La directive 91/440 a déjà trente ans !

29/07/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Il y a 30 ans jour pour jour, était publiée la directive 91/440, point de départ d’un vaste renouvellement de la politique ferroviaire européenne. Cette directive a depuis été amendée et remplacée par quatre paquets législatifs ferroviaires qui ont eu un impact important sur le paysage du rail européen.

En 1986, les chefs d’Etat et de gouvernement de douze États, formant alors ce qui s’appelait la CEE, adoptaient une proposition de la Commission pour créer enfin ce que le traité de Rome s’était déjà engagé à bâtir en 1957 : un marché unique, c’est à dire « un espace sans frontières intérieures assurant la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux ». Au total, pas moins de 300 textes européens et des milliers de textes de transposition furent adoptés dans chacun des douze Etats membres. Ce cheminement marqua le point de départ de l’implication des Directives européennes dans les législations nationales.

Le développement important de la réglementation européenne atteindra rapidement le secteur ferroviaire de chaque pays. La Commission européenne, renforcée dans ses pouvoirs, était persuadée à l’époque que le meilleur remède était l’introduction de la concurrence dans un mode de transport protégé, presque partout, par un quasi-monopole national.

Plusieurs facteurs expliquent cette ligne de conduite de la Commission : les résultats positifs apportés par l’ouverture à la concurrence dans d’autres secteurs en monopole, la volonté d’un marché unique du transport « sans frontières », la montée des préoccupations environnementales ou encore les préoccupations liées aux dettes et aux financements des services publics. Mais surtout, le constat d’une chute drastique de ses parts de marché (entre 1970 et 1993, la part du ferroviaire est passée de 31,7 % à 15,4 % dans le transport de marchandises, et de 10,4 % à 6,4 % dans le transport de voyageurs) démontrait qu’il y avait clairement un problème de compétitivité par rapport aux autres modes de transport, dont la libéralisation naissante était très rapide et fournissait déjà ses premiers résultats.

La directive 91/440 CEE du 29 juillet 1991 est le texte fondateur d’une longue suite législative qui transforma le rail européen. Elle visait à faciliter l’adaptation des chemins de fer à la grande idée du marché unique et à accroître leur efficacité. Pour atteindre cet objectif, la directive imposait l’indépendance de gestion des entreprises ferroviaires par rapport à l’État. Elle prescrivait également la séparation comptable entre l’infrastructure et de l’exploitation des trains, dans le but d’accueillir d’autres opérateurs alternatifs. La séparation de ces deux activités pouvait également être organique ou institutionnelle, mais cela restait facultatif. Elle imposait aussi l’assainissement de la structure financière des entreprises ferroviaires dans le cadre d’une maîtrise plus générale des finances publiques de chaque pays.

La transposition de cette directive s’est souvent fait attendre et a du être précisée par les directives de 1995 qui mettaient en œuvre les principes établis par la directive 91/440 CEE. Elles ne concernaient que les entreprises ferroviaires établies dans la Communauté, ainsi que leurs regroupements internationaux, lorsque ces entreprises et regroupements effectuaient les services visés à l’article 10 de la directive 91/440 CEE.

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La directive 91/440 a permis l’apparition d’opérateurs alternatifs, comme cet Europorte de passage à Jurbise, BE (Photo Mediarail.be)

Le 30 juillet 1996 la Commission européenne publiait un premier Livre blanc, titré « Une stratégie pour revitaliser les chemins de fer communautaires », qui annonçait une nouvelle stratégie législative de l’Union européenne. Au lieu de directives éparpillées au fil des ans, dorénavant les directives seraient proposées par paquet. Ce traitement par bloc permet d’empêcher que le Parlement et/ou le Conseil de l’Union européenne, codécideur, ne déforment les projets en n’adoptant pas ou en enterrant certains aspects.

Les mesures contenues dans ce Livre blanc annonçaient surtout un virage vers davantage de précisions dans l’arsenal législatif. La directive 91/440/CEE était en effet trop vague et très critiquée pour sa non-application. L’objectif, pour qu’une entreprise ferroviaire nouvelle puisse rouler sur des réseaux conçus différemment, est de rendre le plus homogène possible en favorisant notamment l’interopérabilité et l’harmonisation technique.

