Les trains de voyageurs américains toujours à la peine…

(See english version)

Le Southwest Chief passe sous la célèbre route 66 à Laguna, sur le réseau du BNSF (le 20 février 2020, photo Jerry Huddleston via license flickr)

Amtrak, l’entreprise subsidiée qui s’occupe des services voyageurs aux États-Unis en utilisant abondamment les voies d’autres opérateurs privés, doit se battre pour obtenir une meilleure ponctualité. Et ce n’est pas gagné.

Amtrak (de son vrai nom The National Railroad Passenger Corporation) est une société à but lucratif créée par le Congrès américain dans le cadre du Rail Passenger Service Act de 1970. Elle assume des obligations de service public voyageurs en échange du droit d’accès prioritaire aux réseaux gérés par des opérateurs ferroviaires privés.

« Pourquoi les trains d’Amtrak sont-ils si horribles », questionne un magazine ? (1)
Le magazine Vox explique que l’échec – considéré comme lamentable -, du transport ferroviaire voyageurs aux États-Unis est le revers de la médaille du succès du transport ferroviaire de marchandises. Les chemins de fer américains transportent une part beaucoup plus importante de marchandises que leurs homologues européens. Le fret ferroviaire est en effet un secteur qui peut être très profitable.

>>> À lire : Les trains aux USA ne sont pas géniaux, mais les américains s’en tapent !

De son côté, Amtrak ne possède qu’environ 970 des 33.800km des voies ouvertes au service voyageur (2), sur lesquelles ses trains circulent. Amtrak est en minorité et représente tout ce que l’Amérique déteste : une entreprise subsidiée (3). L’Amérique lui donne une image de transport pour personnes âgées ou pour personnes sans emploi, des « vagabonds » qui ont le temps. L’Amérique qui « travaille » est au contraire celle qui prend l’avion ou exploite des entreprises rentables. Une caricature ? Sûrement, mais il y a un fond de vérité.

En vertu de la loi fédérale, Amtrak dispose théoriquement d’un accès privilégié à l’ensemble du réseau ferroviaire national, y compris aux propriétés des chemins de fer hôtes telles que les bâtiments des gares, les quais et autres installations à usage des voyageurs :

  • Accès à toute ligne ferroviaire aux États-Unis;
  • Utilisation des installations ferroviaires du réseau « hôte »;
  • Obtention des tarifs basés sur le coût différentiel du réseau hôte;
  • Préférence d’Amtrak par rapport aux trains de marchandises;
  • Sillon horaire accéléré.
Le Southwest Chief dépasse un convois du BNSF en attente (photo de el-toro via license flickr)

Mais malgré la loi, ce système d’hôte ne semble pas fonctionner avec la satisfaction voulue. Il n’existe actuellement aucun moyen pour Amtrak de faire valoir ses droits de préférence. Selon l’opérateur national, ses services continuent de subir des retards importants alors que les lignes appartenant précisément aux chemins de fer de fret ont bénéficié d’investissements publics, par exemple en augmentant la capacité des voies sur les voies partagées pour améliorer la fiabilité des services de fret et offrir de la croissance aux opérateurs privés.

Politiquement puissant
Le poids du secteur du fret ferroviaire est aujourd’hui écrasant aux États-Unis. Son déclin important jadis, dans les années 60 et 70, avait abouti au Staggers Rail Act de 1980, qui a largement déréglementé l’industrie ferroviaire. Aujourd’hui, ce secteur est considéré comme l’un des systèmes de fret les plus dynamiques au monde. Ce secteur de 60 milliards de dollars est exploité par sept chemins de fer de classe I (chemins de fer dont les revenus d’exploitation sont de 433,2 millions de dollars ou plus), 21 chemins de fer régionaux et 510 chemins de fer locaux. Les chemins de fer de fret américains fournissent également 221.000 emplois dans tout le pays et sont des organisations privées qui sont responsables de l’entretien et de l’amélioration de leurs propres actifs. La majorité des investissements sont destinés à l’entretien du matériel roulant, tandis que 15 à 20 % des dépenses d’investissement, en moyenne, servent à améliorer la capacité (4). Dans ce contexte, Amtrak ne représente qu’un petit puceron…

Une voie ferrée inadaptée
Les trains de fret n’ont pas besoin de vitesse mais de capacités. Des trains de 3 à 5.000 tonnes sont susceptibles, même à faible vitesse, d’abîmer la voie. Les rails sont écrasés et usés rapidement. Au moins les trains roulent vite, au plus on peut reporter la maintenance et les réparations. Cette politique est contraire à l’exploitation d’un chemin de fer de voyageurs moderne où circulent des trains à 130 ou 160 km/h. La vidéo ci-dessous n’est certes pas représentative de l’ensemble du réseau ferré américain, alors que certaines voies sont heureusement mieux entretenues.

