Datas et applications smartphone : des nouvelles armes pour dominer

01/02/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
Abonnez-vous au blog (ci-contre)

Obtenir un ticket unique sur un trajet composé de diverses parties ferroviaires semble en 2021 toujours hors de portée, alors que la facilité de choix et de paiement devrait être le motif numéro un pour que les gens retournent au train. Mais il y a des raisons pour que cela n’arrive jamais. On vous les explique.

Il y a en fait deux problèmes qui évoluent en parallèle :

  • d’une part les entreprises publiques diverses qui ne travaillent que pour leur aire de marché nationale ou régionale, et qui n’ont aucune raison d’investir dans des systèmes informatiques standardisés, souvent trop onéreux pour elles, et qui conçoivent des produits informatiques souvent fait maison, à l’aide parfois de diverses sociétés spécialisées;
  • d’autre part, les grandes compagnies ferroviaires comme SNCF, Deutsche Bahn, SJ en Suède ou Trenitalia en Italie ont très vite compris que les applis, qui garnissent tous les smartphones du monde, sont l’arme ultime pour affirmer leur proéminence et mettre les petits concurrents hors course. En Suède, on estime que 99% des clics destinés à l’information et au ticketing ferroviaire passe uniquement par la plateforme publique SJ.se, laquelle ne renseigne pas l’opérateur MTR en concurrence sur la ligne Stockholm-Göteborg. Flixtrain a fait état du même problème avec le portail Die Bahn de la DB. 

L’international ? Pas prioritaire…
Concernant le premier problème, les arguments divergent parfois mais tous ramène à la notion que le chemin de fer est avant tout une affaire de politique nationale et les compagnies historiques reçoivent des États l’unique mission de s’occuper en priorité des citoyens nationaux. Voilà pourquoi les billetteries sont si différentes en Europe. La comparaison avec le secteur aérien suscite un sourire moqueur parce que ce secteur est à l’inverse très internationalisé, alors que les compagnies ferroviaires s’occupent avant tout du trafic de proximité qui peut représenter de 70 à 90% des trains ! La Deutsche Bahn transporte plus d’un milliard de personnes par an sur le segment local et régional, bien loin devant le trafic international, jugé « résiduel ». Un cadre de la DB jugeait d’ailleurs cela en disant : «combien d’anglais ou de français fréquentent un petit village bavarois ou un quartier perdu de Leipzig chaque année ?», estimant par-là qu’il n’y avait pas nécessité à connecter toutes les billetteries locales, qui par ailleurs sont du ressort des Länder.

On ne peut pas lui donner tort ! Même en dehors des chemins de fer, les systèmes tarifaires de tous les transports publics de toutes les villes d’Europe sont tous des circuits fermés, sans exception. N’essayez pas d’introduire un ticket de la RATP dans un portique de Transport For London. Cela provoque d’ailleurs ‘un retour sur terre’ à propos du grand rêve du Maas, le concept de ‘Mobility As A Service’. On se rend compte que loin de connecter des dizaines d’opérateurs, le MaaS est avant tout une grande bagarre pour qui détient l’appli magique. De plus, l’appli MaaS d’une ville n’est déjà plus valable dans une autre ville. Chacun chez soi avec ses idées, c’est le constat cruel qu’il faut faire de nos jours. En fin de compte, il n’existe qu’un seul objet qui peut passer par tous les appareils du monde : la carte de crédit ! Á Bruxelles par exemple, on pointe tout simplement sa Master ou VisaCard à bord des bus ou dans le métro, et le trajet est débité. Très simple, pratique, mais vous ne savez jamais combien vous payez. Evidemment, il s’agit de petits montants occasionnels de 2 à 5 euros pour les non-résidents, et il n’y a en effet pas lieu de procéder à de lourdes interconnexions entre systèmes informatiques. Mais il faut rester vigilant : Londres a tendance à vendre sa fameuse Oyster Card alors que pour la plupart des touristes, la zone 1 centrale de TfL suffit, en « off-peak ».

La bonne question à se poser est de savoir comment la concurrence aérienne parvient à offrir une grande partie de sa tarification au travers de nombreux sites et applis qui ne lui appartient pas, comme Opodo ou Expedia. Il existe de nombreux moteurs de recherche de voyages et d’agences qui peuvent aider à trouver les meilleures offres, mais cela n’existe pas, ou peu, avec les chemins de fer. Il y a évidemment nettement moins d’aéroports dans le monde que de gares. De plus, toutes les zones locales d’Europe sont couvertes par des systèmes tarifaires dont les politiques sont centrées sur les résidents permanents, comme les abonnements, qui sont moins chers que le ticket unique. Le chemin de fer n’a donc aucune raison de s’internationaliser comme le secteur aérien.

Les datas, ce pétrole du XXIème siècle
Le deuxième problème est la conséquence de tout autre chose : les applis sont devenues une arme de guerre pour le marketing du XXIème siècle. Tant pour les villes que pour les opérateurs ferroviaires. Objectif : devenir incontournable et contrer la concurrence. Ce n’est pas vraiment un objectif climatique, mais la défense du business. Le chemin de fer peut même compter sur un trait psychologique majeur : contrairement à l’aérien, les gens parlent encore du train au singulier, en s’adressant à une compagnie unique. Cette ‘culture de la compagnie unique’ semble gravée à jamais, même chez les jeunes générations : en France, le mot « train » reste synonyme de « SNCF », en Allemagne c’est de facto « Deutsche Bahn ». La libéralisation n’a rien changé à ces habitudes sociétales. L’expansion des trains de nuit autrichiens Nightjet entre clairement dans le cadre d’une politique plus large : «faire connaître la marque ÖBB dans toute l’Europe,» a expliqué le patron. Ce qui signifie que les autrichiens espèrent surtout que le terme « train de nuit » soit synonyme de « Nightjet ÖBB », tout comme le TGV est synonyme de « SNCF ». Dans ce contexte, s’informer et payer par une appli alternative n’est tout simplement pas le réflexe premier du citoyen et crée un malaise chez les nouveaux entrants : ils ne sont pas connus et leurs nouvelles offres demeurent invisibles.