La suite, ce sera donc les quatre paquets législatifs dont le dernier peut être considéré comme un aboutissement. Cet arsenal législatif important a permis à la SNCF d’opérer son Ouigo en Espagne, à Trenitalia d’opérer bientôt en France et à NTV-Italo de prendre une place dans le marché du transport ferroviaire italien. Ailleurs des initiatives ont pu être prises pour lancer des trains de nuit. Le fret ferroviaire a pu stabiliser son hémorragie.

On retiendra tout de même qu’alors qu’il n’a fallu que quelques années pour libéraliser le secteur routier et aérien, trente années furent nécessaires pour obtenir quelques résultats au niveau ferroviaire. Le bilan est mitigé et sauver le train ne pourrait se faire que par une politique de fortes contraintes à l’égard des autres modes. Ce n’est assurément pas la voie qui sera suivie et l’arsenal législatif actuel devrait suffire pour mettre en pratique une revitalisation ferroviaire. Mais pour cela, il faudra peut-être aussi cesser de faire du train un jouet idéologique. Ce n’est pas gagné…

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Le groupe ferroviaire MTR en concurrence su Stockholm-Göteborg en Suède. Une conséquence des paquets législatifs qui ont suivi la directive 91/440

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Des conteneurs frigorifiques pour transporter… des laptops

27/07/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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On imagine souvent que les conteneurs frigorifiques – reefer en anglais -, sont remplis de fruits et légumes ou produis surgelés destinés à vos magasins préférés. C’est souvent le cas. Mais on connait moins l’utilisation de ces mêmes reefer pour… des produits informatiques.

Lorsqu’une nouvelle option ferroviaire a été ouverte en 2011 entre l’Europe et la Chine, Hewlett-Packard via son équipe logistique EMEA souhaitait utiliser ce nouveau lien toute l’année afin de bénéficier d’un délai de transit terrestre plus court (16-18 jours contre 40-45 jours pour le fret maritime) et d’une chaîne de transport plus rationnelle, en chargeant directement depuis Chongqing jusqu’au gigantesque port intérieur de Duisburg en Allemagne. HP a donc commencé à tester la viabilité de l’expédition de produits finis par voie terrestre sur 11.000 km plutôt que de les envoyer à 1.700 km jusqu’à la côte chinoise suivi d’un long trajet par voie maritime vers l’Europe. Mais il y avait un problème sur la voie terrestre.

Un ordinateur portable ne peut pas descendre en dessous d’une température de -20°C sans risquer d’endommager ses performances et d’invalider sa garantie. Or, les températures ambiantes sur certaines parties de la longue route ferroviaire qui serpente à travers la Chine, le Kazakhstan, la Russie, le Belarus peuvent descendre à -40°C en hiver. HP avait besoin d’un moyen de maintenir la température de ses ordinateurs portables au-dessus de -20°C dans des conditions hivernales extrêmes. La société hollandaise Unit45 a trouvé la solution en utilisant la technologie des conteneurs frigorifiques non pas pour refroidir la cargaison, mais pour assurer un transport « conditionné » afin de maintenir la température souhaitée.

« À l’époque, nous disposions d’une version européenne de notre unité frigorifique intermodale dieselelectric de 45 pieds avec un réservoir de carburant de 250 litres », se souvient Jan Koolen, managing director chez Unit45. Contrairement aux conteneurs frigorifiques maritimes, la conception du reefer Unit45 intègre un groupe électrogène diesel pour fournir de l’énergie là où il n’y a pas d’électricité, ce qui le rend idéal pour les longs trajets ferroviaires. « Mais le transport de marchandises par rail du centre de la Chine vers l’Europe prend environ 16 jours de porte à porte. Nous devions donc fournir un volume plus important de diesel, car faire le plein à une température de -40°C n’est pas l’idée la plus géniale, surtout si vous avez 40 conteneurs ou plus dans le même train qui ont tous besoin de faire le plein. »

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La version utilisée en Europe Continentale (Photo Unit45)

Jan Nouwen, directeur technique de Unit45, a donc été chargé de créer une unité frigorifique de 45 pieds dédicacée pour les « Nouvelles routes de la soie », dotée cette fois d’un réservoir de carburant de 900 litres – suffisant pour 20 à 24 jours – et capable de charger 33 europalettes côte à côte sur 3 rangées de 11, pour une capacité et une stabilité maximale de la cargaison. « La partie technique était bien sûr essentielle, mais nous devions également tenir compte des réalités opérationnelles », explique Jan Koolen. « En Europe, la plupart des marchandises sont encore transportées par route accompagnée, il y a donc un chauffeur sur place pour s’occuper de tout. Mais ce n’est pas le cas sur les Nouvelles routes de la soie. Ce dont nous avions besoin, c’était d’un système avancé de suivi et de localisation qui nous permettrait de voir l’emplacement de nos unités – y compris le géofencing, » (ndlr : une technologie de géolocalisation qui permet de surveiller les déplacements de véhicules ou de personnes dans une zone virtuelle autour d’un emplacement spécifique).

