Bientôt un AVE sous l’aéroport de Madrid ?

 

(photo Ignacio Ferre Pérez via licence flickr)

Le gouvernement espagnol a mis en place un groupe de travail pour étudier la meilleure option de relier l’aéroport de Madrid Barajas à la gare de Chamartín par train à grande vitesse AVE.

Avec 83,4 millions de touristes ayant visité l’Espagne en 2019, la ministre de l’Industrie et du Tourisme, Reyes Maroto, a exigé un changement du modèle touristique espagnol et que l’on cesse de mesurer son succès uniquement sur des chiffres à la hausse. « Nous devons moderniser le modèle. Nous devons travailler pour le rendre plus rentable, durable et innovant, et ne pas mesurer son succès [uniquement] par l’augmentation du nombre de touristes, » déclarait-elle le 20 janvier dernier, à l’occasion de l’inauguration de la VI édition du Forum Hotusa Explora. Un événement dont le maire de Madrid, José Luis Martínez-Almeida, a profité pour exiger de l’exécutif de Pedro Sánchez l’arrivée de l’AVE à Barajas et, au passage, la réouverture du ‘Palacio de Congresos’ de Madrid, fermé depuis dix ans.

L’aéroport Adolfo Suárez Madrid-Barajas est classé 6ème en Europe et accueille 58 millions de passagers chaque année. Une ligne ferroviaire gérée par l’entreprise publique Renfe relie uniquement le terminal T4 aux gares de Chamartín (11 minutes), Nuevos Ministerios (18 minutes), Atocha (25 minutes) et enfin Príncipe Pío en 38 minutes. Des bus partant du terminal T4 permettent de rejoindre les autres terminaux. Un classique. Mais aujourd’hui, c’est du train à  grande vitesse dont il est question.

Un train à grande vitesse sous les pistes
Le ministère des transports a mis en place un groupe de travail auquel participent Aena (gestionnaire de l’aéroport) et l’Adif pour choisir la meilleure solution pour relier l’aéroport de Madrid-Adolfo Suárez et la gare de Chamartín par AVE, gare qui vient de commencer ses travaux d’expansion. En février 2019, une réunion préparatoire était organisée entre les techniciens d’Aena, Adif et Renfe à la recherche de solutions pour relier l’aéroport de Barajas au réseau AVE.

En août, Aena attribuait aux sociétés Wsp Spain et Tema Ingeniería un concours pour une étude sur l’accessibilité intégrale et l’intermodalité dans les aéroports du réseau Aena, y compris à Barajas avec sa connexion à l’AVE. Avec ce concours, le gestionnaire souhaite analyser la situation de l’accès « dans son état actuel et futur à court et moyen terme, afin que les éventuels points de conflit soient détectés en amont ».

Chez Adif, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, on envisage depuis longtemps cet investissement, qui nécessite une coordination du gouvernement et la collaboration d’Aena, l’un des plus grands exploitants mondial d’aéroports, qui gère 46 aéroports et 2 héliports sur toute la planète. L’arrivée de l’AVE se ferait précisément au sein du terminal 4. La demande d’une connexion vers l’aéroport n’est cependant pas un nouveauté. En 2012 déjà, le Plan Infrastructures, Transports et Logement (PITVI) pour la période 2012-2024 prévoyait la « connexion entre l’aéroport de Madrid-Barajas et le réseau ferroviaire à grande vitesse dans le but d’améliorer son «efficacité opérationnelle ». Mais rien n’a été entrepris. Pourtant, contrairement au dossier du TGV texan, il ne s’agissait pas ici d’un lobbying des compagnies aériennes, que du contraire.

