Le train, l’hydrogène et la courbe de Gartner

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
25/01/2021
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Depuis 2018, les trains à hydrogène sont en service commercial en Allemagne et sont testés aux Pays-Bas, en France et au Royaume-Uni. Ils sont commercialisés comme « verts » car la seule émission qu’ils produisent en fonctionnement est la vapeur. Pas de pollution sale dans nos villes et dans les gares. C’est exactement ce que recherchait nos politiciens pour répondre au grand mouvement climatique du moment. Ils ont donc imaginé de produire ce nouveau carburant miracle partout où c’est possible. L’hydrogène est soudainement devenu la coqueluche du moment.

L’excellent Roger Ford de Modern Railway nous rappelait en mars dernier le fameux cycle de Gartner. Bien que sujette à quelques critiques académiques, cette courbe peut être appliquée à toute forme d’engouement, dont les spécialistes de la communication sont si friands. Que nous apprend ce graphique ? Il montre qu’une percée technologique potentielle donne le coup d’envoi d’un nouvel engouement et provoque rapidement un pic d’attentes démesuré.  Ce fut le cas avec le véhicule autonome. Après quoi, un creux de désillusion s’installe et l’intérêt diminue à mesure que les expériences et les mises en œuvre ne donnent pas de résultats. Certaines startups de la technologie s’effondrent ou échouent. Puis, un renouveau prend la forme d’une courbe remontante, lorsque la technologie est mieux comprise et que les fournisseurs proposent des produits mieux maîtrisés.

(schema Jeremykemp via wikipedia)

En quoi cela peut-il être appliqué avec l’hydrogène ? Tout simplement parce que les politiciens se sont emparés de ce carburant pour pondre des grands plans de décarbonation. On en est aujourd’hui au « pic d’attente démesurée » de la courbe de Gartner.  L’hydrogène est en effet présenté comme le maillon essentiel de la transition du secteur énergétique des combustibles fossiles vers des sources propres et renouvelables. En conséquence, les pays et les entreprises investissent massivement dans la recherche pour rendre l’hydrogène commercialement viable, en particulier dans les industries qui consomment beaucoup d’énergie et polluent beaucoup.

Une bataille de communication s’est engagée entre le moteur diesel et l’hydrogène. Prenons pour exemple Daimler, qui signa en décembre 2020 une déclaration avec 6 autres constructeurs pour cesser de vendre des véhicules à combustible fossile d’ici 2040. Mais sur son site, Daimler fait valoir qu’il vaut la peine d’améliorer davantage le diesel plutôt que de l’interdire. Alors quoi ?

Une rame Régiolis B 83549M arrivant en gare de La Wantzenau, sur le TER 830719 Roeschwoog – Strasbourg. Certaines lignes à fort trafic seront appelées plus tard à recevoir la caténaire, d’autres pas. Un choix… (photo Boris Arbogast via license flickr)

Cette comparaison avec le moteur diesel intéresse hautement le secteur ferroviaire, principalement dans les pays qui ont un réseau peu électrifié. Comme le rappelle une étude de l’Ademe, sur les 30.000 km composant le Réseau National Ferroviaire (RFN), la moitié des voies sont non électrifiées. Ces voies sont principalement localisées sur des lignes régionales. Le diesel représente encore 25% de l’énergie consommée par les rames TER et est responsable de 75% de leurs émissions de CO2. La SNCF et les Régions ont lancé le projet TER H2 qui vise à déployer commercialement la toute première flotte de trains hydrogène régionaux bimode, (Régiolis PPM bimode H2) dans plusieurs régions françaises pilotes. Ces trains fonctionnent uniquement en traction électrique grâce aux caténaires sur les portions électrifiées des voies et grâce à l’hydrogène sur les portions non électrifiées. Cependant, la question de la production de l’hydrogène, qui n’est à la base pas un problème ferroviaire en soi, demeure entière.