Il fallait aussi surveiller l’état des marchandises, notamment la température du conteneur, le volume de diesel et les performances de la machine. « Nous voulions pouvoir contrôler l’unité à distance, par exemple pour régler la température, arrêter et démarrer le frigo, etc. Et nous avions besoin d’avoir toutes ces informations, y compris les alertes et les alarmes, directement sur nos écrans d’ordinateur au bureau. » Tout cela a été rendu possible avec la société américaine Orbcomm, qui est l’un des principaux fournisseurs mondiaux de solutions de communication industrielle pour l’Internet des objets (IoT) et machine – machine (M2M) pour suivre, surveiller et contrôler à distance des actifs fixes et mobiles, comme ici les conteneurs frigorifiques.

Depuis, Unit45 a largement développé ce qu’elle appelle sa « CoolBox » de 45 pieds, qui est un progrès notable par rapport aux « CoolBox » du train frigorifique Valencia-Rotterdam, un trajet bien plus court que la Nouvelle route de la Soie.

Dans un partenariat entre le transitaire KLG Europe et l’entreprise routière et logistique néerlandaise H.Essers, il fut décidé que les Coolbox vers la Chine emmèneraient du biocarburant arctique renouvelable. « Un type de carburant qui ne gèle pas lorsqu’il est soumis à des températures extrêmement basses, » s’enthousiasme Erik Loijen, de KLG Europe. Le nouveau moteur est plus puissant, tout en consommant moins de carburant par rapport aux modèles précédents. H.Essers ne transporte pas de laptops mais du « périssable classique » comme le saumon, la crème pâtissière, le fromage et le lait, qui ont besoin d’une température stable de 5 degrés tout au long de la route vers la Chine.  

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Les exportateurs ont le choix et peuvent amener d’usine leurs cargaisons sous température dirigée (Photo Unit45)

D’autres acteurs veulent mettre fin au diesel – bio ou pas -, en recherchant des solutions « plus intelligentes et meilleures », telles que les wagons câblés avec groupes électrogènes et/ou batteries lithium-ion pour alimenter les fameuses Coolbox ou assimilé. Mais un acteur bien au fait de ce type de dossier pestait dans le Loadstar sur la lenteur des autorisations, nécessaires à la moindre nouveauté, pays par pays : « les décisions de chaque réseau ferroviaire, et il y en a un paquet entre la Chine et l’Europe, prennent de nombreuses années. Ensuite, vous avez la politique de chaque pays qui traite le problème sous l’angle géopolitique, ce qui est un énorme obstacle. » On ne perd pas de vue que l’Europe – et ses prescriptions techniques unifiées -, s’arrête à la frontière polonaise. Au-delà, c’est chacun pour soi…

En attendant ses « nouveautés intelligentes », le reefer Coolbox du hollandais Unit45 et d’autres entreprises continuent de traverser les continents avec ses 900 litres de biocarburant, transportant sur 11.000km du lait en poudre, du fromage à raclette, des puces informatiques, ou encore du vin et de la bière de France et d’Italie sous température contrôlée à distance. Rien que cela, c’est déjà un immense progrès.

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La version conçue pour les Nouvelles routes de la Soie (Photo Unit45)

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Le train peut-il réellement remplacer l’avion ?

28/06/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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🟧 Nos brèves quotidiennes 🟧 Notre lexique ferroviaire

Depuis la vague verte et la pandémie, l’idée de remplacer certains vols par le train en Europe a fait son chemin. Ce dossier a même pris une ampleur particulière quand en 2020, la plupart des pays furent amenés à intervenir pour soutenir leur compagnie aérienne. En outre, la crise du Covid-19 a mis en évidence les avantages d’un ciel et d’autoroutes vides sur la qualité de l’air et a relancé le débat sur l’opportunité pour les gouvernements d’utiliser l’argent public pour renflouer les industries polluantes, y compris l’aviation. Malheureusement, comme toujours quand la politique s’en mêle, on entre dans le champ irrationnel en décalage complet avec la réalité.