En 2017, l’Aceta, l’Association des compagnies espagnoles de transport aérien, estimait que cette intermodalité entre les deux modes de transport fournirait à la Renfe un volume supplémentaire de passagers, renforcerait également la compétitivité de l’aéroport et son statut de «hub», tout en offrant de nombreux avantages aux utilisateurs, qui pourraient accéder aux deux modes de transport à l’aide d’un seul billet. Un position qu’on aimerait entendre plus souvent, mais il est vrai que les vols courts, gourmands en créneaux horaires, embarrassent un peu plus chaque année les compagnies aériennes qui voudraient les réserver à des vols plus longs et plus lucratifs…

Vers un démarrage du projet ?
À Madrid, le projet d’AVE à l’aéroport est intimement lié avec la planification de la dalle projetée au dessus des voies de Chamartín, prévue dans le cadre du projet de développement urbain Madrid Nuevo Norte. Il faut en effet figer l’assiette des voies avant la couverture définitive de celles-ci.

>>> À lire : La gare de Chamartín, un élément essentiel pour l’avenir de Madrid

Le ministre de l’Equipement (Fomento) de l’actuel gouvernement Sanchez, José Luis Ábalos, dispose depuis plusieurs mois d’une étude d’information qui permet de déterminer la meilleure solution d’amener l’AVE au terminal T4. Deux solutions sont sur la table.

La moins chère, d’un peu plus de 100 millions d’euros, emprunterait la ligne actuelle des ‘Cercanías‘ (trains de navetteurs) inaugurée en 2011. Il s’agirait de poser un troisième rail pour obtenir l’écartement UIC de 1.435mm. La Renfe a proposé à plusieurs reprises cette solution en raison de son faible coût et parce qu’elle dispose déjà, entre autres éléments, de suffisamment de quais pour faire face à l’arrivée éventuelle de l’AVE. La pose d’un troisième rail est déjà en vigueur en Catalogne, entre Figueras-Vilafant et Barcelone.

La seconde solution est plus coûteuse et consiste à construire une nouvelle ligne qui relierait les sept kilomètres qui séparent l’aéroport de la gare de Chamartín. Ces travaux, liés à la réforme urbaine qui est projetée dans le nord de la capitale, auraient un coût d’environ 400 millions d’euros. Si c’était l’option choisie, l’Espagne inaugurerait la première section AVE privée du pays, explique El País.

Mais la question des coûts reste primordiale. Le Fomento a envisage sérieusement de s’associer avec secteur privé pour faire face à un tel investissement. « Il n’est pas du tout entendu que ce sera le gouvernement qui, via les budgets généraux de l’Etat, paiera l’arrivée de l’AVE à l’aéroport de Barajas. On a des entrevues avec tous ceux qui sont impliqués, pour définir le modèle de le financement : les synergies que le projet produira doivent être prises en compte, de même que de savoir combien cela affectera l’Adif, Aena et les compagnies aériennes elles-mêmes, » indiquent des milieux proches du gouvernement. La position initiale de l’Adif et du Fomento lui-même consiste à faire le moins de dépenses publiques possible, ce qui tendrait vers l’option 1 à trois files de rail.

L’option 2 de ligne nouvelle serait présentée aux compagnies aériennes, aux entreprises de construction et qu’aux entreprises impliquées dans le secteur des infrastructures. Aena, qui gère l’aéroport, a déjà par le passé investi ses propres deniers dans des installations annexes aux terminaux, comme certains parking. Il n’est donc pas inenvisageable de la voir participer à ce projet ferroviaire.

Un aéroport qui intéresse les futurs concurrents
Avec la libéralisation du rail en cours en Espagne, la pression pour une arrivée de l’AVE au terminal 4 a encore augmenté. Les nouveaux opérateurs ont inclus cette possibilité dans leurs plans d’affaires, car l’intermodalité entre le train et l’avion peut générer une nouvelle demande provenant des trafics intercontinentaux desservis par les compagnies aériennes opérant à Barajas. La grande vitesse dope les trafics. Ainsi, l’arrivée de l’AVE à Valence a généré un business avec des offres de voyages à grande vitesse à tous les croisiéristes qui arrivent au port levantin pour visiter Madrid et ses environs.