Environ 70 millions de tonnes métriques d’hydrogène sont déjà produites dans le monde chaque année pour être utilisées dans le raffinage du pétrole, la production d’ammoniac, la fabrication d’acier, la production de produits chimiques et d’engrais, la transformation des aliments, la métallurgie, etc. La production d’hydrogène gris et bleu est responsable annuellement de 830 millions de tonnes d’émissions de CO2, soit l’équivalent des émissions du Royaume-Uni et de l’Indonésie réunis. C’est loin d’être négligeable. Actuellement, l’hydrogène vert – celui qui est nécessaire pour atteindre le niveau net zéro d’ici 2050 – représente moins de 4 % de tout l’hydrogène produit. L’augmentation de la production serait coûteuse, et elle est entravée par une multitude de problèmes techniques dans la chaîne d’approvisionnement.

Scania, fournisseur de véhicules routiers à batterie et à pile à combustible, a déjà annoncé que l’utilisation de l’hydrogène pour de telles applications sera limitée à l’avenir, car il faut trois fois plus d’électricité renouvelable pour alimenter un camion à hydrogène qu’un camion électrique à batterie. Une grande quantité d’énergie est en effet perdue dans la production, la distribution et la reconversion en électricité.

La grande question des infrastructures, à ne pas négliger…

La production verte de l’hydrogène pose aussi de nombreuses questions liées à la quantité des parcs éoliens qui ne pourront pas s’étendre à l’infini en raison des zones urbanisées et des oppositions de riverains. Il y a aussi les lieux où s’effectuera l’électrolyse, ainsi que les pipelines qui amèneront l’hydrogène vers les stations de ravitaillement, forcément éloignées des parcs éoliens. L’hydrogène est beaucoup moins dense que l’essence, il est difficile à transporter. Il doit soit être refroidi à -253 ° C pour le liquéfier, soit être comprimé à 700 fois la pression atmosphérique pour pouvoir être délivré sous forme de gaz comprimé. Actuellement, l’hydrogène est transporté par des pipelines dédiés. Tout cela a un coût et peut prendre du temps pour les permis. De plus, l’arrêt probable de la motorisation thermique pour 2035 ou 2040 selon les sources, signifierait un gigantesque parc de voitures électrique à charger chaque jour. Y aura-t-il une petite place pour l’électrolyse ferroviaire dans cette gigantesque production, et à quel prix ? Rien n’est encore certain à ce jour…

« Une transition énergétique basée sur l’hydrogène ne se fera pas du jour au lendemain », confirmait un rapport de l’Irena en 2019 (Agence internationale pour les énergies renouvelables). « L’utilisation de l’hydrogène ciblera des applications spécifiques. La nécessité d’une nouvelle infrastructure d’approvisionnement dédiée pourrait limiter son utilisation. » On serait donc bien en bas de la courbe, du côté des désillusions…

Cela dit, la traction par pile à combustible est susceptible d’avoir sa place sur les lignes peu fréquentées où l’électrification, même à moindre coût, n’est pas viable. Mais il s’agit d’une part limitée et l’économie réalisée comparé au total à décarboner est minime. Si on accepte cette analyse, on peut alors se retrouver dans la courbe ascendante, celle où l’idée de départ est actualisée à l’aune des constats des chiffres de coûts/bénéfices. En 2021, nous en sommes encore toujours au stade d’une certaine euphorie (le haut de la courbe de Gartner), alors que l’on sait notamment que l’énergie éolienne est instable selon la météo et de surcroît, fort dépendant des subventions publiques. Il arrivera un moment où les bonnes questions vont commencer à se poser…

Le tronçon Mol-Hamont de 33km, récemment électrifié par Infrabel (photo Benjamin Brolet/Infrabel)

La conclusion qu’on peut raisonnablement tirer est que l’électrification traditionnelle par caténaire est – et sera -, appelée à faire le gros du travail de décarbonation du chemin de fer. Le train à hydrogène occuperait une place minoritaire selon les pays. Au Royaume-Uni, sur les 9.855 kilomètres de lignes non-électrifiées, Network Rail aurait estimé en septembre 2020 que seuls 900 kilomètres seraient susceptibles d’être éligibles au train à hydrogène et 400 autres aux trains à batteries. Le reste des lignes non-électrifiées, devrait donc accueillir la caténaire 25kV quoiqu’on en juge. En France, l’étude Ademe semble plus audacieuse et a identifié 34 lignes susceptibles d’être compatibles avec la technologie à hydrogène, mais il est vrai que nous sommes au pays d’Alstom, ce qui peut signifier beaucoup de choses (1)… Cela dit, il est possible que le kilométrage pour le train à hydrogène soit encore plus important à l’avenir si des progrès importants sont réalisés dans l’électrolyse et dans les prix de fourniture du carburant vert. Cela reste très difficile à estimer de nos jours.

