19/12/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La Suisse a conservé un grand nombre de petits chemins de fer locaux. La plupart ont une vocation touristique, comme c’est le cas du Montreux-Oberland-Bernois (MOB), un chemin de fer à voie métrique reliant Montreux à Zweisimmen. Mais le MOB a toujours rêvé d’aller jusqu’à Interlaken, permettant ainsi de relier le lac Léman aux lacs de Thoune et de Brienz. C’est désormais chose faite.
La ligne du Montreux-Oberland-Bernois (MOB), 62,4 kilomètres, a été mis en service en cinq étapes entre Montreux et Zweisimmen, entre 1901 et 1905, à l’écartement métrique et directement avec électrification en 750V DC, passée de nos jours à 900V. Au-delà de Zweisimmen, une autre ligne à voie normale UIC était inaugurée dès 1912 pour rejoindre Spiez, sur les bords du lac de Thoune.
Pour le MOB, aller au-delà de Zweisimmen a toujours été le rêve, Spiez étant une gare de croisement située sur la grande ligne Bâle-Berne-Brig-Milan, exploité par le BLS, le Bern-Lötschberg-Simplon, une compagnie appartenant au canton de Berne et à des banques régionales. Mais la véritable destination pour le MOB restait Interlaken, une branche du BLS.
MOB et BLS sont donc deux chemins de fer différents, non seulement au travers de l’écartement différent des rails, mais aussi sur toute une série de normes techniques, comme la hauteur des quais, la largeur des véhicules, le profil de la voie ou l’électrification. Le BLS a les attributs du « grand » chemin de fer aux normes UIC. Pas le MOB, qui est un chemin de fer métrique et roule donc sous des normes bien différentes.
Au niveau de l’offre de trains, cela fait longtemps que le MOB propose une offre marquée au niveau touristique. En 1979, la compagnie mettait en route son « Panoramic Express ». Il s’en suivit les Superpanoramic Express, puis le Crystal Panoramic Express et le Golden Panoramic Express.
Tous ces trains avaient pour origine et terminus Zweisimmen, qui n’est pas à proprement parlé une destination de renom à l’inverse de Montreux, Gstaad ou Interlaken. Le changement de confort était perceptible à Zweisimmen, puisqu’on se retrouvait avec du matériel roulant varié du BLS, la plupart du temps des automotrices classiques.
Il fallait donc un saut qualitatif et une offre plus complète. Un projet de troisième rail émergea dans les années 80, mais resta sans suite.

D’un écartement à l’autre
On s’orienta alors vers la technique d’un bogie à écartement variable, comme le font les espagnols avec leurs rames Talgo. Un prototype d’échangeur d’écartement fût alors mis au point en 2008, mais différent de ce qui est utilisé par Talgo entre l’Espagne et la France. Ce prototype a servi de base à la construction de quatre bogies d’essai. Un contrat a ensuite été passé avec Alstom pour 58 bogies de 3,9 tonnes, de conception définitive avec un empattement de 1.500 mm.
Les essais ont commencé en 2019 et les bogies ont avalé près de 2700km sur les voies à écartement métrique du MOB et 750 km sur l’infrastructure du BLS, où les essais ont débuté en janvier 2020. Les bogies ont alors traversé les installations de changement d’écartement à Zweisimmen plus de 1000 fois.
Les voies équipées de l’installation de changement d’écartement disposent d’une alimentation électrique commutable entre le 900 V DC utilisé par MOB et le 15 kV 16,7 Hz utilisé par le BLS.
Le principe fonctionne comme le montre la vidéo ci-dessous :
Matériel roulant spécifique
Il n’était pas question pour le MOB de choisir une déclinaison « voie étroite » des rames Talgo. Dès l’origine du projet, l’objectif était d’avoir des voitures à bogies à écartement variable.
À l’origine, le MOB comptait sur une modification de certaines de ces meilleures voitures existantes, mais cela fut finalement exclu.
Il y a deux constructeurs : Alstom se chargea des bogies tandis que Stadler recevait en 2018 une commande pour 20 voitures, nombre réduit à 19 par la suite. Le design des voitures a été confié à Pininfarina, lequel avait déjà travaillé sur les rames du Cristal Panoramic Express en 1993.
Mais comme on l’a dit, circuler sur voie métrique et voie UIC , ce n’est pas les même chose. Le simple fait de pouvoir rouler sur les voies UIC du BLS a fait gonfler les contraintes réglementaires, notamment en ce qui concerne les normes de collision.
Alors que le MOB avait créé pour ses essais un premier bogie nommé EV09, c’est finalement Alstom qui conçu un nouveau bogie bien plus lourd et plus complexe, l’EV18. Particularité du bogie : quand le train est sur voie UIC, les caisses sont remontées de 20cm pour être compatibles avec les gares et arrêts du BLS.