L’arrivée en Espagne de l’AVE low cost est également perçu par les compagnies aériennes comme une possibilité de réduire les routes domestiques qui libéreraient de l’espace pour les lignes long-courriers, ce qui contribuerait à consolider Madrid en tant que plaque tournante intercontinentale et à étendre son aire de chalandise au-delà des frontières, jusqu’à atteindre les sites du sud de France, comme Perpignan, Toulouse, Marseille voire Lyon.

Iberia, qui a son principal hub entre ses liaisons espagnoles et européennes avec ses vols long-courriers vers l’Amérique et l’Asie précisément dans le terminal 4 de Barajas, a paradoxalement été le principal moteur du projet et « la voix la plus insistante » pour espérer que ce projet devienne réalité. En pleine libéralisation du marché du transport ferroviaire de passagers, le président de la compagnie aérienne, Luis Gallego, a reconnu que cela n’avait aucun sens de garder les routes ouvertes dominées par l’AVE s’il arrive à l’aéroport et permet d’alimenter les vols long-courriers. « À l’avenir, il serait nécessaire de reconsidérer si la meilleure option est [encore] d’avoir des routes [domestiques] opérationnelles, si l’AVE arrive à Barajas, » a déclaré Gallego lors d’une réunion organisée par Servimedia. Et c’est tout particulièrement vrai en ces temps de ‘flygskam‘ et autre vague verte.

Iberia estime que le projet attirerait 300.000 visiteurs à Madrid, une augmentation similaire à celle de villes comme Paris ou Francfort. Sur Madrid-Valence, l’AVE détient 95% des parts de marché et l’avion à destination de Barajas n’est nécessaire que pour prendre une correspondance vers l’international. Sur Madrid-Barcelone, l’AVE ne détient qu’un peu plus de la moitié des parts de marché, mais va bientôt être challengé par la concurrence d’ici un an.

Ce dossier est donc intéressant à plus d’un titre : Madrid veut relier son aéroport en direct avec son plus grand centre tertiaire du nord de la ville. Et ce sont des compagnies aériennes qui sont demandeuses pour faire venir le train à grande vitesse sous les pistes. Affaires à suivre…

(photo Jean-Pierre Dalbéra via licence flickr)

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Madrid : près d’un milliard d’euros dans deux gares et un tunnel

La semaine dernière, le ministre espagnol des Travaux publics, Íñigo de la Serna, a présenté avec l’architecte Rafael Moneo la deuxième phase des travaux d’agrandissement de la gare madrilène de Puerta de Atocha. Cette grande gare du sud de Madrid, tournée vers la Méditerranée, a enregistré plus de 22 millions de voyageurs l’an dernier et sera agrandie pour accueillir jusqu’à 40 millions de passagers par an. Pour cette deuxième phase, une nouvelle halle souterraine avec deux quais de 420 mètres de long et quatre voies à écartement standard 1.435mm sera construite. Une opération qui fait un penser à la gare de Barcelona-Sants.

D’abord un tunnel

Actuellement, les lignes à grande vitesse du nord et du nord-ouest arrivent dans la gare de Chamartín (au nord de la capitale), tandis que le reste arrive à Puerta de Atocha, au sud de la ville. Jusqu’à présent, les deux gares n’étaient reliées que par deux tunnels Cernanias (RER) à voie large ibérique, inaugurés en 1967 et en 2008, une situation similaire Paris ou Londres, avec changements de trains pour aller d’une gare à l’autre. Ainsi, un voyageur arrivant à Chamartín, par exemple de León, à destination de Malaga, devait effectuer un transfert et se rendre à Atocha en métro, en Cercanías, en taxi ou tout autre moyen de transport.

Depuis plusieurs années, le gros œuvre d’un troisième tunnel à voies à écartement standard 1.435mm, entre les gares d’Atocha et de Chamartín était à l’arrêt depuis 2013 suite à la crise économique. Sa profondeur moyenne est de 45 m et il passe sous la Plaza del Emperador Carlos V, le jardin botanique et les rues d’Alfonso XII et Serrano. Les travaux ont repris depuis pour la partie voie/caténaire/signalisation. L’infrastructure est terminée et actuellement on en est aux phases de test.