Il est évident que le calcul d’une électrification – ou non -, par caténaire, va fortement varier en fonction des politiques menées et des finances publiques disponibles. Le poids du lobby de l’hydrogène pourrait jouer plus favorablement dans certains pays que dans d’autres et les parcs éoliens n’ont pas la même densité partout. Au final, la politique ferroviaire jouera également un rôle, dans le fait de savoir s’il faut maintenir des petites lignes locales à coût raisonnable et quel gain tout cela apportera à la collectivité.

Alors, le battage médiatique autour de l’hydrogène est-il justifié? La réponse est oui, mais le battage médiatique doit être dirigé vers les lignes ferroviaires adéquates. Ne faisons pas du train à hydrogène la nouvelle idéologie à la mode mais conservons au maximum notre sens du pragmatisme.

Potůčky, à la frontière entre la République tchèque et l’Allemagne. Un cas pour le train à hydrogène ? (photo Ingolf Nistad via licence flickr)

(1) Lors d’une récente commande, le Secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebbari déclarait que «La France a tout pour devenir un champion de l’hydrogène : le Gouvernement est pleinement engagé pour faire de cette ambition une réalité. Nous financerons les frais de développement du premier train régional à hydrogène français à hauteur de 47 millions d’euros.» L’étude Ademe ne disait pas autre chose en écrivant que «au niveau économique et stratégique, l’expertise française du train hydrogène peut être valorisée à l’international. Le déploiement du Coradia iLint en Allemagne et le projet de déploiement en France permettent de conforter le savoir-faire français pour répondre aux demandes de verdissement ferroviaire en Europe et à l’international. ».

25/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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L’Allemagne teste un dépôt de tram automatisé

Un dépôt de tram appartenant au Verkehrsbetrieb Potsdam, près de Berlin, sera entièrement automatisé pour étudier, par exemple, l’automatisation de certaines opérations d’entretien. Mais pas seulement…

Avec plusieurs partenaires, le groupe Siemens semble vouloir franchir une nouvelle étape dans le développement des tramways autonomes : un dépôt de tramway entièrement automatisé est en cours d’installation au sein de la société de transports Verkehrsbetrieb Potsdam, l’opérateur de transport public situé dans cette ville proche de Berlin. Ce projet de recherche commun porte le nom d’AStriD (pour ‘Autonomous Straßenbahn im Depot‘). Six entreprises et institutions allemandes dirigées par Siemens Mobility mèneront conjointement ce projet de recherche novateur. Elles ont pour objectif d’explorer différentes solutions d’implantation de systèmes de tramways autonomes dans un dépôt de tramway entièrement automatique.

L’apport de l’État fédéral
L’étude est financée par le ministère fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique (BMVI) dans le cadre plus large de l’initiative de recherche « Modernity Fund » (mFUND), axée sur les solutions numériques, et qui finance des projets de recherche et développement axés sur les applications numériques basées sur des données pour Mobility 4.0, cela depuis 2016. En plus de fournir un soutien financier, mFUND s’appuie sur différents types d’initiatives pour promouvoir la mise en réseau des acteurs de la politique, des affaires et de la recherche, et fournit un accès à un portail de données appelé mCLOUD.

Le ministère propose ainsi deux lignes de financement : une première pour des projets subsidiés à maximum 100.000 euros. Et une deuxième ligne de financement pour un maximum de 3 millions d’euros. La 5ème promotion de ces financements été publiée le 19 juillet dernier. On y trouve notamment une plateforme intelligente pour la mise en réseau des opérations de taxi – SMATA, l’optimisation du contrôle du trafic aérien à l’aide de données dynamiques du trafic aérien – OMNyFlug, la fourniture facilitée de données climatiques et météorologiques – FAIR, et… le tramway autonome (liste non exhaustive).

