Appel pour un chemin de fer fort et unifié

(photo Rob Dammers via flickr)

2021 a été proclamée année du rail en Europe. Il y a cependant deux domaines qui doivent impérativement faire l’objet d’un profond renouvellement. Sans quoi le train va rester un objet encore invisible dans le monde des transports.

Depuis plusieurs décennies, le train est un symbole de développement industriel et de fierté nationale pour de nombreux pays européens, et l’importance des chemins de fer ne montre aucun signe de déclin. Mais contrairement à l’industrie automobile ou à l’aviation, qui ont une couverture mondiale, le chemin de fer est resté une « chose » très nationale, tant au niveau technique que culturel. Il en résulte des différences d’approches importantes en matière de technologies et d’exploitation. Il en résulte aussi et surtout un manque de lobbying intense auprès des décideurs politiques. Les groupements ferroviaires installés à Bruxelles donnent bien-sûr le meilleur d’eux-mêmes, mais cela reste encore insuffisant. Le poids de l’industrie aérienne est tel qu’un pays comme la Suède, qui a proclamé « la honte de l’avion », se voit obliger de consolider son propre secteur aérien pour sortir de la crise de la pandémie.

C’est aussi ce faible poids ferroviaire qui fait qu’on tergiverse sur le sauvetage d’Eurostar. Si la France et Grande-Bretagne ont rapidement libéré des fonds pour leur avions et aéroports, c’est parce que l’aviation est depuis toujours l’ambassadrice mondiale de chaque pays, le flagship national, au contraire du chemin de fer. Le poids démesuré de l’IATA est encore aggravé par certaines formes de « compensations » consenties par les autorités politiques, comme les aéroports de province détaxés et « sauvés par l’industrie low cost ». Or le retour sur investissement de cette politique généreuse n’est pas prouvé. Et puis, il y a le fait que les 290 compagnies aériennes de l’IATA partagent beaucoup de choses en commun, alors que les différents réseaux ferrés d’Europe se regardent en chien de faïence. Il suffit de constater les différences d’approche en matière de train de nuit, de définition des Eurocity ou de construction de tunnel pour s’en convaincre…

Il n’est pas ici question d’opposer les modes de transport entre eux, chacun ayant sa pertinence propre. Le monde de demain aura toujours des avions dans le ciel et des autos sur nos routes. La priorité, en revanche, est de montrer que le chemin de fer est un des outils permettant d’atteindre les objectifs climatiques. Mais pour cela, il va falloir jouer sur un terrain bien plus vaste, et abandonner certains égos nationaux. A priori, cela semble très difficile.

Le chemin de fer, contrairement à l’automobile ou à l’aviation, est très imbriqué dans la politique nationale de chaque pays, avec son interventionnisme et ses habitudes socio-économiques. Il dépend très fortement de subsides gouvernementaux, non seulement pour investir ou rénover, mais aussi pour payer les salaires du personnel. Inversement, pilotes et garagistes ne sont pas payés par l’État, mais par l’entreprise qui les emploie, ce qui est très différent. L’industrie automobile ne tourne que grâce à l’achat et l’usage massif de véhicules par les citoyens. Bien-sûr, cet usage massif est lié à une fiscalité favorable à la route et aux investissements colossaux entrepris par les autorités pour fournir un maximum de routes. Certains économistes dénoncent le fait que les États perdent ainsi beaucoup de rentrées fiscales. Mais dans ce cas, la vraie question à poser est de savoir pourquoi les États font tant d’efforts pour la route et beaucoup moins pour le rail ? 

L’autre grand thème est l’infrastructure. Contrairement à la route, le réseau ferroviaire est un milieu fermé où vous devez avoir l’autorisation d’une cabine de signalisation pour rouler. Certes, l’espace aérien est aussi un milieu soumis à surveillance, mais le ciel n’a rien de technologique et n’importe quel avion peut s’y rendre moyennant une route autorisée. Sur la route, vous n’avez pas besoin d’autorisation, juste un véhicule en ordre et vos propres yeux pour la sécurité. Avec le chemin de fer, l’infrastructure est au contraire un outil de très haute technicité, lié au problème de freinage des trains qui demande une surveillance importante du trafic et une montagne de processus de sécurité. L’électrification, pourtant qualifiée « d’énergie verte », suppose beaucoup de protections et de précautions à prendre. Pour la détection des trains, les fréquences injectées dans les rails diffèrent d’un pays à l’autre. Ce qui fonctionne dans un pays peut perturber la signalisation du réseau voisin. Pourquoi ne peut-on pas changer cela rapidement à l’échelle de l’Europe ? Parce que toute modification de l’infrastructure impacte sur les véhicules ferroviaires, qui doivent à chaque fois être homologués. De plus, quand on passe une frontière ferroviaire, le courant de traction et la détection des trains sur la voie diffèrent. Cela oblige à installer sur chaque locomotive le système de sécurité (arrêt d’urgence) propre à chaque pays, ce qui a un coût. Il y a là une différence fondamentale avec la route et l’aviation. Quand une autoroute arrive à la frontière, c’est le même type d’autoroute que vous retrouvez immédiatement de l’autre côté. Les véhicules ne sont pas impactés, seulement quelques règles de circulation. Tous les aéroports du monde se ressemblent…

