Chemin de fer : il faudra progresser avec l’existence des autres modes

Pour offrir un prix compétitif et un service fiable, une réduction des coûts d’exploitation est indispensable. L’enjeu essentiel est de savoir si le chemin de fer en est capable. Or, devant certaines difficultés de réduction des coûts, notamment les coûts fixes très défavorables au rail, la tentation est grande de s’attaquer aux autres modes de transports concurrents. D’où cette question : faut-il freiner le progrès des uns pour augmenter celui de l’autre ?

Il y a une grande tendance actuellement à vouloir remettre le chemin de fer au-devant de la scène. Pour deux raisons :

  • d’abord parce que le chemin de fer est un transport propre, et qu’il pourrait devenir un instrument essentiel pour que chaque pays puisse atteindre ses objectifs climatiques ;
  • mais aussi parce que certains cercles perçoivent le chemin de fer comme un outil favorable à leur idéologie politique.

La première raison ne fait pas débat. Hormis l’utilisation abondante de cuivre et d’acier pour sa conception, le chemin de fer utilise en effet une énergie verte, l’électricité, pour son exploitation, et probablement de plus en plus l’hydrogène sur les lignes non-électrifiées. Sur ce plan-là, le chemin de fer est effectivement un bon outil pour atteindre les objectifs climatiques. Et le train est gagnant aussi par la tonne d’acier nécessaire pour transporter une personne, comparé à l’auto.

La seconde raison est beaucoup plus discutable. On peut évidemment avancer que l’auto et l’aviation sont des modes de transport polluants, et qu’ils ont favorisé la mondialisation de l’industrie, de la finance et des déplacements. Mais il ne faut pas oublier non plus que les transports lourds – camions, autos, transport maritime et aérien – ne représentent que 27 % environ des émissions mondiales de gaz à effet de serre (22 % si on exclut les émissions aériennes et maritimes internationales). Cela signifie que les objectifs climatiques devront être atteints en s’attaquant à d’autres secteurs que le transport, notamment aux industries polluantes, au chauffage domestique et à l’isolation des bâtiments. Il est donc illusoire de s’attaquer uniquement à l’automobile et à l’aviation en prétendant que cela résoudra les problèmes climatiques. Une hypothèse domine selon laquelle la gauche préfère s’attaquer à la mobilité car elle représente une forte ségrégation sociale, plutôt que l’isolation des bâtiments qui risque de toucher son électorat précarisé, qui n’en n’a pas les moyens…

Il est évidemment stupide d’analyser le chemin de fer sous l’angle politique droite/gauche. Un train, un tram ou un bus peut autant donner une sensation de liberté de circulation, tout comme une entreprise de transport étatique n’est pas exemptée du capitalisme, puisqu’elle doit se fournir à l’industrie privée. Mais il y a pourtant des signes parfois inquiétants…

Que voyons-nous aujourd’hui ? On utilise la vague verte, astucieusement renommée « urgence climatique » pour étouffer tout débat, pour tenter de remettre en selle le transport collectif. Mais est-ce vraiment pour le bien du chemin de fer ? On peut en douter. Certains groupes politiques utilisent la cause climatique comme arme de guerre contre ce qu’ils appellent « le capitalisme automobile et aérien ». Si le train doit servir des causes idéologiques, on peut avoir la certitude qu’on est sur la mauvaise voie.

L’histoire politique nous apprend en effet que les idéologies de gauche n’ont jamais vraiment défendu le chemin de fer en tant que tel. Comme le souligne le chroniqueur britannique Peter Hitchens, les gouvernements de gauche au Royaume-Uni, dans les années 1960, 1970 et aujourd’hui, n’ont guère fait preuve d’imagination ou d’audace pour rénover ou développer le système ferroviaire britannique. C’est peut-être la peur de l’opinion publique, trop habituée au choix modal. Quel militant de gauche n’a pas de voiture ou n’en utilise pas ? François Mitterrand, un ancien cheminot, n’a rien fait pour sauver près de 10.000 kilomètres de petites lignes rurales, qui étaient censées « relier la France à sa population ». Et quand les conseillers ont évoqué le prix à payer et les multiples procès à venir pour (re)nationaliser les chemins de fer britanniques, l’ancien leader Jeremy Corbyn a rapidement enterré l’idée.