Cas concret
L’étude du tramway autonome n’est cependant pas nouvelle. En 2018, Siemens avait fait circuler durant Innotrans Berlin, un tram autonome sur un tronçon de six kilomètres du réseau de tramway de Potsdam, à l’aide d’un véhicule du type Combino. « Ce véhicule de développement est équipé de plusieurs capteurs lidar, radar et caméra qui capturent l’environnement du tram », expliquait alors Sabrina Soussan, PDG de Siemens Mobility.

>>> Voir notre article Siemens Mobility présente le premier tramway autonome au monde

Oliver Glaser, directeur du pôle technologie chez l’opérateur Verkehrsbetrieb Potsdam (ViP), expliquait alors au Postdamer Neueste Nachrichten que les capteurs intégrés sur le tram Combino suffisaient pour environ 80 mètres à une vitesse maximale de 50 km/h. Lors du test de 2018, une poussette est apparue dans le chemin du tram, lequel s’est automatiquement arrêté. Glaser se montre cependant pragmatique : il faudra probablement 20 à 30 ans avant que de telles voiries ne soient réellement utilisées par des trams sans conducteur. L’acceptation au sein du public ne se fera pas sans mal, prédit-il. Côté ressources, il faudra aussi des employés dans les domaines de la surveillance et du contrôle, ainsi que des équipes mobiles de techniciens qui pourraient être appelés sur place rapidement en cas de problème. À l’heure actuelle, il ne s’agit que d’un projet de recherche et développement sans utilité commerciale. Le Verkehrsbetrieb Potsdam est conscient que la prochaine génération de trams aura toujours besoin d’un conducteur dans les prochaines années, malgré les tests en conditions réelles.

Le fait que Potsdam soit sélectionné tant pour la voie d’essai que pour le nouveau projet de dépôt automatisé est en partie dû à sa proximité avec Siemens-Berlin qui dispose d’un département de recherche à Adlershof. De plus, l’opérateur Verkehrsbetrieb Potsdam (ViP) est depuis longtemps un client de Siemens : « nous avons eu de très bonnes expériences ici avec le projet précédent, le tram autonome », rapporte la firme.

Le dépôt automatisé
AStriD commence ce mois d’octobre 2019, soit un an après les tests du tram autonome, et devrait durer trois ans. Outre Siemens Mobility, les cinq autres participants sont le Verkehrsbetrieb Potsdam (ViP), l’Institut de technologie de Karlsruhe (KIT), l’Institut pour la protection du climat, l’énergie et la mobilité (IKEM), Codewerk et Mapillary. Le projet est considéré comme étant la prochaine grande étape sur la voie des tramways autonomes. « En automatisant certaines opérations fastidieuses au sein des installations d’entretien, nous voulons garantir à nos clients une création de valeur par des pratiques durables, tout au long du cycle de vie [de nos tramways] et à garantir la disponibilité maximale du matériel, ce qui est essentiel », explique Sabrina Soussan, PDG de Siemens Mobility.

Comme l’a déclaré Eva Haupenthal, porte-parole de Siemens, l’avantage du projet est qu’il se fera au sein d’un dépôt dans un lieu non public. Le cadre juridique est donc différent de celui de la rue et permet plus de latitudes.  Tous les participants ont des rôles différents. Ainsi, Siemens Mobility GmbH développera le mobile ‘tram autonome’ au sein du dépôt. Verkehrsbetrieb Potsdam (ViP) exploitera les données, les systèmes et les installations pour faire une évaluation avec le point de vue de l’opérateur de dépôt, chose primordiale car l’opérateur n’est rien d’autre… que le client de Siemens, le fournisseur. Autant tenir compte de ses remarques.

(photo Siemens)

À noter à l’agenda qu’un sommet sur le ‘rail intelligent‘ se tiendra du 19 au 21 novembre 2019 à Paris, en France. Pour en savoir plus sur l’événement, cliquez  sur ce lien .

