Les trains Intercity britanniques : une acquisition financière originale


Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
28/02/2022 –
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Peu connues de ce côté-ci de la Manche, les rames Hitachi Class 800 et 801, dont certaines appelées Azuma, sont des rames grande ligne Intercity qui se sont largement implantées dans le paysage ferroviaire britannique. Elles ont fait l’objet d’une acquisition originale. Petite présentation

Les rames Azuma sont des trains bimodes à unités multiples Class 800 construites par Hitachi pour le Great Western Railway (GWR) et le London North Eastern Railway (LNER, ligne de la Côte Est). Ce type de train utilise la traction électrique classique par caténaire, mais dispose également de générateurs diesel pour permettre aux trains de circuler sur des voies non électrifiées. Basés sur la conception de l’A-train, ces rames ont été construites par Hitachi entre 2014 et 2018.

On le sait peu, mais l’achat de ces trains sont une initiative du Department for Transport, et non des opérateurs privés en franchise.

Le programme IEP fut à la fois la plus grande opération de financement privé de matériel roulant de l’histoire ferroviaire au niveau mondial, et l’un des projets PPP les plus importants, les plus ambitieux et les plus complexes. Il a été lancé en juin 2005 en réponse aux coûts et aux risques croissants liés à l’entretien d’une flotte vieillissante de trains InterCity 125 (IC125), une des grandes icônes du rail britannique.

Les objectifs du programme IEP (InterCity Program) étaient ambitieux : développer une nouvelle génération de trains offrant une capacité accrue, des avantages environnementaux, une plus grande fiabilité et une plus grande flexibilité. Le programme a été conçu pour offrir un meilleur rapport qualité/prix sur la base d’un cycle de vie et de systèmes complets.

En consultation avec les parties prenantes du secteur ferroviaire, quatre options ont été évaluées en fonction de ces critères :

  • La première, qui consistait à ne rien faire, a été rejetée car elle était intenable;
  • La deuxième consistait à prolonger la durée de vie des IC125 existants, ce qui a été jugé comme comportant un risque technique important et peu susceptible d’être rentable, surtout si l’on veut que les IC125 dépassent l’échéance de 2020 pour se conformer à la législation sur l’accessibilité;
  • La troisième était l’acquisition d’un nouveau train Intercity Express;
  • La quatrième était l’achat au coup par coup de trains « prêts à l’emploi » en fonction des besoins.

L’évaluation a conclu que l’achat d’un nouveau train répondait le mieux aux objectifs stratégiques du ministère des transports et offrait le meilleur rapport qualité-prix. La passation de marché fut notifiée en novembre 2007, et au début de 2009, Agility Trains (comprenant Hitachi Rail Europe et John Laing Investments), a été sélectionné comme soumissionnaire privilégié. Au cours du processus de passation de marché, IEP a subi une série de changements de spécifications en réponse à un ensemble changeant de circonstances externes et internes.

Une opération financière particulière
Le fait d’adopter une politique d’achat de trains centralisée et de laisser les détails à l’industrie était une nouveauté au Royaume-Uni. Il n’existe aucun précédent de PPP dans le secteur ferroviaire au Royaume-Uni. L’IEP a innové sur presque toutes les questions clés en créant une nouvelle structure contractuelle pour s’adapter à cette première utilisation d’une structure PPP pour l’acquisition de matériel roulant – l’accord devait équilibrer les intérêts du DfT, d’Agility et de ses sponsors, d’Hitachi et des bailleurs de fonds, et en s’intégrant dans le cadre existant de l’industrie ferroviaire.

La structure basée sur la disponibilité des trains était véritablement nouvelle sur le marché ferroviaire. C’est la première fois qu’une structure de type « no train, no pay » était utilisée pour obtenir des performances exceptionnelles.

Comme il s’agissait d’actifs mobiles fournissant un service public essentiel, le DfT avait exigé une flexibilité considérable en ce qui concerne le déploiement des trains. Cela allait de la modification de l’horaire des passagers au redéploiement des rames sur différents itinéraires et à l’utilisation de nouveaux dépôts.

Il s’agissait d’un défi majeur dans le cadre des contraintes d’un accord de financement de projet. En tant que tel, des négociations détaillées ont été menées pour s’assurer que les intérêts de tous étaient protégés de manière adéquate et innovante en ce qui concerne ces variations.

La décision finale sur l’attribution du contrat, ainsi que sa valeur et sa composition, initialement prévue pour début 2009, a été retardée de plusieurs années : un report à 2010 a été causé par la préparation des plans d’électrification d’une partie du réseau ferroviaire, ce qui affecterait la commande finale.  Finalement, la décision était prise en mars 2011 de procéder à la passation de marché et d’électrifier la Great Western Main Line. Un programme qui aujourd’hui, en 2022, n’est toujours pas terminé. Comme on le sait maintenant, le projet connait de sérieux retard et a dépassé le budget prévu.

Compte tenu de la taille importante du programme global, l’opération fut divisée en deux lots :

  • un premier financement pour la flotte de la Great Western Mainline (GWML), qui a maintenant atteint la clôture financière ;
  • un second financement pour la flotte de l’East Coast Mainline (ECML) pour lequel une clôture commerciale a été atteinte, et pour lequel la clôture financière est visée pour 2014.

En juillet 2012, une commande de 5,35 milliards d’euros fut annoncée pour 596 voitures destinées aux lignes principales de la côte Est et du Great Western. Le bouclage financier de la première phase, pour les trains devant circuler sur les lignes de la Great Western, a été atteint au même moment, le bouclage de la deuxième phase étant prévu pour 2013.

Une option de 1,43 milliard d’euros pour 30 autres rames électriques de neuves voitures destinées à remplacer l’Intercity 225 sur l’East Coast Main Line fut prise un an plus tard, le 18 juillet 2013.

L’assemblage de la série principale des trains a eu lieu dans une nouvelle usine d’Hitachi Rail à Newton Aycliffe, dans le comté de Durham. Les trains ont été assemblés à partir de carrosseries expédiées de l’usine de Kasado au Japon ; aucune construction de carrosserie n’a lieu au Royaume-Uni. En plus de ressembler à la classe 801, les rames sont également très similaires aux unités de la classe 802, qui ont des moteurs diesel améliorés et des réservoirs de carburant plus grands.

De nouveaux dépôts de maintenance furent construits à Doncaster Carr, à Filton Triangle (Stoke Gifford), à Maliphant Sidings (Swansea) et à l’ancien dépôt Eurostar North Pole.

Au total, 80 rames ont été construites, dont 36 unités de cinq voitures et 21 unités de neuf voitures destinées à être exploitées par la Great Western Railway (GWR), ainsi que 10 unités de cinq voitures et 13 unités de neuf voitures destinées à la London North Eastern Railway (LNER).

La rame IET 800319 du GWR sur un service Exeter St Davids – Londres Paddington (photo Savage Kieran via wikipedia)

28/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

L’Intercity classique, un train qu’il ne faut pas oublier
13/12/2021 – Standardisation, volume et concurrence de l’aviation. C’est le principal fil conducteur des politiques Grande Ligne des réseaux ferroviaires. Pour y parvenir, ils ont misé sur la grande vitesse, en oubliant un peu la valeur ajoutée du train Intercity classique.


Quoi de neuf du côté des opérateurs longue distance ?
23/08/2021 – Cela bouge pas mal du côté des opérateurs grande ligne en Europe. C’est l’occasion d’une petite synthèse alors qu’on entame bientôt le dernier trimestre de l’année 2021. Au menu : Ouigo, Trenitalia, Renfe et RegioJet


Fin des franchises et nouvelle ère pour le rail britannique
25/05/2021 – Dans le cadre de la réforme du secteur ferroviaire, un nouvel organisme du secteur public baptisé Great British Railways sera propriétaire et gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, passera des contrats avec des entreprises privées pour faire circuler les trains, fixera la plupart des tarifs et des horaires et vendra les billets.


TGV-Alstom-recordEt si le voyage en train devenait un lieu de vie
08/03/2021 – Comment faire en sorte que le voyage ferroviaire se transforme en temps utile ? Le train comme votre salon ? Il y a encore beaucoup de travail mais le rail a des atouts pour y parvenir


Questionnement à propos de la coopération ferroviaire


Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
21/02/2022 –
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Le retrait de la SNCF de la coopération Elipsos avec son voisin Renfe fait ressurgir un sujet qui agite depuis longtemps le milieu ferroviaire, dans une Europe qui promeut un espace unique pour faire circuler ses trains. Comme souvent, il y a lieu de bien distinguer les choses avant de tirer des conclusions.

Un peu d’histoire
La coopération ferroviaire date de longtemps, à une époque où le rail constituait une affaire d’État, parfois même un objet militaire. En 1872 était créée la Conférence Européenne des Horaires, dans le but de régler au plan international l’articulation des horaires des trains transfrontaliers.

Cependant, une harmonisation technique devenait nécessaire pour faire circuler les voitures à voyageurs et les wagons de marchandises d’un pays à l’autre. Un accord international appelé « Unité Technique » fut alors créé en 1887. L’administration de cet accord fut reprise en octobre 1922 par l’Union Internationale des Chemins de Fer (UIC), organisme toujours existant de nos jours et qui fête donc ses 100 ans.

Enfin, des accords de douanes et des règlements administratifs complexes (COTIF) sont venus s’ajouter à cette lasagne internationale. Ils sont gérés par l’OTIF, dont le siège social est à Berne, et dont la mission est d’établir des règles juridiques communes pour le transport international ferroviaire de personnes et de marchandises entre ses États membres dont l’aire dépasse celle de l’Union Européenne, puisqu’elle englobe la Suisse, La Norvège, la Russie ou la Turquie, par exemple.

Le principal à retenir est que depuis toujours, les notions de territorialité et d’administration ont largement primé sur l’utopie d’une « Europe du rail ». Il est vrai qu’avant les années 1990, les frontières n’étaient pas ouvertes comme elles le sont actuellement.

La coopération au niveau pratique
Les chemins de fer étant des administrations, les cheminots avaient reçu le qualificatif « d’agent à disposition de l’État », ce qui indique qu’ils n’étaient en théorie pas habilités à travailler en territoire étranger et qu’ils relevaient du droit national.

Il y eut certes – et il y a encore – des exceptions pratiques, mais dans la majorité des cas, le passage d’une frontière à l’autre requiert une montagne de procédures, dont beaucoup incluses dans la COTIF.

Pour créer quelque chose en commun, comme les Trans Europ Express, il fallait passer par la création d’un « groupement » dont la forme juridique rendait la gestion plus difficile qu’il n’y parait. Ces créations étaient des initiatives des chemins de fer, et non des gouvernements. Le déficit de ces initiatives ferroviaires était noyé dans le déficit global de l’opérateur public.

La COTIF contenait une « obligation de transport » par le réseau voisin quand on remettait un train à la frontière, d’où la nécessaire coordination des horaires via la CEH. Cette disposition pouvait entraîner des frais et des déficits chez le voisin. Elle a depuis été supprimée, car contraire au droit européen qui promeut maintenant la facturation et la tenue des comptes aux normes internationales.

Dans la pratique, quand un train sort « de son pays », le réseau voisin prend tout à sa charge, selon les règles de la COTIF. On change la locomotive et le conducteur. Une autre locomotive et un autre « agent conducteur » prennent le relais pour la suite du voyage.

C’était le cas avec la coopération Elipsos entre la SNCF et la Renfe : les conducteurs espagnols ne dépassaient pas Perpignan. Certains devaient attendre plusieurs heures, voire une nuit à l’hôtel, avant de conduire un train de retour. Ou retourner à leur base en taxi…

Le système coopératif a aussi une incidence sur les recettes, la billetterie et la facturation. La coopération ne permet qu’une addition des différents tarifs nationaux, la partie internationale étant partagée. Pour le voyageur, la coopération signifie aussi que s’il possède une carte de réduction dans son pays, elle n’est plus valable sur le réseau voisin car il n’est pas bénéficiaire de la politique sociale du pays voisin.

En résumé, la coopération avait surtout pour but de conserver chacun chez soi ses atouts et ses handicaps. On se contentait de se refiler le matériel roulant avec les normes de l’UIC et la paperasserie de l’OTIF.

Les nouvelles priorités de l’État
Depuis les années 90-2000, les chemins de fer sont entrés dans une troisième époque, marquée par une reprise en main de l’État et une politique axée sur la maîtrise des finances publiques.

Cette maîtrise passait par la contractualisation complète de l’ensemble des services ferroviaires. L’idée n’est plus d’éponger les déficits comme avant, mais au contraire d’encadrer les dépenses et de créer un système incitatif de maîtrise des coûts. Par rapport au XXème siècle, cela signifie un changement des méthodes de production, ce que certains ont un peu vite qualifié de « privatisation ».

C’est à ce stade que l’on a sectorisé le rail. Il est apparu rapidement – aux yeux des économistes -, que l’infrastructure et les trains régionaux demeureraient de facto déficitaires, et que c’était aux États à prendre en charge la couverture de leur déficit, d’une manière ou d’une autre. Voilà pourquoi il était nécessaire de passer par des contrats, de contenir l’envolée des coûts.

Les « autres trains », fret et grande ligne, furent jugés capables d’être rentables, ou presque. L’espoir était que de nouveaux investisseurs amènent des fonds et prennent en charge ces deux secteurs, soulageant de la sorte les finances publiques. C’est là que certains pointent une « casse du service public ». Mais le service public est-il nécessaire partout ? Certains considèrent que de passer un week-end à Prague, Milan ou Barcelone est un caprice de citoyen et ne relève pas d’un besoin essentiel de service public. Hélas, ce caprice passe souvent par l’usage de l’avion…

Quelle solution alors ?
La formule qui consiste à tout maîtriser en exploitant ses trains chez le voisin en solo, avec son propre personnel et matériel roulant, serait-elle finalement la seule viable ? On pourrait le penser. Cette formule n’a pu voir le jour que grâce à des modifications législatives importantes, impliquant l’indépendance de l’infrastructure qui a l’obligation d’accepter « tout le monde », sans discrimination.

Il a fallu près de 20 ans pour y arriver ! Pendant ce temps (perdu ?), ni l’aviation ni l’automobile n’avaient ces problèmes. On ne doit dès lors pas s’étonner que ces deux secteurs aient pris au cours des deux dernières décennies la majorité des parts de marché.

La maîtrise complète de la chaîne de production, c’est ce que fait la SNCF au travers de Thalys et Eurostar, en créant carrément des sociétés à part entière. C’est ce que font aussi le tchèque RegioJet ou Flixtrain. C’est ce que fait Trenitalia en créant, en France, la filiale Trentitalia-France. Le recrutement est laissé à l’appréciation de ces entreprises.

La coopération est-elle morte ?
Pas vraiment. Elle s’est « contractualisée ». Nightjet par exemple, a dû passer contrat avec les NS, la SNCB ou encore la SNCF pour rouler sur ces territoires respectifs. On continue cependant de changer de locomotive en pleine nuit et de conducteur aux frontières. Mais Nightjet gère entièrement « son produit » et sa page web, et maîtrise donc ses coûts en demandant aux partenaires de payer.

La coopération suppose une unité de vue des partenaires. C’est de plus en plus difficile à obtenir. Le Trans Europ Express fut liquidé par ses fondateurs en 1987 parce que le produit était devenu obsolète mais justement aussi parce qu’il n’y avait plus d’unité de vue, alors que trois d’entre eux s’engageaient dans la grande vitesse et promouvaient une vision du train longue distance plus proche des concepts de l’aérien.

Le bureau de design se souvient encore des années de discussions pour concevoir des toilettes adaptées au costume-cravate de la clientèle anglaise sur Eurostar ! La Deutsche Bahn n’aime pas trop les TGV à étage d’Alstom. Suisses et autrichiens exigent qu’on mange dans de la porcelaine à toute heure de la journée. Les Espagnols ont introduit trois classes en 1992, puis les Italiens en ont rajouté une quatrième. La SNCF préfère des trains plus rares, mais mieux remplis ce qui implique la réservation. La Deutsche Bahn préfère des trains cadencés, probablement moins remplis mais sans réservation obligatoire. Les Néerlandais jugent toujours que le Thalys est un produit de luxe français. Trouver le consensus…

Sur le TGV Thalys Bruxelles-Paris, en l’absence de gare frontière, les agents font obligatoirement le trajet de bout en bout. Dans ce cas, la coopération est plus poussée et peut aboutir à créer carrément une société filiale, comme ce fut le cas aussi avec Eurostar. Thalys et Eurostar gèrent la totalité de leur production, y compris le recrutement, le marketing, les ventes, les services IT, la maintenance et les achats. Ces sociétés ne sont plus tenues de se conformer au « patriotisme industriel », et peuvent acheter ou louer leurs nouveaux trains où bon leur semble.