Certaines technologies numériques sont certes disponibles pour une meilleure signalisation et pour mettre davantage de trains sur une ligne. Le concept européen d’ERTMS fait partie de ces progrès mais son implantation est très lente et mobilise beaucoup d’énergie. L’ERTMS/ETCS implique de changer des trains parfois plus anciens. Certains réseaux doivent alors investir plus que d’autres, et cela provoque des tensions. Parfois certains ingénieurs considèrent que cela n’en vaut pas la peine, quand des anciens trains vont bientôt prendre le chemin de la ferraille d’ici quelques années. On doit alors faire face à des « périodes de transition », avec des trains qui ont l’ETCS et d’autres pas, ce qui est néfaste pour le débit en ligne puisqu’on doit alors s’aligner sur les anciennes technologies. La transformation du matériel roulant peut parfois coûter très cher, même si c’est sur le long terme. C’est ici qu’on retrouve le problème du chemin de fer et de l’État : comment payer le coût des transformations quand les gouvernements décident qu’ils ont d’autres priorités ? 

On mesure alors à quel point un lobbying efficace est hautement nécessaire. Avec un triple objectif. D’abord démontrer que le rail est bien un outil qui peut aider à la cause climatique, ce qui pourrait plaire aux politiciens. Ensuite, démontrer que le rail peut éliminer ses technologies obsolètes et se reconstruire sur base de normes plus européennes que nationales. Et enfin démontrer aussi que le chemin de fer est un instrument qui peut être exploité à un coup raisonnable pour la collectivité. 

Le secteur ferroviaire devrait avant toute chose faire front en bloc, en cessant cette guéguerre public/privé. Un train reste un train et les rails appartiennent à l’État, qui doit tout faire pour qu’on en fasse un usage intensif. Il faut cesser de faire du chemin de fer un objet politique. Toutes les idées et toutes les sources d’argent disponibles doivent pouvoir être mobilisées sans discrimination idéologique. Il faut parler de chemin de fer unifié, mais avec des acteurs pluriels, comme le fait l’IATA qui se fiche de l’actionnariat de ses adhérents, du moment qu’il y ait un objectif commun. Ce n’est pas le logo sur la locomotive qui compte, mais la prestation fournie avec la sécurité, la durabilité et la qualité à un prix acceptable pour tous.

Sans cela, nos politiciens risquent de regarder ailleurs pour leurs objectifs climatiques…

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Quand l’avion va inspirer le fret ferroviaire

C’est le sens de l’accord de collaboration sur le projet collaboratif appelé «Aero-Ferro Benchmark», signé entre les loueurs de wagons GATX et Ermewa, ainsi que l’École Centrale de Lyon et la Technische Universität Berlin.

L’objet de ce domaine de recherche est le suivant : que peut apprendre le transport de fret ferroviaire de l’aviation – et vice-versa? Par le passé, l’industrie aéronautique a réussi à changer les choses et à agir de manière plus efficace et plus rentable sur le marché actuel. Ce sont donc des pratiques aériennes qui pourraient guider à l’avenir guider le transport de fret ferroviaire, sous certaines formes et conditions.