Comment cela est-il possible ? Tout simplement parce qu’au-delà des grandes utopies électorales, un boomerang revient toujours pleine figure : « le réalisme ». Ces présidents et ces gouvernements de gauche ont peut-être été soumis aux fortes pressions du lobby de l’industrie du pétrole et de l’automobile. Mais ce n’est pas l’unique raison. Ils ont surtout constaté que le chemin de fer pouvait parfois être une force politique hostile à leur action – davantage dans certains pays que dans d’autres -, mais surtout qu’il fallait un fleuve d’argent public pour les besoins d’à peine 10 à 15% de la population. Or, les finances publiques ne sont pas infinies et dans certains cas, il est nécessaire d’investir ailleurs, dans des secteurs bien plus urgents. Cette question est encore d’actualité aujourd’hui.

Beaucoup de politiciens constatent que d’autres mobilités pourraient permettre d’atteindre les objectifs climatiques. Des entrepreneurs « inventent » ainsi de nouvelles formes de mobilité, que ce soit au niveau urbain avec les trottinettes ou les vélos en libre-service, ou que ce soit au niveau de la motorisation électrique du parc automobile. Les opposants à ces mobilités font remarquer que, outre le grand désordre que cela provoque par leur arrivée soudaine, cette « liberté créative » n’aurait pas lieu s’il n’y avait pas les rues, les routes et les incubateurs de startup, payés avec l’argent de l’État. Ce n’est pas faux, mais cela ne répond pas à la question essentielle : faut-il empêcher cette « créativité » pour sauver le transport public ?

Cette question est une forme d’aveu : certains transports progressent plus vite que d’autres. Pourquoi ? Souvent parce qu’ils peuvent compter sur la créativité et le R&D généreux de leurs concepteurs, et qu’ils répondent aux demandent des utilisateurs et des industriels. Ainsi, quand un ferry peut transporter jusqu’à 450 remorques de camions entre la Belgique et la Suède (Zeebrugge-Göteborg), cela représente 10 à 12 trains intermodaux qui ne rouleront pas. Faut-il interdire ce ferry au motif qu’il fait une forte concurrence au rail ? Ainsi, quand 3 camionneurs répondent par mail en moins de 2 heures pour proposer un prix de transport, alors qu’il faut trois jours pour le chemin de fer, doit-on supprimer les routiers au motif qu’ils nuisent au business ferroviaire ?

Les grands intégrateurs, qui peuvent aligner des investissements énormes, sont aussi en position de force pour choisir le mode de transport qui convient le mieux. Le but de ces sociétés, c’est la satisfaction du client. Ils ne sont pas tenus de faire tourner une société ferroviaire défaillante sous prétexte que ce transport est « plus vert ». Si le chemin de fer fait défaut, ils choisiront immédiatement un autre mode de transport.

Même constat pour le transport public urbain : son côté « collectif » ne répond pas à toutes les demandes de mobilité, ni à tous les publics. De nombreux sympathisants qui apprécient pourtant les politiques de gauche sont souvent les premiers à se ruer sur les applications mobiles et la mobilité individuelle en libre-service. Ils participent activement au « capitalisme numérique » qui est pourtant tout le contraire de ce à quoi ils sont sensés adhérer. Faut-il interdire toutes ces nouveautés sous prétexte que cela déséquilibre les anciens modèles économiques du transport de masse ?

Bien entendu, la réactivité des camionneurs et du transport maritime n’est possible qu’au prix de grandes pollutions, d’encombrements des routes, de gaspillages d’énergie et de mauvaises conditions de travail. Le secteur routier ne paye pas ses nuisances ni sa pollution. L’aviation est trop faiblement taxée et a engendré une consommation très forte de voyages courts. L’arrivée de milliers de trottinettes a créé une vaste zone de non-droit car aucune réglementation ne les avait prévues. Ce nouveau business « barbare » a mis en péril le fragile équilibre des transports publics, tout comme Uber a violemment secouer le secteur protégé des taxis. Il est exact de dire aussi que ces nouveaux entrepreneurs ne viennent pas pour « collaborer », mais pour « accaparer » de nouveaux marchés, et qu’il s’agit davantage d’un capitalisme prédateur que visionnaire.

Pollutions, désordres urbains et capitalisme prédateur ne font certainement pas partie des outils pour atteindre les objectifs climatiques. Mais il ne s’agit pas non plus de promouvoir le transport public et le chemin de fer « à n’importe quel prix ». La Deutsche Bahn en 1990 mangeait tellement d’argent public que cela a abouti à la grande réforme de 1994. L’Allemagne a voulu rendre le transport ferroviaire moins cher en acceptant d’autres opérateurs, qui n’avaient pas les lourdeurs administratives des grandes compagnies d’État. La Commission européenne a adopté grosso-modo les mêmes principes, ce qui a été parfois mal vécu par certains pays. Ceux qui ont mis en place rapidement une politique réformiste ou de qualité ont eu le bon réflexe, mais n’ont en réalité réussit qu’à maintenir le rail la tête hors de l’eau.