La réalité américaine montre souvent des travaux de voies importants, mais pour le compte des sociétés détentrices, comme ici sur le réseau du BNSF.

(photo BNSF)

En 2016, dans une tentative d’évincer définitivement Amtrak, la puissante Association of American Railroads (AAR) fut favorable à ce que les chemins de fer aient la possibilité de donner la priorité aux trains de marchandises par rapport aux trains de voyageurs. Mais le Surface Transportation Board (STB, le régulateur américain) a retiré cette proposition et décida de considérer comme « essentiel » la ponctualité des arrivées et des départs dans toutes les gares pour les trains de voyageurs. (5)

L’affaire dépassa par la suite le seul cadre du secteur ferroviaire puisque les plaintes ont été déposées… par les clients du fret ferroviaire eux-mêmes. Les associations des secteurs de l’automobile et de l’alimentation animale et des céréales exprimèrent « de sérieuses inquiétudes quant à la fiabilité du réseau ferroviaire de fret du pays. » Face à ces plaintes, le STB demanda des rapports à six chemins de fer de classe I : BNSF, Canadian National, Canadian Pacific, CSX, Norfolk Southern et Union Pacific.

L’idée vînt alors à Amtrak de fournir elle-même un rapport de situation. Le premier a été dévoilé en 2018, classant six réseaux de chemins de fer de classe I sur base des données horaires et de la fréquence de leurs retards, ce qui faisait baisser les performances de deux des opérateurs de fret en particulier (6). Une vidéo de la compagnie est diffusée pour expliquer les retards endémiques.

Au cours des trois années 2017-2019, dans un système typiquement américain, Amtrak a payé en moyenne environ 32,8 millions de dollars chaque année en guise “d’incitatifs” aux chemins de fer hôtes de fret ferroviaire. Malgré cela, pour les 9 premiers mois de l’exercice 2019, la société indiqua que les chemins de fer de fret étaient responsables d’environ 59% des retards sur ses itinéraires longue distance.

Tout cela a conduit à l’idée de permettre à Amtrak de franchir une étape supplémentaire : poursuivre “les réseaux hôtes” qui ne respectent pas la loi des priorités. Un sénateur de l’Illinois, Dick Durbin, a présenté un projet de loi qui donnerait à Amtrak le droit d’intenter une action en justice contre les opérateurs de fret si l’activité sur les voies affecte la ponctualité du transporteur de passagers.

Un train de marchandises del’Union Pacific dépasse un train Amtrak arrêté à Martinez, CA. Les travaux de voie à Ozol ont engendré une mise à voie unique. Une fois le fret passé, le train continuera jusqu’à San Jose (photo de Patrick Dirden via licence flickr)

Combien « coûte » un voyageur en retard ?
Cette manière typiquement américaine de régler un problème sème le doute : faut-il faire fonctionner un chemin de fer de voyageurs correct par le biais d’une armée d’avocats ? On peut alors mesurer à quel point le système européen est en définitive plus efficace, même si inversement en Europe, ce sont les opérateurs de fret qui subissent le même sort qu’Amtrak.

Surtout, en Europe, la gestion des voies ferrées est restée une compétence d’État, que ce soit par le biais d’une entreprise indépendante ou par une société intégrée au sein d’un opérateur historique. La législation européenne oblige chaque réseau à accepter tout nouvel opérateur, munis des conditions d’accès ad-hoc. Il y a encore des conflits, mais la grande différence en Europe est que le réseau est avant tout conçu pour le service ferroviaire voyageurs, ce qui rehausse la qualité des voies. Les trains de marchandises ont aussi quelques limites de poids à l’essieu et n’abîment pas autant la voie.

Le train n°5 California Zephyr d’Amtrak arrive à Colfax. La plupart des voies de croisement sur Donner nécessitent une manoeuvre d’aiguillage… manuelle ! C’est le chef de train qui aura le plaisir d’effectuer cette tâche, tandis que le chef de train adjoint jouera le rôle de l’agent de circulation (photo et explications bien nécessaires de Patrick Dirden via license flickr)

Il est peu probable qu’une solution acceptable soit trouvée aux États-Unis, tant les intérêts sont conflictuels. Certains commentateurs, comme Jim Blaze du magazine ‘Railway Age’, n’hésitent pas à comparer le retard voyageur et marchandise en termes de « coûts », ce qui ferait hurler en Europe. « Ce sont les clients du fret qui paient des coûts entièrement répartis pour l’ensemble des voies et des capacités de la compagnie ferroviaire. Amtrak ne paie qu’une fraction de ce que nous appelons les coûts évitables des compagnies de chemin de fer. La valeur des retards estimée par Amtrak pour ses trains longue distance est relativement faible comparée à ceux de la logistique. »

Une solution à l’européenne ?
Le problème pourrait être solutionné par des lois solides qui doivent être respectées par tous les opérateurs, avec des contrôles périodiques. Amtrak étant une compagnie d’État, le Congrès devrait demandé des comptes chaque année aux opérateurs privés, par exemple en mettant dans la balance certains subsides pour des travaux de réseau avec les taux de ponctualité.