Allemagne : quand la Deutsche Bahn aide le secteur routier

Le monde change, et la numérisation du transport se poursuit à grand pas. Parfois avec des acteurs inattendus, comme la Deutsche Bahn qui se met à essayer des camions… L’utilisation de camions roulant en ‘peloton’ sur les autoroutes allemandes serait sûre, techniquement fiable et facilement applicable dans la routine d’une entreprise de logistique, indique un communiqué de presse. Ce sont les résultats tirés du premier test mondial sur le terrain avec des ‘pelotons de camions’ dans le cadre d’opérations logistiques réelles, que les partenaires du projet ont présenté à Berlin la semaine dernière.

Mais pourquoi une entreprise ferroviaire s’intéresse-t-elle au groupage par camion ? Comme on le sait, le groupe Deutsche Bahn exploitait son trafic marchandise au travers de la filiale Schenker, une société achetée en 2002. DB Schenker regroupait toutes les activités de transport et de logistique de la Deutsche Bahn (sauf le fret ferroviaire), employant plus de 72 000 personnes réparties sur environ 2.000 sites dans environ 140 pays. Depuis 2016, les activités de fret ferroviaire ne sont plus exploitées sous la marque DB Schenker Rail, mais en tant qu’unité commerciale autonome sous la marque DB Cargo, au sein du groupe Deutsche Bahn. C’est donc plutôt sur le segment logistique que s’effectue ce test de camions en peloton.

L’autre raison est plutôt de nature technologique. Comme l’explique la professeure Sabina Jeschke, membre du conseil de la DB pour la Numérisation et la Technologie, en utilisant cette technologie, DB Schenker souhaite élargir son modèle d’affaires numérique. « Chez Deutsche Bahn, nous apportons une nouvelle technologie au secteur routier. Avec le projet de ‘peloton’, nous élargissons encore notre rôle de pionnier dans le domaine de la conduite autonome et en réseau ».

Côté technique, on définit ‘par peloton’ un système utilisé par des véhicules routiers dans lequel au moins deux camions conduisent en convoi serré sur une autoroute, avec l’aide de systèmes d’assistance à la conduite et de contrôle. Tous les véhicules du peloton sont reliés les uns aux autres par une sorte de ‘timon électronique‘ qui utilise une communication de véhicule à véhicule. Le camion de tête détermine la vitesse et la direction tandis que les autres suivent. L’avantage de cette technologie réside dans l’effet de glissement qui permet au véhicule suivant de conduire plus efficacement.

DB Schenker n’a pas entreprit ces tests seule, mais avec des partenaires. Le ministère fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique (BMVI) a versé un financement de 1,86 million d’euros aux partenaires du projet MAN Truck & Bus et à l’université des sciences appliquées de Fresenius. Selon les partenaires du projet, l’utilisation de pelotons de camions pourrait permettre une utilisation plus efficace de l’espace sur les autoroutes, une réduction des encombrements et une sécurité routière accrue.

>>> Voir : La Suisse prépare un réseau de fret souterrain automatisé

Dans le cadre de ce projet, des chauffeurs professionnels ont conduit deux véhicules reliés électroniquement sur l’autoroute A9 entre les succursales de DB Schenker à Nuremberg et à Munich, pendant près de sept mois. Après avoir parcouru quelque 35.000 kilomètres de test, les chauffeurs routiers, dont les véhicules étaient distants de seulement 15 à 21 mètres, ont fait l’éloge du confort de conduite et du sentiment général de sécurité. L’essai sur le terrain a également démontré des économies de consommation de carburant.

Andreas Scheuer, le ministre Fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique, justifiait ces tests : « La mobilité du futur sera automatisée et mise en réseau. Cela vaut également pour la logistique. Je soutiens donc totalement le secteur dans la mise sur le marché de technologies qui puissent rendre les processus encore plus sûrs, plus efficaces et plus respectueux de l’environnement, tout au long de la chaîne de valeur. Les chauffeurs ont un rôle clé à jouer ici : ils seront des spécialistes de la logistique moderne dans un camion numérique. »