Cette situation a surtout signifié une refonte du contexte social des cheminots. Certains groupes politiques en ont d’ailleurs fait leur principal argument, arguant que le service public « n’a pas de prix, quand cela protège les travailleurs ». Des conventions sectorielles ont renchérit en 2019 la masse salariale, sans que cela n’amène davantage de voyageurs dans les trains. On peut cependant se demander en quoi l’exception sociale d’un seul secteur serait indispensable pour atteindre les objectifs climatiques de tous.

Pendant ce temps, les autres moyens de transports, qui ne revendiquent aucune exception sociale, ont fortement progressé, pas seulement parce certains ont eu des avantages fiscaux, mais surtout parce qu’ils ont montré une grande créativité. Les pays qui ont adopté une politique protectionniste de leur chemin de fer n’ont pas mieux réussit dans le transfert modal. Trois suisses sur quatre ne prend jamais le transport public !

Réclamer plus d’investissements ne signifie pas qu’il faille revenir au temps des sureffectifs. Il faut éviter d’assimiler quantité d’emplois à qualité du service. Mettre 10 personnes sur un quai pour simplement observer le trafic ne mettra pas les trains plus à l’heure. C’est le système de signalisation qui décide de cela. S’il faut tant de personnes pour faire rouler un train, l’avenir du chemin de fer peut être questionné. L’arrivée des valises à roulettes a provoqué la disparition du métier de porteur à bagage. Les portiques automatiques ont liquidé les métiers de poinçonneur. Les passage à niveau automatiques ont éliminer les gardes-barrières. L’attelage automatique a fortement réduit le besoin d’agents de triage, par exemple sur les TGV. On constate malgré tout que les trains roulent tout aussi bien. Plutôt que de pleurer sur ces disparitions, la vraie question est de savoir si ces métiers sont encore des métiers dignes du XXIème siècle ?

D’autres secteurs ont pu démontré leur reconversion : l’invention du conteneur a certes tué la grande corporation des dockers qui était jadis nécessaire pour décharger un bateau. Mais les ports d’aujourd’hui fonctionnent bien mieux avec du personnel en moins grande quantité, mais plus spécialisé qu’en 1960. Un chemin identique, peut-être moins brutal, attend également le secteur ferroviaire s’il veut être un outil de développement d’avenir. Ce qui ne signifie pas un avenir entièrement robotisé, digital et déshumanisé.

Entre-temps, le coronavirus est arrivé et les trains se sont vidés, rendant le coût du transport ferré tout simplement intenable. La SNCF va supprimer des TGV peu remplis et en Grande-Bretagne, la perte nette pour l’année 2020 pourrait atteindre près de 2 milliards de livres. Certains observateurs estiment qu’en ces circonstances, soutenir sans compter « le chemin de fer voyageurs ne représente plus un bon rapport qualité-prix pour la collectivité dans son ensemble. » C’est cette critique qui fait rage en ce moment en Allemagne.

Que peuvent faire les institutions politiques ?
Elles peuvent simplifier leurs structures et clarifier leur processus, jouer sur la meilleure transparence possible, décentraliser vers le niveau local et, surtout, être un facilitateur plutôt qu’un gendarme.

Au cours des cinq dernières décennies, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse ont mis en place avec succès des associations régionales de transport public (appelées Verkehrsverbund ou VV), qui intègrent les services, les tarifs et la billetterie tout en coordonnant la planification des transports publics, le marketing et l’information client dans les zones métropolitaines. La recette n’est pas l’interdiction des voitures ou des nouvelles micro-mobilités, mais la collaboration et la consultation mutuelle des juridictions régionales et des prestataires de transport public dans toutes les prises de décision. Ces pays l’ont fait alors qu’on ne parlait pas encore d’urgence climatique ni de transport bas carbone. Simplement, il fallait rendre les centres-villes vivables en interdisant certaines rues aux voitures, ce qui est bien différent « d’interdire les voitures » tout court.

Dans le même esprit, la Suisse avait créé en 1992 une taxe sur le transit du transport routier. Il ne s’agissait pas d’argent frais pour payer les salaires des cheminots suisses, mais de fonds destinés uniquement à construire trois gigantesques tunnels pour soulager une infrastructure ferroviaire centenaire, et tenter de diminuer la quantité de camions sur les autoroutes. L’objectif n’était donc pas de renflouer une entreprise ferroviaire déficitaire « à n’importe quel prix », mais « de l’aider à faire mieux » avec de nouvelles infrastructures. C’est ce qu’on appelle un État stratège, par opposition à l’état interventionniste.

