09/01/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Oslo, capitale de la Norvège, compte partiellement reconstruire trois de ses lignes intercity pour à la fois augmenter les capacités et raccourcir jusqu’à une heure les temps de parcours avec les principales villes norvégiennes. Au menu : beaucoup de chantiers, de lignes nouvelles, de ponts et de tunnels. Un bel exemple d’amélioration du quotidien régional.
La gouvernance ferroviaire norvégienne
Le secteur ferroviaire en Norvège se compose :
- de la Direction des chemins de fer norvégiens Jernbanedirektoratet;
- du gestionnaire d’infrastructure Bane NOR SF, responsable des actifs ferroviaires appartenant à l’État;
- du loueur public de matériel roulant Norske Tog AS;
- de l’opérateur public historique Vy (anciennement NSB);
- de Entur AS qui est un canal national de vente de billets de train. La société collecte également des données de voyage pour tous les transports publics en Norvège;
- D’une série de délégation de service public;
- D’opérateurs de fret ferroviaire indépendants.
Le réseau compte 3.848 kilomètres de lignes, soit un peu plus que la Belgique, mais seulement… 290 kilomètres sont à double voie, ce qui est très handicapant pour la capacité du réseau.
Dans ce pays, améliorer le futur de la mobilité des citoyens passe par une large refonte du réseau ferroviaire, fortement handicapé par sa sinuosité et ses lignes à voie unique. Cela induit de faire couler pas mal de béton et de (prudemment) tailler dans son magnifique relief, pour créer des tronçons de lignes nouvelles et rouler à 250km/h là où c’est possible, le tout en ETCS. Objectif : réaliser une réduction des émissions de CO2 de 45.000 tonnes par an.
Le projet InterCity autour d’Oslo
Un chemin de fer moderne desservant les villes des comtés de Vestfold et d’Østfold, ainsi que la rive orientale du lac Mjøsa, élargira la région métropolitaine d’Oslo, créant ainsi une zone urbanisée homogène de 2 millions d’habitants. C’est de cette manière très scandinave qu’est présenté – et justifié -, le projet InterCity autour d’Oslo.
Une étude en 2010 a estimé que la région qui entoure directement la capitale verrait sa population augmenter de 450.000 personnes vers 2040. Un investissement majeur dans les infrastructures de transport était donc nécessaire pour faire face à la croissance du trafic qui en découlerait. L’espace disponible ne permet plus de développer le réseau routier vers Oslo. La Norvège compte donc sur le train – et les transports publics -, pour résoudre les principaux défis posés par une telle croissance de la population.
Les norvégiens ont eu la bonne idée de coordonner ce projet autour de la capitale avec l’étude sur la grande vitesse ferroviaire. Un rapport a fourni plusieurs réponses et recommandations pour le choix des concepts pour trois lignes : Oslo-Halden, Oslo-Lillehammer et Oslo-Drammen-Skien. Les municipalités, les autorités du comté, l’industrie et des organisations citoyennes ont tous été impliqués dans l’étude. Et qu’est-ce qu’on en retient ?
- qu’il est largement question d’augmenter les capacités sur un réseau réputé pour ses lignes à voie unique, en construisant 230 kilomètres de lignes nouvelles ou dédoublées sur ces trois lignes, avec certains tronçons aptes à 250km/h (tant qu’à faire), permettant d’exploiter 4 InterCity par heure et par sens, en plus du trafic local;
- qu’on profite des nouveaux tronçons pour augmenter les vitesses et obtenir des gains de temps qui oscillent entre 15 et 30 minutes dans un rayon de 50 kilomètres, mais qui deviennent plus significatifs dès qu’on va plus loin, comme Lillehammer (180km), qui gagnerait 51 minutes ou Skien qui diviserait son temps de parcours presque par deux.
- que l’ensemble du projet est doté d’un budget estimé à 130 milliards de NOK (12 milliards d’euros), et que sa réalisation nécessiterait au moins une dizaine d’années, sur la base d’un processus de planification de cinq ans et d’une période de construction de cinq ans, bien qu’on pense à plutôt 13 années. On attrappe tout de même mal au coeur en pensant au RER de Bruxelles ou à Stuttgart 21…
Des ponts, des tunnels et du béton
La mise en oeuvre de ce plan InterCity fait donc appel à une combinaison importante de ponts, de tunnels et de dédoublement de sections à voie unique. Dans les dernières décennies, sortir d’Oslo a déjà donné lieu à quelques grands ouvrages d’art :
- Le tunnel de Lieråsen, 10.723 m de long, a été ouvert à la circulation le 3 juin 1973 . C’était le plus long tunnel ferroviaire de Norvège jusqu’à l’ ouverture de Romeriksporten en 1999. Partant vers l’ouest, il a permis un temps de trajet entre Drammen et Oslo passant de 50 à 31 minutes;
- le tunnel de Romerik (Romeriksporten), long de 14,58 kilomètres, apte à 210 km/h et ouvert en août 1999. Il part vers l’est jusqu’à Etterstad et est un tronçon de la ligne desservant l’aéroport de Gardermoen.