À l’origine du projet

Avec l’École Centrale de Lyon et l’entreprise GATX, deux autres partenaires ont rejoint ce projet de coopération franco-allemand « Aero-Ferro Benchmark ». Tout cela remonte à l’initiative de Peter Reinshagen de Ermewa SA et du professeur Markus Hecht de l’Université technique de Berlin. La carrière de Peter Reinhagen dans le secteur de l’aviation lui a permis de mieux comprendre les différences de processus de production et de culture d’entreprise dans les secteurs du fret ferroviaire et de l’aviation. En collaboration avec le professeur Hecht, il a développé l’idée d’un benchmarking entre les deux modes de transport. Ce projet est soutenu par les associations allemande et française de détenteurs de wagons privés VPI et AFWP. D’autres partenaires de l’industrie et de la science sont « cordialement invités à apporter leur expertise à ce projet. »

Déjà en mai dernier, Ermewa avait lancé un nouveau groupe de réflexion baptisé « Ermewa Think Tank – (R)evolution », où l’entreprise entend organiser de manière régulière des conférences sur diverses thématiques et créer des pistes de réflexions pour lancer de nouvelles initiatives tant au sein de l’entreprise que dans le secteur dans son ensemble. « Nous voulons promouvoir le développement d’approches innovantes pour le transport ferroviaire de marchandises, afin de favoriser ce mode transport, qui est le plus respectueux de l’environnement », expliquait alors Peter Reinshagen, directeur général d’Ermewa. C’est donc en toute logique que ce loueur proactif signait pour l’Aero-Ferro Benchmark avec les allemands.

Des idées aéronautiques pour le fret ferroviaire ?

Par le passé, l’industrie aéronautique a parfaitement réussi à adopter de nouvelles stratégies. Aujourd’hui, elle est plus efficace et plus rentable que jamais. Les quatre partenaires impliqués dans ce projet veulent initier des démarches similaires et lancer une réflexion inédite pour le transport de fret ferroviaire. Cela comprendra la production d’études scientifiques comparant la conception des processus, les modèles commerciaux et les cultures de sécurité des secteurs du fret ferroviaire et de l’aviation, et évaluera la possibilité de s’approprier les meilleures pratiques des deux secteurs.

« Nous voulons créer un secteur ferroviaire ‘à haute altitude’. L’industrie aéronautique est confrontée à de nombreux problèmes et défis similaires, mais, dans le passé, elle a souvent trouvé de meilleures solutions que la nôtre », a déclaré Peter Reinshagen, directeur général d’Ermewa SA, expliquant son engagement en faveur de ce benchmarking. L’aéronautique est confrontée à des problèmes et à des défis similaires dans de nombreux domaines, qu’elle a souvent mieux résolus, selon le responsable des chemins de fer. L’autre partenaire du projet, Johann Feindert, PDG de GATX Rail Europe, en est convaincu : « L’analyse comparative systématique est la passerelle vers un système de fret ferroviaire innovant et plus efficace. Nous croyons fermement que le secteur ferroviaire doit quitter sa zone de confort pour augmenter de manière significative sa part dans la répartition modale. Cela implique de remettre en question les idées reçues et de faire face à des vérités inconfortables. » Un discours qui tranche dans un monde ferroviaire souvent réticent à l’idée d’adopter des méthodes d’ailleurs.

« Du point de vue de la recherche ferroviaire, le projet représente un nouveau territoire passionnant », enchaîne le professeur Mohamed Ichchou de l’École Centrale de Lyon, ce que confirme son collègue de l’Université technique de Berlin, Markus Hecht : « Ici, nous regardons au-delà de l’horizon de notre propre domaine d’expertise. Travailler avec des entreprises nous permet également de mener des recherches sur le terrain pour le secteur. » C’est que les universités doivent parfois faire face aux reproches d’être trop théoriques et de manquer d’expertise de terrain.

Au cours des trois prochaines années, doctorants et étudiants pourront travailler sur divers aspects de la conception des processus dans les industries de l’aéronautique et du transport ferroviaire de marchandises. L’accent est mis principalement sur :

  • La sécurité

Comment les acteurs assurent-ils la mise en œuvre et le développement ultérieur d’une culture de la sécurité durable ? L’industrie aéronautique repose sur l’échange international de données entre entreprises et sur le traitement des erreurs.

  • L’entretien

Comment les deux modes de transport organisent-ils leur maintenance? En aviation, la maintenance prédictive et basée sur les conditions est depuis longtemps une réalité. Qu’est-ce qui a fait ses preuves ici, comment les expériences peuvent-elles être transférées aux chemins de fer?

  • Les modèles d’affaires

Quels sont les modèles commerciaux de leasing avec lesquels les modes de transport opèrent sur le marché? L’aviation a commencé à calculer les coûts de leasing uniquement pour les heures utilisées et les temps de maintenance. Cela peut-il aussi être un modèle pour le rail? Et inversement, le lien entre la location et la maintenance, comme il est d’usage dans le transport ferroviaire de marchandises, en quoi pourrait-il être un potentiel pour l’aviation ?