Le rôle de l’État est de fournir des infrastructures de services qui sont utilisées par de multiples acteurs. Un seul acteur n’est jamais en mesure d’offrir toutes les mobilités souhaitées, il faut toujours compter sur la multitude. En général, on peut dire qu’une politique de transport urbain réussie repose sur une planification intégrée de mesures qui combinent de nombreux facteurs. La mise en œuvre de solutions « sans voiture » n’a de sens que si les citoyens peuvent compter sur des services à un coût aussi compétitif que la conduite d’une voiture particulière, ce qui implique des coûts acceptables et un niveau de service élevé. Parmi les mesures efficaces, on peut citer l’aménagement intégré du territoire (nouveaux quartiers automatiquement desservis par les transports publics), la promotion des pistes cyclables et l’amélioration des transports publics en reliant les chemins de fer régionaux aux systèmes de tramway, par exemple par tram-train. La politique de stationnement et les mesures de modération du trafic contribuent aussi à plus de sécurité et à moins d’émissions. Ainsi, ces politiques de transport réussies ont permis de réduire l’utilisation des véhicules privés à environ 40 % de tous les déplacements personnels quotidiens (et même à 28 % à Zurich selon une étude). Il ne s’agit donc pas de politiques qui se contentent d’éponger les déficits et de perpétuer les anciens modèles sociaux, mais de véritables actions centrées sur les citoyens.

Mais il y a beaucoup de progrès à faire. Alors que d’autres secteurs, comme la distribution d’électricité ou d’eau, sont réglementés mais fonctionnent librement, l’intégration des transports publics nécessite un marché basé sur la collaboration plutôt que sur la concurrence. Bien que le terme « marché » implique un contrôle du secteur privé avec une réglementation du secteur public, un marché entièrement privé ou public créerait trop d’externalités négatives, telles que des prix fixes ou le manque d’options diverses. En cas d’intégration, les responsabilités sont divisées – un marché pour les clients, des infrastructures gérées par le gouvernement et des actifs gérés par les opérateurs -, mais l’objectif commun demeure. Toutefois, on constate parfois que certains acteurs publics perpétuent leurs rigidités, et une bataille s’engage pour savoir qui doit s’aligner sur qui. Dans de nombreux pays, les coûts de personnel des opérateurs privés ont dû être alignés sur ceux des entreprises publiques, sans pour autant amener davantage de clients dans les transports publics ou vider les rues de leurs voitures. Dans ce cas de figure, les transports publics ont été conçus principalement pour servir ses travailleurs plutôt que les citoyens. Certains groupes politiques radicaux défendent cette option : le citoyen doit s’aligner sur les offres de l’État, et non l’inverse. Selon eux, trop s’aligner sur les désirs de l’usager, c’est prendre le risque de précariser l’emploi…

La synthèse de cet article est de démontrer qu’on ne favorisera pas le report modal vers le rail en interdisant les autres transports de progresser, ni en promouvant le statu-quo dans la manière de faire du chemin de fer et du transport public. Il faut répondre aux demandes des utilisateurs, qu’ils soient citoyens ou industriels. C’est de cette manière qu’ils pourront revenir au-devant de la scène et jouer un rôle important dans la lutte contre le réchauffement climatique. Car pendant ce temps, les autres transports vont continuer de progresser et de se réinventer. Il n’y a personne pour interdire le progrès et la créativité. Les nouveaux entrepreneurs vont inventer d’autres applications informatiques. Les chargeurs choisiront les ports qui leur sembleront les meilleurs. Les industriels choisiront le transporteur qui répond le mieux à leurs attentes et les citoyens opteront encore pour la mobilité meilleure marché et sans contrainte. On améliorera aussi le sort du chemin de fer en favorisant une approche fiscale, méthodologique et globalisée du transport des personnes et des marchandises.

Dans la même veine :

2007 – Peter Hitchens – Why are trains left-wing, and cars conservative?

2011 – Tony Dutzik – Frontier Group – Rail: Neither Right Nor Left, But Forwardward

2020 – Sir Michael Holden – Time for a dose of old fashioned cost control

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Coronavirus : un personnel dévoué pour assurer le service ferroviaire

(english version here)

Depuis un mois, la communauté ferroviaire au sens large, qui assure le fonctionnement des services essentiels de transport de voyageurs et de marchandises, collabore étroitement avec les autorités publiques aux niveaux européen, national et régional pour veiller à ce que les besoins en mobilité du personnel de santé et des autres citoyens ayant des fonctions socialement critiques soient satisfaits, explique l’association Shift2Rail.