Nous n’entrerons pas dans tous les détails de ce vaste ensemble de chantiers, mais retenons tout de même ces 7 points singuliers dont les travaux sont déjà en cours (cliquer sur la photo pour agrandir).
À noter que chaque chantier dispose de sa page Facebook personnalisée, que nous vous renseignons au fur et à mesure.
Drovebanen Oslo-Lillehammer-Trondheim
Le Dovrebanen s’étend vers le nord sur le côté est de Mjøsa jusqu’à Lillehammer, à travers Gudbrandsdalen avant de monter et de traverser Dovrefjell à Dombås jusqu’à Hjerkinn, de descendre Drivdalen jusqu’à Oppdal et jusqu’à Støren et Trondheim, à 485 kilomètres d’Oslo. C’est donc un maillon essentiel vers le nord du pays. Depuis 1998, cette ligne connait un fort trafic puisque qu’une partie sert de desserte pour le nouvel aéroport de Gardermoen. Elle a déjà obtenu une amélioration avec le tunnel de Romerik évoqué plus haut. Le Dovrebanen a eu 100 ans en 2021.
Plusieurs chantiers la concernent dans le cadre du projet InterCity Oslo. Le but est d’exploiter Oslo-Hamar en 1h (gain de 30 minutes) et Oslo-Lillehammer en 1h30 (gain de 51 minutes). Deux chantiers majeurs se démarquent par leur ampleur : Tangen et Eidsvoll. Dans le premier cas, il s’agit de construire 29,7 kilomètres de lignes nouvelles. Du côté du génie civil, il y a d’abord le tunnel monotube de Hestnes, long de 3.100m, qui débouchera en hauteur de Espa pour traverser le fjord de Tangenvika grâce au sectaculaire pont de 1 040 mètres de long (photo). La double voie continue ensuite à travers la Tangenhalvøya où une toute nouvelle zone de gare sera construite au nord-ouest de l’actuelle. La double voie est aménagée de manière à ce que les trains puissent rouler jusqu’à 250 km/h. On peut suivre ce trajet en 3D à ce lien.
Le second chantier est tout aussi spectaculaire. En 1998, le Gardermobanen (liaison vers l’aéroport), a été ouvert en double voie d’Oslo à Venjar mais au-delà, la voie unique continue jusqu’à la gare d’Eidsvoll, qui est depuis lors un goulot d’étranglement. Il est donc prévu de débloubler la voie vers le nord, direction Tangen, jusqu’à Langset. Outre une série de petits tunnels bi-tubes, il y a surtout le pont de Minnevika (photo), 836m soutenu par 268 pieux dans les masses meubles au fond de l’eau.

Vestfoldbanen Oslo-Drammen-Narvik-Skien
Le Vestfoldbanen s’étend sur 138 kilomètres de Drammen à Porsgrunn et fut ouvert en tant que chemin de fer à voie étroite vers Skien en 1882. Elle fut ensuite convertie à la voie standard UIC. Le Vestfoldbanen doit être reconstruite en une ligne moderne à double voie. Certains travaux ont déjà été effectués dans le cadre du programme InterCity. En 2016, la nouvelle section à double voie a ouvert de Holm i Sande à travers Holmestrand jusqu’à Nykirke. Ce tronçon de 14 kilomètres contient un tunnel de 12 kilomètres avec une nouvelle station Holmestrand à l’intérieur de la montagne. En 2018, la nouvelle section de Farriseidet à Larvik à Porsgrunn a ouvert. Il s’agit d’une nouvelle voie ferrée longue de 22 kilomètres qui a remplacé l’ancienne ligne obsolète le long de Farrisvannet et à travers Bjørkedalen. Le temps de trajet entre Larvik et Porsgrunn passe alors de 34 à 12 minutes.
Pour la suite de cette modernisation, les sections impactées sont Drammen – Kobbervik et Nykirke – Barkåker. Les deux sections sont en construction et devraient ouvrir en 2025. Lorsque ces deux chantiers seront livrés, le Vestfoldbanen disposera d’une ligne à doubles voie continue, ce qui rend possible de faire circuler quatre trains par heure dans chaque sens entre Tønsberg et Oslo. Démarré en 2019, le chantier de Drammen comporte deux parties (carte ci-contre – cliquer pour agrandir). La première consiste à repartir en sévère courbe vers le sud avec deux petits tunnels et la réalisation en plein bâti d’une tranchée couverte (photo ci-dessous).

