Incongrue, l’idée d’associer le fret avec les trains de voyageurs ? Pas vraiment. Cela a existé et existe encore sur de petits réseaux. Mais l’idée émise ici est la mutualisation d’un train de nuit Francfort-Barcelone avec du fret. Mais quel fret ?
Lunatrain est une idée de l’association Objectif Train de Nuit, qui gravite autour de la mouvance écologiste. La vice-présidente Isabelle Chevalley est une parlementaire écolo suisse et le secrétaire général, Stéphane Coppet, président de France Nature Environnement des Bouches du Rhône. « Notre objectif est de remettre des trains de nuit à disposition des utilisateurs en Europe » peut-on lire sur leur site. Comme bien d’autres, Objectif Train de Nuit n’est pas satisfaite de la situation française et on ne peut que lui donner raison quand on voit ce qui se fait outre-Rhin et dans les alpes germaniques. Compte tenu des exemples étrangers, notamment en Europe centrale avec les ÖBB, l’association voudrait remettre les trains de nuit en France avec moins d’aléas quant à leur régularité, la fiabilité des réservations, et avec un effort conséquent en matière de propreté, de confort, complétés de nouveaux services à bord.
Le projet de train de nuit mixte passagers et fret a en tout état de cause achevé son étude de faisabilité dont les résultats seront officiellement présentés en fin d’année. Le comité de pilotage, auquel participent entre autres des sociétés de gestion comme LFP Perthus, qui gère le Perpignan-Figueras, a pour objectif d’associer ces agents internationaux autour d’un même objectif: apporter leurs propres expériences dans le secteur.
Consciente des problèmes de rentabilité, l’association défend ce principe d’une mixité fret/voyageurs des trains de nuit, afin que la mutualisation des trafics, la synergie entre la quantité (fret) et la qualité (voyageurs) permettent d’accéder voire de dépasser le seuil de rentabilité. « Les lignes de nuit n’étant pas rentables tout au long de l’année en raison de l’évolution des pics de demande, nous avons dû trouver un moyen de ne pas trop dépendre de la saisonnalité. »
C’est dans ce cadre qu’elle prône en premier lieu un train de nuit mixte fret/voyageurs sur la liaison Barcelone – Perpignan – Montpellier – Avignon – Berne – Strasbourg – Francfort. Pour démontrer sa faisabilité, Objectif Train de Nuit prend pour exemple le train-autos-couchettes : n’y avait-il pas dans ces trains des voitures voyageurs de nuit, avec des wagons porte-autos ? Nightjet d’ailleurs poursuit d’ailleurs cette option sur une poignée de relations au départ de Vienne, de Graz et d’Innsbruck. La Tchéquie aussi. Utile précision, ces wagons sont classés « D » (Ddm pour les intimes), soit l’équivalent des fourgons aptes au trafic voyageurs. La suite du classement, « E » à « Z », concerne les wagons de marchandises, rarement aptes au-delà des 120km/h, hors série spéciale.
La carte ci-dessus est celle du site et interroge quant au parcours. Elle ne devrait probablement pas être celle du document final. Objectif Train de Nuit ne compte pas faire appel à des tiers privés mais à (re)créer une coopération entre les entreprises étatiques. On peut y voir là la marque écolo qui parfume une bonne partie de l’association. Cela impose des contraintes sur les machines aptes « voyageurs », avec câblage électrique obligatoire, locomotives de surcroît interopérables. La DB utilisent des 101 inaptes à la France. La France ne met pas ses Traxx 186 Fret SNCF sur des trains de voyageurs. Les CFF ont aussi leur traction. Ca fait beaucoup de manœuvres d’attelage ! Mais c’est parfois aussi le cas sur certains Nightjets. D’autres trajets sont envisagés.
Ainsi une autre carte nous montre plutôt une route via Nancy et Dijon, plus logique quand on vient de Francfort. La mention de Strasbourg interroge : en venant de Kehl, on peut directement partir vers Colmar. Mais si on veut s’arrêter dans la capitale alsacienne, on pique alors vers le nord, supposant un demi-tour et un changement de machine, ou un détour via Nancy. Tout au sud, le train devrait – on l’imagine – prendre la LGV Perpignan-Figueras, supposant l’acceptation de la traction Renfe à Perpignan ou SNCF jusqu’à Barcelone.
Le journale El Mercantil donne une idée de à quoi ressemblerait le train : 185m de train voyageurs et 338m de wagons de marchandises. Les six voitures voyageurs peuvent être considérées comme optimistes hors saison, mais c’est figuratif. Les 1.400 tonnes suffisent pour 340m. Quid de la ligne de train ? On verra dans les détails. Lunatrain voudrait capter 200 passagers chaque nuit (dans les deux trains aller et retour ?), ce qui en fait un projet de niche, car on retire en fin de compte l’équivalent de 1,3 Airbus A320, guère plus…

Vient enfin l’horaire. El Mercantil parle d’un trajet « pur voyageur » Francfort-Strasbourg-Nancy, gare où une rame intermodale (ou autre) venant de Luxembourg (Bettembourg ?) viendrait s’y accrocher pour poursuivre sur Barcelone. Cette option ne parle déjà plus de la Suisse. Voyons dans les faits. Au nord, un Francfort-Strasbourg-Nancy prendrait un bon 4h00. A l’ancien horaire, un gros 8h00 est nécessaire sur Nancy-Montpellier. Des élus du Languedoc réclament déjà un arrêt à Montpellier, on imagine très tôt si on veut une arrivée à Barcelone à 10h00. En prenant large, nous aurions de manière (très) fictive :

Cet horaire très optimiste suppose « qu’on roule comme un train voyageur ». Or la plupart des meilleurs wagons conteneurs ne sont aptes qu’à 120km/h. Une série spéciale devrait être créée pour aller au-delà, renchérissant le coût du transport et de l’entretien. Il faut aussi prendre cela avec beaucoup de précautions avec réseaux ferrés gangrenés de nos jours par de multiples travaux et d’horaires allongés. Le train peut être considéré « fret P120 » et risque ainsi de collectionner les mises en voie de garage tout au long du parcours. Les promoteurs de Lunatrain sont parait-il en contact avec la Renfe pour louer du matériel roulant Talgo pour le prototype qui circulera entre Barcelone et Francfort. Pourtant, la Renfe semble vouloir transformer ses Talgos de nuit pour leur nouveau service lowcost. Deux rames seraient nécessaires et il faudrait faire en sorte que l’entretien se fasse de facto à Barcelone, tous les 4-5000 kilomètres, pour éviter de coûteuses formations de personnel à Francfort.
Enfin que recouvre de nos jours la notion de « partenariat » dans un monde où le droit a évolué plutôt vers la contractualisation et la responsabilité ? Dans l’ancienne « coopération » COTIF, il n’y avait rien de juridique. Le handicap de l’un signifiait que le voisin de faire avec et se débrouiller…Gageons que tout cela a été – ou sera pris en compte -, pour la réussite de ce projet plutôt atypique. À suivre…
>>> Le Site de Objectif Trains de Nuit
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