Les 19 voitures commandées en 2018 sont de construction en aluminium et ne pèsent que 27 tonnes. En 2021, une commande complémentaire de 4 voitures panoramiques revenait à nouveau au constructeur Stadler. Initialement prévues avec 7 voitures, dont une voiture-restaurant, les compositions n’auront en 2024 qu’un total de 5 voitures, hélas sans voitures restaurant.
Montreux-Interlaken d’une traite
Le trajet complet Montreux-Interlaken demande 3h15, ce qui, pour effectuer 4 allers-retours par jour dès juin prochain, implique d’avoir en circulation 3 rames complètes, la quatrième étant de réserve.
Il ne s’agit pas de rames automotrices, mais de rames tractées/poussées (push-pull dans le jargon) par des locomotives de chaque opérateur : Ge 8000 pour le MOB, n’importe quelle locomotive côté BLS, par exemple une Re 465 ou autre.
Toutes les compositions ont une voiture-pilote à chaque extrémité. Le train de Montreux est en mode « tracté » et arrive à Zweisimmen sur le changeur d’écartement. Seul la rame change d’écartement, la locomotive du MOB restant à son écartement métrique. Détellée, elle ira rejoindre une voie de garage.
Dans l’intervalle, une locomotive Re 465 du BLS et une voiture du MOB mais à écartement standard viennent s’accoupler à l’arrière du convois. Une fois les opérations terminées, et les voyageurs embarqués, le départ à lieu en « pousse » vers Interlaken. Le tout prendrait 8 minutes à Zweisimmen.
Munis de toutes les autorisations nécessaires, dimanche dernier, pour le nouvel horaire du 11 décembre, un premier aller-retour était lancé, avec seulement une composition de 4 voitures.
Ce service serait complété en juin prochain de 3 autres allers-retours sur le trajet complet du GoldenPass Express.
Ce type d’exploitation peut paraître complexe et coûteuse mais dans les milieux politiques, ainsi qu’au MOB même, on rétorque que la clientèle de ces trains est souvent une clientèle asiatique ou nord-américaine, laquelle est habituée à payer un service premium sur le simple fait de découvrir l’un des plus beaux paysages d’Europe, où ils ne sont que pour peu de temps. « Avec le MOB, nous avons créé un train qui offre une expérience de voyage immersive, en totale symbiose avec la beauté de la la nature environnante, » explique à CNN Alfredo Palma, chef de projet design chez Pininfarina.
Et ensuite jusqu’à Lucerne ?
La suite du voyage, c’est de pouvoir poursuivre un jour jusqu’à Lucerne. Mais ce projet doit tenir compte d’un paramètre que le MOB n’a pas : la crémaillère sur le massif du Brunig. Or les bogies à écartement variable ne peuvent pas s’accomoder de cette énième technique. Mais on peut parier sur l’ingéniosité des constructeurs pour trouver une solution viable à ce nouveau défi.
En attendant, savourons déjà le beau parcours actuel qui relie trois lacs dans le centre de la Suisse. Un investissement de 90 millions € de la Confédération et des trois cantons concernés. 🟧
Le lien vers ce train : https://mob.ch/line/ligne-montreux-zweisimmen/

19/12/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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