La coopération ferroviaire d’aujourd’hui et de demain, c’est dorénavant une affaire de contrat. À chacun de trouver la formule juridique la mieux adaptée selon le marché visé. Les États, s’ils le veulent, peuvent soutenir financièrement les trains grandes lignes et les trains de nuit sur base de ces contrats, en recherchant un opérateur. C’est ici que l’on mesure les différences culturelles en ce qui concerne la couverture du déficit ferroviaire et la teneur des contrats. Certains pays veulent bien participer au déficit mais sous conditions. L’Allemagne a dit non sans conditions. Chercher le consensus…

21/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

Créer un environnement ferroviaire complet et indépendant
10/01/2022 – Les difficultés auxquelles font face les nouveaux entrants sont caractérisées entre autres par le manque de facilités essentielles comme les ateliers de maintenance, un parc de matériel roulant grande ligne abondant et disponible en leasing et du personnel spécifiquement formé.


Chemin de fer : plus de technologie et moins de procédures
29/11/2021 – L’impression que parfois le rail est en retard technologique par rapport à ses concurrents ? Il y a des innovations qui permettent d’être moins procédurier et d’aller de l’avant. Quelques exemples


Se montrer fort et utile pour décarboner la planète : un défi pour le rail
15/11/2021 – La COP26 de Glasgow est terminée, mais la course à la décarbonisation du secteur des transports est lancée depuis longtemps. Dans ce grand jeu, le train peut trouver sa place s’il parvient à démontrer sa pertinence.


Le train intelligent n’existe pas sans infrastructures
08/11/2021 – On croit parfois que le train intelligent suffirait à résoudre certains des problèmes de l’exploitation ferroviaire. Cependant, ce train n’aura aucun impact s’il n’y a pas d’infrastructures top niveau, ce qui suppose que demain il y aura encore du béton…


Décarboner les transports : tout ne dépend pas du rail
27/09/2021 – Le chemin de fer ne fera jamais de transfert modal seul, par le fait de sa simple existence. Il faut d’autres atouts qui sont du ressort de l’État. Par exemple l’aménagement du territoire et la configuration des lieux de vie



Flixtrain : changement de stratégie ?

(Photo ci-dessus : Mediarail.be)
Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
14/02/2022 –
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Cela bouge beaucoup pour la firme privée de Munich. L’acquisition en 2021 de l’icone américaine du bus Greyhound a montré un changement de stratégie pour la société qui voit à long terme. Cela impacte aussi sur la politique ferroviaire et la vision de la firme en Europe.

L’idée d’une compagnie de bus est née vers 2011 alors que Jochen Engert et Andre Schwämmlein occupaient des postes de consultant chez Boston Consulting Group. Ils échangèrent de nombreuses idées les uns les autres avec Daniel Krauss, qui travaillait toujours chez Microsoft. Leur idée a mûri plus tard avec la déréglementation des bus longue distance introduite en Allemagne en 2013, où des entreprises privées étaient dorénavant autorisées à vendre des voyages et à ainsi concurrencer directement la Deutsche Bahn.

Le business model de Flixtrain diffère fondamentalement de ses autres « collègues » nouveaux entrants. On a affaire ici avec un modèle économique unique, qui combine la technologie numérique avec une entreprise de transport traditionnelle.

Contrairement aux entreprises de transport traditionnelles, FlixMobility ne possède pas de flotte de bus ni de train. En réalité Flixbus ne possède en propre qu’un seul bus, pour des raisons d’obtention de license…

En d’autres termes, FlixBus peut être considérée comme une société de gestion de la chaîne d’approvisionnement «asset-light» par excellence. Plutôt que de posséder des bus et d’employer des chauffeurs, ils constituent le lien entre les clients et les propriétaires ou exploitants de bus.

La tentation ferroviaire
Vers 2016, l’idée est de faire du train à la manière de Flixbus mais différemment de la Deutsche Bahn, mais avec une différence essentielle par rapport à ses prédécesseurs HKX et Locomore : pas d’actif en propre, et une puissance de feu en marketing et ticketing grâce à l’énorme masse de données provenant des clients Flixbus. La start-up gère simplement la technologie, le marketing, les communications, les ventes, l’informatique, la billetterie, la gestion de la qualité, le service client et la planification du réseau.

En 2017, les faillites successives de Locomore et de HKX signent l’entrée de Flixtrain sur marché ferroviaire allemand. En mars 2018, Flixtrain exploitait, via des tiers, deux liaisons : Stuttgart-Berlin et Hambourg-Cologne.

Modèle économique
Pour financer le coût de son fonctionnement, FlixBus a mis en place un modèle économique de partage des revenus. Cela signifie que l’entreprise partage les revenus de chaque réservation avec le partenaire qui a exécuté le trajet. Dans le cas de FlixBus, ils conservent 25 à 30 % du prix de la réservation. Le reste va à l’opérateur de train ou d’autobus. Les contrats avec leurs partenaires durent normalement de 3 à 5 ans. Ensuite, en fonction des performances, ils sont normalement renégociés. Et parce qu’ils sont très confiants dans leur capacité à calculer dynamiquement les « bons » prix et à attirer suffisamment de clients, ils garantissent de verser un minimum de revenus à leurs partenaires.

La crise sanitaire a cependant mis à mal le modèle : sans revenus issus de la billetterie, avec une clientèle invitée à rester chez elle, Flixmobility n’avait pas de plan B : il a fallu suspendre le trafic, trains comme bus. Trains et bus cessèrent de circuler dès le 17 mars 2020, tant en Allemagne qu’au-delà de ses frontières.

Cette situation crispa plus d’un partenaire, tant train que bus, et car certains autocaristes croulaient le poids des mensualités de leasing de leurs véhicules. De son côté, lors du confinement du printemps, Leo Express, le partenaire ferroviaire, souhaitait poursuivre l’exploitation des Stuttgart-Berlin, ce que ne voulait pas Flixtrain, par manque de revenus. Entre les deux partenaires, les litiges devinrent nombreux et le FLX 10 Stuttgart-Berlin ne roula plus.

Vers une autre stratégie
La crise sanitaire a remis à plat la stratégie d’asset light pour opter vers un autre modèle. Elle pouvait se le permettre dès l’instant où en juin 2021, l’entreprise de Munich levait un cycle de capitaux de série G, jamais atteint en Allemagne, soit un tour de table de 650 millions d’euros. Flixmobility est maintenant valorisé à plus de trois milliards de dollars après son septième tour de financement et dispose de 2.000 collaborateurs. Ce qui est loin de start-up traditionnelle.

La stratégie initiale « Asset Light » de Flixmobility, dans le cadre de laquelle les entreprises gardent les actifs corporels lourds à l’écart de leur bilan, présente de nombreux avantages, comme la possibilité d’une croissance rapide apportant de bons bénéfices une fois le marché conquis. Le meilleur exemple d’une stratégie « Asset Light » réussie est par exemple Apple.

Cependant, ce système de sous-traitance a aussi ses défauts car il est trop lent à se mettre en place et mobilise beaucoup trop d’énergie au niveau contractuel. Même si l’idée de confier l’exploitation des trains à des partenaires externes est bonne, le système comporte un certain risque d’inertie. Une entreprise en pleine croissance ne peut pas se le permettre, alors que les politiques de toute l’Europe veulent renforcer le transport ferroviaire. 

C’est pourquoi Flixmobility a « acheté » Greyhound, faisant entrer dans le bilan de la firme 1300 bus et 2.400 nouveaux collaborateurs. L’idée d’acquérir ses propres trains entre dans cette logique de maîtrise de sa croissance. C’est ce que la firme a fait mais en pratiquant malgré toute la politique précédente, puisqu’il y a leasing via le loueur Railpool d’une centaine de voitures ex-Deutsche Bahn entièrement reconditionnées (et sans amiante).

Une telle architecture n’est possible que par le milieu ouvert du rail en Europe du Nord, où l’opérateur historique préfère vendre son matériel roulant plutôt que de le jeter à la ferraille…

Cette acquisition ne fait cependant pas de Flixtrain le propriétaire desdites voitures, qui appartiennent en propre à Talbot, à Aix-la-Chapelle. Mais cette formule a permis le lancement très rapide de plusieurs nouvelles relations en Allemagne ainsi qu’en Suède. La traction est assurée par des partenaires, comme Hector Rail en Suède.

Des trains russes ?
Dernièrement, la presse économique allemande mettait la main sur un document de Flixmobility destiné aux investisseurs et aux banques. Nommé “Projekt Magistrale », ce document évoque l’achat par des tiers de 28 rames longues et de 37 rames plus courtes, pour un coût d’environ un milliard d’euros. Mais le plus interpellant est que Flixmobility serait en négociations avec Tramasholding, le plus grand constructeur russe de locomotives électriques, diesel et de rames voyageurs électriques, dont Alstom fait partie ! Le terme “train à grande vitesse” évoqué est cependant sujet à caution, sachant l’habitude des médias de qualifier “à grande vitesse” tout ce qui roule au-delà de 200km/h. Des « Railjet » à 230km/h en version russe ou un avatar des ICE ? On n’en sait rien. La stratégie rappelle celle de WESTbahn et de LEO Express avec leurs rames du chinois CRRC, toujours pas en service à l’heure actuelle…

Une marque et une stratégie
En fin de compte l’entreprise se positionne sur un créneau très porteur. D’une part, en créant une marque forte et visible. Ensuite avec l’importance du transport durable à une époque où les déplacements sont un sujet critique auprès du public de moins de trente ans, en raison des émissions de CO2. La vision des fondateurs est de créer « une mobilité intelligente et verte pour que chacun puisse découvrir le monde ».

A ce titre, ils souhaitent contribuer à la réduction des niveaux d’émissions grâce aux solutions de déplacements collectifs et aux véhicules électriques. Avec une force de frappe digitale très importante, d’où les centaines de développeurs qui travaillent au sein de la firme. On est loin de l’environnement des entreprises historiques…

(photo: Flixtrain Sweden)

14/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

Quand le train devient un Internet des Objets

(Photo d’illustration ci-dessus : Technicentre SNCF, par Clicsouris via wikipedia)
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07/02/2022 –
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La maintenance prédictive est devenue le nouveau graal des constructeurs de matériel roulant ferroviaire. Il s’agit en effet de produire un schéma de maintenance adapté aux besoins réels du matériel roulant. Le but est d’éviter de mettre en atelier des rames qui n’en avaient pas besoin ou, à contrario, de prévoir une entrée imprévue en atelier suite à la détection d’une possible panne imminente. Pour cela, les trains doivent devenir des IoT, des Internet of Things.

Jusqu’ici, la maintenance du matériel roulant était essentiellement préventive : après X milliers de kilomètres, une rame doit rentrer en atelier pour une vérification de l’usure des essieux. Mais les essieux sont-ils tous usés après un kilométrage arbitraire ? Souvent, on vous répondra que oui, sur base de l’expérience passée et d’un certain nombre d’analyses.

Au début des années 70, à la SNCF, la politique de maintenance a privilégié l’ergonomie de l’homme au travail en prévoyant dans toute la mesure du possible le travail de jour et sur la semaine, même si cela consommait du parc de matériel.

Cette politique centrée sur les travailleurs a pris fin dans les années 90-2000. Chaque immobilisation est un facteur de coût puisque pendant son temps en atelier, un train ne rentre plus dans le système commercial, étant donné que les sièges ne sont pas vendus.

Bien entendu, l’astuce consiste à remplacer la rame à l’arrêt par une rame apte pour le service. Mais la multiplication de cette solution fait que pour un service donné, vous avez par exemple besoin de 20 rames, sachant que 3 sont à l’atelier.

Or, avec la maintenance prédictive, on pourrait envisager que vous n’ayez besoin que de 16 rames, une ou deux étant susceptibles d’être à l’atelier et constituant une réserve en cas d’incident soudain.

Ne pas acheter 4 rames supplémentaires constitue évidemment un progrès pour de petits opérateurs, mais il suppose que vous ayez un programme de maintenance très pointu pour assurer une disponibilité maximale, variable dans le temps.

Les constructeurs ont donc compris l’importance de rendre leurs produits ferroviaires plus « digitaux ».  Mais pas seulement pour le service opérationnel des opérateurs.

Un nouveau business
L’intégration de la maintenance prédictive prévue dès la phase de conception du produit doit surtout aussi permettre, par le constructeur, la collecte des données et d’optimiser les développements logiciels en y intégrant les capteurs adéquats.

En clair, la collecte de données permet au constructeur de répondre à la garantie qu’il offre sur son matériel roulant, et de voir les éventuels défauts qu’il peut corriger instantanément.

C’est la raison pour laquelle beaucoup de constructeurs proposent un contrat de vente assorti de la maintenance. Une opération win-win car l’opérateur doit moins se soucier de la disponibilité des rames, garantie par contrat. Et l’industriel met directement la main sur des données techniques capitales pour améliorer ses produits.

Avec cette définition, le marketing migre vers de nouveaux business model orientés vers la « maintenance-en-tant-que-service », le constructeur jouant alors le rôle crucial de fournisseur de solution ‘clés en main’.

(photo: Alstom)

En quoi consiste cette maintenance prédictive ? Il s’agit par exemple de la surveillance des batteries de train, du monitoring à distance de l’état des portes ou encore de surveiller les éléments critiques, comme les essieux, pression d’huile ou autres éléments importants.

En Pologne, Alstom a par exemple installé le TrainScanner, qui utilise des caméras 3D et des lasers qui permettent automatiquement la maintenance conditionnelle et prédictive des roues, des plaquettes de frein et des bandes de carbone du pantographe ainsi que des sous-châssis et des coques de carrosserie des rames Pendolino.

Après inspection automatisée, les données sont transmises à la plateforme HealthHub d’Alstom, qui traduit les données brutes en informations exploitables, en utilisant des algorithmes basés sur des règles, conduisant au calcul d’un indice de santé pour chaque actif.

En plus des traditionnels multimètres et oscilloscopes, les travailleurs accèdent aux relevés des nombreux capteurs présents dans chaque train, mais aussi à leur historique, en se connectant directement aux rames via son ordinateur portable : une précieuse aide au diagnostic ! Le logiciel utilisé permet de visualiser l’état du parc de matériels roulants, lorsque les trains sont sous couverture Wifi et peuvent partager des données.

Surdose
Mais la profusion de capteurs engendre la collecte d’une quantité astronomique de données qu’il faut pouvoir trier.

La difficulté majeure pour les entreprises ferroviaires consiste à améliorer le système d’informations. À la SNCF, cela implique une équipe de 27 data scientists et l’installation de capteurs simples à intégrer pour ne pas perturber les systèmes. « Je me rends compte que plus il y a d’usages, plus il y a d’optimisations à effectuer dans nos algorithmes« , confie au Journal du Net Cyril Verdun, directeur du département Ingénierie de Maintenance, indiquant que son département exploite 16.000 algorithmes pour analyser les données des trains.

L’humain n’est pas oublié
Mais comme toujours, quand il s’agit du secteur digital, il faut beaucoup de pédagogie. « Trop de nos techniciens vont encore vérifier un train de manière visuelle », confiait un opérateur.

La maintenance, c’est aussi un personnel formé.  Pour avoir un technicien autonome, formé sur une spécialité et ayant assimilé toutes les spécificités de la maintenance ferroviaire, entre 3 et 5 années de travail sont nécessaires, selon certaines sources. Un peu moins selon d’autre. Le sujet est sensible…

Si le digital est souvent (trop) perçu comme un « mangeur d’emploi », il peut au contraire être un ascenseur social, même si cela suscite des craintes chez les non-diplômés. Le simple ouvrier n’existe plus dans la maintenance. La sophistication des opérations a transformé le métier vers celui de technicien, nettement plus valorisant.

La digitalisation des trains est en marche et va aller en s’accentuant. Autant s’y préparer pour faire du rail un outil de transport d’avenir.

(photo: Deutsche Bahn)

07/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

Quelques bénéfices des grandes infrastructures souterraines

(Photo ci-dessus : Malmö par orf3us via wikipedia)
Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
31/01/2022 –
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Les tunnels ferroviaires ont toujours été des infrastructures coûteuses. Ils permettent non seulement de franchir des obstacles naturels, comme les montagnes, mais ils permettent aussi de traverser la ville et de desservir l’hypercentre. Des débats se font jour actuellement sur l’opportunité de construire de telles infrastructures, alors qu’il est supposé qu’un transport public local pourrait suffire.

