20/11/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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C’est une idée d’un Senior Consultant et ingénieur civil ayant travaillé près de 35 ans au sein de la DB (1). Il propose une LGV transfrontalière relativement courte de Vendenheim à Rastatt avec réactivation du pont de Wintersdorf. Le tout ferait partie d’un projet à la fois grande ligne, européen et régional. Utopie ?
Aux origines du TGV-Est européen
Relier le nord de Strasbourg directement à l’Allemagne n’est pas nouveau et une masse de projets a fleuri au cours des trois dernières décennies. On se rappelera tout de même qu’en 1989, le représentant spécial de la SNCF pour le TGV Est, Philippe Essig, avait fait une proposition de tracé dans son dossier du 25 octobre 1989, avec une option de prolongement de la LGV au nord de Strasbourg en direction d’un nouveau franchissement du Rhin entre Herrlisheim et Offendorf (Alsace).
Par la suite, SNCF et Deutsche Bundesbahn développèrent ensemble plusieurs variantes pour relier les deux réseaux ferroviaires, dont un tracé de la LGV Est vers Rastatt via Drusenheim – Roppenheim en passant par Wintersdorf.
L’accord intergouvernemental de La Rochelle du 22 mai 1992 contenait un article qui prévoyait que « les parties contractantes prennent, dans le cadre de leurs compétences, des dispositions pour la faisabilité ultérieure d’une ligne nouvelle à grande vitesse au nord de Strasbourg ».
Objectif Karlsruhe
D’après le consultant, les évaluations des flux de voyageurs de la branche sud du TGV-Est (2), soit Paris-Stuttgart-Munich, montrent que l’origine/destination très majoritaire des voyageurs reste avant tout Paris, et non Strasbourg. Ce n’est guère une surprise, en dépit du passage actuel des TGV-POS par la capitale alsacienne.
Cela lui sert d’argumentaire pour proposer – en accord avec les textes de l’accord intergouvernemental de 1992 -, une ligne nouvelle qui se dirige directement vers Karlsruhe, plutôt que le détour actuel via Strasbourg et Kehl.
Cette ligne nouvelle à 320 km/h serait tracée plus précisément entre Vendenheim (F) et Rastatt (D). Le tracé longerait l’autoroute A35 en France puis bifurquerait à hauteur de Roppenheim (F) pour traverser le Rhin via soit un pont à construire, soit en réhabilitant le pont ferroviaire original qui a été transformé en pont routier. On rejoint ainsi Wintersdorf et Rastatt qui serait contournée à l’Est pour rejoindre – au nord de la ville -, la ligne Bâle-Karlsruhe-Francfort/Cologne.

Dans une dimension purement grande vitesse, cette ligne nouvelle de 70 kilomètres rajoutée à la LGV-Est devrait permettre un temps de parcours Paris – Karlsruhe de 2h pour 498 kilomètres, ce qui rendrait possible des temps de parcours de moins de 3h sur Paris-Stuttgart, Mannheim et Frankfurt.
Par ailleurs, une option moins coûteuse – non envisagée ici -, aurait été un court raccordement de Vendenheim à la ligne Strasbourg-Lauterbourg, du côté de Gambsheim, moyennant bien-sûr électrification et rénovation de cette ligne. Mais cela rend plus difficile l’option allemande d’avoir des villes à moins de 3 heures de Paris.
Dans le grand style du cadencement allemand, on prévoit des liaisons TGV toutes les 2 heures vers Paris à partir de Francfort d’une part, et de Stuttgart d’autre part, celles-ci se superposant dès Karlsruhe pour former une cadence horaire jusqu’à Paris, tout bénéfice pour cette ville allemande secondaire.
Dans le même temps, la ligne Bâle-Strasbourg-(Karlsruhe) serait invitée à devenir un itinéraire de déviation pour les trains de marchandises. La Suisse a en effet annoncé vouloir soutenir financièrement l’électrification de la ligne Strasbourg – Wörth pour soulager la ligne côté allemand, où les travaux de modernisation semblent assez lents.
Une option complémentaire serait que les trains de marchandises en provenance d’Allemagne et à destination de Hausbergen puissent utiliser cette ligne. Ces trains de marchandises libèreraient des capacités sur la ligne allemande de la vallée du Rhin dans le goulet d’étranglement Rastatt – Appenweier pour les trains de marchandises dans la relation Rotterdam – Gênes, argumente l’auteur.
En dépit de ses nombreux arguments chiffrés (3), il ne fait aucun doute qu’on appréciera négativement ce projet du côté de Saarbrücken et de Strasbourg, qui pourraient du coup être évitées. On ne doute pas du lobbying intense de Strasbourg pour conserver le statu quo actuel. Notre consultant y ajoute un autre argument…
Le TER 200 jusqu’à Karlsruhe
Pour éviter la critique attendue du « tout TGV » et argumenter ce projet très germanique au nord de Strasbourg, la dimension TER a été mise en avant. Venant d’Allemagne, ce n’est pas banal. Il est ainsi prévu un raccordement V=220km/h à créer du côté de Hoerdt/Vendenheim pour rejoindre les voies classiques vers Strasbourg. Mais pour quels trains ?
Pour les liaisons voyageurs sur Karlsruhe-Strasbourg, l’auteur verrait bien les trains TER 200 Bâle – Strasbourg prolongés jusqu’à Karlsruhe. Ces trains devraient avoir un arrêt supplémentaire à Röschwoog en Alsace, afin de relier rapidement le nord de l’Alsace à Strasbourg et à Karlsruhe au niveau transfrontalier, puis bifurquer vers le Rhin et l’Allemagne.
