L’expérience client se fait parfois sans fenêtre. Mais pourquoi au juste ?


13/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Qui n’a jamais eu la désagréable surprise de voir son siège réservé sans fenêtre ou de manière très partielle ?  De manière globale, si on y est prête un peu d’attention, on peut s’apercevoir que les sièges sont disposés sans tenir vraiment compte de l’implantation des fenêtres.  Ce n’était pas comme cela avant. Mais aujourd’hui il y a une raison à tout cela.

Au temps où les trains étaient composés de voitures à voyageurs, il a fallu uniformiser au maximum les dimensions et le confort pour que ces voitures puissent passer d’un pays à l’autre. C’est pour cela que sont apparus dans les années 60 les gabarits UIC X puis Z. Ces gabarits ont permis de construire un diagramme de voiture différent mais uniformisé selon que l’on soit en première classe ou en seconde classe. C’était une époque où on voyageait encore beaucoup dans des compartiments.

Cependant, dans les années septante, les opérateurs ferroviaires désirèrent mettre davantage de voyageurs dans les voitures et de donner plus d’intimité. Il s’agissait aussi de moderniser considérablement la seconde classe par rapport à la première classe.

Pour disposer les sièges en fonction de l’implantation des fenêtres, le choix de places en vis-à-vis peut être privilégié. C’est ce qu’on peut voir dans le diagramme suisse ci-dessous :

Siege-train
(diagramme CFF)

On remarque que la disposition des sièges en vis-à-vis s’intègre bien à la disposition des fenêtres, que ce soit en 2e classe ou en première classe. En 2e classe, on obtenait ainsi une voiture de 77 places assises qui ont toutes une vue sur fenêtre, mais qui ont le désavantage d’être en vis-à-vis.

L’option de placer des sièges en file indienne comme dans les avions a permis d’obtenir une voiture de 80 places assises en seconde classe en maximisant les sièges par deux. Mais dans ce cas, il n’était plus possible de tenir compte de l’implantation des fenêtres. Cette disposition a été largement utilisée à partir des années 70 et 80, notamment dans les voitures Corail de la SNCF et les voitures à couloir central de la Deutsche Bahn.

C’est à partir de ce moment que certains sièges se sont trouvés face à un trumeau ou avec une fenêtre partielle. Cependant, il faut reconnaître que ces problèmes n’apparaissaient que sur un nombre restreint de sièges rapport au total disponible dans une voiture. Au final, on réussissait malgré tout à ce que chaque siège ait au moins une partie de fenêtre. De plus, on pouvait parfois trouver une astuce commode, en retournant les sièges, comme le montre cet exemple entouré de rouge :

Siege-train
(diagramme CFF)
Siege-train
Une des nombreuses voitures Intercity de la DB au format UIC Z, ici à Berlin en 2018 (photo Mediarail.be)

La caisse unique

À l’apparition de la grande vitesse, la distinction des caisses entre première classe et 2e classe disparaissait. Il fallait minimiser les frais d’étude et on a donc construit une caisse unique pour tous les conforts disponibles. La disposition des sièges semble avoir été quelque chose de secondaire par rapport à la conception de la structure des caisses.

Les grandes fonctions de la structure de la de caisse sont reprises par la norme EN 15380-4. Cela concerne entre autres la structure et le dimensionnement de la caisse, la dissipation de l’énergie dans la structure du véhicule, la résistance aux chocs, le transfert de la traction et de l’effort de freinage. Mais aussi le transfert des forces transversales, par exemple dans les courbes, entre la caisse du véhicule et le bogie. Ou encore le transfert des charges verticales entre la caisse du véhicule et le bogie.

Les structures transmettent, à des niveaux différents, selon le type de train, l’ensemble de ces efforts. Une structure de caisse est donc le squelette (l’ossature d’un véhicule de voyageur) qui doit être dimensionnée pour pouvoir résister aux combinaisons de charge et adaptées aux diverses sollicitations exceptionnelles et de services qu’elle rencontreront pendant leur vie commerciale.

La structure de caisse doit être conçue dès le lancement des études. Elle doit suivre les principes de l’architecture du train en respectant des données ou contraintes fondamentales, comme par exemple le gabarit et les limites de masse. Elles doivent de plus répondre aux sollicitations statiques, dynamiques et environnementales imposée par les conditions d’exploitation, de sécurité et de confort.