Hambourg, Munich, Stuttgart, Madrid ou Londres. Ces cinq villes ont en commun le fait qu’elles construisent ou dédoublent un tunnel ferroviaire déjà existant. Ces grands travaux d’infrastructures souterraines ont évidemment un prix et suscitent des questions sur l’opportunité de telles dépenses. Ce débat rejoint aussi celui de savoir s’il n’est pas plus utile de construire des trams en surface plutôt qu’un métro en souterrain. Mais pour comprendre les arguments des uns et des autres, il faut bien regarder ce qu’il y a derrière.

L’intermodalité a souvent été un rêve de politiciens mais rarement celui des voyageurs. Passer d’un transport à l’autre suppose une bonne synchronisation qui échappe complètement au candidat voyageur, puisqu’il ne « contrôle » pas son déplacement de bout en bout mais s’en remet à plusieurs opérateurs.

La rupture de charge a trois inconvénients majeurs :

  • l’obligation d’être munis d’un titre de transport local en plus de celui du train ;
  • en théorie, jongler avec plusieurs transports en ville devrait être un jeu d’enfant mais l’expérience a montré que les perturbations chez l’un peuvent anéantir chez les autres tous les avantages d’utiliser les transports publics ;
  • quiconque a fait l’expérience de traverser Paris ou Londres avec de grosses valises pour aller d’une gare à l’autre ne parle généralement pas d’une bonne expérience.

Il a déjà été largement prouvé que le nombre de ruptures de charge est le principal facteur influençant le choix du mode de transport.

Certes, on ne construit pas des infrastructures lourdes uniquement pour éliminer les ruptures de charge. Dans de nombreux cas, il s’agit aussi de fluidifier le trafic. Une gare en cul-de-sac oblige les trains à faire demi-tour, ce qui prend nettement plus de temps que de faire passer le même train qui ne reste à quai qu’une minute ou deux, puis poursuit son voyage.

Les opérateurs préfèrent en effet, surtout là où il y a beaucoup de monde, de faire passer leurs trains de manière « traversante ». Sans cela, une ville comme Copenhague ne pourrait pas exploiter un RER toutes les 2 minutes 30 environ sur le tronçon central de la ville, bien que le S-Tog danois n’utilise pas un tunnel mais la gare centrale en surface.

Une ville pour qui ?
Les infrastructures souterraines ont aussi cet avantage d’enterrer la technique et de ne pas abîmer les quartiers traversés, comme ce fut le cas à Bruxelles avec la Jonction ferroviaire Nord-Midi. Paradoxalement, l’opposition aux infrastructures souterraines a pris une acuité particulière ces dernières années avec la montée en force du « rejet du béton » (accusé d’être un outil du capitalisme BTP), et pour requalifier les villes en lieu de vie « apaisant » pour les habitants plutôt qu’un lieu d’affaires, de commerces et de consommation.

Mais la ville, quand elle est capitale nationale ou régionale, est-elle un lieu qui n’appartient qu’à ses habitants ? La présence de nombreuses administrations nationales et locales, d’universités et d’hôpitaux suggère de répondre qu’elle appartient à tout le monde. Il faut donc en faciliter l’accès à tous.

Les limites du tram
Selon l’attrait d’une ville, le réseau de surface n’est parfois pas en mesure d’absorber les flux importants venant de l’extérieur, surtout aux heures de pointe. Cette assertion peut aujourd’hui être nuancée avec la généralisation du télétravail, mais on ne peut pas prédire comment se comportera l’avenir, avec ou sans pandémie.

Dans la ville championne du tram-train, Karlsruhe, l’idée de départ était de faire converger toutes les lignes de tram-train via une rue commerçante principale. Le succès fut tel qu’en heure de pointe, jusqu’à 144 trams de six lignes différentes convergent vers la place du marché et la célèbre rue commerçante Kaiserstraße. Laquelle se plaint : on n’y voit plus qu’un mur de trams à certaines heures de la journée. Pire : le règlement de l’AVG n’autorise pas les conducteurs à ouvrir les portes en cas d’embouteillage de trams ou d’un tram en panne qui bloque tout. Les passagers doivent patienter à bord juqu’à l’arrivée aux arrêts pendant que sur les côtés, les badauds déambulent gaiement…

Le résultat : la ville décida en 2003 de creuser un souterrain, afin de libérer complètement le centre ville de toute forme de circulation.

Prix et délais
Bien évidemment, il y a le prix des choses. Beaucoup de grands chantiers ont montré que les coûts finaux étaient bien supérieurs à ce qu’initialement prévu et que les délais n’avaient jamais été respectés. Mais a-t-on songé pour combien de décennies ces infrastructures allaient servir ? Un retard de 2-3 ans apparait alors bien dérisoire quand on sait que presque quatre générations vont profiter d’une infrastructure souterraine.

Quiconque ne regarde pas ces projets sur le très long terme – c’est à dire plusieurs décennies -, développe une vision biaisée de la réalité.

Dans les années 60-70, un métro à Bruxelles était critiqué parce que « la ville est trop petite pour cette technologie ». Peut-on de nos jours se passer du métro à Bruxelles (1,3 millions d’habitants) ? La Jonction ferroviaire Nord-Midi a certes laissé des cicatrices durables dans la culture bruxelloise, mais la concentration des emplois tertiaires dans la capitale de l’Europe suggère qu’aujourd’hui, il parait illusoire de se passer des trains intercity nationaux qui vous déposent à moins de 400m de la Grand Place et à 600m du Parlement…

Bruxelles Central : Intercity pour Luxembourg (photo Mediarail.be)

Londres a aussi dépensé des milliards pour son projet Crossrail, baptisé Elisabeth Line. Ce projet a un retard de 3 années mais promet de relier, avec un train toutes les 3 minutes, l’aéroport d’Heathrow aux quartiers de Canary Warf, en passant par la City, une des plus grandes places financières du monde.

La rotation complète à 90 degrés de la gare de Stuttgart, pour en faire une gare passante, est un chantier associé à un projet de grande large envergure qui étend le S-Bahn là où il n’existait pas encore. Mal défini au niveau financier, amendé, ce projet est malheureusement devenu un contre-exemple manipulé par tous les opposants au béton. Cela ne signifie pas que l’exemple de Stuttgart, capitale régionale de 630.000 habitants, soit un modèle idéal pour d’autres villes de même importance.

À Munich, la construction d’une deuxième ligne S-Bahn à 40m de profondeur, qui dédouble en fait la ligne existante, a commencé vers 2017. Ce projet devrait coûter plus de trois milliards d’euros – sans compter les replanifications. Un coût qui peut paraître énorme pour une telle ville mais il faut compter que cette infrastructure, tout comme celle de Londres ou de Stuttgart, sont là pour 100 ans.

À Madrid, il n’y a personne pour regretter le tunnel de Recoletos. Cette infrastructure qui est entrée en service dans les années 1960 entre les gares de Chamartin et Atocha, accueille sur deux voies près de 470 trains et 200.000 voyageurs. Saturé, le trafic a mené à creuser un second tunnel à deux voies, lequel a été inauguré en 2008 après 4 années de travaux. Comme cela ne semblait pas suffire, un troisième tunnel destiné uniquement aux trains à grande vitesse est en cours de tests. Ce dernier a la particularité d’être doté de l’écartement standard UIC de 1.435mm. Trois tunnels, 6 voies, Madrid rejoint Bruxelles dans les grandes passantes souterraines.

Impact sur l’immobilier
Un autre débat concerne les prix de l’immobilier. L’amélioration des infrastructures de transport locales est généralement considérée comme une bonne chose, tant pour la prospérité économique d’une région que pour les prix de l’immobilier. La proximité d’une station de métro ou d’une gare fait grimper la valeur des propriétés.

En 2016, Transport for London a commandé une recherche pour déterminer si les grands projets d’investissement dans les transports publics avaient entraîné une hausse significative de la valeur des terrains environnants. La recherche a attribué une hausse moyenne des valeurs résidentielles de plus de 50 % suite à l’extension de la ligne de métro Jubilee Line, tandis que les prix de l’immobilier autour des 41 stations de la ligne Elizabeth (Crossrail 1) devraient augmenter de 25 % de plus que le prix moyen dans le centre de Londres, avec une augmentation de 20 % dans les banlieues.

Ce phénomène est visible dans toutes les villes d’Europe. Cela pose des problèmes à ceux qui s’inquiètent de la gentrification de certaines parties des villes. On reviendrait à dire que les grandes infrastructures ferroviaires ou de métro ne profiterait qu’à un public au niveau de vie aisé. Mais il n’est pas sûr que ce soit partout le cas.

En conclusion, les grandes infrastructures souterraines sont certes coûteuses, mais ce prix doit être étalé dans le long terme. Certaines grandes villes ont besoin de passages ferroviaires souterrains, quand d’autres peuvent se contenter, par leur taille, d’un réseau de surface.

Certaines portions urbaines de ces traversées ferroviaires souterraines sont aussi utilisées par les citadins eux-mêmes. Une ville ne peut pas vivre uniquement que de ces habitants. Des flux extérieurs sont nécessaires pour animer la ville, que ce soit en matière de commerces, de culture ou de santé. Le tout est de le faire de manière durable. Mais si on veut que ces investissements soient bénéfiques pour le climat et « la ville apaisante », il faut alors que les autorités locales ferment les rues à l’automobile. Un réseau de tram seul avec des flux de voitures ne rendra jamais une grande ville durable et apaisante. Rues piétonnes et trains en souterrain, on garantit de cette manière à tous un accès direct dans une ville respirable.

Un train d’essai circule sur la ligne Elizabeth à Londres (photo: Crossrail Ltd)

31/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

Décarboner les transports : tout ne dépend pas du rail
21/09/2021 – Le chemin de fer ne fera jamais de transfert modal seul, par le fait de sa simple existence. Il faut d’autres atouts qui sont du ressort de l’État. Par exemple l’aménagement du territoire et la configuration des lieux de vie



Karlsruhe-tram-trainAvantages et limites du tram-train
15/10/2018 – On a souvent évoqué l’exemple du tram-train de Karlsruhe comme remède miracle au transport de proximité sans rupture de charge. Il y a cependant des limites au système. Petit tour d’horizon.


Transmashholding, le russe qui se lance dans la maintenance en Europe

(Photo ci-dessus : Go-Ahead)
Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
24/01/2022 –
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Transmashholding, principal fournisseur ferroviaire en Russie, s’étend en Europe et a comme ambition de développer le marché de la maintenance des automotrices et autorails exploités par les opérateurs dans toute l’Europe. Quelque soit le constructeur…

Transmashholding est le plus grandconstructeur russe de locomotives électriques, diesel et de rames voyageurs électriques. Les usines appartenant à Transmashholding produisent également des wagons de marchandises et industriels, ainsi que des voitures de métro. À titre d’exemple, tous les véhicules du métro de Moscou et de certaines autres sociétés de métro en Russie sont produits par l’usine Metrowagonmash, qui fait partie du groupe Transmashholding.

Le seul concurrent de Transmashholding en Russie en termes de production de matériel roulant pour le transport ferroviaire serait le groupe Sinara. Il n’est pas surprenant que le client le plus important de TMH soit la compagnie ferroviaire d’État russe RZD, qui en est par ailleurs le copropriétaire.

Sur le plan financier, la holding TMH basée à Moscou est une société par actions dont le paquet majoritaire est détenu nominalement par la société d’investissement néerlandaise The Breakers Investments B. V., elle-même contrôlée par la société minière russe Kusbassrasresugol (Кузбассразрезуголь) et la société de transport TransGroup.

En décembre 2007, Alstom Transport et Transmashholding signaient un accord qui prévoyait une coopération technique entre les deux sociétés et éventuellement l’acquisition par Alstom de 25% plus une action dans TMH. En 2015, Alstom portait sa participation dans Transmashholding à 33% par l’achat de 8% d’actions supplémentaires pour 54 millions d’euros. De son côté, les chemins de fer russes RZD vendaient leurs 25% de parts au hollandais The Breakers Investments BV.

Cette transaction a conduit à un renforcement de la collaboration entre les deux partenaires, qui s’est poursuivie depuis. Les deux partenaires souhaitaient développer conjointement une gamme de trains performants, la livraison de projets ferroviaires clés en main, des infrastructures et des équipements de signalisation, ainsi que l’exportation de produits et de pièces. C’est ainsi qu’Alstom a notamment participé au projet russe de locomotive EP20.

Expansion en Europe
Le constructeur russe souhaitait développer ses activités en Europe en dépit d’un contexte géopolitique souvent difficile, comme chacun sait. En 2018, les actionnaires décidaient de changer la forme juridique de l’entreprise, la holding devenant une société par actions (JSC en russe).

En juin 2020, Transmashholding faisait l’acquisition d’une première installation en Europe, en prenant l’atelier de réparation de wagons de Dunakeszi en Hongrie. L’installation à Dunakeszi établissait ainsi une base pour TMH sur le lucratif marché européen. Le soutien de TMH à cette installation a été ratifié par le client de longue date de Dunakeszi, MAV-Start, l’opérateur ferroviaire public hongrois.

Terence Watson, premier vice-président Europe de TMH, expliquait alors à Railway Journal que « nous voulons faire de Dunakeszi notre principale installation pour l’Europe (…) L’emplacement du site signifie également des contrats à venir en République tchèque, en Slovaquie, en Pologne, en Autriche et en Slovénie, qui« , selon Watson, « n’ont généralement pas été particulièrement bien servis par les acteurs publics« .

L’un des arguments de vente de TMH, selon Watson, est la polyvalence de l’entreprise. Contrairement à d’autres fabricants européens, TMH n’est pas liée à un chemin de fer public, ce qui, selon lui, lui permet de répondre aux besoins de tous les clients, y compris les opérateurs privés à la recherche de matériel roulant abordable ou de services de réparation et de maintenance.

(photo Go-Ahead)

Contrat en Allemagne
C’est ainsi que l’entreprise a cherché d’autres marchés et a travaillé attentivement pour voir comment le marché se développe. En 2020, TMH a signé son premier contrat en Allemagne pour entretenir deux nouvelles grandes flottes d’automotrices régionales pour Go-Ahead en Bavière, qui seront entretenues dans une nouvelle installation près d’Augbourg.

Rappelons que dans le cadre des appels d’offres de service public en Allemagne, Go-Ahead a remporté plusieurs contrats en Bavière pour lesquels il doit fournir le matériel roulant. La société de transport international basée au Royaume-Uni a un contrat de 12 ans portant sur environ 2,7 millions de trains-kilomètres par an entre Munich Hbf et Buchloe, qui a débuté l’année dernière en décembre. Le service est assuré par une toute nouvelle flotte de 22 trains électriques Stadler. 

Les activités de Go-Ahead en Bavière vont encore s’étendre en décembre 2022, lorsque la société reprendra le service régional sur les lignes à haute fréquence Munich – Augsbourg – Ulm, Augsbourg – Donauwörth — Würzburg et Donauwörth – Aalen. Il restait à décider qui assurerait la maintenance de ce parc de matériel roulant, qui comprend également des wagons Siemens.

En décembre 2020, Go-Ahead attribuait à TMH International un contrat pour la maintenance de 22 rames Stadler Flirt3 commandées pour être utilisées sur les services E-Netz Allgäu, ainsi que de 56 rames Siemens Mobility. Mais en mai 2021, Stadler s’inquiéta vivement de cette arrivée avec la crainte d’un potentiel d’espionnage industriel. Stadler estimait que Go-Ahead n’avait pas respecté une condition contractuelle qui interdisait de sous-traiter la maintenance à un concurrent. Le différend fut finalement résolu.

Augsbourg
TMHI se chargera donc de la maintenance de 78 unités multiples de Stadler et Siemens à partir de 2022 et construit à cet effet un atelier à Langweid am Lech, près d’Augsbourg.

Avant même d’attribuer le contrat de maintenance à TMHI, Go-Ahead avait entamé le processus de développement du dépôt de Langweid am Lech, en réaffectant une friche industrielle à usage militaire abandonnée depuis plus de 20 ans. Le terrain nécessaire acheté par Go-Ahead a été transféré à TMHI et la construction de l’atelier est maintenant bien avancée.