Ici aussi, l’emprunt de la ligne classique Strasbourg-Lauterbourg, électrifiée avec vitesse rehaussée, pourrait être une autre solution. D’autant que notre consultant prévoit justement un raccordement avec cette même ligne à Roppenheim.
L’étude pousse les détails assez loin en prévoyant que les trains TER 200 en provenance de Strasbourg arrivent toujours à Karlsruhe en voie 3 et repartent en voie 2, nécessitant une courte voie en cul de sac reliant ces deux voies à quais, mais à l’écart des grands flux Cologne/Francfort-Bâle.
Bien-sûr, à Strasbourg, on argumentera qu’en provenance de Bâle, avec un simple demi-tour, on peut rejoindre Appenweier puis Karlsruhe sans aucuns frais, trajet qu’empruntent d’ailleurs les TGV-POS. Mais l’idée est justement d’éviter cette section particulièrement encombrée en Allemagne.
L’idée de mélanger des V200 avec des V320 a toujours provoqué des grincements en France. C’est pourtant une pratique courante entre Amsterdam, Rotterdam et Breda (HSL Zuid hollandaise), entre Bruxelles et Liège (LN2 belge) ainsi qu’entre Breda et Anvers (LN4 belge). Il faut en effet regarder le volume des trafics et constater, avec un TGV par heure et par sens entre Karlsruhe et Paris, que beaucoup de place est disponible et qu’on est loin de la saturation avec 10-12 TGV par heure sur Paris-Lyon. Le TER 200 sur LGV ? Une bonne idée, tout simplement.
Sven Andersen envisage ainsi de créer un halte sur la LGV juste avant de traverser le Rhin, à Oppenheim côté français, destinée aux TER 200.
L’auteur fait l’impasse sur le matériel roulant nécessaire à un tel service. On peut évidemment largement deviné que ce matériel V200 existe sur le marché, songeons aux rames CAF commandées par la SNCF et aptes justement à cette vitesse. Mais le TER étant mis à la concurrence, rien ne dit qu’il faille songer à la SNCF ou même la Deutsche Bahn…
Des idées aussi à d’autres niveaux
L’Eurodistrict Pamina effectue de son côté un lobbying pour réactiver la ligne ferroviaire Sarrebruck – Sarreguemines – Haguenau – Röschwoog – Rastatt – Karlsruhe. Elle s’écarte donc de l’option de prolongation de la LGV-Est au nord de Strasbourg. La ligne Rastatt-Haguenau, dont la réactivation créerait une liaison Est-Ouest entre Karlsruhe et Saarbrücken, faisait autrefois partie de la ligne Nürnberg-Luxembourg, utilisée pendant les deux guerres mondiales à des fins militaires et plus tard par l’OTAN.
Le rétablissement de la continuité de la ligne (Saarbrücken-Sarreguemines) ObermodernHaguenau-Roeschwoog (FR)-Rastatt (DE)-(Karlsruhe), nécessite la reconversion (ou la reconstruction) du pont sur le Rhin entre Beinheim (FR) et Wintersdorf (FR) (utilisé actuellement pour le trafic routier) et la remise à niveau de 40 kilomètres de ligne.
L’assiette de la voie serait encore largement préservée et entretenue. La réactivation civile serait un symbole de réconciliation durable. D’après le groupement Pamina, la ligne Rastatt-Haguenau a été officiellement déclarée comme un Missing Link européen.
À un autre niveau, la Région Grand Est et le Land de Rhénanie-Palatinat ont conclu un accord de coopération transfrontalière destinée à améliorer les liaisons ferroviaires régionales entre la France et l’Allemagne, avec une échéance de mise en service en décembre 2024.
Pour cette région, née d’un regroupement en 2016, l’offre ferroviaire transfrontalière fait partie des projets. On n’y parle pas spécifiquement d’un TER Bâle-Strasbourg-Karlsruhe, mais un investissement a déjà été passé par une commande par la région pour 375 millions d’euros de 30 rames Alstom Coradia pouvant circuler indifféremment sur les deux réseaux français et allemand.
La région devrait être la première en France à ouvrir des lignes ferroviaires transfrontalières à la concurrence de la SNCF, vers l’Allemagne. Le conseil régional avait voté en 2021 l’engagement de la procédure pour l’exploitation de sept liaisons représentant un total de 525 km au départ de Metz (Moselle), Strasbourg (Bas-Rhin) et Mulhouse (Haut-Rhin) vers les villes allemandes frontalières de Trèves, Sarrebruck, Neustadt, Karlsruhe, Offenbourg et Müllheim, situées dans les Länder de Rhénanie-Palatinat, de Sarre et du Bade-Wurtemberg.
On voit donc que l’Alsace reste une terre de projets. Il reste à voir comment tout cela pourrait devenir réalité. Comme l’indiquait le quotidien luxembourgeois Tageblatt, « les élus alsaciens savent mieux se faire entendre de Paris que les élus lorrains ou champardennais ». 🟧
(1) Article de Sven Andersen paru dans Eisenbahntechnische Rundschau de ce mois de novembre : Grenzüberschreitender Eisenbahn-verkehr Deutschland/Frankreich im Raum Karlsruhe.
(2) La branche Nord étant Paris-Saarbrücken-Francfort
(3) Sven Andersen : Grenzüberschreitender Eisenbahn-verkehr Deutschland/Frankreich im Raum Karlsruhe (paru dans Eisenbahntechnische Rundschau de ce mois de novembre)

20/11/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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