Un premier symposium, sur lequel le concept de recherche et les résultats intermédiaires seront présentés et discutés, aura lieu en 2020 à la frontière franco-allemande. D’autres ateliers d’accompagnement du projet sont également prévus. Nous sommes impatients d’en voir les premiers résultats.

CFF et ÖBB veulent davantage de trains internationaux

Les ÖBB et les CFF veulent intensifier leur coopération, notamment en matière de train de nuit. C’est ce qu’ils ont déclaré ce jour. Surfant sur la vague actuelle des « déplacements écolos » et de la « honte de l’avion », les deux sociétés souhaitent s’engager en faveur de conditions cadres plus favorables à l’exploitation de trains de nuit, par exemple concernant le soutien financier des trains de nuit par le biais de redevances CO2 ou l’allègement des coûts d’exploitation qui en résultent (p. ex. redevance d’utilisation des sillons).

Une des motivations serait la demande de trafic ferroviaire international qui aurait fortement augmenté au premier semestre de 2019. Outre l’augmentation progressive de l’offre, l’importance croissante du contexte politique climat auprès de la jeune clientèle a certainement contribué à renverser la vapeur et la stratégie. Les CFF disent avoir poursuivis depuis de nombreuses années une stratégie de coopération aux niveaux national et international et ont régulièrement élargi leur offre avec d’autres chemins de fer des pays voisins. Mais on observe que c’est souvent le matériel roulant des voisins qui opère le trafic international, sauf peut-être vers l’Italie.

NJ 471 à Hornussen (photo Pascal Hartmann via licence flickr)

Des projets
Dans la pratique, les CFF annoncent d’entrée de jeu l’extension des EuroCity (EC) entre Zurich et Munich, qui passeraient dès décembre 2020 à six liaisons quotidiennes par direction.Ces trains ne concernent qu’une toute petite partie du réseau ÖBB, tout au sud du lac de Constance, en passant par Bregenz. L’amélioration et l’électrification de la ligne entre Lindau et Munich, aux frais des allemands, est un élément clé pour l’amélioration de ce trajet. Une ligne calme en dehors des gros flux nord-sud, où l’entreprise suisse compte manger le gâteau actuellement détenu par les 19 relations par bus de Flixbus. On ne sait pas encore quel sera le matériel exploité et la probable coopération avec la Deutsche Bahn.

Concernant les célèbres trains de nuit – en particulier entre Zurich-Bâle et Berlin, ainsi que Hambourg – une extension de capacité est dorénavant examinée. Ces liaisons Nightjet ont carrément atteint leurs limites de capacité en raison de la forte augmentation de la demande. C’était déjà une réalité l’année dernière. Il n’y a pas de précisions opérationnelles actuellement mais il n’est pas impossible que le Nighjet NJ470, commun pour Berlin et Hambourg, soit désormais scindé en deux trains certains jours ou en fin de semaine.

En coopération avec les chemins de fer tchèques (CD), les CFF étudient aussi la possibilité d’élargir l’offre entre Zurich et Prague, où ne circule qu’une voiture-lits qui accompagne le Nightjet NJ466 de Linz à Zurich (et retour). Une demande de la jeune clientèle pour faire aussi circuler des couchettes, moins chères, devrait pouvoir être honorée à brève échéance.

En outre, les deux partenaires ambitionnent d’intégrer d’autres villes d’Europe restant à définir au réseau Nightjet et de les relier à la Suisse. Actuellement, l’offre de trains de nuit concerne deux Nightjets totalisant 7 destinations au départ de Zurich, ce qui en fait déjà la deuxième plaque tournante du trafic de nuit en Europe, tandis que Vienne en compte davantage et est devenue le « hub train de nuit » numéro un, avec cinq Nightjets chaque soir totalisant 11 destinations, sans compter un train de nuit hebdomadaire vers Moscou et un autre quotidien vers Bucarest.

>>> À lire : Nightjet, la renaissance du train de nuit

Le Nightjet de demain (photo ÖBB)

Cette annonce peut être traduite par la volonté des CFF de redevenir au devant de la scène européenne… et de se protéger ! Jusqu’ici on avait plutôt assisté à une politique de repli, notamment en 2009, quand les CFF avaient déclaré les trains de nuit « non rentables » et cessèrent leur exploitation. Une autre époque, dans la foulée de la crise de 2008, dit-on. Encore en 2015, les CFF avaient répondu, face aux activistes de Umverkehr, qu’ils préféraient se concentrer sur les correspondances quotidiennes qui rendent les destinations européennes réalisables dans un délai de quatre à six heures. Les temps de trajet dans le trafic international longue distance étaient déjà considérablement réduits, justifiait à l’époque la société.