Le site de construction de Langweid am Lech représente un investissement de plus de 45 millions d’euros. Au-delà du contrat de maintenance pour Go-Ahead Bavière, le dépôt de Langweid dispose d’autres capacités de maintenance gratuite pour tous les types de véhicules ferroviaires – quel que soit le fabricant. Ceci démontre la politique de TMH en Europe.

Alors que Go-Ahead souhaitait un simple point de maintenance, l’arrivée de TMH a permis d’aller bien au-delà. TMH estime qu’il existe une forte demande pour les opérations de routine, comme le reprofilage des roues, un élément important de la disponibilité des trains. C’est sur ce créneau que TMH veut se positionner en offrant ses services à tout type d’opérateur.

Cela montre combien il est nécessaire de disposer d’un environnement ferroviaire complet pour exploiter des contrats ferroviaires en Allemagne ou en Europe avec des objectifs de qualité élevés.

(photo Go-Ahead)

24/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

Créer un environnement ferroviaire complet et indépendant
10/01/2022 – Les difficultés auxquelles font face les nouveaux entrants sont caractérisées entre autres par le manque de facilités essentielles comme les ateliers de maintenance, un parc de matériel roulant grande ligne abondant et disponible en leasing et du personnel spécifiquement formé.


Siemens nimmt RRX-Instandhaltungswerk offiziell in Betrieb / Siemens officially opens RRX maintenance depotDortmund : Siemens construit son propre atelier d’entretien à l’ère des datas
06/09/2018 – après un an et demi de construction, Siemens Mobility inaugurait officiellement le nouveau dépôt de maintenance du Rhin-Ruhr Express (RRX). Cet atelier assurera la maintenance des 82 Desiro HC du RRX pour une période de 32 ans. L’atelier fait surtout entrer le rail dans l’ère numérique, avec sa maintenance prédictive, ses bons de travail numériques et son imprimante 3D pour les pièces plastiques urgentes.


Go-Ahead_Bade-WurtembergUn deuxième anglais en Allemagne : Go-Ahead pour 13 ans dans le Bade-Wurtemberg
17/11/2018 – Le groupe britannique Go-Ahead, qui dispose d’une filiale en Allemagne, va prendre en charge 8,1 millions de trains/kilomètres sur deux lignes autour de Stuttgart et un investissement de 45 rames Stadler.


Télécharger la mise à jour de l’ETCS ou l’interface nationale comme une application ?
30/08/2021 – C’est ce qu’envisage sérieusement The Signalling Company, une joint-venture créée en 2019 entre deux sociétés belges – ERTMS Solutions et l’opérateur fret Lineas. Elle met au point une nouvelle application mobile qui déclinera le système belge de classe B (TBL1+) à télécharger selon les besoins d’un opérateur ferroviaire. Mais aussi des mises à jour de l’ETCS…


La 5G, une technologie clé pour l’avenir de nos chemins de fer
21/09/2020 – La 5G est une technologie sans fil qui pourrait grandement aider nos chemins de fer à se moderniser. Maintenance prédictive, surveillance de la voie, occupation des trains en temps réel et même concept de signalisation, de nombreux domaines pourraient être impactés.


Quand les Régions reprennent la main sur le train du quotidien
11/10/2021 – La régionalisation de l’Europe est un fait, quoiqu’avec des formules diverses d’un pays à l’autre. On peut s’en rendre compte au travers de la gestion du transport par rail, qu’explique cet article.



Les raccordements ferroviaires peuvent-ils relever la part modale du rail ?

(Photo ci-dessus : Bahn.photos via flickr)
Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
17/01/2022 –
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Alors que la part du rail dans le transport terrestre de marchandises était encore de 33 % en 2010, elle tombera à 28 % d’ici 2020. Selon le Club autrichien des transports (VCÖ), le déclin des voies de raccordement d’usine vers le réseau ferroviaire public aurait une part de responsabilité, et une remise en question s’impose.

La voie de raccordement privée d’une usine vers le réseau principal est quelque chose qui existe depuis l’invention du chemin de fer. Toutes les mines de charbon étaient raccordées au rail, et ce sont d’ailleurs elles qui furent à l’origine de la construction des très nombreuses lignes ferroviaires d’Angleterre, de Wallonie, du nord de la France ou de la Ruhr. Par la suite, l’ensemble de l’industrie ainsi que par exemple les carrières ont toutes été raccordées au réseau ferré car à l’époque, le rail était un transport dominant.

Le développement du réseau routier, d’abord à pavés, puis en bitume dès les années 50, a complètement modifié ces paramètres. D’abord de nombreuses mines à charbon ont cessé d’exister, laissant des kilomètres de voies ferrées inutiles. Mais ensuite, la flexibilité du mode routier a largement surpassé les avantages du rail, à une époque où le souci écologique était égal à zéro…

Les camions, 1930, déjà… (photo diespeker.co.uk)

Aujourd’hui, certaines entreprises disposent toujours de raccordements ferroviaires privés, notamment dans l’industrie chimique, automobile, sidérurgique et certains grands entrepôts. Certains ports d’Europe disposent aussi d’un important réseau de voies en interne (Anvers, Rotterdam, Hambourg).

Mais il est indéniable que pour les PME et plus petites industries, le raccordement ferroviaire n’est plus la solution. Remplir 5 ou 10 wagons par semaine n’a rien d’écologique car c’est toujours une locomotive lourde qui doit venir les chercher, parfois très loin du réseau principal, sur des petites lignes UIC classées 7 à 9 et qui sont en mauvais état.

Les raccordements ferroviaires sont des chemins de fer non publics et ne proposent généralement pas de services réguliers. Bien qu’ils ne soient pas soumis à une obligation d’exploitation, ils sont soumis à une obligation de maintenance. Hélas, la législation catalogue encore ces voies comme du « chemin de fer lourd », avec toutes les contraintes que cela implique.

À cela s’ajoute cette vision si particulière des promoteurs logistiques de rechercher systématiquement des terrains le long des autoroutes plutôt que des lignes ferroviaires.

Cette vision est largement encouragée par la tutelle politique et par la pression des électeurs qui sont « échaudés par la présence des trains au milieu de leur belle campagne ». Alors un entrepôt, autant mettre cela où personne n’habite, c’est à dire le long des routes bruyantes…

C’est comme cela que, depuis les années 70-80, la quasi-totalité des sites logistiques ont été construits sur base exclusive des critères du transport routier. Et cela continue encore de nos jours…

Les objectifs climatiques
Cette évolution du transport de marchandises est contraire aux objectifs climatiques, car le transport par rail est beaucoup moins nocif pour l’environnement que le transport par route. Le transport de marchandises est responsable de 37 % des émissions de gaz à effet de serre du transport routier. Les poids lourds sont à l’origine de 99 % des émissions de CO2 du transport terrestre de marchandises. Par tonne-kilomètre, le transport ferroviaire de marchandises génère cinq grammes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre, alors que le transport par camion en génère plusieurs fois plus, avec une moyenne de 85 grammes.

Le transfert du transport de marchandises de la route au rail serait donc une contribution importante à une politique climatique et environnementale efficace. Dans ce contexte, le VCÖ attire l’attention sur le lien entre les entreprises et le réseau ferroviaire général, à savoir les voies de raccordement : en Autriche par exemple, deux tiers du volume de transport sur les chemins de fer sont assurés par les raccordements d’usine. Alors que chaque site d’entreprise bénéficie d’un raccordement routier financé par les pouvoirs publics, les entreprises doivent supporter une grande partie des coûts des voies de raccordement, critique le club de transport.

On peut cependant se poser la question de savoir si, vraiment, les entreprises de nos jours se soucient du CO2 quand leurs intérêts sont en jeu ! Qui voudrait mettre en péril son flux logistique en utilisant de mauvais services ferroviaires pour sauver la planète ? Car une entreprise vit de ventes, de délais, de fiabilité et de flexibilité. Peut-on décemment demander à Amazon de ralentir ses livraisons et d’utiliser le rail plutôt que des avions polluants ?

La brasserie Warsteiner du côté de Dortmund dispose de son propre terminal conteneurs, une exception… (photo Frank Bachmann)

Baisse des raccordements en Autriche
Selon le VCÖ, le nombre de raccordements actifs ne cesse de diminuer en Autriche. En 2020, il y avait 1.046 raccordements actifs enregistrés, dont seulement la moitié, 547, était exploitée. Par rapport à 2010, où 782 raccordements actifs étaient desservis, cela représente une baisse de 30 %. Au cours de la même période, la part du transport ferroviaire de marchandises en termes de tonnes-kilomètres nettes est passée de 33 % à 28 % en 2020.

Cependant, les transports par wagon isolé représentent près de la moitié de la part modale en Autriche et sont donc essentiels pour le succès de la part de marché du rail. Comparé à d’autres pays européens, l’opérateur public autrichien Rail Cargo Group a une densité de service très élevée avec plus de 400 points de manutention en Autriche et 350 en Hongrie. Environ deux millions de trajets sont effectués chaque année par wagon isolé. Il faut ajouter à ces chiffres les opérateurs privés.

En comparaison internationale, l’Autriche est mieux lotie que l’Allemagne, mais moins bien lotie que la Suisse. Alors qu’en Autriche, on compte en moyenne 20 raccordements actifs pour 100 kilomètres de voies ferrées publiques, la densité des voies de raccordement en Allemagne n’est que d’un tiers de celle de l’Autriche, avec 7 raccordements actifs par 100 kilomètres, soit un total de 2.314 « contrats de raccordement d’infrastructures actifs » en 2021. La Suisse compte, elle, 46 raccordements actifs pour 100 kilomètres, soit un taux de plus de 2 fois supérieur à celle de l’Autriche et… 7 fois par rapport à l’Allemagne.

La politique ne peut pas tout régler
La Suisse a eu quelques problèmes en subventionnant des raccordements privés d’usine. La Confédération soutient la construction de voies de raccordement par des aides financières, mais sous conditions de certains volumes transférés au rail, inscrites par contrat. En cas de volumes moindres, l’entreprise doit rembourser partiellement les frais de voies à la Confédération. Or en 2019, l’Office fédéral des transports a relevé des irrégularités et des non-remboursements qui ont dû être réglés au tribunal…

En Autriche, une enquête menée auprès des membres de l’Association des voies de raccordement montre que le manque de wagons adaptés, les temps de transport trop longs et les coûts trop élevés sont les principales raisons invoquées pour justifier l’abandon des raccordements d’usine. Un autre obstacle est la suppression des lignes secondaires. La situation est aggravée par le fait que les dessertes des trains de marchandises ne sont souvent maintenues que si les raccordements réalisent un chiffre d’affaires et un volume minimum. Or ce type de critères n’existe pas s’agissant de la route…

Contrairement au raccordement routier des entreprises financé par les pouvoirs publics, les nouvelles constructions, les extensions et l’entretien des voies de raccordement sont plafonnés à 40 % et à 2,5 millions d’euros au maximum – en contrepartie d’une période d’obligation de transport et d’un tonnage annuel minimum de transports.

Cela montre le grand danger d’activer des politiques chiffrées. Avec la pandémie actuelle et la baisse d’activité, que valent encore les contrats suisses ou autrichiens et leurs volumes à transférer ?

Le VCÖ appelle à un redressement du transport de marchandises par une meilleure absorption des coûts, des conseils d’experts pour les entreprises et la création d’un point de contact compétent. D’autres associations et pays font des demandes similaires. Il faut cependant que les opérateurs ferroviaires puissent trouver des solutions viables dans la politique des wagons isolés. Un secteur qui souffre d’avoir très peu évolué depuis plus de 100 ans, et qui nécessite encore de nos jours beaucoup de manoeuvres et de main d’oeuvre.

La volonté politique est une chose. Les desideratas de l’industrie en sont une autre. La technologie peut-elle être un remède ? Cela dépend. Jusqu’ici, le wagon autonome qui circule sans locomotive n’existe que sur papier. Et le jour où il existera, il faudra que l’administration l’autorise à circuler et que les politiciens donnent leur aval en changeant la législation ferroviaire. Ce n’est pas gagné…

Mise à jour 09/05/2022 : ajout des chiffres de raccordements allemands.

Delivrail, un projet français d’automatisation de fret ferroviaire sur petites lignes (photo Taxirail)

17/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

L’Interporto, un outil pour créer les conditions du transfert modal
06/12/2021 – L’Italie nous montre un modèle atypique de transfert modal, grâce à leur plateforme intermodale dont la loi oblige d’être connecté au rail. Les ‘Interporto’, une idée à prendre pour revitaliser l’usage du ferroviaire



Le rail pour remplacer les routiers ?
18/10/2021 – Ces derniers temps, des problèmes liées au manque de chauffeurs routiers ont obligé certains logisticiens à recourir au train. Le rail peut-il venir en secours à cette problématique ? Réponse pas évidente



Doubler le fret ferroviaire : un objectif très ambitieux
14/06/2021 – Il n’y a plus vraiment de débat sur l’importance de transférer le fret de la route vers le rail. Ce transfert est une stratégie clé pour contribuer à l’objectif de l’accord vert européen de diminuer les émissions de CO2 du fret. L’Europe s’est fixé pour objectif de porter la part de marché du secteur à 30 % d’ici à 2030. Réaliste ?


HS2-UKUn nouveau service petits colis par rail en Grande-Bretagne
25/02/2021 – Ils avaient disparu du train, ils reviennent. Qui ? Les petits colis. En G-B, la société Orion Logistics lancent des trains de « fret léger » pour faire mieux que la route. Objectifs : utiliser les grandes gares et des roll-conteneur


LogistiqueComment le rail devrait se reconnecter à la logistique
09/11/2020 – Comment le rail peut-il augmenter ses parts de marché ? En optant davantage pour une orientation logistique



RCAComment le train peut s’adapter à la logistique contemporaine
23/10/2017 – Depuis des années, le fret ferroviaire se bat pour sa survie. Il a décliné en France, il remonte ou se stabilise ailleurs. En ligne de mire : la logistique de distribution d’aujourd’hui qui demande une politique centrée sur le client et une réactivité pour laquelle le rail est mal adapté. Décryptage et propositions de remèdes…


Containers trainFret ferroviaire : pose-t-on les bonnes questions ?
19/08/2018 – David Briginshaw, éditorialiste de renom à l’International Railway Journal, signe un éditorial pessimiste dans l’édition du mois d’août. Il n’a pas tort. Intitulé « Les temps ne sont plus du côté des opérateurs de fret ferroviaire », cette chronique est un compte rendu de la Conférence de juin à Gênes. Qu’avons-nous appris lors de cette grande messe ?


ERA_Europe_RailwaysCinq exemples qui font gagner des clients au fret ferroviaire
26/11/2020 – Le fret ferroviaire peut aussi montrer qu’une bonne organisation logistique ainsi que des nouveautés technologiques permettent de lui faire gagner des clients. Démonstration.



Télécharger la mise à jour de l’ETCS ou l’interface nationale comme une application ?

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
30/08/2021 –
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C’est ce qu’envisage sérieusement The Signalling Company, une joint-venture créée en 2019 entre deux sociétés belges – ERTMS Solutions et l’opérateur fret Lineas. Elle met au point une nouvelle application mobile qui déclinera le système belge de classe B (TBL1+) à télécharger selon les besoins d’un opérateur ferroviaire. Mais aussi des mises à jour de l’ETCS…

En 2020, la DG Move avait mis en évidence plusieurs raisons de la lenteur de la modernisation de l’ERTMS en Europe. L’une d’elles est la faible disponibilité des modules de transmission spécifiques (appelés STM – Specific Transmission Module) et/ou des systèmes de classe B. La plupart des pays d’Europe (à de rares exceptions comme la Suisse et le Luxembourg) exigent que les anciens systèmes de classe B demeurent installés sur les véhicules, en plus de l’ETCS, afin d’être autorisés à circuler sur le réseau ferré national. La raison principale tient aussi au fait que les lignes non-équipées de l’ETCS sont encore très nombreuses en Europe, ce qui impose le maintien des STM à bord des trains.

Coûteux et peu concurrentiel
Le fait que les STM des différents pays soient encore incontournables posent de problèmes aux opérateurs internationaux, qu’ils soient de fret ou pour le service voyageurs.

Cela rend le fret ferroviaire non compétitif alors que des centaines de milliers de camions traversent la frontière sans avoir ce genre de problème technique. Un opérateur comme Thalys doit équiper une partie de ses trains de sept STM pour opérer en France et dans le Benelux : KVB, TVM430, TBL1+, TBL2, ETCS N2, ATB et LZB/PZB. Tout cela engendre des coûts de production à la hausse.