Les gouvernements et les opérateurs ferroviaires de toute l’Europe se sont mis d’accord sur de larges réductions du service des trains suite à la diminution des flux de voyageurs, les gens ayant modifié leurs habitudes de voyage pour éviter la propagation du COVID-19. Malgré l’urgence humaine et sanitaire de cette pandémie, il devenait essentiel de maintenir le fonctionnement de notre économie et les chemins de fer ont pu démontrer chaque jour qu’ils en étaient capables. Les opérateurs continuent d’assurer les services de base en veillant à ce que les gens puissent encore à se rendre au travail, à se déplacer chez leur médecin et à ce que la circulation des marchandises se poursuive.

Actuellement, nos chemins de fer fournissent un service minimal. Au Royaume-Uni, par exemple, les trajets ferroviaires ne représentent plus que 5 % des niveaux normaux, selon les derniers chiffres du gouvernement, tandis que le trafic aérien est en baisse de 92 % par rapport à 2019. Ironiquement, en Allemagne, le manque de voyageurs a provoqué une circulation des trains plus efficace. Bien qu’environ trois quarts des services longue distance de la Deutsche Bahn étaient exploités début avril, les retards – souvent dûs aux mouvements de voyageurs sur des quais bien remplis – furent circonscrits vu la forte baisse des flux, a déclaré sans rire un porte-parole.

 

Cela ne veut pas dire que tout va bien pour les compagnies de chemin de fer. Le personnel de contrôle à bord des trains est en première ligne et est le plus susceptible d’être contaminé, mais les conducteurs ou le personnel de cabine de signalisation aussi. La distanciation sociale est parfois très difficile dans les locaux du personnel. Depuis que la pandémie de coronavirus a frappé la ville de New York, par exemple, la Metropolitan Transportation Authority (MTA), l’agence qui gère le métro, les bus et les trains de banlieue, a payé un lourd tribut. Au moins 41 travailleurs des transports en commun sont morts et plus de 6.000 autres sont tombés malades ou se sont mis en quarantaine. Le manque de personnel a obligé à augmenter le temps d’attente moyen, généralement de quelques minutes, à environ 40 minutes, rapporte le Financial Times.

De nombreuses entreprises en Europe ont également perdu du personnel. Les chemins de fer sont confrontés à des défis sans précédent, mais les réseaux continuent de fonctionner au moment où l’Europe en a le plus besoin. La circulation des produits alimentaires, des produits pharmaceutiques et d’autres biens essentiels nous rappelle l’importance de nos réseaux de transport ferroviaire qui apportent ces biens de première nécessité aux gens. C’est un témoignage de la vitalité de notre système ferroviaire européen, des entreprises publiques et privées et de leurs travailleurs qualifiés et dévoués.

Nous pouvons ainsi rendre hommage à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui poursuivent leur travail dans des conditions difficiles, alors que vous et moi avons été tranquillement confinés dans nos foyers. Bien entendu, le même message doit être envoyé au personnel des hôpitaux et de nos magasins d’alimentation, ainsi qu’à toutes les personnes qui travaillent pour tout le monde, par exemple celles qui livrent nos colis.

Lorsque viendra le temps de distribuer les aides financières, il sera essentiel de se souvenir de la contribution des chemins de fer aux besoins fondamentaux de l’Europe. Des choix devront être faits. Le sauvetage financier doit être ciblé pour aider les secteurs qui sont les plus efficaces tout en étant les moins polluants.

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Le train sans accompagnateur : un débat sans fin…

Il est courant de nos jours de jouer la «carte de sécurité» pour susciter un appel émotionnel destiné à influencer le grand public et les influenceurs sur un point de vue particulier, en dépit de la réalité du terrain. Le train sans accompagnateur fait partie des thèmes émotionnels, parce qu’il est à la fois social, culturel et donc, politique. De nombreux commentaires ont paru ces dernières années dans la presse, dans les magazines ferroviaires, dans les programmes de radio et de télévision et des questions ont été posées au niveau politique. L’occasion de remettre les choses en ordre.

Il faut ainsi d’emblée distinguer le train « non-accompagné » du train sans conducteur. Ce sont deux choses radicalement différentes. Le premier se réfère à un train conduit par agent seul, où il n’y a pas de d’accompagnateur à bord pour le service. Tandis que le second est un train carrément sans conducteur, à l’image de certains métros automatiques. Nous avions déjà évoqué le sujet du train autonome il y a quelque temps.

La question de l’accompagnateur de bord est d’une nature plus sociale, et donc plus politique. C’est ici que le débat échauffe les esprits. En plus de répondre aux demandes des voyageurs, de vérifier les billets et d’aider les passagers à mobilité réduite à monter et à descendre du train en toute sécurité, les « gardes » – comme on le disait anciennement -, sont formés à la sécurité opérationnelle et à la connaissance du trajet, ainsi que des actions à entreprendre en cas de perturbations. Cela signifie qu’il faut de facto deux personnes pour faire rouler un train.