Le coût total du tunnel – depuis 2008 – est maintenant estimé à 322 millions d’euros. Il sera exclusivement réservé aux AVE circulant en 1.435mm et sous 25kV, permettant ainsi une jonction Nord-Sud qui manquait cruellement au réseau espagnol grande ligne. Une fois le nouveau tunnel inauguré, la gare d’Atocha deviendrait la plaque tournante de tous les flux à grande vitesse de l’Espagne entière, reliant la Méditerranée à l’Atlantique.

Rénovation de la gare de Chamartín

Actuellement, cette gare dispose de 15 voies à écartement ibérique et de 6 voies à écartement standard pour les trains à grande vitesse AVE. La capacité supplémentaire est nécessaire à Chamartin pour faire face à l’expansion constante du réseau à grande vitesse dans le nord de l’Espagne. Pour 237,6 millions d’euros, la gare de Chamartín verra la construction des nouvelles voies 22 à 25. Le premier travail qui va être effectué consiste à remodeler l’avant-gare à écartement ibérique pour libérer de l’espace.

Viendra ensuite à l’agrandissement du hall de la gare pour l’adapter à un plus grand nombre de voyageurs, avec de nouvelles installations créées sur les nouvelles voies et des rampes remplaçant les escaliers mécaniques. La gare agrandie disposera également d’un espace dédié à l’enregistrement et aux contrôles de sécurité pour les passagers utilisant des trains à grande vitesse.

Rénovation de la gare d’Atocha

Atocha, au sud de la capitale, est une gare AVE depuis 1992, lorsque fût inaugurée la ligne à grande vitesse vers Séville, première d’Espagne. Les travaux sont plus conséquents. L’arrivée du tunnel implique de construire un nouvel espace souterrain qui aura deux quais et quatre voies 1.435mm et qui sera situé, à 45 mètres de profondeur, sous les voies actuelles 14 et 15 de Puerta de Atocha et sous une partie de la rue Méndez Álvaro. Il s’agit en fait de la phase 2 des travaux qui en comptent 3 au total. La phase 2 n’étant prévue que pour 2023, dans un premier temps les AVE Nord-Sud ne s’arrêteront pas à Atocha mais bénéficieront déjà des avantages du nouveau tunnel.

La toiture historique sera également remodelée et une passerelle sera construite par-dessus les quais afin d’unir les quartiers (entre l’Avenida Ciudad de Barcelona et Calle Méndez Álvaro), les deux côtés de la gare. Le nouveau lobby sera situé au confluent des rues Méndez Álvaro et Garganta de los Montes et une nouvelle salle sera construite en plus de la rénovation des salles actuelles. L’objectif est que le voyageur dispose d’un accès clair à la gare, et notamment aux 14 voies AVE actuelles.

Un accès à quatre voies sur trente kilomètres

Actuellement, les lignes ferroviaires à grande vitesse Madrid-Levante et Madrid-Andalucía partagent l’accès à la capitale du sud, qui arrive à un degré considérable de saturation. Avec la mise en service de deux nouvelles voies dans l’entrée sud de Madrid, quatre voies seront disponibles pour le trafic grande ligne, allégeant le goulot d’étranglement et permettant la réception d’un plus grand nombre de trains. Dans le but d’assurer toutes les fonctionnalités de ce corridor, Adif Alta Velocidad a également lancé le processus d’intégration de la LGV Madrid – Barcelone dans la section d’Atocha.

Au total donc, les investissements prévus, cofinancés par le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, sont les suivants:

  • Deuxième phase de rénovation de la gare de Puerta de Atocha: 423 millions d’euros;
  • Modification des voies ibériques 14 et 15 en voie normale et construction des voies 22 à 25 à la gare de Chamartín: 237,6 millions d’euros;
  • Coût total du tunnel Atocha – Chamartín: 322 millions d’euros

Soit près d’un milliard d’euros dans la capitale même, auquel s’ajoutent les 646,5 millions d’euros du quadruplement de la ligne entre Atocha et Torrejón de Velasco. Le rail espagnol porte un nom : mobilité du future.