Mais le grand challenge, ce sont les locomotives. Beaucoup sont louées, signifiant aussi qu’en fin de contrat elles sont restituées au propriétaire. Les loueurs (Rosco – Rolling Stock Company) qui se retrouvent par exemple avec des locomotives aptes à l’Allemagne et le Benelux vont avoir beaucoup de peine à en louer au Danemark ou en Tchéquie. Motif : il faut rajouter les STM de ces pays, et peut-être enlever ceux du Benelux. Cette barrière à l’entrée pourrait trouver une solution si les STM étaient déclinés comme une application à télécharger.

Ouvrir un marché très fermé
Mais il y a encore une autre barrière : la fourniture de certains STM de classe B – parfois anciens -, est un marché très fermé. Les nouveaux fabricants qui tentent de vendre des solutions de classe B de manière indépendante sont confrontés eux-mêmes à des barrières à l’entrée élevées car les spécifications du système et les codes sources ne sont pas publics, il n’y a donc pas de marché pour les produits de classe B sur le marché secondaire.

The Signalling Company explique que quel que soit le nombre de locomotives nécessaires, il est actuellement impossible d’obtenir un échéancier clair d’un constructeur pour obtenir la mise à niveau nécessaire du matériel roulant et des systèmes de classe B. « D’un point de vue budgétaire, il n’y a pas d’autre option pour le nouvel entrant que d’accepter l’offre qu’elle recevra puisque les plateformes technologiques des fournisseurs actuels sont entièrement propriétaires », explique-t-elle. L’enjeu consiste donc à pouvoir installer et désinstaller rapidement des systèmes de classe B sur n’importe quelle locomotive dans toute l’Europe. Et par la même occasion, de décloisonné le marché et ses codes sources.

Suivre l’évolution de l’ETCS
Une autre préoccupation est que le logiciel ERTMS est appelé constamment à évoluer et être mis à jour au fil du temps, ce qui agace de nombreux opérateurs. Un matériel roulant à reconfigurer est un actif qui ne roule pas car il est en atelier. Tout cela est une source de coûts supplémentaires et un gros gaspillage de ressources.

Le secteur ferroviaire a convenu, suite à la publication de la version 2 de Baseline 3 en 2016, de « geler » les spécifications jusqu’en 2022 au moins. Cependant, cela a déjà retardé l’introduction des améliorations qui ont changé la donne, comme l’ATO. Stanilas Pinte, PDG de The Signalling Company, affirme que la politique de gel des spécifications « ne peut tout simplement pas fonctionner » à long terme. La réponse se trouverait dans une tendance plus large vers le « logiciel en tant que service », ce qui signifie que les mises à jour de la ligne de base ERTMS doivent être fournies sans qu’il soit nécessaire de revoir la conception du produit ou de procéder à des investissements importants. « Elles doivent être aussi simples que la mise à jour de votre smartphone, et presque invisibles pour l’utilisateur final« , explique Stanislas Pinte.

« Comme un smartphone », tel est en effet le concept de The Signalling Company, en guise de clin d’oeil, bien-sûr. L’enjeu consiste à pouvoir installer et désinstaller rapidement des systèmes de classe B sur n’importe quelle locomotive dans toute l’Europe et de mettre à niveau une nouvelle version ETCS rapidement, un peu à la manière d’une AppStore du rail. L’entreprise envisage à terme de proposer une grande série d’application fonctionnelles de différents pays et critiques pour la sécurité, et qui peuvent être téléchargées sur n’importe quelle locomotive pendant une simple nuit. La plate-forme abriterait d’autres applications fournissant des fonctionnalités comme l’ATO, le DAC (attelage automatique) ou d’autres technologies, contribuant au déploiement de l’ERTMS en Europe. Evidemment, télécharger un STM comme une app n’implique pas la fin des antennes multiples sous la locomotive comme on l’a expliqué plus haut. D’où l’urgence de s’en tenir à l’ETCS pour unifier les appareillages physiques.

Permettre aux trains de circuler à travers l’Europe aussi facilement que les camions ou les bus le font actuellement est essentiel pour stimuler la compétitivité du rail et réduire l’impact environnemental des transports dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Cela suppose donc d’éliminer ce type de barrière. Une de plus…

ETCS
Des appareillages multiples sous la locomotive…

30/08/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Railway signalling et rédacteur freelance
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Sources :

2019 – Lineas – A better ETCS onboard, no more no less

2020 – TheSignallingCompany – TheSignallingCompany to build new mobile app to function as the Belgian Class B system (TBL1+) on its ETCS Solution

2020 – Railway Gazette International – Chris Jackson – Freight: Lineas targets cost-effective ETCS

2020 – Railway Gazette International – Bringing ‘Silicon Valley best practice’ to ETCS development

2021 – Railtech.BE – Frédéric de Kemmeter – Une application TBL1+ à télécharger sur une locomotive

2021 – Railway Gazette International – Lineas orders TBL1+ interface as an app

2021 – International Railway Journal – New Belgian signalling app promises to simplify fleet updates

Pour approfondir :

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La semaine de Rail Europe News – Newsletter 031

Du 28 avril au 04 mai 2021

L’actualité ferroviaire de ces 7 derniers jours.

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L’édito

Pas de transfert sans intégrer les flux logistiques
Il n’y a pas un mois sans qu’on lise quelque part qu’il serait grand temps que les camions prennent le train. On ne sait pas très bien si ceux qui écrivent cela veulent avoir la route rien qu’à eux ou si c’est juste une de ces utopies destinées à alimenter les médias. Il est exact que nous aimerions tous voir moins de camions sur nos routes, tout particulièrement quand on doit, sur l’autoroute, conduire sur la bande de gauche car celle de droite est monopolisée par des kilomètres de bahuts. Toujours est-il qu’avant de lancer les meilleures idées du monde, il devrait être impératif d’analyser plus sereinement la situation réelle du terrain. On la résume brièvement : primo, l’industrie lourde de jadis a muté dans les années 70/80/90 vers des unités bien plus petites, plus spécialisées et produisant moins de volume. Ces milliers de PME et moyennes usines se sont éparpillées aux quatre coins des territoires nationaux précisément à la demande de nombreux élus locaux qui voulaient rassasier leurs électeurs et leurs garantir des emplois. Les voilà maintenant pris au piège de leur politique avec des nationales encombrées de camions et des pollutions majeures chez les riverains. Mais pourquoi des camions ? A cause des fermetures d’anciennes lignes ferroviaires entend-on souvent. Pas faux, mais le récit est incomplet. Car ceux qui écrivent cela furent aussi très actifs pour exiger d’implanter les zonings industriels loin des gares, loin du rail, loin des villages et des riverains. Privé de volumes, il ne fallait pas chercher bien loin les raisons de la défection du chemin de fer. Si on ne lui donne pas à manger, le taureau meurt de faim. Deuzio, les petites industries ne produisent jamais de quoi remplir un train chaque jour. Deux ou trois wagons suffisent, mais l’exploitation de ces petits groupes était telle que le transport finissait par coûter plus cher que la marchandise elle-même. Tout mis l’un dans l’autre, les fameux zonings industriels ont continué à prospérer et proliférer à l’écart du chemin de fer, ce qui nous vaut aujourd’hui les kilomètres de bahuts qui se rejoignent sur nos autoroutes. Le système routier, si flexible, est devenu l’instrument de base pour construire le flux logistique que chaque entreprise souhaite. Toute modification de ce flux logistique pourrait avoir des conséquences importantes sur toute la chaîne. Voilà pourquoi décréter la mise sur rail des flux de marchandises ne se fera jamais d’un claquement de doigts. Il faudra convaincre des non-convaincus de changer leurs flux, qui sont à la base même de leur politique de prix. Il faudra aussi réponde à l’éparpillement des entrepôts, offrir un service « de partout à partout ». Mais pour cela, le rail doit entamer un virage d’expertise logistique qui lui fait encore défaut, même si on assiste à des progrès çà et là. Intégrer les flux des clients pour lui offrir le meilleur service au meilleur prix demande un mental shift qui demande de tourner le dos aux méthodes du passé. Certains ont réussi le défi, d’autres n’ont pas encore rejoint la ligne de départ. En attendant, et faute d’équité fiscale dont nous parlions dans une autre chronique, autoroutes et nationales seront toujours aussi pleines de camions afin de garnir chaque jour vos rayons préférés…

Trafic fret

LineasBelgique – Lineas passe aux investissements stratégiques – L’opérateur belge de fret ferroviaire, entièrement privé, compte passer au stade des acquisitions pour grandir, après avoir établi son marché pendant 4 ans. Une première opération de croissance externe vient d’être signée avec la reprise de l’opérateur néerlandais Independent Rail Partner (IRP), qui fait 14 millions d’euros de chiffre d’affaires avec l’aide de 35 employés et d’une douzaine de locomotives. »De quoi nous permettre d’étendre notre réseau en renforçant notamment notre accès au port de Rotterdam qui devient un vrai hub pour nous comme l’est Anvers » explique Gert Pauwels au quotidien l’Echo. Le type même d’acquisition qu’il eut été impossible d’effectuer si on en était rester à la bonne époque B-Cargo. Lineas est un opérateur de bonne taille dans la liste des entreprises privées, mais fait encore figure de nain face aux géants comme DB Cargo ou Fret SNCF. Le réseau que Lineas a tissé à l’étranger lui permet d’envisager maintenant des acquisitions plus conséquentes afin d’avoir une taille critique plus importante. Lineas est détenue à 90% par le fonds d’investissement Argos Wityu et à 10% par le bras financier de l’État belge (SFPI) depuis une sortie du capital de la SNCB qui a préféré se recentrer sur le transport de passagers.
>>> L’Echo – Le champion belge du fret Lineas investit aux Pays-Bas

RegioJetTchéquie – Mission plutôt spéciale pour RegioJet – Élargir l’éventail des prestations. C’est un peu le sens de cette prestation insolite. De quoi s’agit-il ? D’une activité temporaire de poussage de trains de marchandises dans le cadre de la fermeture totale de ligne entre Prague et Česká Třebová. Pour la première fois, l’administration ferroviaire a proposé aux transitaires un service dit « push », car l’itinéraire de détour doit traverser dans la région de Vysočina sur une ligne raide nécessitant une allège. Les travaux étant une décision du gestionnaire de l’infrastructure, donc de l’État, il fallait trouver une solution pour aider les opérateurs détournés sans qu’ils aient tous besoin de louer eux-mêmes des machines supplémentaires. L’administration des chemins de fer a sélectionné les transporteurs pour le service push dans le cadre d’un appel d’offres public, auquel ont répondu les transporteurs ČD Cargo, LTE, ODOS et LokoTrain et Cargo Motion. RegioJet a remporté le contrat pour sa proposition de 9,44 millions d’euros sur trois ans et recevra un forfait quotidien de 8.584 euros sans TVA, quel que soit le nombre de kilomètres parcourus. Dans le cadre de cet accord, RegioJet déploiera deux locomotives sur la ligne de Přerov. L’une sera disponible 24 heures sur 24, l’autre uniquement la nuit. Le fonctionnement du service push est divisé en quarts de jour et de nuit 24h/24 et 7j/7. La coupure totale de ligne doit permettre une reconstruction par phases, qui dureront jusqu’en 2023, impliquant notamment la reconstruction/rénovtion d’ouvrages d’art ainsi que la mise à 550mm de haut de tous les quais des gares et arrêts de la ligne.
>>> Zdopravy.cz – Správa železnic rozšíří státní postrky. Kvůli výluce v Bezpráví bude RegioJet pomáhat nákladním vlakům do Přerova

Trafic régional transfrontalier

Haparanda-TornioVers la réouverture d’un petit tronçon nordique entre la Suède et la Finlande – C’est tout un symbole. Comme on le sait, la seule liaison ferroviaire entre la Suède et la Finlande n’est établie que tout au nord des deux pays, au fond du golfe de Botnie. Abandonnée depuis près de 30 ans mais pas déferrée, cette petite liaison transfrontalière va avoir une seconde vie dès 2023. Dans un premier temps, les services voyageurs redémarrent avec la filiale Norrtåg du norvégien Vy Tåg pour exploiter deux trains aller-retour par jour entre Luleå et Haparanda et un aller-retour entre Umeå et Haparanda, avec l’aide d’autorails Regina X52 à deux caisses. Haparanda, gare frontière en territoire suédois, a été entièrement reconstruite. La réouverture de cette gare frontalière offre ainsi à la Suède de nouvelles possibilités de relier le nord et le sud du pays au moyen de trains de voyageurs longue distance. Jusqu’au 1er avril, cette gare n’était desservie que par des trop rares trains de marchandises. Les trains suédois n’iront cependant pas encore dans la ville voisine de Tornio, malgré la voie à double écartement. La Finlande a en effet adopté depuis toujours l’écartement russe 1.520mm. Les voies « mixtes » sont présentes à la fois à Haparanda et Tornio. Du côté finlandais, depuis juin 2020, le gouvernement finlandais a électrifié un tronçon ferroviaire de 20 kilomètres entre les villes de Laurila et Tornio, grâce à une subvention de 1,6 million d’euros reçue en 2020 de la part de l’Union européenne. Pour que la connexion se concrétise, il est indispensable de renouveler, et notamment d’électrifier, le pont ferroviaire qui traverse la rivière Tornio. Les décisions relatives au financement du projet n’ont pas encore été prises, mais elles sont attendues avec impatience par l’industrie du tourisme, les établissements d’enseignement et les citoyens des deux côtés de la frontière. Rendez-vous en 2023…
>>> Zdopravy.cz – Švédsko a Finsko plánují zavést železniční spojení pro osobní dopravu

Infrastructures

Avlo-RenfeSuède/Allemagne – Vers des trains longs dépassant 800m ? – Dans la nuit de 17 avril dernier, un essai de train d’une longueur de 835 mètres a été réalisé avec succès entre Maschen au sud de Hambourg et Malmö, à l’aide d’une seule locomotive, dans ce cas-ci l’EG 3109, une machine à 6 essieux. La longueur du train test était de 832m pour un poids de 2271 tonnes, 2403 tonnes si on compte la locomotive. Des trains jusqu’à 835 mètres sont autorisés en Allemagne sur l’axe Maschen (Hambourg) – frontière danoise à Padborg et sur une grande partie du réseau ferroviaire danois sur les sections Padborg – Copenhague, Maschen et Fredericia. En Suède, cependant, la longueur maximale autorisée des trains est de 730 mètres en configuration de freinage P, tandis que l’infrastructure, y compris les longueurs de voies d’évitement, limite encore la longueur pratique des trains à 630 mètres. Cette différence entre le Danemark et la Suède signifierait une coupe du train au Danemark pour les « 100m de trop », ce qui est évidemment un gros gaspillage de ressources et est incompatible avec l’esprit européen et la politique des grands corridors RTE-T.Afin d’introduire une longueur de train de 835 mètres dans le trafic régulier, une adaptation de la réglementation en Suède est nécessaire, ainsi qu’une adaptation de l’infrastructure. Et une fois n’est pas coutume, une vidéo représente ce test.
>>> Infrastrukturnyheter.se – Trafikverket provkör 835 meter långa tåg

Technologie

Avlo-RenfeGrande-Bretagne – 5G et apprentissage automatique pour gérer la future ligne nouvelle HS2 – Digital Catapult, le principal centre d’innovation en technologie numérique avancée du Royaume-Uni, s’associe à HS2 Ltd, constructeur de la ligne à grande vitesse britannique, pour identifier et utiliser le potentiel offert par les technologies émergentes telles que la 5G et l’apprentissage automatique. Dans le cadre d’un accord-cadre de trois ans, HS2 s’appuiera sur l’expertise de Digital Catapult afin d’évaluer l’utilisation de technologies numériques pour gérer les actifs pendant la construction de la voie ferrée. Le premier projet du partenariat, qui débutera en mai, explorera comment la technologie sans fil 5G pourrait aider à surveiller les infrastructures HS2 telles que les ponts et les tunnels. En remplaçant l’équipement câblé fixe, il pourrait potentiellement permettre un déploiement flexible, facile et rapide de systèmes de surveillance n’importe où le long de l’itinéraire. La nouvelle ligne à grande vitesse traversera plus de 50 kilomètres de tunnels et plus de 16 kilomètres de viaducs. En remplaçant l’équipement câblé fixe, il pourrait permettre un déploiement flexible, facile et rapide de systèmes de surveillance n’importe où le long de l’itinéraire. « L’innovation, avec des technologies de pointe émergentes comme la 5G et l’intelligence artificielle, est appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans le succès de projets d’infrastructure nationaux importants comme HS2,» explique David Pugh, de Digital Catapult. « Les limites de ce que les systèmes numériques pourraient offrir pour HS2 sont susceptibles d’être très étendues. La liaison avec Digital Catapult garantira que le programme d’innovation de HS2 est connecté à cet environnement dynamique et passionnant pour exploiter les opportunités numériques pour la conception, la construction et l’exploitation du nouveau réseau ferroviaire à grande vitesse britannique,» enchaîne Andrew Pestana, directeur de l’innovation chez HS2 Ltd.
>>> Railtech.com – HS2 joins with Digital Catapult for 5G and machine learning