Parallèlement, des travaux importants remodèlent la gare même de Drammen. La seconde partie du projet est un tunnel monotube de 6.050m qui rattrape l’ancien tracé ferroviaire plus au sud à Skoger. Ce chantier est réalisé en même temps qu’un autre plus au sud, qui consiste en la construction d’une ligne nouvelle de 13,6 kilomètres comportant deux petits tunnels entre Nykirke et Barkåker au nord de Tønsberg. Le projet comprend une nouvelle gare moderne à Skoppum.

Østfoldbanen Oslo-Moss-Halden
Cette troisième ligne est également un gros morceau. Non seulement elle traverse une dense région au sud de la capitale norvégienne, mais c’est aussi une ligne internationale en direction de Göteborg en Suède, et par extension Malmö puis Copenhague.
La Østfoldbanen est longue de 170,1 kilomètres entre Oslo S et Kornsjø à la frontière avec la Suède. Le chemin de fer Østfold a été ouvert en 1879 et a été électrifié en 1940. La ligne originale longe la côte via Moss et Fredrikstad, le long de Glomma jusqu’à Sarpsborg avant de se diriger vers l’est jusqu’à Halden et jusqu’à la frontière à Kornsjø. La double voie n’a atteint Sandbukta au nord de Moss qu’en 1996.
On peut y distinguer quatre chantiers : la sortie sud de la gare centrale d’Oslo, le tunnel de Blix, la reconstruction de la gare de Ski et enfin une petite ligne nouvelle à Moss. À Oslo-S, la gare centrale, un important remaniement des voies est en phase finale. Dans le cadre du grand projet Follobane, sept voies ferrées entre Ekebergåsen et Oslo S ont été posées dans un nouveau tunnel de 600 m de long sous le parc historique Middelalder, une des rares parties d’origine médiévale de la capitale norvégienne.
Le second chantier de cette ligne vient tout juste d’être terminé, avec le désormais plus long tunnel ferroviaire de Norvège, le Blix. Ce dernier est long de 18,5 kilomètres et évite ainsi toute la côte escarpée et bâtie au sud-est d’Oslo. Ce tunnel bi-tube a été forés par une joint-venture entre l’espagnol Acciona et l’italien Ghella, avec quatre tunneliers (TBM) distincts, pour un contrat signé en 2015 d’une valeur de 1,215 milliards d’euros. Ce serait le premier tunnel bi-tube de Norvège, en ligne avec les spécifications d’interopérabilité de l’Europe. Bien que la ligne ait été conçue pour une vitesse de 250 km/h, la vitesse des trains sera limitée à 200 km/h jusqu’à ce que l’ETCS soit disponible, soit probablement en 2034.
Cet ouvrage – qu’on appelle aussi Follobane – abouti directement en gare de Ski, à 24,31 kilomètres d’Oslo S, laquelle a déjà été remodelée en deux chantiers entre 2016 et 2022. Deux nouveaux quais dotés de toits voûtés en bois accueillent quatre voies (photo ci-contre Bane NOR/Nicolas Tourrenc). Le temps de trajet entre Oslo et Ski sera divisé par deux, avec un temps de trajet réduit à 11 minutes. Le projet Follobane à Ski comprend également le renouvellement de la ligne Østfold et de nouvelles voies de raccordement. Bane Nor possèderait elle-même environ 12 ha de terrains ferroviaires non bâtis, et sa filiale immobilière prévoit de construire 400 logements, un grand hôtel et un immeuble de bureaux accueillant environ 800 employés, ainsi que des commerces.
Bien plus au sud, le quatrième chantier concerne Moss. Bane NOR construit 10 km de double voie sur le tronçon de Sandbukta au nord à Rygge au sud, comprenant deux tunnels, celui de Moss même et celui de Karlberg. Ces travaux ne seront terminés qu’en 2026 et mettront alors Moss à 30 minutes d’Oslo. Au sud de Moss, la nouvelle voie poursuit jusqu’à Halmstad où elle rejoint le tracé original. Chose amusante, ces chantiers de Moss se trouvent à 10 kilomètres de ceux de Nykirke – Barkåker, dont nous vous parlions plus haut. Sauf qu’il faut traverser l’Oslofjorden en bateau…
Ceci termine ce petit tour autour de la capitale norvégienne. Ces travaux peuvent paraître disproportionnés pour une ville de 650.000 habitants, soit la taille de Stuttgart qui, tient, tient, est aussi aux prises avec de vastes chantiers ferroviaires. Mais le contexte n’est pas le même. Dans le cas présent, la Norvège met tout simplement son réseau à jour et à double voie, ce qui explique cette abondance. Mais cet exemple du nord confirme notre maxime favorite, souvent déclamée dans ces colonnes : pas de bons services trains sans bonnes infrastructures. 🟧

09/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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