Il fallait aussi battre en retraite face à un secteur aérien très agressif : trois vols sur quatre partant de Suisse se dirigent vers des destinations européennes, jamais très loin. Dans le top cinq : Londres, Berlin, Amsterdam, Vienne et Paris – toutes les villes accessibles en train en un jour ou une nuit. Etonnamment, on voyait de moins en moins le label suisse sur les voies européennes, par exemple sur Zurich-Innsbruck-Vienne, où le matériel roulant et le service sont presque devenus un monopole autrichien, avec ses Railjets et son Nightjet quotidien, fort bien remplis.

La coopération est aussi une stratégie assumée aux CFF : pas question d’offensive en open access hors du pays, car « on » demanderait alors la contrepartie, ce que les CFF redoutent au plus haut point. L’entreprise suisse n’a pas les moyens ni la carrure de sa sœur autrichienne pour se lancer à la conquête de l’Europe alpine ou centrale. Il est donc préférable pour l’opérateur étatique de s’entendre avec les entreprises voisines, par exemple avec la SNCF au travers de Lyria, ce qui est aussi un bon moyen de se partager le gâteau face à des voisins offensifs et gourmands. Les CFF sont aussi coincés entre le géant allemand Deutsche Bahn et un éléphant qui se réveille, Trenitalia. Tout cela concoure à baliser le terrain et à bomber le torse.

Et puis, les suisses veulent sécuriser leurs lourds investissements, notamment en matériels roulants… et en tunnels. Le grand défis des CFF est de «remplir le coûteux Gothard». Ils ont ainsi signé en 2018 un accord de coopération avec Trenitalia, afin de mieux se positionner. On se rappellera l’aventure Cisalpino, entamée en 1993 et qui pris fin en 2003 dû à une forte détérioration de la qualité du matériel roulant. Les deux pays ont remis le couvert mais sans société commune cette fois. Chacun chez soi avec ses qualités et ses handicaps…

Les prix faciles : pour bientôt ?
Reste à voir l’impact sur les prix de cette politique de coopération. Le site web des CFF fait parfois l’objet de certaines critiques : savoir combien coûte un billet de Zurich à Copenhague passe encore par l’information téléphonique payante, comme au temps de bon papa, s’étonne un journal. « En ce qui concerne les possibilités de réservation, le train a pris du retard sur le trafic aérien », reconnaissent les CFF. Mais ce n’est évidemment pas faute de la seule entreprise helvétique, loin s’en faut.

Des portails tentent pourtant de donner des couleurs à la présentation des offres commerciales, mais contrairement à l’aérien, les données ne sont pas normalisées dans le trafic ferroviaire pour cause de service public national protégé. Chaque transporteur ferroviaire conserve sa culture et dispose de son propre système de réservation « fait maison », de son propre code de gare et de ses propres directives. Les CFF ne font pas exception. « Cette fragmentation rend très complexe, en particulier pour les itinéraires transfrontaliers, de combiner des offres avantageuses de fournisseurs individuels », déclare-t-on chez Omio, une plateforme de réservation indépendante. Il faut dire aussi qu’en cette ère du numérique, la guerre du meilleur siteweb est lancée depuis longtemps. OUI.Sncf ou le suédois SJ.se peuvent en témoigner : les datas, c’est l’or noir de demain.

En juin dernier, les CFF, les ÖBB et Deutsche Bahn ont conçu le site web trainite.eu dans le cadre d’un hackathon. « Ici, les clients ferroviaires peuvent facilement rechercher des trains de nuit et sont redirigés vers la réservation sur le site Web de l’opérateur correspondant », expliquait le porte-parole des CFF, Raffael Hirt. Le train international en quelques clics, pour un portail appelé à se développer.

Quelle suite ?
En dépit des bons trafics Nightjet, les CFF ne rentrent pas leurs frais en ce qui concerne les services fournis avec les trains de nuit des ÖBB sur Zürich. « Notre priorité est de déterminer pour quelles relations il existe une vraie demande. » déclare au Blick Toni Häne, le directeur Voyageurs aux CFF. « Personnellement, je veux à nouveau un train de nuit pour Barcelone. C’est clairement ma priorité » rapporte ce cadre de 63 ans.

