05/07/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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L’actualité récente nous le montre : le numérique se répand partout et le chemin de fer n’y échappe pas. Le sujet a de surcroit une dimension presque politique puisqu’il impacte la définition même du service à offrir au public.
Le vieux chemin de fer est entré dans un XXIème siècle technologique et de plus en plus digital. Personne n’y croyait dans les années 70 et 80, persuadé qu’une technique du XIXème siècle était vouée au déclin irréversible. Deux facteurs prouvent l’inverse :
• le chemin de fer est bien passé de la première révolution industrielle (charbon), à la seconde (énergie fossile et électrique)
• le chemin de fer, globalement en retrait depuis les années 60, redevient une option pour un futur décarboné et, moyennant une profonde mutation de son exploitation, il est capable de répondre aux nouvelles donnes sociétales.
Parmi les nouvelles donnes, celle du numérique est la plus révolutionnaire. Elle correspond à la troisième révolution industrielle, celle des données, des datas. Qui détient les données numériques sera roi du monde. C’est déjà le cas des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), ces géants qui savent tout de votre vie privée.
Les exemples ne manquent pas sur les possibilités offertes par la digitalisation. Alors qu’au XIXème siècle, chaque petit groupe d’aiguillages avait pratiquement son poste et son « aiguilleur » (en stand-by permanent, qu’il y ait des trains ou non), aujourd’hui, la Belgique est passée de 200 anciens postes à 31 cabines de signalisation, pour gérer près de 4000 circulations par jour (hors Covid-19). Cela n’a pu être possible que par l’implantation de la fibre optique, un câble qui envoient de signaux digitaux sans aucunes limites de distance. À terme, 10 centres de contrôles seront suffisants sur le réseau Infrabel. Le personnel est évidemment formé à cet environnement nouveau.

Les défauts du réseau ferré sont une autre pierre angulaire de la digitalisation. Le terrain peut parfois bouger, de quelques millimètres, puis finalement céder sous les forces de dame Nature. Network Rail, le gestionnaire britannique, gère ainsi le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes de plusieurs manières. L’un des projets consiste à installer 60 stations météorologiques Findlay Irvine à des points stratégiques de la région Nord-Ouest et Centre de l’Angleterre. Ces stations digitales envoient en permanence leurs données vers des centrales et permettent, le cas échéant, l’envoi des bonnes personnes au bon endroit et au bon moment.
La mort du wagon isolé, souvent programmée, n’aura peut-être pas lieu, et on ne peut que s’en réjouir. Mais il fallait revoir de fond en comble les manières de procéder. La collecte manuelle d’informations « à l’œil » n’est pas toujours parfaite et peut être source d’erreur et de lenteur. Au triage de Munich-Nord, DB Cargo tente le tout en un en faisant passer les wagons triés en bosse par un portique munis de multiples caméras. Objectifs : pas seulement comptabiliser les wagons, mais détecter les défauts de chargements éventuels, surtout au-dessus, une zone inaccessible pour les travailleurs du rail (besoin d’échelle, de mise à terre de la caténaire, lourdeur des processus,…)
>>> À lire : Munich-Nord devient le premier triage numérique d’Allemagne

Le plus grand triage des Pays-Bas, Kijfhoek au sud de Rotterdam, va bénéficier de la solution Trackguard Cargo MSR32 de Siemens, un système permettant d’automatiser tous les cycles d’opérations de tris. Objectifs là aussi : rationaliser les séquences opérationnelles à tous les niveaux, de l’arrivée du train jusqu’au départ du train, et permettre l’automatisation maximale possible de tous les cycles de travail et des opérations de tris. Le système prend en charge de manière entièrement automatique la définition des itinéraires pour toutes les coupes.
>>> À lire : Pays-Bas – Siemens remporte la modernisation du triage de Kijfhoek
Le numérique est à la fois une opportunité et un immense défi pour ramener les clients vers le rail : le risque de ne pas exister dans la galaxie internet. Or, si on veut décarboner le monde, l’internaute doit connaître votre existence, vos offres de services et quel prix il est demandé pour se déplacer de A vers B. Sur ce thème, la concurrence est extrêmement rude car l’accumulation des données de tous les types de transport et leur analyse rapide en quelques secondes sur les serveurs des GAFAM peut se traduire par des offres de transport qui évitent le train. Le train doit donc être présent sur internet de manière multiple :
• en faisant mieux et moins cher (exploitation rationnelle avec les outils numériques) ;
• en promotionnant des offres rapidement compréhensibles et en distillant en temps réel l’info trafic ;
• en construisant du matériel fiable, moins lourd, moins agressif pour la voie grâce à de nouvelles technologies ;
• en fiabilisant l’exploitation par une surveillance en temps réel des éléments techniques (usures, dégradations,)
On peut ergoter des siècles sur les inégalités de traitement que procure le digital dans la sphère privée au travers de l’utilisation que chacun fait d’un smartphone – ou pas. Mais on ne comprendrait pas pourquoi le chemin de fer ne devrait pas tenir compte de l’immense majorité possédant le précieux joujou en poche. Le digital est un outil magistral pour connaître les goûts des gens… dont ceux qui ne prennent jamais le train !
>>> À lire : Passer du produit au client – Le rail peut-il s’inspirer des Gafam ?
Le digital offre aujourd’hui des services comme celui de réserver son sandwich ou autres gâteries au bar TGV sans de voir faire la file. Il permet ainsi à la SNCF de voir ce qui est le plus commandé et de prévoir – ou revoir le cas échéant –, la carte proposée.
Et l’humain dans tout cela ?
Débat éternel depuis l’apparition de l’homme et la femme sur terre. Les progrès font peur à eux qui estiment – souvent à tort -, ne pas être à la hauteur. Mais surtout, il fait peur à ceux que l’on a enrôlé dans des filières métiers avec de nombreuses promesses sociales à la clé. La diffusion d’une innovation dans une économie provoque toujours la disparition de certains métiers et en fait émerger de nouveaux. Ainsi, la locomotive électrique a certes fait disparaître le « duo de copains » qui était titulaire de « sa » locomotive à vapeur, mais il a rehaussé le métier de conducteur de train et fait disparaître du chemin de fer l’un des combustibles les plus polluants de la planète. Le deuxième conducteur n’a plus non plus aucune nécessité dans une locomotive moderne, surtout avec la mise en service progressive (certes trop lente…) de l’ETCS qui indique au conducteur les ordres de mouvements en cabine.
L’attelage automatique – enfin en cours de développement et de tests en ce moment -, est un gain sérieux pour la sécurité du personnel, qui sera amené à faire un métier plus valorisant que la simple tâche d’atteleur.
>>> À lire : L’attelage automatique sur wagon de fret va-t-il devenir une réalité ?