Créer une marque forte et accaparer les données, tels sont les enjeux auxquels font face les nouveaux entrants, qui doivent déjà payer un ticket d’entrée très élevé pour lancer un service ferroviaire. Concernant leur apparition sur les appli des opérateurs historiques, les nouveaux entrants argumentent qu’il s’agit d’appli « de service public » payées par le contribuable et qu’elles doivent donc rendre compte de TOUS les opérateurs présents sur le réseau ferré. Comme le fait l’appli d’un aéroport qui montre tous les opérateurs au départ ou à l’arrivée (mais pas les tarifs ni les réservations…). Mais l’argument des entreprises historiques est tout aussi limpide : l’IT est un produit maison et dans aucune entreprise aérienne, ni d’ailleurs dans le commerce, on ne « partage » les données marketing du concurrent voisin ! Les défenseurs du chacun pour soi rappellent que des géants comme Amazon sont justement devenus… géants grâce à la puissance de leur outil informatique, qui a pu s’imposer en une dizaine d’années. Pourquoi les petits opérateurs ne feraient-ils pas de même ? La Grande-Bretagne a résolu ce problème au travers de son ‘National Rail Enquiries’, mais elle y était bien obligée vu que son chemin de fer est un ensemble composite de divers opérateurs. 

Cette guerre des applications, couplées avec les habitudes « de la compagnie unique », a été renforcé par l’apparition du nouvel or noir du XXIème siècle : les données. Les données, c’est le nouveau pétrole. Comme le pétrole, les données sont précieuses, mais si elles ne sont pas raffinées, elles ne peuvent pas vraiment être utilisées. Elles doivent être transformées en gaz, en plastique, en produits chimiques, etc. pour créer une entité précieuse qui favorise une activité rentable. Les données doivent donc être ventilées, analysées pour qu’elles aient une valeur. Des géants ferroviaires comme la SNCF, Deutsche Bahn ou Trenitalia regorgent de données par centaines de milliards. En analysant le business de Google ou Amazon, ces géants se sont vite rendus compte de l’or qu’ils avaient dans leur main. Avec un défis de taille : les données existent à de nombreux endroits différents dans une organisation, et il est nécessaire de les rassembler de manière à les rendre facilement visibles et utilisables. Les nouveaux opérateurs n’ont généralement pas les ressources, au démarrage, pour de tels ensembles de données, car il n’y a pas encore de clients. Par conséquent, ils sont en quelque sorte « invisibles » dans la galaxie des applis transport. Le problème majeur est alors la création de nouveaux monopoles, où les prix restent élevés. La seule arme des nouveaux entrants est d’attaquer au niveau des réseaux sociaux ou de faire un grand coup de com’, à l’instar de NTV-Italo en 2012 en Italie.

On pensait que la digitalisation mènerait à multiplier les opérateurs ferroviaires. Mais cela ne fonctionne pas dans un secteur aussi intensif en capital qu’est le chemin de fer. Si le secteur aérien a réussit, c’est avant tout grâce à la standardisation des avions et d’une certaine manière, des procédures de vols, d’approche ou de décollage relativement uniformes. Un pilote peut autant voler en Espagne qu’en Suède ou en France : il ne verra pas de grande différence. Dans le secteur ferroviaire, l’Europe est totalement fragmentée et peu internationalisée.

Missions nationales ou régionales d’un côté, volonté de conserver son business de l’autre, indifférence notoire à l’internationalisation qui n’est pas le cœur des entreprises publiques, tout cela explique pourquoi le ticket unique restera un grand rêve et pourquoi il faudra payer un trajet complet morceau par morceau. Si on pouvait déjà aligner tout un voyage par une succession de QR codes plutôt que d’imprimer des dizaines de papiers à domicile, ce serait un grand progrès…

(photo Mediarail.be)

Partager cet article :

Facebook Twitter Linkedin

>>> D’autres news sur nos newsletters hebdomadaires.
Souscrivez par mail pour être tenu informé des derniers développements ferroviaires
cc-byncnd

Railtour : quand le train rimait avec ambiance de vacances

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
15/01/2021

🟧 Nos brèves quotidiennes 🟧 Notre lexique ferroviaire 🟧 Nos newsletters 🟧 Nos fiches thématiques

De notre série « Aah, les trains d’hier… »

« Le train, déjà un avant-goût du voyage ». Tel était le slogan du train couchettes vers les destinations , ensoleillées. À une époque, c’est à dire au début des années 70, où les autoroutes ne menaient pas encore vers toutes les plages de Méditerranée, le train pouvait encore s’imposer comme l’alternative. C’est la raison qui poussa la SNCB à concevoir des trains spéciaux pour ses vacanciers.

Railtour est une création de 1956, regroupant à l’origine 14 agences de voyage, dont Wagons-lits/Cook et Havas. L’agence était un tour-opérateur organisant des vacances « tout compris » train + hôtel. Elle avait acheté 16 voitures-couchettes en 1967. En 1970, la SNCB entrait dans le capital de l’agence puis Railtour devint une coopérative en 1976. C’est aussi l’époque de la « coopération » entre réseaux ferroviaires et des chasses gardées : la SNCF avait la haute main sur FTS-Frantour et conservait son monopole la France tandis que Railtour desservait les autres destinations favorites des belges, en Espagne et en Italie en été, en Suisse et en Autriche, ainsi que les Dolomites, en hiver. Chacun chez soi…

Le concept de train de vacances fut poussé assez loin par Jacques Cornet, cadre SNCB qui fut l’une des figures de Railtour. Les trains offraient en effet la totalité des conforts, voitures-lits, voitures-couchettes, voitures avec places assises et… les très célèbres voitures-bar dancing qui furent le must de ces train.