Avlo-RenfePays-Bas – ProRail signe un accord de gestion des communications voix et données GSM-R – Nokia a annoncé qu’il fournirait des services opérationnels et de gestion pour le réseau de communications voix et données du système de communications mobiles ProRail (GSM-R) aux Pays-Bas. Sur une période de 10 ans, Nokia fournira un vaste portefeuille de services comprenant la gouvernance opérationnelle, les opérations réseau et l’exécution, ainsi que des services de support pour la planification des fournitures, de la gestion des modifications, et de l’optimisation des services sur le terrain. « Cet accord représente une avancée majeure dans notre relation de longue date avec Nokia concernant le GSM-R. Il crée la plate-forme pour des performances du système à long terme et pour l’efficacité opérationnelle, tout en ouvrant la voie à la migration vers le futur système de communication mobile ferroviaire (FRMCS),» explique Arjen Boersma, Chief Information Officer chez ProRail. L’équipe de livraison de spécialistes de la planification et de la surveillance du réseau sera basée dans les bureaux de Nokia à Hoofddorp aux Pays-Bas, ainsi qu’au centre des opérations réseau de Nokia en Roumanie. Cette approche de livraison combinée donne à ProRail un accès au vaste bassin d’expertise et de connaissances de Nokia dans le domaine. Nokia s’appuiera sur ses expertises précédentes en matière de déploiement GSM-R et de services gérés. La firme finlandaise est un leader mondial du GSM-R, avec une vaste expérience dans la fourniture de systèmes GSM-R aux opérateurs ferroviaires de 22 pays couvrant 109.000 km de lignes.
>>> Nokia pressroom – Nokia selected by ProRail for 10-year managed services contract

Prochaine livraison : le 12 mai 2021

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Liège : le futur Duisbourg wallon ?

02/02/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Qu’y-a-t-il de commun entre Liège et la ville industrielle allemande de Duisbourg ? Un fleuve emblématique et un port fluvial pour chacune des deux villes. Mais Liège a de grandes ambitions.

Duisbourg (Duisburg) en Allemagne n’est connue que des initiés. Cette ville industrielle de presque 500.000 habitants, reliée en temps normal à Bruxelles par Thalys, est idéalement située sur les bords du Rhin. Un fleuve qui a créé sur 800 kilomètres et depuis plusieurs siècles l’une des zones les plus riches du monde. Si on en parle dans le petit milieu de la logistique, c’est parce que ce lieu est devenu un centre incontournable fleuve/rail d’Europe : 250 entreprises, 36.000 travailleurs et 21 bassins portuaires au sein du plus grand hub logistique d’Europe. Mais Duisbourg s’est aussi rendue incontournable sur un nouveau trafic : jusqu’à 60 trains par semaine circulent désormais entre Duisbourg et diverses destinations en Chine. Le trafic intermodal représentait en 2020 près de 4,2 millions d’EVP (Equivalent Vingt Pieds) et le trafic ferroviaire 30% des 61 millions de tonnes passant par cet ensemble. Qu’est-ce que cela à avoir avec Liège ? En fait, pour une raison que peu connaissent…

Liège, presque 200.000 habitants, a bien des points communs avec Duisbourg : un grand fleuve (certes moins « international »), un passé industriel révolu et des zones portuaires fluviales. La Meuse, au cours des siècles, n’a peut-être pas engendré l’une des zones les plus riches du monde, mais le fleuve compte beaucoup dans les activités de la région et est relié aux deux plus grands ports d’Europe : Rotterdam (où Meuse et Rhin se rejoignent), et Anvers, (via le canal Albert). Liège, par rapport à Duisbourg, est plus proche de ces deux grands ports mondiaux : 14h de bateau pour Anvers et 24 heures pour le port néerlandais.

Le Port Autonome de Liège (PAL) a été créé en 1937 et demeure le premier port intérieur belge (21 millions de tonnes en 2019) tout en étant le troisième port fluvial d’Europe. Le PAL assure la gestion de 33 zones portuaires, soit 382 hectares mis à la disposition des utilisateurs de la voie d’eau, échelonnés le long de la Meuse et du canal Albert en province de Liège. La zone portuaire liégeoise occupe près de 8.000 emplois directs et s’affirme comme un pôle économique régional de premier plan. Le Port de Liège continue à promouvoir l’intermodalité par la combinaison des différents modes de transports de marchandises en utilisant les atouts de chacun. Les plates-formes multimodales, comme celle de Renory et particulièrement celle de Liège Trilogiport, servent de centres de consolidation et de massification des flux de / vers les ports maritimes comme Anvers et Rotterdam.

(photo Port de Liège)

Le projet Trilogiport
Parmi ces zones, celle du Trilogiport tient une place à part. En 2003, la Région Wallonne entamait la procédure d’acquisition des 120 ha du site d’Hermalle-sous-Argenteau. La réalisation des travaux, en 2 phases, débuta en novembre 2008, après plus de cinq ans de procédures. Le site dispose de différentes connexions. Au niveau du réseau ferroviaire, le site est depuis récemment raccordé par une ligne longeant le canal pour arriver au centre de la plate-forme. Le Port autonome de Liège et la Wallonie ont ainsi investi près de deux millions d’euros pour aménager cet accès ferroviaire jusqu’au terminal à conteneurs. Le nom du projet est donc bien représentatif des trois modes de transport desservant le site: route – eau – rail.

Sur ce site de 120 hectares, sont rassemblés

  • un terminal à conteneurs géré par DPW Liège Container Terminals (15 ha);
  • une zone logistique (60 ha);
  • une zone d’intégration environnementale (40 ha).

La plate-forme logistique devrait permettre d’accueillir plus de 200.000 EVP par an et mais accueille aussi deux zones logistiques gérées par D.L. Trilogiport Belgium/Jost Group et WSC, totalisant pour le moment 123.000m² et environ 600 emplois. Pour la suite, 191.000 m² restent encore à développer, ce qui démontre le potentiel de Liège. Le fait que Dubaï Port World (DPW), troisième exploitant au monde de terminaux portuaires, s’intéresse aux activités de Liège en dit long sur le potentiel de l’outil fluvial liégeois. La création en 2018 de DP World Liège Container Terminals SA, associée à Tercofin et Liège Container Terminal (LCT), permet ainsi de ne trouver qu’un seul prestataire qui offrira deux terminaux à conteneurs, TRILOGIPORT au nord et LCT au sud de la ville et de la zone industrielle afin de choisir le plan de transport le mieux adapté aux besoins spécifiques des chargeurs et d’optimiser les coûts du transport routier sur le dernier kilomètre. 

Côté rail, Liège Trilogiport peut maintenant accueillir des trains de marchandises de 600 mètres de long mais doit les traiter sur deux voies de 320 mètres, ce qui implique des manœuvres. Le 9 décembre 2020, Trilogiport accueillait son premier train en provenance de Chine. Qu’on ne s’y trompe pas, ce train avait en fait été formé à… Duisbourg (on y revient, donc), où les conteneurs de divers trains provenant de Chine avaient été triés puis rassemblés sur un seul train à destination de Liège. Aucun wagon chinois n’arrive évidemment en Europe ! Le déroulé complet entre la Chine et Liège est le suivant :

  • Trajet Chine-Kazakhstan (ou Russie via la Mongolie) – Les conteneurs changent de wagons à la frontière;
  • Trajet Kazakhstan-Russie-Biélorussie jusqu’à la frontière polonaise (Malazewice) – Les conteneurs changent une seconde fois de wagons à la frontière;
  • Trajet Malazewice-Duisbourg où tous les conteneurs sont déchargés et triés – Les conteneurs changent une troisième fois de wagons;
  • Trajet final Duisbourg-Liège. 

Soit 20 jours complets Chine-Liège. Ce qui reste nettement inférieur au classique trajet maritime via un grand port (Anvers ou Rotterdam). Reste à trouver du fret de retour, à moins de renvoyer en Chine des conteneurs vides, ce qui n’est pas durable.

>>> À lire : Pologne – Terespol, une ville frontalière très fréquentée par les trains de Chine

L’autre plateforme, celle de Renory, accueille aussi des trains « de Chine » à raison de plusieurs convois par semaine, tous transitant par Duisbourg. Le tout premier train « direct de Chine » est arrivé à Renory le 2 juillet 2020 et les conteneurs s’accumulent sur une zone qui, à l’origine, voyait surtout des produits sidérurgiques.

>>> Complément de lecture : notre dossier spécial sur les trains Chine-Europe

Il serait cependant réducteur de ne s’en tenir qu’à la seule Chine. Il importe que Liège, au travers de Renory et du Trilogiport, devienne une véritable porte, une destination en soi. Duisbourg, encore elle, est en effet reliée à diverses destinations européennes tant en Italie qu’aux Pays-Bas, l’Allemagne du Nord et même la Scandinavie. C’est cela qui lui permet de devenir un hub principal pour la Chine, et de placer des milliers de conteneurs sur d’autres trains vers l’Europe, dont Liège. Dans le même ordre d’idées, on peut aussi comparer avec la plate-forme de Bettembourg, dans le Grand-Duché, qui s’est positionnée comme hub entre le Nord et le Sud-Ouest de l’Europe, principalement l’Espagne.

>>> À lire : Comment quatre acteurs disparates créent un flux intermodal

Les deux plate-formes de Liège pourraient très opportunément s’ancrer sur ces flux européens très porteurs, tout particulièrement en cette période de Green Deal européen où le train peut être mis au devant de la scène comme jamais ! Faire de Liège un « Duisbourg sur Meuse » prendra probablement du temps mais le potentiel est là. Ne le gâchons pas…

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21/12/2020 – Quatre acteurs au business différent, mais qui naviguent dans le même secteur, mettent en commun leur expertise pour créer un flux intermodal. Ou comment laisser les gens de métier faire du bon travail…


OBORComment une région peut dynamiser une économie favorable au train. L’exemple du nord italien

22/07/2020 – Comment les ports et les régions du nord de l’Italie peuvent-ils être aussi dynamiques ? Grâce à une régionalisation de la politique économique qui porte ses fruits dans une des régions les plus riches d’Europe.


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L’espoir semble de retour pour le service frigorifique Valencìa-Rotterdam

Testé en 2016 puis régulièrement exploité depuis mai 2019, le service Cool Rail entre Valence et l’Europe du Nord reprend un second souffle après quelques péripéties et un arrêt au printemps 2020.

Le service Valencìa-Rotterdam est un peu le « Trans Europ Express » du train frigorifique, en version, conteneur. Il avait été initié par Shuttlewise, un opérateur intermodal néerlandais qui semble avoir dû faire face à certaines difficultés. On n’avait plus de nouvelles de ce train au mois de mai 2020, et des informations contradictoires circulaient sur la poursuite du service. Ce que l’on sait, c’est que ce mois-ci, Euro Pool System – leader européen dans les caisses pliables en PVC, à l’origine du projet ferroviaire en 2016 – a désormais signé avec d’autres prestataires.

Reprenons les choses à leurs débuts. L’Espagne est le principal partenaire commercial de l’Europe du Nord-Ouest pour l’importation de produits frais tels que les oranges, les tomates et les concombres, des produits principalement transportés par route. L’Allemagne est le plus grand marché avec 100.000 conteneurs par an en provenance de Valence. Le Royaume-Uni est bon pour 60.000 conteneurs et les Pays-Bas pour 44.000 unités. 

En 2015, le prestataire de services logistiques Euro Pool System, Bakker Barendrecht (Albert Heijn) et l’Autorité du port de Rotterdam entendaient donner vie à un projet ferroviaire appelé « CoolRail », une liaison entre l’Espagne et l’Europe du Nord. Une première phase pilote se déroula sur cinq mois entre 2016 et 2017 et consistait en une liaison ferroviaire entre les villes de Valence et Cologne. À l’époque, le train était jugé potentiellement moins cher de 30% que le transport routier. Les oranges et les mandarines sont transportées en gros volumes, représentant respectivement 45% et 42% de tout le fret réfrigéré sur cette route. Les 4.032 camions actuellement parcourus par route chaque année peuvent être remplacés par 100 aller-retour en train à pleine charge. 

Les résultats de la phase de test furent positifs en termes de service et de fiabilité , mais pas en termes de prix, du moins du point de vue des commerçants néerlandais, qui devaient effectuer les derniers kilomètres vers les Pays-Bas par camions. Les choses changèrent le 6 mai 2019 quand le train, trois fois semaine, fut prolongé jusqu’à Rotterdam même, les tarifs semblant plus abordables. Sur une année, trois trains par semaine, cela représentent 13.000 camions, 22 millions de kilomètres et 15.000 tonnes d’émissions de CO2 en moins. En fonction des aliments transportés, on parle de 70 à 90 % de réductions d’émissions. 

«Cela été difficile à coordonner» , explique Anne Saris, responsable de l’agroalimentaire au port de Rotterdam. Gerjo Scheringa, directeur d’Euro Pool Group, déclarait de son côté que «créer cette liaison ferroviaire durable n’était pas une évidence. Tout le monde veut des transports plus écologiques, mais il n’a pas été facile de traiter avec les fournisseurs, les détaillants et plusieurs transporteurs. Et, en plus de cela, avec des compagnies ferroviaires de différents pays. La logistique imposait l’accord de la SNCF pour traverser la France, et de son homologue espagnol Renfe pour la traction en Espagne. «Il fallait d’abord les connecter, puis les aligner. Et plus il y a de parties impliquées, plus les discussions sont complexes,»  détaille Scheringa.

Une coopération qui n’est pas toujours à la faveur des clients du rail. Les services furent en effet marqués par des problèmes sur le parcours allemand, les grèves à répétition de la SNCF en 2019 et mais aussi par d’autres dysfonctionnements tout au long de la chaîne, alors qu’il circulait toujours durant la première phase de la pandémie au printemps 2020. Difficile ensuite de savoir ce qui n’a pas été fait, qu’est ce qui a roulé, ou pas ! Au mois de mai 2020 on n’avait plus de nouvelles du train mais on savait que tout était passé par la route ! C’est d’autant plus insondable si on se remémore en 2019 cette phrase du hollandais Maarten van Hamburg, PDG de Bakker Barendrecht : «La plupart des entreprises craignent injustement les problèmes et les retards. En Espagne, où le transport ferroviaire est plus élaboré, nous transportons 300 conteneurs par semaine et ils arrivaient parfaitement à temps. » Fred Lessing, associé à Cool Rail au nom d’Euro Pool System, déclarait aussi en 2017 que «la probabilité qu’un train arrive en retard est plus petite que la chance qu’un camion arrive en retard. Cependant, l’impact pour un train est plus important, car il implique simultanément plusieurs conteneurs ». Une fois de plus les réalités du terrain ont produit un autre discours ! Un seul train de conteneurs en retard, c’est 8 à 10 clients menacés d’un seul coup. Seule certitude : les mauvaises prestations ferroviaires ont été un argument de plus qui s’additionne dans le long carnet d’arguments des routiers…

On tente la relance !
Il est heureux qu’il y ait encore des gens qui y croient, au prix d’un grand nettoyage. La nouvelle annonce de l’automne 2020 a fait disparaître l’opérateur Shuttlewise et Fret SNCF à la traction. Dorénavant, les détails opérationnels sont confiés à Transfesa Logistics sur un autre flux lancé en mai 2020, vers la Grande-Bretagne, lequel est géré pour la traction en France par ECR. De ce fait, DB Cargo dispose ainsi d’une vue complète sur la prestation de bout en bout, ce qui peut aider pour la qualité. À priori la traction côté espagnole reste celle de Renfe.