Et puis il y a des métiers qui disparaissent sans que ce soit la faute du digital. C’est notamment le cas des porteurs à bagages depuis l’avènement des valises à roulettes. Celui des bureaux d’information depuis que chaque citoyen connait encore mieux les astuces de voyage depuis son smartphone.
La pyramide des âges, assez élevées aux chemins de fer, a fait que beaucoup de ces personnes sont parties à la pension et n’ont pas été remplacées.
Comme il se doit, le sujet de l’emploi a été englouti dans le traditionnel tourbillon idéologique qui pose souvent mal les bonnes questions : faut-il un service public pour les travailleurs ou pour ses usagers ? Les deux dira-t-on. Réponse facile qui trahit l’esquive. Le maintien d’une armée de cheminots dans des petites cabines de signalisation n’est pas plus sécuritaire que les grands centres concentrés. Le maintien d’au moins une personne en petite gare est en revanche plus discutable, ne fusse que pour la sécurisation des lieux.
>>> À lire : L’édito de la semaine – Comment remettre de la vie dans nos gares
L’avenir du chemin de fer ne passe pas par des cohortes de travailleurs dont certains risquent à terme de se demander ce qu’ils font là. Le rail ne doit pas non plus être le refouloir d’un État social incapable de trouver de l’activité à ses sans grades. La dangerosité et la technicité du rail ne permettent plus aujourd’hui ce qu’on faisait jadis, en allant « pêcher » les fils d’agriculteurs en quête d’une vie meilleure totalement à charge de l’État. C’était beau, mais c’était jadis.
Le maître mot de la digitalisation est d’anticiper, de prévoir les métiers qui disparaîtront, comme celui des nombreux aiguilleurs ou atteleurs. Les nouvelles recrues du XXIème siècle sont des « digital native » qui ne s’étonnent guère de voir des automates dans les gares et qui ne conçoivent plus vraiment le métier de cheminot comme celui d’hier.
La digitalisation d’une entreprise ferroviaire ne se limite cependant pas à automatiser et optimiser toutes les tâches sous l’angle financier. Car le cœur de toute entreprise se révèle toujours au travers de ses collaborateurs, pour qui il faut prioritairement déployer les moyens nécessaires à une facilitation d’utilisation des outils digitaux tout en créant l’indispensable sens du métier. Certains peuvent travailler tout seul en autonomie quand d’autres ont une fibre pour le lien avec la clientèle, comme chez les accompagnateurs de trains. D’autres encore ont une préférence pour le travail en équipe. Ces valeurs là ne sont pas digitalisables…
La large digitalisation du rail peut faire naître des vocations, comme ce dessinateur CAD qui est devenu pilote de drones pour surveiller et inspecter des actifs du réseau Infrabel qu’il couchait lui-même sur plan. Une vraie revalorisation du job. Tout l’enjeu porté sur l’humain est dans la formation, même si une base est obligatoire, comme en Belgique, de terminer sa scolarité à 18 ans. Tant Infrabel que la SNCB ont investi dans une « Académie du rail » pour compléter cette petite couche spécifique qui fait qu’il faut donner un complément d’information ferroviaire quel que soit le niveau de sortie des études. Tant SNCF que Deutsche Bahn et bien d’autres ont initié la même démarche.
Cependant, pour arriver à intégrer les collaborateurs dans ce renouveau digital, les opérateurs publics doivent peut-être faire le deuil de l’ancienne gestion administrative et quasi militaire du personnel, et bifurquer vers de nouvelles trajectoires plus proches des aspirations de chacun et chacune. Ce n’est pas une mission impossible…

05/07/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :
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Et plus globalement :
La page digitalisation de Mediarail.be
Le vieux chemin de fer est entré dans un XXIème siècle technologique et de plus en plus digital. Personne n’y croyait dans les années 70 et 80, persuadé qu’une technique du XIXème siècle était vouée au déclin irréversible. Il y a pourtant toutes les raisons de croire que ce secteur peut parfaitement accaparer les bouleversements en cours. Mais sans oublier d’y inclure la dimension humaine.
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