>>> À lire : Quand jadis, les belges dansaient sur les rails en partant vers le Sud…

Quatre trains de prestige
Les années 70, déjà propices aux trains-autos-couchettes, furent une décennie riche en création de trains de vacances Railtour. Qu’on en juge :

  • Alpina-Express Bruxelles-Sierre en hiver – janvier 1972;
  • Ski-Express, Bruxelles-San Candido en hiver – janvier 1973 ;
  • Freccia del Sole, Bruxelles-Rimini en été – mai 1974 ;
  • Camino Azul, Bruxelles-Port-Bou en été – mai 1975 ;

Voyons cela dans le détail, à une époque où ces trains étaient exclusivement réservés aux clients ayant acheté la formule « all inclusive », c’est à dire train + hôtel. L’ensemble comprenait la prestation ferroviaire ainsi que les repas à bord et le transfert en taxi ou autobus jusqu’à la porte de votre hôtel. En bref, comme tout tour-opérateur qui se respecte…

Alpina-Express
Premier des quatre trains Railtour : l’Alpina-Express démarra en janvier 1972. Les belges aiment aussi la Suisse et son domaine skiable, et plus particulièrement le Valais. La Suisse, plus proche de la Belgique, imposait un départ plus tardif de Bruxelles à 21h30 et 22h20 de Namur, ce qui excluait la clientèle d’Arlon et de Luxembourg, où le train passait en début de nuit. Comme pour les autres trains sur cet axe, c’est souvent une locomotive de série 20 SNCB qui officiait jusqu’à Luxembourg, où s’opérait un demi-tour avec une machine française jusqu’à Bâle. Tôt matin, le train poursuivait jusqu’à Lausanne, avec une confortable arrivée à 8h06, s’arrêtant par la suite à Montreux, Aigle, Bex, Martigny, Sion et finalement Sierre, arrivée 9h32. Pourquoi pas Brig, un peu plus loin ? Difficile de le dire. On sait qu’un autre train de nuit, le 299 ordinaire venant d’Ostende, reliait Bruxelles à Brig. Par ailleurs, durant certaines saisons, une voiture-couchettes était attelée à Bâle sur un train vers Innsbruck, permettant la desserte du Vorarlberg autrichien, qui n’était pas pris en charge par le frère Ski-Express. La desserte de Coire (Chur) était aussi assurée par le 299 d’Ostende. L’Alpina-Express privilégiait donc les pentes romandes du Valais…

Railtour-Alpina-ExpressL’Alpina-Express sur ce qui était encore la dernière section à voie unique dans la vallée du Rhône (aujourd’hui devenue… une route, un tunnel remplaçant l’ancien tracé). Derrière la Re 4/4 II des CFF, deux voitures-lits, quatre voitures-couchettes I5, le fourgon Dms, la voiture-bar dancing SR1 qui émerge du tunnel, et d’autres voitures invisibles. 1992… (photo Tryphon)

L’Alpina-Express n’aura pas tout de suite de voiture-bar dancing, la SR1 n’existant que dès 1974, pour aller garnir la nouvelle création de Railtour.

Ski-Express
Deuxième train de Railtour, il quitta Ostende le vendredi 5 janvier 1973 à destination de Bolzano, aux pieds des Dolomites. Il passait par le Tyrol en desservant les gares de Wörgl, Jenbach et Innsbrück. Il était exclu de la clientèle allemande, malgré son arrêt à Aix-la-Chapelle pour changement de locomotive. Passé Brennero, à la frontière Austro-italienne, le train s’arrêtait à Vipiteno, Fortezza, Bressanone, Chiusa puis Bolzano comme gare terminus, à 11h57 (tout de même). Le sens inverse reprenait les mêmes arrêts et le retour à Ostende le dimanche. S’agissant des vacances d’hiver, on était évidemment calé sur la semaine au ski, c’est à dire le traditionnel départ du vendredi soir après le travail pour un retour le dimanche matin de la semaine suivante. Les derniers départs de la saison s’effectuaient fin mars/début avril.

Railtour-TravelConfort et ambiance des années 80…(photos catalogue Railtour)

Cette rame du Ski-Express comportait des voitures à places assises, des voitures couchettes et des voitures-lits mais pas encore de voiture bar dancing. L’année suivante le tronçon Ostende-Bruxelles-Midi est déjà supprimé et le ski express obtient un horaire accéléré en quittant dorénavant Bruxelles à 19h14 pour arriver à Bolzano le lendemain à 11h57. Au cours de la saison 1975/76, la marche est encore accélérée et le Ski Express reçoit une tranche de voiture à destination de Salzbourg via Wörgl et Schwarzach-St. Veit en desservant notamment les gares de Kitzbühel ou encore Zell am See, haut lieu du tourisme autrichien. À la saison 1977/78 le Ski-Express reçois une 3e tranche de voiture directes à destination de San Candido, au pied des Dolomites. Le tronçon entre Fortezza et San Candido est encore exploité en traction diesel. Pour la saison 1978/79, le train reçoit une 4e tranche de voitures avec pour destination Villach, toujours en faisant le détour par Wörgl et Schwarzach-St. Veit. Salzbourg ne faisait déjà plus partie du programme…

SNCB-InternationalTout compris, cela veut dire qu’on portait même les bagages ! La photo de droite permet de deviner la voiture bar-dancing SR2 et une voiture-lits de type T2S…(photos catalogue Railtour)

Ce n’est qu’à l’aube des années 80 que le Ski Express reçoit la fameuse voiture bar dancing SR 2 dont nous avons déjà parlé. Quelques années plus tard, un fourgon Dms est encore incorporé dans la tranche pour San Candido. Pour l’hiver 1984/85, la tranche Schwarzach-St. Veit reçoit une voiture de seconde classe sous forme d’une voiture proto I4 dont un autre exemplaire sera incorporé dans la tranche San Candido. Il s’agissait d’attirer les petits budgets alors que le train est déjà ouvert à toute la clientèle, non seulement aux clients Railtour dont le déclin s’amorçait déjà.