Cela fait déjà longtemps que se pose la question de savoir si deux personnes sont encore nécessaires sur les petites lignes à faible trafic. Mais on remarque aussi que sur les lignes à très grands flux, où les arrêts sont fréquents, comme sur le RER, le staff à bord devient peu utile. Que faut-il déduire de tout cela ?

Des raisons variées…

Les syndicats ont souvent déclaré que lors des enquêtes indépendantes menées à la suite d’accidents de trains, il était mis en évidence l’importance du personnel de bord formé aux procédures d’évacuation et à la protection. La sécurité est donc bien le motif prioritaire avancé pour conserver un accompagnement à bord.

Mais il y a bien évidemment un aspect social derrière tout cela, qui n’est pas négligeable. La présence de personnel à bord rassure, surtout en fin de soirée, lors des derniers trains, particulièrement dans les banlieues des grandes villes, où la clientèle féminine n’est jamais très à l’aise de rentrer tard à la maison. Puis il y a aussi, pour les usagers, le fait d’être en règle. Souvent, il y a la queue au guichet ou l’automate de vente, quand il n’est pas en panne. Les clients arrivent très souvent en dernière minute. Et quand ils n’ont pas de ticket, ils sont contents de trouver quelqu’un à bord pour en acheter un.

Le deuxième point concerne l’emploi : devenir accompagnateur de train ne demande pas un grand diplôme universitaire ni un MBA. Le métier est à la portée de beaucoup de monde, tout spécialement chez ceux qui « n’iront pas très loin », et qui trouveront malgré tout un emploi, un métier plus « social », au contact avec les gens. Le chemin de fer comme acteur social, c’est un aspect qu’il ne faut pas négliger.

Il existe cependant des motivations à ne plus accompagner certains trains. Crachats, insultes, rébellion, certains accompagnateurs ne veulent plus travailler sur les lignes sensibles ou à certaines heures du soir, quand les bandes de jeunes sévissent ou que les ivrognes violents terminent la soirée sans savoir où ils vont. Ce phénomène de société est bien évidemment généralisé dans tous les transports publics, que ce soit dans les bus, les trams ou les métros, dont les stations sont, le soir, sans personnel. Cette question sensible pose finalement une double équation : comment protéger à la fois le personnel, et les usagers dans les trains du soir ?

Le train sans accompagnement

De nombreux réseaux songent à exploiter certains trains avec seulement le conducteur. En Autriche, aux ÖBB à long terme, les trains locaux et régionaux ne devraient plus avoir que le conducteur à bord, disait-on en 2010 déjà. Des brigades iraient « au hasard » dans les trains et vérifieraient les billets. C’est un peu le sens que l’on retrouve dans d’autres pays. Ce n’est finalement pas encore le cas.

En 2016, la SNCB avait eu l’intention de prévoir des trains sans accompagnement à bord. Le projet fut définitivement rejeté ce printemps par la compagnie. Le personnel de bord avait cependant déjà constaté avec amertume qu’il n’y avait plus de compartiment réservé au personnel sur les automotrices Desiro, confirmant un projet qui avait mûri déjà bien plus tôt dans les années 90 et 2000.

Le sujet des concessions ferroviaires, ou délégation de service public, fait débat. Certaines autorités de transport n’obligent pas les opérateurs à placer systématiquement un accompagnateur à bord. Les syndicats de plusieurs pays soutiennent qu’il y a là une distorsion de la concurrence, puisque l’accompagnement à bord, obligatoire dans les entreprises d’État, rend de facto les offres remises aux autorités organisatrice plus chères que les opérateurs privés. Il est piquant de constater que ceux qui font de telles offres s’appellent notamment Keolis, Abellio ou Arriva, autrement dit, des filiales privées d’entreprises publiques. Faire ailleurs ce qu’on ne peut pas faire chez soi…

Pourtant, le train avec agent seul existe déjà. Principalement sur de petites lignes locales qui n’ont pas grands flux. A contrario, les S-Bahn allemands et certains réseaux ferrés suburbains en Europe n’ont pas non plus d’accompagnement à bord. Sur ces réseaux, les stations disposent souvent de portillons d’accès, qui contrôlent les billets ou les abonnements. La conduite par conducteur seul est loin d’être une nouveauté.

Annonce des arrêts et du départ par le conducteur lui-même sur certains trains locaux de la Deutsche Bahn (photo OPNV report 2017)

Au Danemark, la compagnie de chemin de fer d’Etat DSB a commencé à mettre en œuvre le train sans accompagnement sur son le réseau S-train de Copenhague en 1975. Il s’agit cependant d’un réseau ferroviaire qui se rapproche davantage d’un gros métro, où certaines stations disposent de portiques.