Le projet de loi du sénateur de l’Illinois va peut-être remettre les choses en ordre. « Certaines compagnies ferroviaires sur lesquelles Amtrak opère ont ignoré la loi sur la préférence des trains de voyageurs pendant beaucoup trop longtemps, retardant nos clients de plus d’un million de minutes en 2018 » expliquait l’an dernier l’ancien CEO d’Amtrak, Richard Anderson. « Le Rail Passenger Fairness Act est un texte législatif essentiel et nous sommes impatients de travailler avec le Congrès pour faire avancer son examen. Ce projet de loi met les gens au premier plan et nous aide à amener nos clients là où ils veulent aller à l’heure ». (7)

Nous allons être très attentif à la suite donnée à ce projet d’amélioration des services voyageurs aux États-Unis, alors qu’Amtrak est toujours accusée de manger des subsides publics sans moderniser ses trains et son exploitation…

Terminons par cette note positive du New York Times Magazine qui explique qu’Amtrak s’accroche à l’espoir qu’un jour, les gens verront ses services non pas comme quelque chose qu’ils doivent craindre et détester, mais comme quelque chose qui est vraiment agréable et qu’ils ne détestent plus. (8)

(1) 2016 – Vox – Matthew Yglesias – Amtrak turns 45 today. Here’s why American passenger trains are so bad.

(2) Le réseau total est de 250.000 kilomètres de voies

(3) 1997 – Cato Institute – Stephen Moore – Amtrak Subsidies: This is no Way to Run a Railroad

(4) United States Department of Transportation  – Freight Rail overview

(5) 2016 – Progressive Railroading – STB withdraws proposal to prioritize freight trains over Amtrak

(6) 2018 – Supply Chain Dive – Edwin Lopez – Amtrak blasts freight railroads’ ‘undisciplined’ operations

(7) 2019 – Daily Kos – Amtrak’s late because of freight train precedence? Fine, let’s sue the freight companies!

(8) 2019 – The New York Time Magazine – Caity Weaver – The train across America

« Pendant l’hiver, il y a beaucoup de déneigement et nous avons été garés ici pendant un certain temps en attendant le passage d’un train de travail » (photo et commentaire de Loco Steve via license flickr)

cc-byncnd

Dear railway commuters : be glad you’re not japanese !


24/06/2018 – By Frédéric de Kemmeter – Railway signalling and freelance copywriter – Suscribe my blog
(Version en français)
🟧 Back to homepage 🟧 See our brief news

The greater Tokyo metropolitan area, which is spread over 3 prefectures has a population that is estimated to be over 36 million. That means the greater Tokyo area alone is home to 25% of Japan’s population in an area of approximately 13,500 km2. Every day, 2,400,000 people commute to the city center for work or school. These impressive numbers show that what might appear to be chaos in public transportation is in fact something quite orderly. Japanese culture, very particular, helps to manage such a traffic …

Tokyo, a big megapole (picture Marco Verch via license Flickr)

Japan’s first railway (28.9 km) was opened in 1872, 47 years after the first steam railways in Great Britain. It was built by British engineers and ran between Shimbashi and Yokohama with a journey time of 53 minutes stopping at six stations.

The first station of Tokyo is the Shinjuku station. It was opened in 1885. It was previously a stop on the Akabane-Shinagawa line (now part of the Yamanote Line). The opening of highway lines – Chuo, Keio and Odakyu – resulted in increased traffic through the station. Subway services at the station started in 1959.

An other station, the main station of Tokyo, is located near Kōkyo, the imperial palace, and the district of Ginza. The station is the terminus of Shinkansen in Tokyo. It was designed by the architect Tatsuno Kingo, and was commissioned on December 18, 1914. It was destroyed during the Tokyo bombings in May 1945 and largely rebuilt in 1947, it was fully restored in 2012.

Since then, other stations have been built all over the country. When you speak about railways stations in Japan,you enter another world. What is supposed to be chaos is actually a well-ordered movement, a conception of things improbable in our Latin and American cultures.

The Tokyo Main Station, operated by JR East and JR Central, is an impressive 1,000-feet long (304 meters). It’s the busiest station in Japan in terms of number of trains per day (more than 3,000); 350,000 passengers pass through its turnstiles on a daily basis. The station also reportedly earns more revenue than any other station in Japan. It has 14 lines, including the Tokaido Shinkansen, the most heavily traveled high-speed rail route in the world.