Railtour-NMBSUne rare photo de ce Ski-Express à son arrivée à San Candido, aux pieds des Dolomites. Derrière la E633 004 surnommée en Italie « Tigre », un fourgon générateur pour la conduite électrique, suivi de la voiture places assises I4 Proto, une voiture-lits T2 et plusieurs voitures-couchettes I5 SNCB avec le bandeau Railtour. Quelle époque… (photo Michel Verlinden)

Freccia del Sole
Pourquoi ne pas rééditer le succès d’hiver pour la saison d’été ? Et au passage rentabiliser la rame du Ski Express qui dormait hors saison… En créant un train vers les plages ! Non pas vers la France, zone en monopole réservée à Frantour/SNCF, mais vers l’Italie, où le concept de tour-opérateur pouvait plus facilement s’affirmer que dans un pays où l’habitude est d’aller à l’hôtel plutôt qu’en location. C’est donc le 31 mai 1974 que démarra ce train, à la composition identique au Ski-Express, sauf que Railtour y incorpore une de ses marques de fabrique : la voiture bar-dancing SR1.

Railtour-Travel-NMBSUne autre époque : voitures-couchettes I5 et voiture-bar dancing SR1. On est bel et bien en vacances (photo mediarail.be & Railtour)

D’emblée ce train comporte trois tranches de destinations : Rimini, Albenga (Riviera des Fleurs) et Venise. Il est long, lourd et atteint parfois 16 voitures. Son passage par Namur et Luxembourg lui faisait passer par la ligne belge L162, la plus belle de Belgique qu’on admirait en soirée en sirotant. Les locomotives SNCB de série 20, qui venaient de sortir d’usine, n’était pas de trop pour tenir l’horaire sur cette ligne. Après le demi-tour dans la capitale grand-ducale, le train traversait l’Alsace puis la Suisse en pleine nuit, avec à chaque fois les traditionnels changement de traction. Le bar-dancing était toujours en activité en arrivant à Bâle…. L’arrivée à Domodossola, quatre heures plus tard, correspondait à l’embarquement des petits déjeuners servis au-delà de Milan. Tout une logistique qu’il fallait mettre sur pied. Au début de l’exploitation de ce train, il y avait même une voiture-buffet issue d’une transformation d’une voiture I2, avec 20 places pour la table, les compartiments étant affectés au personnel de bord.

À un certain moment, on avait l’utilisation des voitures suivantes : voiture bar-dancing SR1, voiture-buffet AR2, diverses voitures couchettes I5 et voitures-lits T2 et parfois MU. A début, la livrée était de trois bandes, bleues sur les voitures-couchettes, orange sur les voitures-bar :

Railtour-Travel-NMBSL’alignement du matériel. On constate la différence de longueur des voitures : modèle des années 50 pour les voitures-bar transformées, modèle UIC-X avec longueur de 26,40m pour les voitures-lits et couchettes des années 60/70.

Une de ces voitures-buffet dites AR2, ici lors de leur mise à la retraite…

Railtour-T2-Alpina-ExpressÀ ne pas confondre avec la précédente : ici c’est la véritable SR1, reconnaissable à son demi-pan aveugle. Cette SR1 sera suivie d’une SR2 plus moderne en 1978 (photo Michel Verlinden)

>>> Vous êtes perdus ? Voyez notre petite fiche récapitulative des voitures SNCB

Plus encore que le Ski-Express, le Freccia del Sole devenait le fleuron incontestable de Railtour et de la SNCB à l’international. Pour la petite histoire, une locomotive série 16 SNCB remorqua en 1974 ce train jusqu’à Spiez, en Suisse, démontrant l’interopérabilité du matériel roulant belge. L’affaire n’ira pas plus loin, l’industrie locale s’inquiétant de cette expansion et la loco limitée à Bâle, alors que les rames TEE Rae des CFF, de même technologie, circulaient jusqu’en Belgique sans problèmes par le même itinéraire… Dans les premières années, le Freccia del Sole réservé aux seuls clients Railtour offrait le repas du soir, en cabine ou compartiment, ce qui amenait parfois à servir près de 600 personnes ! Pour l’équipe à bord, le bar-dancing était alors fermé et les deux barmans apportaient aux accompagnateurs de voitures-lits et voitures-couchettes des cassolettes chaudes, généralement un émincé de poulet. Après le repas, il était temps de faire descendre tout cela…

Bar-dancing-RailtourLa soirée s’annonce bien… (photo catalogue Railtour)

Pour l’été 1978, la SNCB avait changé la destination finale de l’un de ses 36 fourgons Dms en construction : le chaudron 17435 fut directement envoyé du constructeur à l’atelier de Malines pour y être aménagé comme dans la SR1 : bar, piste, salon et écrans télé. Railtour possédait désormais deux voitures-bar dancing mais se débarrassait déjà des voitures-buffet AR2. L’été 1975 est pour ainsi dire l’apothéose où chacun des trois tranches dispose de sa voiture-lits, généralement des T2. Mais comme la tranche Rimini était la plus importante, on lui avait même rajouté une voiture-lits MU. Moralité : ce train disposait d’au minimum 4 voitures-lits, 6 voitures-couchettes et… d’une bar-dancing. En haute saison, on pouvait monter à 16 voitures.

Au fil du temps, l’horaire s’améliora et la SNCF lui colla même l’indice C160 ! Dès 1983, le Freccia del Sole perdit son exclusivité Railtour et devînt un train de nuit saisonnier ordinaire. Mais cela ne changea rien à la « compo » qui restera toujours aussi lourde et bien munie de la précieuse voiture SR2…

Railtour-SNCBSenigalia, sous le soleil, après la fête (photo Michel Verlinden)

Camino Azul
Un autre pays attirait beaucoup de vacanciers belges : l’Espagne. Railtour entreprend alors d’exploiter « un hôtel roulant entre la Bruxelles et Barcelone », pouvait-on lire à l’époque. Entorse intellectuelle car comme chacun sait, pas de ligne UIC entre la France et les destinations espagnoles. C’est donc à Port-Bou qu’aura pour terminus réel ce train lancé le mardi 3 juin 1975. On y reprend les mêmes principes que ceux du Ski-Express et du Freccia del Sole. La voiture-dancing SR1 étant occupée dans ce dernier entre vendredi et dimanche, Railtour procède donc à un départ le mardi pour récupérer la précieuse voiture. Retour jeudi matin à Bruxelles, nettoyage puis préparation pour le vendredi soir, à nouveau sur le Freccia del Sole, et ainsi de suite. Du personnel et des hôtesses de l’agence Railtour sont présentes à bord et les repas sont servis comme sur son cousin vers l’Italie.