Au début de 2013, DSB a également utilisé des trains exploités par un seul homme sur les deux petites lignes ferroviaires régionales Svendborgbanen et Aarhus nærbane. Les trains exploités par le privé Arriva sur le réseau rural à voie unique du Jutland sont aussi opérés par un seul agent depuis 2003. La petite entreprise ferroviaire Nordjyske Jernbaner, qui roule dans la plupart des régions peu peuplées du Nord du Danemark utilise exclusivement des trains exploités par un seul homme.

En France, en 2014, près 6.500 trains sur les 15.000 roulaient sans contrôleur à bord. C’était le résultat d’une organisation apparue dès les années 1980 en Ile-de-France. Les Franciliens ont déjà l’habitude des contrôles aléatoires de validité des billets effectués, dans les rames ou sur les quais, par des brigades de trois ou quatre contrôleurs. La SNCF avait mis en place le système EAS, qui signifie « équipement avec agent seul », uniquement sur les TER, les trains locaux, ce qui créa bien évidemment une polémique retentissante.

Sur l’ODEG, un privé en concession autour de Berlin

Au Royaume-Uni, le DOO fut négocié dans les années 1980. Il s’agit du Driver Only Operation. Le conducteur est seul responsable du train et du contrôle des mouvements, ainsi que du fonctionnement des portes et du départ. Il a été introduit pour la première fois sur la ligne Bedford – St Pancras en 1982. Il fut ensuite étendu à d’autres itinéraires intérieurs de banlieue autour de Londres et de Glasgow et est maintenant utilisé sur le London Overground et le Thameslink. Dans le métro de Londres, le DOO (connu sous le nom de OPO – One Person Operation) a été introduit sur les lignes Circle et Hammersmith & City Line en 1984 et fut ensuite étendu à toutes les autres lignes en 2000 en tant que précurseur de l’ATO sur les lignes susmentionnées. Mais concernant le métro, on ne parle plus vraiment de la même chose, étant donné que les stations disposent de portiques d’accès, donc de contrôle des billets.

Aux Pays-Bas, certaines petites lignes ont été concédées dès les années 2000 à des opérateurs privés. Arriva, Connexxion, Breng, Syntus et Veolia n’ont pas de chef de train, mais une brigade d’inspection qui voyage à l’occasion. L’entreprise publique NS, en revanche, a conservé ses ‘chef-gardes’, même sur les trains locaux.

Un steward était encore présent sur le Merwede-Lingelijn et le Vechtdallijnen d’Arriva, pour la vérification des billets et le service. Mais récemment, Qbuzz, qui a repris une ligne à Arriva en décembre dernier, peut placer moins d’accompagnateurs sur ses trains locaux. « Nous répondons aux exigences de la province, qui est autorité de transport », a déclaré la porte-parole Susan Zethof. « Un accompagnateur doit être présent sur les deux tiers des trains, c’est à dire aux heures de pointe ou d’autres périodes de pointe. » Il n’y a donc plus d’accompagnement en heures creuses. Il est intéressant de noter ici que c’est l’autorité provinciale des transports, et pas le prestataire mandaté, qui a pris cette décision.

Sur le futur CEVA, le réseau régional de Genève avec son antenne en France, la conduite depuis Annemasse vers la Suisse se fera à agent seul, alors que du côté français la région sera libre de choisir et de négocier avec les syndicats, sans que cela n’interfère avec la pratique suisse. Une belle démonstration des différences culturelles. On devine que cela arrange les suisses, qui ne veulent pas être pris en otage par les grèves françaises comme on l’a vu au printemps 2018. À chacun sa culture sociale…

SNCB : quai en courbe à la gare. de Bruxelles-Luxembourg. L’accompagnateur de train ne peut pas voir la totalité du train.

La crainte de l’accident

Ce thème revient souvent. Lors d’une session parlementaire, le syndicat anglais RMT rappelait la « complexité de certaines gares d’époque victorienne », avec ses magnifiques supports très esthétiques mais qui empêche de voir convenablement sur toute la longueur d’un train. Il est généralement admis que la conduite à agent seul est possible sur des trains de longueur limitée, ou sur des réseaux où les gares ont un accès fermé, comme sur certains S-Bahn allemands.

Mais dans les deux cas, rappelle un syndicat français, rien n’empêche quelqu’un de tomber entre le quai et le train. Si l’argument est légitime, il semble cependant curieux. Ce problème de chute s’applique aussi aux… métros, dans lesquels il n’y a aucun agent d’accompagnement.