En peloton sur 40% des kilomètres parcourus par transport terrestre

Selon les recherches de DB Schenker, le groupage peut être largement utilisé dans le réseau logistique. Alexander Doll, membre du Directoire pour les finances, le transport de marchandises et la logistique chez Deutsche Bahn AG, : « Nous avons analysé notre réseau de transport européen et nous pouvons affirmer qu’environ 40% des kilomètres parcourus pourraient être effectués avec la technique du ‘peloton’. » Cependant, pour cela, des tests supplémentaires et la mise en place d’un cadre réglementaire sont encore nécessaires. Les clients en bénéficieraient également. « Avec la technique du ‘peloton’, nous pouvons offrir des transports encore plus fiables. »

Le système du peloton installé dans les camions MAN a fonctionné sans à-coups 98% du temps. Les interventions actives du chauffeur en seconde position n’étaient nécessaires qu’une fois tous les 2.000 kilomètres, ce qui est bien moins que prévu. En outre, le projet pilote a démontré une réduction de 3 à 4% de la consommation de carburant. « Nous avons pu montrer que la technique du peloton pouvait potentiellement contribuer à la réduction de la consommation de carburant et des émissions de CO2. Avant tout, nous sommes ravis que le système fonctionne de manière fiable et puisse renforcer la sécurité sur autoroute. En conséquence, la technique du peloton est une étape importante pour nous sur le chemin de l’automatisation », explique Joachim Drees, président du conseil d’administration de MAN Truck & Bus SE.

>>> Voir : Le train autonome, où en est-on réellement ?

Les scientifiques confirment que les chauffeurs se sentent en sécurité

Des scientifiques de l’Université des sciences appliquées de Fresenius ont étudié les effets psychosociaux et neurophysiologiques sur les chauffeurs. L’expérimentation sur le terrain a considérablement modifié l’attitude sceptique des conducteurs. « Un sentiment général de sécurité et de confiance dans la technologie se reflète dans l’évaluation de certaines situations de conduite par les chauffeurs. Aucune d’entre elles n’a été décrite comme étant incontrôlable » explique la professeure Sabine Hammer de l’Institut des Systèmes Complexes (Institut für komplexe Systemforschung , IKS) à l’Université des sciences appliquées de Fresenius. Les chauffeurs ont constaté que les véhicules d’autres usagers de la route empruntant des voies adjacentes ou traversant plusieurs voies étaient « désagréables », mais sans importance. « En raison des temps de réponse rapides du système, les chauffeurs préféreraient désormais une distance de 10 à 15 mètres entre deux véhicules », a déclaré M. Hammer.

« Les mesures EEG ne montrent aucune différence systématique entre les parcours en peloton et les parcours classiques en ce qui concerne le stress neurophysiologique imposé aux conducteurs, c’est-à-dire en termes de concentration ou de fatigue » a déclaré le professeur Christian Haas, directeur de l’ITS. Pour une utilisation internationale, les scientifiques recommandent des recherches plus approfondies avec des périodes plus longues en mode peloton. Les partenaires du projet sont convaincus que les développements futurs peuvent accroître le potentiel de cette technique. De plus, de nouveaux modèles économiques numériques en logistique pourraient être envisageables.

Potentiellement, les camions groupés par peloton pourraient être une réponse aux trajets qui ne demandent pas un train complet dans un circuit logistique. La participation de la Deutsche Bahn ne concerne donc que le secteur logistique qui semble invariablement conçu pour fonctionner avec le mode routier. Que veut-on prouver en isolant le fret ferroviaire dans un entité distincte, en dehors de la logistique ? C’est toute la question. « Nous produisons trop cher et trop sophistiqué » déclarait en 2016 un manager de la DB à Die Welt. Ce n’est pas la soudaine conscience actuelle sur le climat qui va changer quoique ce soit. Une certitude : la route avance, fait des progrès et n’attendra pas que le rail se réveille. Autant se le mettre durablement dans la tête…

Références :

2016 – Die Welt / Nikolaus Doll – Warum die Lok gegen den Lkw keine Chance hat

2018 – Trucking Info / Jack Roberts – Truck Platoons on the Horizon?

2018 – DB Schenker Infof – Platooning: world’s first practical use of networked truck convoys on the A9

2019 – www.deutschebahn.com/db-mediaportal

2019 – EDDI – Electronic Drawbar – Digital Innovation