SNCB-Railtour-Camino-AzulLe Camino-Azul avec la nouvelle livrée dite « arc-en-ciel », apparue dans les années 80. La locomotive SNCB arbore la livrée jaune qui fut testée à la fin des années 70 sur le parc moteur. La 2025 fut la seule à la porter. En route vers Luxembourg…

L’ère des polytension jusqu’à Thionville, avec des locomotives série 16 ou 18, avait pris rapidement fin et ce sont les « 20 », les plus puissantes du parc SNCB, qui remorquaient tant le Camino-Azul que le Freccia del Sole, tarés parfois à 850 tonnes, jusqu’à Luxembourg, gare commutable accueillant le 3kV belge. De là, une 25000 ou une 15000 SNCF prenait le relais. Le Camino-Azul perdit aussi son statut de train d’agence dès l’été 1977, devenant un « train pour tous », la clientèle luxembourgeoise et française n’étant cependant pas acceptée à bord (le train étant de toute manière plein…). Les clients Railtour avaient toujours droit aux repas et à l’accompagnement à bord. L’arrivée sur les bords de la Méditerranée était plutôt matinale : 5h50 à Narbonne ou 6h52 à Perpignan, après une nuit arrosée dans la voiture bar-dancing, c’était disons… sportif ! L’inconvénient majeur du Camino-Azul était sa destination Port-Bou, obligeant les vacanciers à descendre et à poursuivre le voyage sur les voies espagnoles. Dans les années 70/80, la Renfe ne présentait pas des trains comme de nos jours, et on pouvait avoir la certitude de vivre un grand moment exotique en partant vers Barcelone…

Railtour-T2-Alpina-ExpressUne des voitures-lits T2 de la SNCB affectée aux trains Railtour, qui insistait pour avoir les exemplaires climatisés (photo Mediarail.be)

Railtour-Camino-AzulLe Camino-Azul à Port-Bou : tout le monde descend ! Derrière la magnifique CC6567, on reconnait la voiture places assises I4 « Proto » puis une voiture-couchettes I5, une voiture-lits et la voiture-bar dancing SR1 (photo Michel Verlinden)

Et puis ensuite….
Le monde évoluait. Malgré l’excellence de ces trains, la clientèle Railtour déclinait, tandis que les trains se remplissaient d’une clientèle individuelle, boudant les agences de voyage. Les forfaits « tout inclus » n’avaient plus la cote et la formule hôtel était jugée trop chère, une préférence étant la location d’un studio que maîtrisaient mal les agences de voyage. Par ailleurs, la progression des autoroutes combinée à la technologie améliorée des autos permettait de descendre dans le sud ou dans les Alpes en une journée sans trop se fatiguer. Les agences associées à Railtour se dissocièrent du concept dès la fin des années 80, constatant ce qui précède. La SNCB maintînt néanmoins les quatre trains dans les années 90 à des horaires grosso modo similaires. L’ambiance y était toujours assurée par les SR1 ou SR2 mais au débarquement, chacun devait se débrouiller pour rejoindre son logement.

De modifications en modifications, l’Alpina fut le premier à disparaître au milieu des années 90 tandis que le deux frères d’été, le Freccia et la Camino, furent convertis en train-autos-couchettes, avec des variations d’une saison à l’autre. La SNCB y croyait encore : la radiation de la voiture-bar dancing SR1 entraîna la construction… de la SR3 et l’application d’une troisième livrée sur la SR2. Pas pour longtemps ! La fin de tout train de nuit fut sonnée en 2003.

Le concept Railtour est clairement à réinventer dans le monde d’aujourd’hui, en recherche d’une autre façon de voyager. Il faudrait pour cela investir dans du nouveau matériel roulant et de nouvelles liaisons, les limites d’hier n’étant plus celles d’aujourd’hui. Pourquoi ne pas remettre trois trains Railtour : l’un pour Florence-Livourne (Toscane), un autre pour Perpignan-Gérone-Barcelone (via la ligne du Perthus) et un sur St Raphaël-Nice-Menton (Côte d’Azur). Roulez jeunesse…

D’autres voitures d’époque ? C’est ci-dessous :

SNCB_siege_2Quand jadis, les belges dansaient sur les rails en partant vers le Sud…
21/08/2020 – Les belges ont toujours été friands de vacances. Du coup, dans les années 70, la société Railtour créa une voiture pas comme les autres, histoire d’agrémenter le voyage : la voiture bar-dancing


BackOnTrack_07La fameuse voiture-lits T2 : histoire d’une belle réussite
25/06/2020 – Ce fut l’une des reines des trains de nuit des années 70 à 2000. La voiture-lits T2, et sa consœur “germanique” T2S, répondaient à une évolution de la société. Explications



train_de_nuitLa voiture-couchettes : comment on a démocratisé le train de nuit (1)
23/10/2020 – Les voitures-couchettes sont nées de la volonté de démocratiser les trains de nuit, jusqu’ici dominés par les voitures-lits, nettement plus chère pour la classe moyenne. Première partie qui nous mène jusqu’aux années 70



Corail_Lunéa_André Marques_wikiLa voiture-couchettes : comment on a démocratisé le train de nuit (2)
30/10/2020 – Deuxième et dernière partie de notre historique sur les voitures-couchettes. 1975-2000, une seconde période assez riche…





Comment l’Europe améliore le fret ferroviaire en Espagne et au Portugal

05/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
Abonnez-vous au blog (ci-contre)

Puisque c’est l’Année du rail, on peut déjà montrer à quoi sert l’Europe. Exemple avec ici deux pays qui ont bien besoin d’une revitalisation de leur réseau classique respectif. Deux projets en cours de réhabilitation de lignes ferroviaires pour connecter les ports et plateformes logistiques de la Méditerranée de l’Ouest et de l’Atlantique, avec le reste de l’Europe.

