avons déjà parler de la tonne de blocages que cela suscite, notamment au niveau de la billetterie, du partage de la couverture des déficits, mais aussi par la méfiance entre chemins de fer.
Une solution pour opérer ces trains
La remise en service d’une poignée de liaisons entre trois grandes villes d’Europe, tout en irriguant les régions et leurs trains locaux, pourrait répondre à un transfert modal digne de ce nom. Qui va le faire ?
Une visite d’Innotrans a montré une solution alternative. Les Polonais et les Slovaques construisent des voitures classiques, climatisées, aptes à 200km/h, avec espace vélos, bébés et PMR. Elles peuvent parfaitement suffire pour redémarrer un service de train classique, sans passer par la case homologation, car elles sont estampillées RIC. Il faudra cependant veiller au détail de la fermeture des portes, dernière trouvaille qui crée une barrière à l’entrée…
Par ailleurs, il serait judicieux que ces trains, qui ont un demi-tour d’une heure à Cologne et à Paris-Nord, puissent être dotés d’une voiture-pilote, à l’image des rames ÖBB Railjet. Le genre de détail qui peut susciter encore de nos jours des blocages d’homologation…
Les coûts ? Pourquoi ne pas passer par le leasing, comme le fait Flixtrain avec Railpool, dont ce n’était pas le métier d’origine ? On utilise ces voitures huit à dix ans et on analyse la réponse du marché à ces services. Dans l’intervalle, on peut passer à la commande pure en matériel roulant neuf si cela s’avère plus efficace. Les nouveaux entrants ont notamment montré la voie – certes avec du matériel ancien -, en conservant la voiture-bar ou restaurant sans que cela ne coûte une fortune, comme chez le suédois Snälltåget.
Cette faculté montre à quel point le secteur ferroviaire doit devenir un secteur ouvert, avec un marché dynamique du leasing, comme c’est déjà le cas pour les locomotives, autre solution qui pourrait donner une réponse temporaire pour relancer Paris-Bruxelles-Cologne.
Moyennant une bonne maîtrise des coûts, on peut être capable d’opérer ces trains à l’équilibre à condition d’être innovant. Le suédois Snälltåget l’a justement démontré cet été, avec son tarif à 44€ pour 597 kilomètres, soit 0,04€ du kilomètre dans un pays généralement pas réputé pour être bon marché…
Répondre à toutes les attentes d’une clientèle diversifiée, c’est aussi remettre le train à la place qui lui est due. Sinon, certains clients prendront d’autres transports jugés tout aussi efficaces… 🟧

03/10/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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