The trains operating in Tokyo are involved in a mass migration movement, as we know them in all the major cities of the world. But in Tokyo, everything seems more crazy than elsewhere. Tokyo’s rush hour moves the populations of whole countries within the confines of the city boundaries every morning and evening. According to the Ministry of Land, Infrastructure, Transport and Tourism the hourly number of passengers increases to nearly 80,000 during morning rush hour. It is a mass migration movement where the density of people on the trains is close to the practical maximum to the point any train ride becomes uncomfortable. For example, 3.5 million people use the station each day, making it the busiest station in the world in terms of passenger numbers.

The Shibuya Toyoko Line (picture Joi Ito via license Flickr)

How to find one’s way in the maze of Japanese train stations?
The Japanese railway stations are not great monuments of architecture. Here in Tokyo, there is no Calatrava or architecture agency, but many sobriety. We don’t find these huge new stations as in China, which are very recent and take advantage of the drastic update of the Chinese railway. In Tokyo, the train stations were built over the decades, with the increase of the traffic.

The example of the Shinjuku station is really a incredible collection of separate stations run by seven different companies, all connected together by a myriad of passageways and tunnels. From early morning till late at night incessant streams of people of all ages and types hurry along who knows where. Most foreigners find the place scary, but unaccompanied schoolchildren six year olds can be seen passing through on their way to school, completely unfazed by the tumult around them.

An western resident told: « I used to like riding trains in Japan and even thought it was interesting to watch how everybody manages to navigate all the train lines. Not so much anymore. Sure, compared to most other countries it works, but the crowds… People everywhere. » Another user adds: « While I never felt ‘lost’ the harfest part i found was when coming out of large Stations, even though my guide book told you which exit to take some of the large stations have upwards of 25 exits and finding the one you want is tricky especially with the volume of people, we just decided to ‘get out’ of the Station and see where we were exactly. »

The famous ‘train stuffing’
Taking the train during the rush hour in Tokyo is a traumatic experience suffered by millions of commuters every day. This is where the London commuters must be happy with their daily life, comparing with Tokyo! We all know these famous pictures of the « pushers » on the subway or the suburban trains. It’s not a legend, it’s a reality. A whole population seems to be rushing to one of the 769 railways and bus stations, wait in long queues, cram themselves into overcrowded carriages, fight for breathing space whilst being crushed further into the carriage by uniformed « oshiya » in white gloves, The train is so stuffed with people that you feel like you could not even breathe or move inside the train compartment. The Japanese have a term for this daily challenge: « tsukin jigoku » (commuter hell). Railway networks in Tokyo carry 40 million passengers daily with an average overcrowding ratio of 166% ! Japanese commuters must deploy a refined art to push themselves and enter a train. It looks like a kind of a challenge to reach a rate of 200%. This video must be watched until the end, so much is it explicit …

Bad temptations…
If this daily compression never degenerates into conflict, it causes however another problem which increases dramatically. ‘Chikan’, the Japanese term for ‘groping’, a catch-all term that covers groping, sexual rubbing and surreptitious mobile phone photography. This become a real scourge in the Japanese city. This is obviously not difficult to understand. Japan’s problem with chikan is widespread. In surveys conducted by train companies, as many as 70 percent of young women say they have been groped, mostly on commuter trains.

So much so that on some lines, railways were obliged to restrain somes cars with access only for women. According the Japan Times, figures from the Metropolitan Police Department show that 1,750 cases of groping or molestation were reported in 2017, of which 30 percent occurred between 7 and 9 a.m. during the morning rush hour. More than 50 percent of sexual harassment cases occurred on trains, the report says, with a further 20 percent occuring in train stations. The Japanese police now send civilians workforces to the most affected lines and have allowed the arrest of ‘gropers’, sometimes specialized gangs.

Answer to the problem of ‘Chikan‘…

Despite this, the Tokyo authorities are trying to demonstrate that the city is one of the safest cities in the world. It is obviously recommended that tourists avoid rush hours to visit the city. For those who are in Tokyo for business, it’s something else. Better to choose a hotel not too far from your meeting place. Tokyo also has a network of buses and a flotilla of taxis, but most travellers find that the trains cover all their transportation needs. The incredible interweaving of rail and metro lines has proved its relevance in one of the largest megacities in the world. 🟧

Sources:

History of the Tokyo station

Shinjuku Railway Station, Tokyo

Tokyo’s rush hour by the numbers – Ramon Brasser

Shinjuku Station – An Unmissable Tokyo Experience

The Challenges of Commuting in Tokyo

Cultural Shock in Japan when commuting by train

Train Chaos: How to Master the Japanese Train System

9 ways to survive the japanese commuter train – By Alex Sturmey

The Amazing Psychology of Japanese Train Stations

‘Chikan,’ the Japanese term for groping, is increasingly being recognized abroad

Circular line of Yamanote (photo Andrew K. Smith via flickr)