L’Espagne modernise et reconstruit des sections de deux corridors de fret ferroviaire vitaux pour le pays. Le premier reliera le Portugal à Hendaye/Irun et fait partie du RTE-T Atlantique qui part de Mannheim, en Allemagne, et aboutit au réseau portugais via Burgos en Espagne. L’autre axe modernisé part du Levante (Valencia), et remonte sur Saragosse par une ligne à voie unique assez pentue. Ces ensembles sont représentés en rouge sur la carte ci-dessous :

>>> Voir plus de détails sur le corridor Atlantique

L’acheminement des conteneurs et du fret en général a toujours posé un grand problème depuis l’Espagne, pour au moins deux raisons :

  • Ni l’Espagne ni le Portugal ne sont de grandes nations industrielles, à l’inverse de l’Italie;
  • Les deux pays doivent composer avec un réseau ferroviaire classique doté d’un écartement de 1668mm, incompatible avec le réseau français et européen de 1435mm.

Il en résulte une interminable attente aux frontières tant à Port-Bou qu’à Irun, où les wagons se voient changer leurs essieux. En dépit de cela, un corridor européen est prévu, traversant le nord plus industriel de l’Espagne. Divers chantiers et améliorations permettent déjà aujourd’hui d’enregistrer des progrès sur les trafics de et vers Irun.

Le corridor Atlantique
Il aboutit aux trois ports portugais de Setúbal et Sines, au sud de Lisbonne, et de Leixões à proximité de Porto. Deux routes sont possibles pour rejoindre l’Espagne :

  • L’une au sud via Entroncamento – Abrantes puis Elvas et Badajoz, permettant de rejoindre Madrid via Ciudad Real;
  • L’autre plus au nord, via Coimbra, rejoint la section Fuentes de Oñoro – Salamanca puis permet d’atteindre Medina del Campo.

Medina del Campo est le point commun qui ramène ces deux routes vers Irun/Hendaye. Le tronçon sud provenant de Sines ne peut rejoindre Badajoz que via un grand détour. On construit donc 80 kilomètres de voies entre Evora et Elvas, proche de la frontière pour raccourcir grandement cette boucle (carte). Les travaux de cette portion ont débuté en septembre 2019, pour une ligne qui dans un premier temps ne verra aucun train de voyageurs.

Cette ligne nouvelle portugaise n’aura dans un premier temps qu’une seule voie électrifiée sur une plate-forme prévue pour une double voie à l’avenir si nécessaire. La voie conserve l’écartement ibérique de 1668mm, mais pourrait être facilement adapté au standard européen de 1435mm grâce aux traverses polyvalentes. La ligne a été conçue pour la circulation des trains de marchandises de 750 mètres de long et ne comprend aucun passage à niveau. L’objectif est que les trois lots mis en chantier soient opérationnels d’ici 2022.

Comme le montre la carte ci-dessus, les travaux de cette ligne permettront de relier trois plateformes logistiques. La partie nord-est de ce grand « S » faisait partie d’un projet de ligne à grande vitesse Madrid-Lisbonne, mais dont les ambitions ont été revues à la baisse. Ce projet intéresse hautement un acteur ferroviaire comme Medway, du groupe maritime MSC, qui est présent à Sines mais aussi dans tout le Portugal et qui développe des trafics.

Le 98204 sort de Badajoz et se dirige vers Elvas, direction Entroncamento. Locomotive diesel portugaise série 1900, analogue aux 72000 de la SNCF (photo Álvaro Martín via license flickr)

Espagne
La partie espagnole est encore moins avancée qu’au Portugal. Elle part de Badajoz pour aller vers Ciudad Real et Madrid et est techniquement très en retard. L’Estramadure ne dispose que de voies uniques non-électrifiées.

Ce à quoi ressemble cette ligne, avec un train de charbon de passage à Almorchón (photo Trenero592 via licence flickr)

À l’automne 2017, le gouvernement espagnol a annoncé que le tronçon Mérida – Puertollano avait été choisi pour faire partie du corridor Atlantique à travers l’ouest de l’Espagne. Ce tronçon bénéficie du coup d’une attention toute particulière et depuis 2019, un contrat d’étude d’une valeur de 1,18 millions d’euros a été notifié, comprenant le support technique nécessaire à la rédaction de la documentation requise pour l’étude d’impact environnemental (DIA) et la rédaction des projets de construction pour l’électrification et toutes les procédures nécessaires jusqu’à leur approbation finale. L’amélioration de la ligne Puertollano-Mérida, d’un coût prévu de 382 millions d’euros, est cofinancée par le Fonds européen de développement régional (FEDER) par le biais du PO multirégional Espagne 2014-2020.

Troisième chantier : Cantábrico – Mediterraneo
Ce chantier nous mène en Méditerranée, à côté de Valencia, grand port de conteneurs et disposant d’une usine du constructeur automobile Ford GM España ainsi que le constructeur ferroviaire Stadler, auteur des fameuses locomotives Eurodual et Euro 4000 qui percent bien en Europe.

La ligne de 315 kilomètres reliant Sagunt, au nord de Valencia, à Saragosse est pentue, à voie unique et non électrifiée.

Au-delà de Saragosse, elle s’attache à un autre projet franco-espagnol : l’axe du Somport, le fameux Pau-Canfranc en France, qui fait l’objet de tant de dossiers depuis plus de vingt ans, et dont nous ne parlerons pas ici. Si ce n’est pour indiquer que c’est la route la plus directe vers la France.

Cette ligne, qui était sur le point de fermer en 2000, faisait partie d’une proposition de développement d’un couloir ferroviaire reliant les ports de Santander, Bilbao et Pasaia dans la région de Cantábrico avec ceux de la côte méditerranéenne. En 2015, Ford GM España testa la ligne en y envoyant quelques un de ces trains, de 550m de long.