Concrètement, cette liaison abandonne son trajet par Cologne et ferait partie de deux autres flux hebdomadaires lancés au printemps 2020 entre Valence (Ford-Almussafes) et Barking, près de Londres. Il s’agirait d’un contrat pour remplir un train Ford qui roulait à vide au retour vers la Grande-Bretagne (il transporte à l’aller des pièces détachées). Une partie du train sud-nord partirait sur Rotterdam via la Belgique, l’ensemble étant commercialisé sous le terme de « CoolRail powered by Transfesa Logistics ». Ce train passe toujours par Port-Bou pour passer à l’écartement UIC, en échangeant plutôt ici les essieux, et non en transbordant les conteneurs. Les volumes dédiés à Rotterdam ne sont pas encore très clairs et des ajustements peuvent être entrepris «à tout moment», sachant par ailleurs que ce type de trafic est fortement lié à la saisonnalité. À la relance du projet, il est question de passer à un train quotidien mais dans ce cas, cela se superposerait au train Ford qui ne circule que deux fois semaines. Mais rien n’est encore concret sur ce plan-là.

On peut s’étonner qu’il n’y ait pas de trains complets dédiés à Rotterdam. Mais la lecture du site du distributeur belge Colruyt démontre pourquoi. De novembre à mars (parlant de l’ancienne liaison), «nous importons chaque semaine deux conteneurs d’agrumes depuis l’Espagne avec Cool Rail. Une fois à Cologne, ces conteneurs sont acheminés par camion jusqu’à notre centre de distribution de Hal.» Après avoir été déchargés, ils sont remplis de bacs vides et effectuent le trajet en sens inverse. Cela démontre, avec seulement deux conteneurs par semaine, la faiblesse des volumes pour un seul client, Colruyt étant le numéro un belge avec 600 magasins ! Il devient clair que pour un tel groupe, passer au camion avec si peu de conteneurs est un jeu d’enfant au moindre écart de fiabilité du rail.

Mais revenons au nouveau service. Les promoteurs tablent dorénavant sur l’expansion du réseau. Le trajet vers Rotterdam permet d’étendre le service bien au-delà du Benelux, mais pas en train. L’objectif serait de mobiliser un maximum de chargeurs pour augmenter le remplissage du (demi) train. Le directeur des grands comptes de Transfesa Logistics, Pedro Ramos, explique ainsi que «le réseau a été étendu vers Cologne, l’Allemagne, la Tchéquie et la Pologne par route, de Rotterdam aux pays nordiques par voie maritime. » La liaison est donc centrée sur Londres via le tunnel sous la Manche pour éviter les futurs blocages douaniers dus au Brexit. Il y aurait, selon les chargeurs britanniques, des problèmes de capacités routières ainsi que des attentes importantes à Calais, ce qui encouragerait au report modal. Ce n’est donc pas tellement le motif climatique qui justifierait la démarche, même si le communiqué de presse insiste beaucoup sur le sujet…

On ne joue pas avec les denrées périssables
Cette solution s’adresse principalement aux clients de la grande distribution, des produits ou des coopératives qui souhaitent transporter leurs produits frais entre l’Espagne et l’Europe. Tesco, la plus grande chaîne de supermarchés du Royaume-Uni, s’est associée à Transfesa Logistics pour transporter des fruits et légumes d’Espagne vers le Royaume-Uni. Euro Pool Service serait aussi associé à des grands noms de la distribution belge et néerlandaise. Vont-ils reprendre confiance ?

Le monde de la logistique du froid est un microcosme peu connu du grand public. Il est pourtant essentiel pour alimenter nos rayons en « fruits du sud », comme les oranges, citrons, mais aussi les charcuteries et autres produits laitiers. La chaîne logistique du froid est directement liée à la problématique sanitaire : les denrées sont périssables rapidement en cas de problèmes, ce qui n’est pas le cas du café, du sucre ou des pâtes, appelés dans le jargon « produits secs ». Les conteneurs frigos sont bien plus chers que les classiques, du fait de leur 10cm de parois thermiques et du moteur frigo installé dessus. Tout cela en fait un business à part, très particulier. Il est donc fatal que ce type de chaîne logistique soit si sensible à la qualité transport, le brûlot Perpignan-Rungis est là pour le prouver. Et on ne s’étonne pas non plus que l’essentiel de cette chaîne se fasse par route : il vaut mieux un seul camion en panne qu’un train complet de 1000 tonnes…

L’enthousiasme semble de rigueur. «Nous avons intégré la dernière génération d’équipements Thermoking pour assurer une surveillance de la température à tout moment, dès la première seconde où les portes des conteneurs sont fermées», explique Pedro Ramos au Mercantil. Le PDG de Transfesa Logistics, Bernd Hullerum, est satisfait de cette nouvelle collaboration, et a expliqué que l’association avec EPS «est une excellente occasion pour nous de montrer au marché des produits frais que le rail peut être si rapide et fiable que le service routier. De plus, il contribue à réaliser des chaînes d’approvisionnement plus respectueuses de l’environnement, puisque le train émet neuf fois moins de CO2 que le camion. » On espère que cette fois les dysfonctionnements fonctionnels ne seront plus qu’un mauvais souvenir…

Port-Bou, en 2019 (photo Francisco Marín)

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Le wagon modulaire est-il l’avenir du fret ferroviaire ?

Les wagons de marchandises ont comme particularité de répondre à un secteur industriel précis, comme la chimie ou le blé. Mais le côté négatif de cette spécialisation est que cela entraîne une mono-utilisation qui provoque des retours à vide. Le wagon modulaire permet d’éviter cela.

Quand on veut atteindre des objectifs climatiques, il est essentiel d’éviter toutes les formes de gaspillages. En théorie, la quantité déclarée de marchandises transportées par wagon isolé est d’environ 30%. Il s’agit d’une technologie d’expédition de marchandises dans un wagon de chemin de fer ou dans un groupe de wagons avec le même type de marchandises, accompagnés d’un connaissement. Or, les wagons de marchandises, avec leur spécialisation, causent de nombreux trajets à vide, ce qui non seulement est anti-économique mais ce qui diminue aussi les capacités réelles d’emport de marchandises par rail. Ainsi, combien de trains de marchandises sont-ils réellement pleins quand certaines lignes ferroviaires déclarent être saturées ?

Il y a bien-sûr des cas où un wagon multi-usage est tout simplement interdit. Par exemple la chimie, un secteur très dangereux où chaque wagon a sa spécificité (transport de gaz ou d’huile, température ambiante de transport, pression des citernes). Il est évident qu’un wagon citerne se rendant au pôle chimique de Lyon avec du détergent ne peut pas revenir avec un chargement de Côte du Rhône ou de Beaujolais. En chimie, les parcours à vide sont inévitables. Mais qu’en est-il pour d’autres secteurs industriels ?

C’est ce qu’a étudié l’entreprise autrichienne Innofreight, dès 2002. Le système Innofreight se concentre sur des solutions innovantes et brevetées pour le transport de marchandises et les technologies logistiques. A l’origine, cette société a recherché à améliorer le transport de bois, un secteur essentiel en Europe Centrale, une région bien plus boisée que le Benelux ou le Nord de la France. Avec le système WoodTainer, le premier déchargement rotatif a fait ses débuts en 2004. Depuis, 15 ans se sont écoulés, au cours desquels Innofreight a pu contribuer à des innovations continues dans l’amélioration de la logistique ferroviaire en utilisant des conteneurs spéciaux. Les activités d’Innofreight ont officiellement commencé en 2005 – avec un premier groupe de wagons alimentant la papeterie Sappi à Gratkorn en copeaux de bois. Peu de temps après, d’autres wagons – et enfin – des trains entiers suivirent. Le WoodTainer XXL, présenté en juin 2005 à Ostrava, s’est avéré être le bon produit au bon moment. À l’été 2005, le nouveau système était déjà pleinement opérationnel. Au printemps 2006, 250 WoodTainers étaient déjà en service.

La particularité des conteneurs Innofreight est qu’ils sont manipulés par le dessous, via une fourche, et peuvent ainsi être entièrement tournés. Un nouveau reachstacker de 42 tonnes permet de fournir un pivotement permettant un déchargement très rapide. À la fin de 2006, six autres grands chariots élévateurs de la société suédoise Kalmar avaient élargi la flotte de chariots élévateurs Innofreight. Le reachstacker est équipé d’une balance étalonnable, ce qui élimine le besoin de peser des wagons qui prend du temps.

Le nombre de clients des industries du bois, du papier et de la pâte a augmenté rapidement. Innofreight a fourni, entre autres, l’usine de panneaux de particules de la société Egger à Unterradlberg au nord de St. Pölten, la société Mondi à Frantschach et M-Real à Hallein. En décembre 2006, Innofreight a pu livrer le 1 000e WoodTainer XXL à Papierholz Autriche. Le WoodTainer a également fait ses preuves dans le froid glacial des hivers polaires en Scandinavie en 2007: le WoodTainer XXL se transforme en WoodTainer XXXL – le profil ferroviaire suédois avec sa largeur maximale de 3,4 mètres permet une augmentation de volume jusqu’à 58 mètres cubes . Innofreight exploite donc pleinement le volume de chargement maximal et continue d’utiliser les conteneurs XXL en Europe centrale. De nombreux nouveaux clients ont été ajoutés en 2007 et en 2008, une filiale Innofreight a été créée en Suisse.

Aujourd’hui, l’entreprise, en coopération avec les transporteurs, réalise un million de mouvements de conteneurs par an avec près de 12.000 conteneurs en circulation, 1.200 wagons à plancher bas appelés InnoWaggon et 150 trains complets circulant sur le réseau ferroviaire. Le système est utilisé dans 14 pays et est exploité par 90 employés internationaux et 58 reachstacker avec un bras télescopique muni d’une fourche. La modularité et les combinaisons de la solution Innofreight System garantissent un haut niveau d’utilisation des capacités des outils de transport et d’expédition, ainsi que la flexibilité et l’efficacité. Le concept a été étendu à d’autres secteurs industriels et les conteneurs sont actuellement utilisés pour le transport de produits agricoles, de matériaux de construction, d’acier et d’autres produits métallurgiques, de produits énergétiques et de liquides.

L’atout essentiel du système est que l’on peut utiliser un même chassis de wagon pour des utilisations multiples. Innofreight ne se contente pas d’y installer des conteneurs, mais aussi des trémies amovibles, des citernes ou des caissons de transports de coils, comme le montre les photos ci-dessous. Un autre atout important des conteneurs Innofreight est que la firme a conservé les cotes ISO et les coins de prises par spreader normalisés, conçus pour le secteur maritime. Ces coins sont parfaitement visibles et intégrés sur tous les types de conteneurs.

Containers pour vracs solides (photo GT 1976 via wikipedia)

L’efficacité du système Innofreight peut être présentée, non seulement par sa modularité, mais aussi par sa capacité de chargement. Les wagons de type Fals (à bords hauts avec un plancher en forme de w pour le chargement rapide) ont un poids de chargement de 55 tonnes, tandis que l’unité à double-wagons Innofreight a un poids de chargement de 126,9 tonnes. La différence de poids de chargement avec deux wagons de type Fals est donc de 16,9 tonnes en faveur du concept Innofreight. Cela signifie qu’un train composé de 40 wagons de classe Fals aura 340 tonnes de moins qu’un train Innofreight. Le bois brut destiné à l’industrie du papier est transporté par des wagons à bogies Eas (wagons à bords hauts) d’un poids de 57 tonnes. En utilisant le système Innofreight, une unité de wagons peut être chargée de 4 conteneurs de 20′ d’un poids de 127 t, ce qui signifie un poids transporté supérieur de 13 tonnes par rapport aux wagons standard.

Il est important de distinguer ce système Innofreight d’un autre concept développé en Suisse : l’ACTS. Bien que l’ATCS utilise aussi un wagon plat modifié à peu de frais, il s’agit surtout d’un concept développé pour le secteur des déchets. Ces conteneurs ont moins de volume et pivotent à 45° pour être directement déchargé à l’aide d’un camion muni d’un bras à crochet. Ces conteneurs sont très utilisés pour les chantiers de construction et les parcs à déchets destinés au public. Le concept ACTS est bien utilisé dans les alpes mais ne semble pas avoir eu un grand succès ferroviaire dans d’autres pays.

>>> Voir le concept ATCS en vidéo

Ces dernières années, l’accent a été mis sur les wagons plutôt que sur les conteneurs. En Autriche également, le fabricant d’acier Voestalpine et l’opérateur public ÖBB produisent un wagon plus léger. Une entreprise commune a été signée en septembre dernier entre le client et son transporteur. Cette initiative ouvre la voie au développement de TransANT – le wagon à plate-forme léger et innovant, créé par les deux sociétés, qui établit de nouvelles normes de flexibilité et de modularité sur le marché de la logistique du fret.

Lancé à l’automne 2018, le TransANT est un châssis de wagon qui offre un avantage de charge utile allant jusqu’à quatre tonnes par wagon, grâce notamment à un châssis 20 % plus léger. Fabriqués en acier à haute résistance Alform de Voestalpine, les wagons à plate-forme sont proposés dans une variété de longueurs allant de 11 à 23 m. L’innovation réside ici dans la modularité de la construction du wagon. Quatre pièces essentielles sont standardisées et s’assemblent selon les besoins du client. Hormis la version la plus courte conçue pour fonctionner en paire, les wagons sont formés d’ensembles identiques optimisés pour une fabrication semi-automatique et configurés pour l’installation future d’un attelage automatique.

On obtient alors la longueur souhaitée et les frais d’étude sont très largement diminués, quelque soit la finalité du wagon. La question du crash test et des nombreuses normes qui encadrent la construction de ces wagons en kit est précisément ce qui fait la nouveauté technologique de ces véhicules autrichiens. Voestalpine a joué ici un rôle essentiel sur de nombreuses innovations, notamment en matière de soudure de carrosserie.

Si on regarde les derniers développements, il semblerait que la bataille pour le meilleur wagon soit lancée. DB Cargo, allié avec le loueur VTG, présentait aussi un wagon modulaire similaire en septembre dernier. Baptisé « m² », ce wagon est destiné à offrir une conception multifonctionnelle qui peut être personnalisée pour répondre aux besoins des clients. Selon ses promoteurs, l’objectif du « m² » est d’optimiser les paramètres du wagon tels que le poids, le kilométrage et le coût. On retrouvera ici quelques options du wagon autrichien TransANT. Les composants tels que les bogies, les essieux et les freins (freins à bloc ou à disque) peuvent également être adaptés à chaque utilisation donnée. 

VTG et DB Cargo ont travaillé en étroite collaboration dans le cadre du projet «Innovative Freight Car» du ministère fédéral des Transports, qui s’est achevé début 2019.

Ces exemples montrent toute l’importance de l’État d’investir dans la R&D nationale en se reposant sur l’ensemble de la filière, industrie privée y compris, plutôt que sur des projets menés en solo par une entreprise en monopole. Heiko Fischer, Président du Directoire de VTG AG, l’explique : «le passé l’a montré : ce n’est qu’ensemble que nous pourrons faire progresser le transport ferroviaire de marchandises et le renforcer face à la route. Avec les wagons modulaires que nous développons dans le cadre du projet, nous continuerons à améliorer l’offre pour nos clients et à accroître l’attractivité des chemins de fer.» Il reste maintenant à rajouter sur ces wagons innovants toute une série d’autres innovations technologiques, comme l’attelage automatique, ainsi que les innovations digitales en cours d’essais. On obtiendra alors des wagons qui, enfin, ne ressembleront plus à ceux que l’on construisait il y a 200 ans…

Sources :

2010 – Transport Research Market Uptake (Market-up) – Deliverable: D 3.1 – Selected case studies on transport innovation: R&D initiatives and market uptake of results
2016 – European Commission – Design features for support programmes for investments in last-mile infrastructure
2019 – Innofreight, annual review
2019 – Cordis Europa – Une technologie innovante pour des wagons modulaires devrait stimuler le développement du transport de marchandises par rail
2020 – Researchgate – Multimodal Transport as a Substitution for Standard Wagons

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Un bruyant convoi protestataire au cœur de Berlin !

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C’est plutôt inédit ! Dans une Allemagne d’ordinaire plutôt calme, les entreprises privées de fret ferroviaire ont organisé un chahut en convoi en plein cœur de Berlin, sous un soleil radieux.