Le contexte politique actuel semble donner des ailes à des projets tous azimuts favorables au train. Il faut clairement en profiter et aller chercher un maximum d’argent disponible. La vague verte n’aura qu’un temps, car on n’imagine pas une seconde que les avions et les autocars vont rester les bras croisés…

Le Thello 220 à Auxonne, en mai 2018 (photo Pascal Hartmann via licence flickr)

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Le train plutôt que l’avion sur courte distance ?

L’avion est-il encore pertinent quand on doit parcourir 600 à 800 kilomètres ? Au-delà des slogans, tout dépend des circonstances, du plan transport, de la géographie et du temps disponible de chacun.

On est bien d’accord : les sauts de puce de 200 kilomètres entre Amsterdam et Bruxelles, par avion, sont un non-sens dès l’instant où le TGV relie les deux capitales depuis 1996. Fin février, la Chambre des représentants des Pays-Bas souhaitait mettre fin aux liaisons aériennes entre Amsterdam et Bruxelles. Une proposition des verts de GroenLinks, soutenue notamment par les partis au pouvoir D66 et ChristenUnie, réunit une majorité de députés pour appeler le gouvernement batave à trouver des accords pour faire disparaître progressivement ces sauts de puce. En cette période de renouveau de la vague verte au sein de la population, c’est plutôt haro sur l’aviation et sa nocivité déclarée pour le climat. Le journal Le Monde, dans son édition du 22 février, posait la question qui fâche : « Peut-on se dire écolo tout en s’envolant pour le week-end à Porto ? ». Les jeunes, qui participent à de nombreuses marches climat en Belgique, en Suisse et ailleurs, se sont sentis mal à l’aise face à cette question qui les concerne directement. Mais les vols courts sont-ils si inutiles ?

L’explication sur les vols courts
Il va falloir attendre la fin du battage médiatique pour aborder le sujet à tête reposée. Les vols courts sont-ils un caprice d’hommes d’affaires ou de touristes pressés ? En réalité, pas tout à fait. Il est impératif de distinguer la destination « ville » de la correspondance « aéroport ».  Les vols courts ont deux fonctions principales.

La première fonction est de relier deux aéroports dont l’un est un hub doté de connexions vers le monde entier. C’est le cas de Paris, Amsterdam, Francfort ou Madrid. La clientèle qui emprunte les vols courts n’est donc pas toujours une clientèle destinée à s’évader en ville, mais plutôt à rester dans l’aéroport pour prendre un autre vol. Et là, le rail est le grand perdant, sauf à desservir en direct les grands aéroports en question. On parle bien ici de dessertes par trains grandes lignes. Beaucoup d’aéroports sont desservis localement par rail, mais ces liaisons sont établies pour relier l’aéroport à « sa » ville et « sa » région environnante (Bruxelles, Zurich, Manchester, Milan, Vienne, Copenhague…).

>>> À lire – Pourquoi Austrian maintient encore 3 vols de 35 minutes entre Graz et Vienne

L’accès des grands aéroports à d’autres villes lointaines est nettement moins courant : Paris-CDG, Francfort et Amsterdam Schiphol sont les rares aéroports de type « worlwide » à être desservis par trains grandes-lignes, dont des TGV. Et Londres ? Néant ! Ni Heathrow ni Gatwick ne sont desservis depuis Birmingham, Sheffield, Bristol ou Glasgow. Résultats : pour aller de Edimbourg à Bangkok, l’avion courte distance est hautement souhaitable. Idem si l’on veut faire un Clermont-Ferrand-Martinique ou San Fransisco : le passage par le hub de CDG est un parcours du combattant sans l’avion qui vous y dépose directement. Sinon, c’est le train et l’hôtel, l’alourdissement du voyage, du temps et… des prix, ou la débrouille en roulant de nuit en voiture ou covoiturage. Un vrai bonheur quand on sait qu’il est demandé, en moyen et long-courrier, d’être présent jusqu’à deux heures avant le départ du vol.