Un train destiné à la centrale thermique d’Andorra/Teruel (photo Luis Zamora/Eldelinux via license flickr)

Lors de la neuvième conférence annuelle des Journées RTE-T, qui s’est tenue à Ljubljana les 25 et 27 avril 2018, l’ancien ministre du Développement Íñigo de la Serna a présenté des propositions de lignes supplémentaires dans les corridors atlantique et méditerranéen à inclure comme projets RTE-T au cours de la Période de financement de l’UE 2021-2027. Ses plans incluaient la ligne Sagunt à Saragosse, qui a été acceptée par la DG Move de la Commission européenne dans le cadre du corridor Cantábrico – Mediterráneo le 21 novembre 2018. Cela a permis à d’autres travaux d’infrastructure de se qualifier pour un cofinancement de l’UE jusqu’à 50%. Les actions développées comprennent, entre autres, l’adaptation de la voie et de l’infrastructure dans la section Teruel-Sagunto et la réalisation d’ouvrages d’art entre Teruel et Saragosse pour promouvoir le trafic de fret ferroviaire, ainsi que la réparation de cinq remblais et l’adaptation de tronçons de 750 mètres. Le schéma directeur de cette infrastructure a un horizon d’exécution jusqu’à 2022-2023 et un investissement global initial prévu de 386,6 millions d’euros.

Entamées depuis cinq ans, des améliorations pour plusieurs dizaines de millions d’euros ont déjà permis de voir le trafic être multiplié par… 12, passant de 3 à 36 trains par semaine. La filiale SNCF Captrain España l’utilise notamment pour un trafic généré par Opel Saragosse et par un trafic d’ArcelorMittal destiné à Sagunto. La ligne, encore non électrifiée, fait justement le bonheur des locomotives Stadler Euro 4000.

Cet exemple intéressant montre comment sont utilisés les subsides de l’Europe et ce que peut apporter l’Union, malgré les critiques. Car on peut parier sans se tromper que sans plan européen, les lignes de Badajoz, de Teruel et d’Evora n’auraient jamais été modernisées. Elles auraient pu même disparaître. C’est la preuve qu’une bonne infrastructure crée de la demande et qu’il faut y mettre de l’argent pour parvenir à des résultats encourageants.

2021, année du rail

04/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
Abonnez-vous au blog (ci-contre)

Comme elle le fait chaque année depuis 1983, l’UE choisit un thème spécifique sur lequel elle souhaite sensibiliser le public et encourager le débat public tout au long de l’année. 2021 sera l’Année européenne du rail.

Le 4 mars dernier, la Commission adoptait une résolution faisant de 2021 l’Année du Rail (EYR en anglais). Et 2021 vient juste de débuter avec notamment la mise en place d’une page web dédiée sur le sujet, en principe dans chaque langue de l’Union. Que devrait apporter une telle médiatisation sur le secteur ferroviaire ? Selon l’European Parliamentary Research Service blog, cette Année européenne vise à mettre en lumière la contribution du rail à la cohésion, à l’économie et à l’industrie de l’UE, grâce à des événements, des débats et des activités promotionnelles spécifiques. Cet événement abordera des sujets tels que le développement régional, la compétitivité industrielle, le tourisme durable, l’emploi, l’innovation, l’éducation, la jeunesse et la culture, sans oublier l’amélioration de l’accessibilité pour les personnes handicapées et à mobilité réduite.

Cette médiatisation offre évidemment une fenêtre unique et inespérée sur un mode de transport que l’on dit un peu en retrait, voir même en retard, sur bien des points par rapport aux autres modes de transport que sont l’aérien, le maritime et surtout, l’automobile. Ces secteurs ne manqueront pas de contre-attaquer en soulignant le poids qu’ils ont dans la société et dans la mobilité du monde moderne. C’est donc le moment pour le rail de se retrousser les manches et de montrer une unité qui a fait défaut jusqu’ici, dès l’instant où certains pouvoirs politiques parlent encore du chemin de fer au singulier, malgré la présence de nombreux opérateurs.

Le secteur ferroviaire est en effet très mal connu, tout particulièrement par ceux qui n’utilisent jamais le train, soit environ 90% de la population. Certains reviennent encore avec l’image du train vert militaire parfumé de la froide odeur des cigarettes de la veille. D’autres retiennent leur image de jeunesse avec ces voitures surchauffées descendant sur Lisbonne, Palerme ou Athènes, quand les trains de nuit n’étaient qu’un vaste camping roulant. Ces images anciennes (des années 70…) percolent encore dans un imaginaire culturel que certains voudraient retrouver.

Mais on ne fabrique pas l’avenir avec de la nostalgie. En Italie, une clientèle captive n’est revenue au train que parce que l’image y était tout autre que le récit de leurs parents. En voyageant avec le privé NTV-Italo, dont ils ont vu la pub sur leur smartphone, ces italiens ont non seulement redécouvert le « train moderne sans vert militaire », mais ils ont vu aussi que la vieille entreprise « Ferrovie dello Stato », devenue Trenitalia, alignait des trains ultra modernes pour aller à Bologne, Rome ou Venise. C’est pour cela que le CEO de Trenitalia a fini par avouer que, « oui, cette concurrence vers la modernité nous a ramené des clients qui, autrement, ne connaissaient que l’avion. » Dans un autre registre, la multiplication des actions en faveur du rail a été visible notamment de la part de l’industrie qui travaille désormais par « plateformes » de produit technologique et qui fournit une locomotive ou une automotrice valable dans toute l’Europe après homologation, ce qui était impossible il y a encore 20 ans.