L’action qui peut paraître ludique, était en réalité la toute première action de protestations – particulièrement puissante et audible -, pour obtenir des conditions de concurrence équitables et un soutien de TOUS les chemins de fer de fret, pas seulement de la seule Deutsche Bahn. Un train de protestation de locomotive de fret de près de 400 mètres de long a démarré à 11h20 à la périphérie de la capitale pour le voyage spécial « Hör das Signal, Berlin! » (« Écoute ce signal, Berlin! »). Le convois comportait les machines de 19 des 73 membres de l’association Netzwerk Europäischer Eisenbahnen (NEE), et portait le slogan de la campagne « 100% d’engagement, 50% de part de marché, 0% d’aide Corona ». Elles ont faire un tour de Berlin toutes sirènes hurlantes, y compris en traversant le grand axe ouest-est, et s’arrêtant notamment à la Hauptbahnhof, qui est à proximité des Ministères et du Bundestag. Parmi les « protestataires », Captrain (SNCF) et Lineas, l’opérateur belge.

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(instagram NEE)

Mais qu’est-ce qui fâche tant ces entrepreneurs privés en Allemagne ? Ludolf Kerkeling, président du conseil d’administration de l’association NEE explique qu’ « il ne devrait y avoir aucun traitement préférentiel pour les chemins de fer de fret DB (…) Nos membres sont depuis longtemps le seul moteur de croissance du transport ferroviaire de marchandises. Ils souhaitent tous contribuer encore plus au transfert modal grâce à des offres modernes et orientées client. Ils veulent laisser la crise Corona derrière eux le plus rapidement possible et ne pas se laisser rétrécir par la politique fédérale fixée sur DB. »

Ce qui n’est pas digéré en Allemagne, c’est que seule DB Cargo bénéficierait de subsides dits « Corona », mais pas les autres opérateurs, qui ont pourtant roulé durant la première vague de la pandémie. De nombreux commentateurs voient dans les subsides accordés au seul groupe Deutsche Bahn une manière d’éponger des pertes antérieures, sans rapport avec la pandémie. « L’injection de capitaux provenant de l’argent des contribuables, qui n’est prévue que pour DB, n’est pas autorisée en vertu du droit de la concurrence de l’UE, car elle permet à DB-Cargo, entre autres, de mettre ses concurrents hors du marché, » explique Ludolf Kerkeling.

Sur le quai de Berlin-Hauptbahnhof : Peter Westenberger, directeur général de NEE et Henrik Würdemann, directeur général de Captrain Deutschland GmbH (photo Captrain)

Depuis l’ouverture du marché du fret ferroviaire en 1994 en Allemagne, les opérateurs privés se sont considérablement développés et sont désormais responsables de plus de la moitié du transport ferroviaire de marchandises, avec une tendance toujours à la hausse. L’incompréhension est donc de mise plus de 25 ans après, quand un gouvernement semble « oublier » l’existence même de ces sociétés, qui ont construit des flux, créé des emplois et participé à la croissance et aux exportations allemandes, avec une autre manière de faire du train. « Nous exigeons que le gouvernement fédéral n’accorde aucun traitement préférentiel à DB Cargo, propriété fédérale. L’aide d’État pour pallier aux pertes de la pandémie devrait suivre les mêmes principes pour tous les opérateurs de fret, » martèle Ludolf Kerkeling. Dans le cadre de la procédure d’examen concernant les aides DB, l’association NEE a pu précisé le risque de menace de distorsion de concurrence que cela représentait. Une bataille de lobbying est en cours à Berlin et à Bruxelles. « Afin d’obtenir plus de marchandises sur les rails, des conditions de concurrence équitables doivent s’appliquer au sein de notre industrie, mais aussi entre le rail et la route, » a déclaré Henrik Würdemann, directeur général de Captrain Allemagne, qui a participé à la manifestation.

Le train de protestation, qui pesait environ 1700 tonnes et se compose de 19 locomotives de fret colorées d’une puissance électrique totale installée d’environ 100.000 kilowatts, partait de Wustermark et était tiré par une seule locomotive TRAXX électrique d’un côté, puis par une TRAXX DE dans un autre sens. Passage de ce train à l’Est de Berlin, du côté de Ostkreuz :

Commentaires çà et là :

Alstom va tester des locomotives de manœuvre automatiques aux Pays-Bas

(photo Lineas)

Alstom a signé un accord avec le gestionnaire néerlandais ProRail pour procéder à des essais de conduite automatique de type ATO sur des locomotives de manœuvre diesel-hydraulique appartenant à Lineas, opérateur privé belge.

Alstom a signé un accord avec ProRail, l’opérateur d’infrastructures néerlandais, pour procéder à des essais de conduite automatique ATO sur des locomotives de manœuvre en 2021. Les essais seront réalisés au plus haut degré d’automatisation (GoA4) dans une gare de triage. L’objectif est de montrer comment l’utilisation de trains entièrement automatisés peut optimiser l’exploitation ferroviaire et ainsi garantir une mobilité rentable et pérenne face à une hausse de la demande d’opérations de manœuvre.

Alstom équipera pour cela une locomotive de manœuvre diesel-hydraulique appartenant à l’opérateur belge Lineas, avec une technologie de contrôle automatique et d’un système intelligent de reconnaissance et détection des obstacles. Il devrait s’agir d’une HLD77/78 mais ce n’est pas encore précisé. Les tâches ordinaires, telles que le démarrage et l’arrêt, le couplage des wagons, le contrôle de la traction et des freins ainsi que la gestion des urgences, seront entièrement automatisées sans personnel actif à bord du train, sauf pour celles liées au protocole de sécurité des essais.

L’ATO, pour Automatic Train Operation, est un dispositif d’amélioration de la sécurité opérationnelle basé sur un degré d’automatisation par grade allant du niveau GoA 0 (en anglais Grade of Automation), en passant au GoA 2 où démarrages et arrêts sont automatisés, et pouvant aller jusqu’au niveau GoA 4, où le train roule automatiquement sans personnel de conduite à bord. À ce jour, ce sont plutôt les métros en circuit fermé tels la ligne 14 à Paris ou le VAL de Lille qui peuvent prétendre au niveau GoA 4, avec différentes configurations et systèmes de contrôles selon les cas.

Alstom a démontré les avantages de l’ATO, en particulier sur des systèmes de métro à travers le monde. L’expérience montre que l’automatisation entraîne une augmentation de la capacité, une réduction des coûts, des économies d’énergie et  une flexibilité opérationnelle. Les trains automatisés peuvent circuler de façon plus rapprochée, les temps de réaction humains n’étant plus un problème, ce qui permet d’augmenter efficacement la capacité du réseau. Les trains fonctionnent également de façon plus uniforme, ce qui permet une utilisation plus efficace de l’énergie.

L’ATO sur « grand chemin de fer » existe déjà mais n’est pas encore la règle. Il peut être superposé  sur le système de sécurité ETCS de niveau 2 et tous les grands fournisseurs fournissent leur solution. Un test d’ATO de niveau GoA 2 Siemens a par exemple été entrepris avec succès, en mars 2018 au Royaume-Uni, sur la ligne RER Thameslink traversant Londres. Fin 2018, Alstom avait procédé avec succès à l’essai du système ATO à un degré GoA de niveau 2 avec ProRail et une locomotive de fret de Rotterdam Rail Feeding (RRF) sur la Betuweroute, une ligne de fret dédiée reliant Rotterdam à l’Allemagne. Le grade GoA 2 signifie que le train se déplace automatiquement et s’arrête précisément à quai, sans intervention du conducteur, en fonction du profil de trajet fourni par ATO trackside.

L’équipe suisse Auto-Ferrivia a aussi réalisé une forme originale d’ATO sur un train ancien, là aussi avec succès, sur une échelle GoA 2. Son concept d’ATO est largement indépendant sur le plan technologique du véhicule et de l’infrastructure et convient plus particulièrement aux chemins de fer aux conditions d’exploitation simples, sur n’importe quel train, ce qui pourrait intéresser les petites lignes. En février 2020, West Japan Railway a testé avec succès le fonctionnement automatisé des trains sur une section de la ligne de boucle d’Osaka, en vue de l’introduction de l’ATO sur ses itinéraires les plus fréquentés de la région d’Osaka.

En février 2020, Stadler, en collaboration une fois encore avec ProRail, la Province de Groningue et Arriva Netherlands, a mis en service un train d’essai doté de l’ATO avec cette fois un groupe de VIP à bord. C’était la première fois que des voyageurs aux Pays-Bas montaient à bord d’un train qui peut accélérer et freiner automatiquement. Pour garantir la sécurité du train, celui-ci fonctionnait sous un système de protection des trains et sous la surveillance obligatoire d’un conducteur. On le voit, un peu partout, des projets prennent forme.

L’expérience d’Alstom aux Pays-Bas va encore plus loin puisqu’il s’agirait d’une toute première automatisation GoA niveau 4 avec des trains de manœuvre aux Pays-Bas. « Ce projet ouvre la voie à un réseau ferroviaire entièrement digitalisé. Ces essais permettront au système ferroviaire européen de bénéficier d’une plus grande capacité, d’une diminution de la consommation d’énergie et des coûts tout en offrant une plus grande flexibilité opérationnelle et une meilleure ponctualité. Ce test s’inscrit pleinement dans la stratégie d’Alstom, visant à apporter une valeur ajoutée à nos clients pour une mobilité verte et intelligente » commente Bernard Belvaux, Directeur général Alstom Benelux.

En procédant à ces essais aux Pays-Bas, Prorail et Lineas affichent leur volonté d’introduire des trains automatisés et de contribuer au développement de systèmes ferroviaires modernes dans le pays. Alstom entend être un leader en matière d’ATO et participe notamment à Shift2Rail.

(photo Enno)

Un autre projet d’essais d’Alstom vise à mettre en œuvre le système de conduite automatique (ATO) pour des trains de voyageurs régionaux en Allemagne. Ce projet débutera en 2021 avec la collaboration de l’Association régionale de la ville de Braunschweig, du Centre aérospatial allemand (DLR) et de l’Université technique de Berlin (TU Berlin). Après évaluation des voies sélectionnées et de l’équipement nécessaire à la conduite automatique, les essais seront effectués avec deux trains régionaux Coradia Continental appartenant à Regionalbahnfahrzeuge Großraum Braunschweig GmbH.

Pour ce projet, deux trains basés sur la fameuse plateforme Coradia Continental d’Alstom seront dotés du système européen de contrôle des trains (ETCS) et d’un équipement de conduite automatique (ATO) qui permettra aux trains de fonctionner de manière automatique, en testant différents niveaux d’automatisation GoA3 en service voyageurs normal et GoA4 pendant les manœuvres. « La conduite automatique des trains est l’un des défis les plus passionnants de l’industrie ferroviaire. Elle nous offre la possibilité de modeler et de modifier radicalement la gestion opérationnelle de demain. Mais de nombreuses recherches sont encore nécessaires avant d’y parvenir et je suis très heureuse de travailler avec Alstom sur ce projet » a déclaré Birgit Milius, Chef/Professeur du Département des opérations et infrastructures ferroviaires de l’Université TU Berlin et responsable scientifique du projet.

Les résultats de cet important projet contribueront de façon décisive à une meilleure définition du cadre juridique et réglementaire de la conduite automatique des trains. La Basse-Saxe, qui a annoncé son intention d’exploiter des trains régionaux au niveau d’automatisation GoA3, sera à la pointe de la technologie dès que le projet aura fait ses preuves.

(basé sur communiqué de presse Alstom)

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Voith remporte un contrat de quatre ans de maintenance auprès de Lineas

Comme chacun d’entre nous, la loco va maintenant au garage de son choix. La maintenance du matériel roulant n’est plus le monopole des entreprises historiques mais un business des constructeurs ou d’entreprises spécialisées.

Le principal objectif des opérateurs ferroviaires est d’accroître de manière rentable la disponibilité et la fiabilité des flottes. Étant donné que le matériel roulant est exploité jusqu’à 30 voire 50 ans, la maintenance peut parfois représenter environ 50 % du coût global d’exploitation, ce qui est considérable. Les limites d’une flotte composée principalement d’équipements anciens déterminent le régime de maintenance actuel : pour les composants de sécurité très réglementés ou incontournables (climatisation…), une maintenance préventive planifiée en fonction du temps ou de l’utilisation est effectuée. Pour tous les autres composants, la stratégie de maintenance consiste en une réparation réactive non planifiée, c’est-à-dire uniquement en cas de défaillance. Or, le matériel roulant acheté il y a 20 ou 25 ans peut voir de nombreux composants devenus obsolètes technologiquement, voire parfois plus fabriqués du tout !

Voïth remporte un grand contrat de maintenance

Les 170 locomotives diesel belges de série 77 et 78 furent livrées entre 1999 et 2005 à la SNCB, époque où Lineas n’existait pas puisqu’il s’agissait encore de B-Cargo. Il s’agissait du modèle MaK G1206 construit par Vossloh à Kiel dans le nord de l’Allemagne, un modèle qui eut un énorme succès en Europe, grâce à la ténacité d’une belle équipe d’ingénieurs qui a pu proposé un produit de qualité. C’est cette firme qui vient d’être rachetée par CRRC, et qui permet aux chinois d’entrer sur les terres convoitées de la traction européenne.

Plusieurs des machines série 77/78 de la SNCB sont passées en avril 2017 chez Lineas, nouveau nom que porte dorénavant l’ancien B-Cargo devenu entreprise privée de fret ferrovaire, la plus grande de Belgique.

>>> À lire : De SNCB Cargo à Lineas

Les MaK G1206 (MaK provient de Maschinenbau Kiel), appartiennent à la troisième génération de locomotives sorties par Vossloh, quand aujourd’hui la firme en est à la cinquième génération, avec notamment le successeur du modèle G1206, la locomotive DE 18. C’est donc une technologie ancienne qu’exploite Lineas, même si c’est encore « moderne ». 30 locomotives belges de série 77, pleinement propriété de Lineas, vont bénéficier d’un contrat de maintenance qui comprend une révision principale dans un périmètre de base défini et d’autres options pour les composants spécifiques ainsi que pour la transmission turbo L4r4.

Les travaux seront réalisés sur une durée de quatre ans et demi. Les fondements de cette collaboration reposent sur l’amélioration de la fiabilité, la réduction des coûts et l’optimisation des durées de maintenance. En plus d’analyser l’état technique des véhicules, Voith effectuera plusieurs mises à niveau dans le cadre de la révision. Mais qui est Voith, entreprise fondée en 1867, alors que les locomotives viennent de Vossloh ?

Voith, siège social dans le Bade-Würtemberg, compte aujourd’hui plus de 19 000 employés, un chiffre d’affaires de 4,3 milliards d’euros et des sites dans plus de 60 pays à travers le monde et est ainsi l’une des plus grandes entreprises familiales en Europe. Ces activités s’étendent aux machines industrielles, à l’industrie automobile et au génie mécanique. Les locomotives de Lineas iront dans la division Voith Turbo, spécialisée dans les systèmes d’entraînement mécaniques, hydrodynamiques, électriques et électroniques. En plus de l’analyse de l’état technique, Voith réalisera également diverses mesures de modernisation des véhicules dans le cadre de la révision. « En maintenant les composants existants, nous évitons de produire des coûts supplémentaires à nos clients », explique-t-on chez Voith.

« Il s’agit de la première étape d’un partenariat à long terme entre Voith et Lineas », explique Vincent Delfosse, Asset Maintenance Manager chez Lineas. « Grâce à Voith, nous avons le soutien d’un partenaire de service solide et fiable avec une vaste expérience dans la technologie des locomotives diesel qui peut nous fournir des services d’entretien qualitatifs adaptés à nos besoins. » Voïth est, il est vrai, un fournisseur de longue date de ses transmissions hydrauliques Voith L4r4. La firme retrouve donc une technologie qu’elle maîtrise parfaitement, installée sur les machines belges Vossloh (aujourd’hui CRRC).

(photo Voith)

Cette maintenance n’aurait pas pu être externalisée si on n’en était resté aux carcans nationaux, époque où les entreprises historiques se chargeaient elles-mêmes de l’entretien, dans de multiples dépôts qu’il fallait faire tourner au gré de « divers équilibres ». Aujourd’hui, les frontières ouvertes ont permis l’éclosion d’un nouvel écosystème ferroviaire où peuvent s’exprimer les meilleurs savoir-faire.

L’avantage pour Lineas est d’être en dehors des plannings de maintenance des dépôts de la SNCB et de pouvoir elle-même gérer l’utilisation de la flotte. C’est une preuve supplémentaire que la sectorisation du rail était la bonne politique pour rehausser les services offerts aux industriels.

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