La seconde fonction des vols courte distance est de relier deux villes qui sont hors marché ferroviaire pour cause d’obstacles naturels. Exemple avec les Alpes et les Pyrénées, malgré la présence du train, mais surtout de la mer, cas où le train est forcément absent. Songeons à Copenhague-Glasgow, à Helsinki-Stockholm, à Oslo-Hambourg ou Rome-Cagliari (Sardaigne) ou à Lyon-Majorque. Les temps de parcours ferroviaires Lyon-Milan, Zurich-Vienne ou Munich-Venise sont clairement destinés à « ceux qui ont le temps »…

Sur base de ces critères, crier haro sur l’avion courte distance est donc parfois l’œuvre du borgne plutôt que du pragmatisme. Il est exact que les avions courte distance emportent – et parfois encouragent -, une clientèle de ville à ville. On perd du temps aux aéroports, pour les rejoindre, pour passer la sécurité puis seulement entamer le vol proprement dit. C’est sur ces critères qu’Eurostar ainsi que les TGV et ICE en général fondent leurs avantages évidents. Les statistiques manquent pour distinguer les passagers aériens de centre ville à ceux qui prennent une correspondance intercontinentale. Ces vols polluent, encouragent le tourisme de masse et encombrent inutilement les grands aéroports. Alors quoi ?

>>> Voir aussi : Mobilité, le citoyen est-il écolo ? Oui, quand ça l’arrange

Aviation
La différence d’émission de CO2 entre le train et l’avion

Le service et son prix
La pauvreté du réseau intercontinental au départ de villes comme Bruxelles, Lyon, Bordeaux ou Cologne incite les voyageurs à se rendre à Schiphol, Francfort ou Charles-de-Gaulle. C’est une incitation supplémentaire à emprunter des vols courts qui vous emmènent directement à votre correspondance intercontinentale. Le train peut éventuellement jouer un rôle : ces trois aéroports sont en effet reliés par TGV et ICE, mais seulement depuis quelques villes de province, pas toutes. Il faut aussi que les horaires collent, sinon on perd des heures d’attente et toute l’attractivité du système s’effondre.

S’y ajoute une autre incitation, encore plus cruciale : la recherche du vol pas cher sur internet qui élimine de facto le train, non inclus dans les moteurs de recherche. Tous les vols recherchés ne sont que des vols en correspondance via un « hub ». Le vol de rabattage, englobé dans le prix global, est de facto moins cher. Si on doit isoler deux transports, et additionner un trajet train avec l’avion, forcément d’une autre compagnie, les prix éclatent, sans compter de multiples réservations rébarbatives, même s’il existe depuis plusieurs années des partages de codes trains/avions comme celui de la SNCF « TGV Air », avec certes un nombre limité de compagnies participant au système. Avec correspondances en vol courts et partage de codes, on obtient souvent moins cher que l’addition train + avion.

Le prix des choses nous amène aussi au lowcost : train cher contre avion pour tous, le dilemme est connu. Ryanair est le transporteur des fauchés de toute l’Europe. Bien-sûr il y a la fameuse non-taxe sur le kérozène, qui profiterait aux compagnies aériennes et à seulement 3% de la population mondiale qui peut se payer l’avion, chiffre à vérifier. L’exonération de la taxe sur les carburants dépend toujours de la Convention de Chicago de 1944. Une «taxe CO2 » rendrait l’avion probablement bien plus cher. Le train, lui, paye une infrastructure physique très coûteuse (gares, électrification, sécurité,… ) et une organisation du travail codifiée et intensive en main d’œuvre : cela pèse fortement sur les coûts, d’autant que les billets de trains sont taxés. Peut-on dire que si l’aérien payait ses taxes et ses dégâts environnementaux, les aéroports se videraient ? On peut en douter…

Aviation
Graphique du journal suisse Le Temps (article à ce lien)

Le prix a bien entendu une influence majeure sur les comportements en voyage, mais pas seulement.

Les citytrip et séminaires en question
La question du climat remet au-devant de la scène une autre mode de ces vingt dernières années : le citytrip de fin de semaine, ou le séminaire pour « revigorer » une équipe. Au programme : évasion à Lisbonne, Budapest ou en Ecosse pour seulement trois-quatre jours, pour « décompresser » ou travailler dans une autre ambiance. Afin d’éviter la perte de temps transport, l’avion est là en tout temps, de préférence le jeudi matin, avec retour le dimanche soir. L’horloge parfaite. Sauf que certains acteurs veulent nous promettre un avenir tout autre.