C’est une des raisons majeures de l’option de la caisse unique qui garnira l’ensemble d’une rame, qu’elle soit ou non à grande vitesse :

Siege-train
(Extrait de « Matériel roulant », Tome 2)

La disposition des sièges est cependant une composante liée à l’environnement choisi. Le choix de l’architecture intérieure dépend à la fois des spécifications de l’exploitant ou du donneur d’ordre et de nombreux facteurs techniques, économiques et culturels. Ce choix conditionne de nombreuses performances, dont la capacité, la rentabilité et l’habitabilité pour les voyageurs. Ce choix est déterminant pour la performance globale du produit, les performances d’expansion et la maintenance.

Siege-train

L’exploitant cherche toujours à accueillir un maximum de voyageurs avec différents niveaux de confort selon le segment de marché et le débit de voyageurs de la ligne a desservir. La montée et la descente des voyageurs dans des temps d’arrêt très variables en fonction du trafic, de la ligne ou du réseau doit être assuré en toute sécurité. La distribution des accès sur l’ensemble de l’architecture du train est essentielle et a des impacts sur le confort d’accès et sur le diagramme des voitures.

L’architecture et les principes d’aménagement retenus doivent également contribuer à maximiser la charge et la surface utile au maximum, et donc la capacité en voyageur. Mais il faut aussi tenir compte du pas entre sièges (photo). Cette conception impactera directement sur la disposition des sièges.

On peut remarquer qu’à l’origine sur les premiers TGV français, les sièges de première classe étaient parfaitement disposés avec les fenêtres.

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Il y a bien longtemps, quelque part dans les années 70… (photo SNCF)

Le diagramme ci-dessous nous montre une structure de remorque TGV unifiée quelle que soit la classe, et ce que cela donne sur la répartition des sièges. Alignement parfait en première classe, désaxement en seconde :

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Comme la structure d’une voiture TGV surpasse toute autre considération, avec le même nombre de fenêtres, il devenait évident qu’il n’était plus possible de placer tous les sièges en fonction de l’implantation des fenêtres. Quelques sièges se sont retrouvés face à un beau trumeau ou avec 20cm de fenêtre.

Un scénario identique se répétait aux autres matériels roulants, que ce soit les ICE en Allemagne ou les Talgo en Espagne.  Il en était de même sur les trains à grande vitesse italiens. Mais il faut reconnaître que cela ne concerne qu’un petit nombre de sièges sur le nombre total d’une rame.

Par ailleurs certains exploitants comme la Renfe ou Trenitalia exploitent des trains à 3 ou 4 classes avec une différenciation encore plus marquée de la disposition des sièges selon les différents conforts.

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Le plus de voyageurs au mètre…

Les contraintes de rentabilité ont aussi joué sur le nombre de sièges. Ces dernières années, on semble vouloir battre de record en record. Au fil des études et des créations de nouvelles rames, le nombre siège au mètre augmente. Rien de mieux qu’un petit tableau pour s’en convaincre, en comparant uniquement les rames à simple niveau, à motorisation encadrée ou répartie :

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(tableau Mediarail.be)

On doit aussi considérer que ce choix est irréversible. Le concept d’architecture retenu ne pourra plus être modifié pendant toute la durée de vie du matériel roulant, sachant que la conception choisie impactera beaucoup de paramètres, par exemple d’exploitation et de confort. Bien entendu par la suite on pourra toujours changer la disposition des sièges mais on ne pourra jamais changer la disposition des fenêtres et la structure de la caisse.

Il y en a que cela arrange…

Si certains sont surpris de la disposition de leur siège en embarquant à bord, on peut aussi se demander si c’est si important que cela. L’expérience client diffère d’un voyageur à l’autre. Dans notre époque actuelle, ils sont plusieurs à vouloir la pénombre maximale pour regarder un film ou tapoter sur leur PC ou smartphone. Regarder le paysage est devenu accessoire pour beaucoup, particulièrement en hiver où il fait noir assez tôt le soir.

On pourrait cependant suggérer aux opérateurs de faire une distinction entre les places entièrement sans fenêtres et celles qui en sont pourvues. On pourrait par exemple vendre le siège avec trumeaux à des gens qui de toute manière ne lèverons pas le nez de leur smartphone ou PC. C’est en quelque sorte aussi une expérience client pour ce public-là, lequel pourrait choisir lors de leur réservation une place sombre pour s’adonner à leurs activités digitales. 🟧

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Un ICE 3 en seconde classe, avant lifting (photo Mediarailbe)

13/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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