Il faut cependant rappeler que les métros sont classés dans les trains légers, et qu’ils obéissent dès lors à des règles moins contraignantes. Le chemin de fer est soumis à des règles beaucoup plus strictes, en tant que « chemin de fer lourd », et l’évolution sociétale a encore davantage alourdi les règles de sécurité, par crainte de plaintes et de la forte protection des consommateurs qui est d’usage aujourd’hui dans les pays modernes.

Les technologies devraient permettre aujourd’hui de s’assurer par exemple que toutes les portes sont bien fermées avant le départ du train. Par exemple à l’aide d’un seul écran centralisé. Ce n’est pas le cas sur la plupart des matériels roulants, où une visualisation à l’œil nu reste toujours nécessaire. Ce qui induit donc la présence d’une seconde personne à bord. Par ailleurs, il est admis par tout le monde qu’aucun système aussi perfectionné soit-il ne peut être assurer à 100% sans défaillances. Or, l’humain fait lui aussi partie des défaillances, on l’oublie un peu trop souvent.

Evolution

La technologie va-t-elle faire évoluer le métier ? Vaste question et réponses variées. Le contrôle des billets sur les trains longues distances a déjà une application.

 En 2017, la Deutsche Bahn faisait une expérience d’inspection sans billet appelée « Komfort Check-in ». Vous confirmiez simplement par téléphone portable que vous avez pris sa place et ainsi validé le billet – sans contrôle humain. La technologie fut testée sur deux liaisons Dortmund-Stuttgart et Stuttgart-Essen. Il s’agit ici des trains longue distance, et le test ne concernait pas les trains régionaux et locaux.

En 2018, ce service était disponible sur tous les trains grandes lignes. Mais il s’agit ici avant tout d’une opération de digitalisation. Par le chargement d’une app, obligatoire pour obtenir le service, la DB obtient de précieuses informations sur ses clients et peut « les retenir ». Le staff est toujours présent à bord des trains longue distance en Allemagne et peut vaquer à d’autres tâches d’information.

Paradoxes et confusions

De manière globale, la disparition du personnel de bord sur les trains longue distance n’est pas à l’ordre du jour. Mais la question demeure en ce qui concerne les trains régionaux, dont les réseaux disposent de gares « ouvertes », sans portiques d’accès, c’est à dire la toute grande majorité des gares et arrêts en Europe.

Comme le dit Chris Jackson de Railway Gazette, tout au long de l’histoire du chemin de fer, les rôles du personnel ont évolué face à l’innovation technique et aux nécessités économiques, et la direction, les syndicats et les régulateurs doivent reconnaître le caractère inévitable du changement. George Bearfield, directeur des systèmes de sécurité au Rail Safety and Standards Board (RSSB) du Royaume-Uni, estime que « certains débats autour de la sécurité avec la conduite à agent seul sont devenus confus et politisés », ce qui n’aide pas à « avoir une vision rationnelle et objective du risque. »

Il est vrai qu’on a déjà vu des trains annulés uniquement parce qu’il n’y avait pas d’accompagnement à bord, alors que le conducteur est présent pour conduire. Ces trains doivent par après rouler à vide pour rejoindre leur destination initiale et faire revenir le train dans le roulement quotidien. Un très gros gaspillage d’argent public et une image désastreuse du chemin de fer auprès du public.

D’un autre côté, les citoyens cultivent aussi des idées paradoxales : ils veulent du personnel partout, dans les trains, dans les gares, aux guichets, mais ils ne veulent pas que ce personnel soit payé pour seulement regarder passer les trains ou ne rien faire quand il n’y a pas de client à servir. Cherchez l’erreur…

Il n’empêche, davantage de personnes traversent les gares et prennent le train. Cela demande certainement beaucoup plus de surveillance dans certaines gares de plus en plus fréquentées. L’objectif primordial doit être d’assurer une flexibilité suffisante pour positionner suffisamment de personnes compétentes aux bons endroits et au bon moment. Ce n’est pas facile…

Références :

2009 – Zeit Online – Die armen, bösen Schaffner

2010 – Die Presse – ÖBB-Züge sollen wie U-Bahnen werden

2016 – Transportrail – Exploitation de CEVA : la confiance règne !

2016 – Rail Future/Jerry Alderson – Train staff duties

2017 – Railstaff – DOO – Analysed & Explained

2017 – Railway Technology – Driver-only trains and safety: what’s the big issue?

2018 – Spiegel Online – Komfort Check-in in allen ICE-Zügen verfügbar

2018 – The Independent – Train guards: what do they do and why are unions fighting to keep them?

2018 – AD.nl / Chantal Blommers – Conducteur verdwijnt buiten de spits op MerwedeLingelijn

2019 – Deutsche Bahn – Travel without ticket checks