Railways
Le tourisme de fin de semaine : très consommateur de transports

Les membres de ‘Stay Grounded’ par exemple, militent pour une sortie de l’aviation et le développement d’un système de transport démocratique et écologique. « Dans certains domaines, dont l’avion, ne plus faire à l’avenir tout ce qu’on a pu faire dans le passé (l’ébriété énergétique) est l’une des clés, sans doute la plus importante, de la révolution écologique et sociale à lancer d’urgence » écrit Alternative Economique. Et on nous prône dès lors la « décompression écologique pas trop loin de chez soi », ou carrément chez soi… « Si je comprends bien, vous voulez interdire aux jeunes le droit de faire ce que vous avez fait sans trop de scrupule dans le passé, nous interdire le droit de découvrir le monde par nous-mêmes ? », s’insurge une jeune étudiante. Les jeunes, à l’origine des marches climat en Belgique ou en Suisse, se sentent pris en étau…

Le monde est une chose, l’Europe en est une autre. Un citytrip de quatre jours, en 4 à 5 heures de train correspondances incluses, est possible au départ des grandes villes dotées de bonnes liaisons directes, comme Bruxelles, Paris, Amsterdam. C’est plus difficile depuis Rennes, Luxembourg, Amiens, Besançon, Birmingham ou Bristol, où d’affreux transits sont nécessaires à Londres ou Paris via le métro. Rien que ces “détails” en rebutent plus d’un. Les destinations Berlin, Vienne, Milan ou Barcelone sont possible en train, mais cela prend la journée. On oublie Rome, Lisbonne, Budapest, Edimbourg ou Stockholm, à moins de « fortement aimer le train », comme votre serviteur. Bien-sûr, quatre jours à New-York, Dublin ou Marrakech rendent l’avion incontournable.

Nightjet-Bahn
Les Nighjets autrichiens proposent des sauts de nuit intéressants. Mais au prix du train-hôtel (photo Pascal Hartmann via license flickr)

Certains militent pour le retour du train de nuit à prix cassé, géré par le service public et payé par le contribuable, à titre de politique environnementale. Tout l’inverse du Nightjet autrichien ou du Caledonian Sleeper anglais , où il faut payer…le vrai prix d’un train-hôtel. Le train de nuit a pourtant l’avantage de vous faire arriver le matin en ville. Mais il faut aussi partir la veille. Malgré le saut de nuit, ces trains ont aussi une limite en distance : cela ne dépasse jamais 1.500 kilomètres.

Carte réalisée par bx1.be/news avec les services Trainline et Skyscanner, le 8 mars 2019, pour des voyages prévus entre le vendredi 19 avril et le dimanche 21 avril 2019, toujours au départ de la gare de Bruxelles-Midi ou de l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem – Grégory Ienco 

In fine
Le débat train/court-courrier est une affaire de société de consommation et de conviction. Il empiète très largement sur des thèmes bien au-delà du transport. Il cristallise les positions et les oppositions, entre la décroissance heureuse, le repli au village, et ceux qui ont contraire veulent parcourir l’Europe et le monde, booster l’économie. Toutes les idées sont sur la table, depuis la taxation des émetteurs de CO2 jusqu’à la promotion du zéro déplacement (l’homme a-t-il tant besoin de bouger ?).

Les avions émettent 285 grammes de CO2 par passager/kilomètre contre 14 pour le train. Des chiffres à vérifier mais la pollution aérienne est évidente. On peut donc accentuer les liaisons grandes lignes par trains vers les aéroports, beaucoup plus d’aéroports qu’aujourd’hui. À défaut de gérer eux-mêmes les trains province/aéroport, les États peuvent jouer sur la fiscalité des billets d’avions à courte distance, en les rendant plus onéreux. Cela ferait voler en éclat le modèle aérien lowcost. D’un autre côté, on peut aussi viser des trains qui emmènent les gens là où ils veulent aller, ce que le service public n’entend pas toujours (Ouigo dans des gares périphériques…). Pour multiplier les destinations, il est impératif de multiplier les offres multimodales sur les derniers kilomètres. Or certaines offres, en voiture de location, sont aussi polluantes s’il n’y a pas de motorisation électrique, l’électricité étant elle-même sujette à caution quant à la production.  Le train est excellent pour rallier les centres ville. Il est moins pertinent pour prendre un vol à destination lointaine.

On le voit, rien n’est simple et il ne faudrait pas non plus que la diminution de l’aviation en vienne à augmenter à la pauvreté des pays périphériques ou lointains comme la Grèce, les Balkans, le Portugal ou l’Irlande. Faisons attention aux idées toutes faites. Moins de déplacements, c’est une économie en berne. Et cela, c’est une certitude. Voyez l’Afrique…

Aviation
(photo Stephen J Mason photography via license flickr)