L’industrie, c’est aussi de l’audace et de la recherche. Aucunes compagnies historiques n’aurait songé à la locomotive bi-mode ou au train à hydrogène. Trop cher, trop technologique, pas de ressources disponibles. Les industries privées l’ont fait malgré tout, avec cette capacité de capter des opportunités quand elles se présentent. On a bien fait de libéraliser et de laisser percoler les idées nouvelles et de combattre les croyances limitantes, sans quoi le train de voyageur n’aurait plus été qu’un vaste musée relégué sur des marchés de niche ou dans les parcs d’attraction. Bien entendu, cette industrie privée peut s’appuyer sur les nombreux programmes de recherches et des plans visionnaires financés par la puissance publique, comme le plan hydrogène dont elle profite. L’État stratège est donc fondamental pour faire foisonner des idées nouvelles, et c’est bien cela qui fonde l’avenir du rail.

À quoi sert le chemin de fer ?
L’Union européenne a décrété 2021 « Année du rail », non pas par nostalgie du passé, mais pour être en accord avec sa politique de Green Deal. L’objectif est d’illustrer que le rail est durable, innovant, efficace sur le plan énergétique et sûr, ainsi que d’augmenter de manière significative la part du rail dans le transport des personnes et des marchandises. Cette Année du rail est également une occasion politique de sensibiliser et de réaffirmer les défis qui restent à relever pour créer un espace ferroviaire européen unique. C’est un long chemin de pédagogie et de lobbying qui consiste à faire admettre que le monde a changé et qu’aujourd’hui, on doit parler des chemins de fer au pluriel car les opérateurs historiques, seuls, n’ont pas et n’auront jamais les capacités d’opérer le transfert modal. Plus on est, plus on transfère, et le train de nuit Prague-Rijeka de Regiojet l’a bien démontré l’été dernier.

Cette année du rail devrait être aussi l’occasion de remettre à plat la tarification des transports, dont le déséquilibre est patent. Il ne s’agit pas d’un « combat contre ceux d’en face » (ce serait perdu d’avance), mais de remettre chaque mode à son coût réel et dans son domaine de pertinence. Ce n’est peut-être pas le carburant qu’il faut taxer mais la pollution : plus on fait des kilomètres, plus on pollue, plus on paye selon les émissions de CO2 et les dégâts collatéraux (mobilisation du système de santé). Cette politique moins idéologique (l’auto = capitalisme), permettrait de ne pas tuer les nécessaires livreurs et chauffeurs routiers ni d’anesthésier le secteur aérien qui a, et aura toujours -, un avenir dans son domaine de pertinence.

L’année du rail est aussi l’occasion de repenser l’accès au train. C’est aujourd’hui un véritable parcours du combattant que d’obtenir un billet alors que de jeunes startups, comme Flixmobility ou d’autres, ont montré de quelle manière on obtient un billet en quelques clics, en passant du train au bus via une application smartphone. Mais pour cela, il faut être adosser à des systèmes informatiques importants et coûteux. Flixmobility a plusieurs centaines de développeurs, ce que n’a pas le secteur ferroviaire. Il existe encore dans certains pays des billets qu’il faut remplir à la main, avec tous les malentendus et fraudes que cela amène, ce qui met le personnel de bord en danger. Le fait que les opérateurs historiques doivent mener des politiques sociales en faveur d’un public précarisé ne doit pas être une excuse pour éviter la digitalisation de la billetterie. Le monde change a une vitesse vertigineuse et ce qui est acquit aujourd’hui peut déjà être obsolète d’ici 4 à 5 années. On ne sait pas ce que proposeront les opérateurs futurs en matière de facilités de paiement. On sait simplement que celui qui aura pris le digital avec sérieux sera le gagnant de demain, quoique fassent les politiques. L’Europe aura-t-elle le courage d’avancer sur cette voie où nous sommes déjà largement en retard ?

Enfin, parler de green deal revient à parler de nos modes de vie. La quantité de déplacements que nous consommons a certes été brutalement freinée par la pandémie et une probable hausse du télétravail, mais nos autoroutes sont loin d’être vides. En parallèle, notre consommation quotidienne demande toujours le maintien d’un gigantesque réseau de flux logistiques désordonnés, lesquels sont essentiels pour remplir les rayons de nos magasins préférés. Le train a raté la logistique, ce domaine si essentiel à nos vies. Il n’est utilisé que quand ca arrange les chargeurs et les industriels. Il n’est jamais le premier choix, sauf pour des secteurs contraints, comme la chimie ou certains vracs. Les politiques ont bien peu la main sur la logistique. C’est donc au rail de montrer toutes ses facultés en déclinant ses meilleurs atouts. Peut-on espérer que cette année du rail soit aussi celle d’une logistique 2.0 ?

Des stratégies solides, une approche digitale plus accentuée, une insertion dans les flux industriels, ce sont là les ingrédients indispensables que le rail devra utiliser pour montrer de quoi il est capable. Pour que cette année du rail ne soit pas qu’un simple show, mais une occasion de se faire connaître aux 90% des non-utilisateurs…

Partager cet article :

Facebook Twitter Linkedin

Voir aussi nos nombreux articles :

Mediarail.beLe rail, ce secteur multiple
Une série de fiches qui résument dans les grandes lignes l’environnement et la gouvernance de nos chemins de fer aujourd’hui. Il est important en effet d’avoir une vue globale du secteur ferroviaire si on veut par la suite comprendre toutes les interactions dans les détails.


TRAXX_RegiojetLe rail après le Covid : entre défis et opportunités
28/12/2020 – L’année 2020 se termine et avec elle un bouleversement inattendu. Le monde change et le train devra changer aussi, pour s’adapter à ce monde nouveau.


Passenger_trainLe trafic des trains grande ligne
Tous les articles sur le trafic grande ligne, tant concernant le TGV que les trains de nuit ou les intercity.


Regional_railwayLe trafic des trains locaux et régionaux
Tous nos articles sur le trafic régional avec les nombreuses manières de faire du train local à travers toute l’Europe.


Railway_technologyComment les technologies digitales peuvent aider le rail
Les technologies digitales peuvent aider nos chemins de fer à se hisser au niveau des autres transports. C’est ce qu’on vous explique au cours de ces nombreux articles.


>>> D’autres news sur nos newsletters hebdomadaires.
Souscrivez par mail pour être tenu informé des derniers développements ferroviaires
cc-byncnd