Selon une étude de Deloitte, à l’échelle mondiale, la transport aérien est un puissant moteur de la croissance économique, de l’emploi, du commerce et de la mobilité. Dans le même temps, la croissance de la demande de trafic aérien doit aller de pair avec la réduction de l’empreinte environnementale de l’aviation. L’industrie de l’aviation est l’une des nombreuses industries qui ont un impact important sur les émissions mondiales d’origine humaine. Alors que l’aviation représente aujourd’hui 2 à 3 % des émissions mondiales de carbone, si aucun changement n’est opéré dans le secteur, ce chiffre atteindra 27 % d’ici 2050.

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(photo Peter Gudella/Shutterstock)

Les arguments actuels tentent de démontrer que la décarbonation des transports passe, notamment, par l’électrification de la motorisation des véhicules. Or les trains sont déjà des véhicules électriques depuis des décennies et peuvent tirer un grand avantage de cette situation. On sait par avance qu’il y a très peu de chances à ce que les avions disposent d’une motorisation électrique, les contraintes étant énormes. En revanche, l’industrie aérienne travaille déjà sur de nouveaux carburants zéro carbone et fait un lobbying intense auprès des gouvernements du monde entier. Le « grand remplacement » de l’avion vers le train, dont rêvent certains, risque de prendre l’eau.  Entre les croyances des uns et les études diverses des autres, il est difficile de s’y retrouver. Il est essentiel de bien distinguer plusieurs éléments.

Tout d’abord, le retour à une « vie normale » peut en effet défier les meilleures enquêtes téléphoniques. L’impression domine que la pensée de 2021 peut fortement différer de celle de 2020. Les gens ont beaucoup appris de la pandémie et dès qu’une occasion d’ouverture se précise, les mentalités changent. Le fait qu’en ce mois de juin les embouteillages redevenaient la norme dans les grandes villes et qu’il n’y avait plus une seule place dans les restaurants le soir indique clairement que la population souhaite ardemment retrouver à son mode de vie d’avant 2020. Il peut en être de même pour les voyages. Début juin 2021, Eurocontrol rapportait une forte hausse des vols avec plus de 11.000 par jour, des chiffres certes inférieurs à juin 2019 mais bien supérieurs aux 7.000 vols quotidiens comptabilisés en avril 2021. La vaccination massive et les assouplissements progressifs ne sont pas étrangers à ce redémarrage. Le directeur général d’Eurocontrol, Eamonn Brennan, expliquait justement que « si davantage d’États assouplissent leurs restrictions et mettent pleinement en œuvre des procédures telles que le certificat Digital Covid de l’UE, [nous] pourrions voir le secteur aérien gérer 69 % des niveaux de trafic de 2019 en août. » Des prédictions correctes ? Eamonn Brennan justifie ses prévisions en démontrant que fin janvier « nous avions prévu que le nombre de vols traités par le réseau européen serait d’environ 39% des niveaux de 2019 en mai, ce qui s’est précisément produit. Nous élaborons ces chiffres en étroite concertation avec les différentes compagnies aériennes sur un large échantillon de compagnies et de segments de marché. » Pour beaucoup, la mode ‘flygskam’ n’est pas un « grand remplacement » en faveur du train, mais est destiné à maintenir une forte pression sur l’industrie aéronautique pour qu’elle se réforme et réduise considérablement son empreinte carbone.

Deuxièmement, prendre la problématique du transport au travers de l’idéologie va clairement poser des problèmes d’images. On crée des camps, avec ses bons et ses mauvais, ce qui polarise la société. Des chercheurs qui étudient les profils des consommateurs sur différents marchés en ont récemment identifié un nouveau type : le « voyageur environnemental ». Actuellement, un militantisme écolo intense est en faveur du train. C’est évidemment une bonne chose mais ce militantisme risque de heurter tout une franche de voyageurs qui n’ont que faire des thèses politiques. Affirmer le chemin de fer comme outil politique et idéologique, c’est s’assurer l’échec du transfert modal. Les mêmes chercheurs ont constaté que la sensibilisation à la crise environnementale ne se traduit pas automatiquement par des changements de comportement, comme le fait de préférer d’autres modes de transport à l’avion. Le plus souvent, la distance ou le coût sont des motivations plus puissantes, en particulier pour les vols court et moyen-courriers. Il est donc essentiel que le rail montre un visage le plus attractif possible si on veut que le climat « soit l’affaire de tous », et pas seulement un combat de quelques militants. Il y a encore, sur ce plan, beaucoup de pédagogie à faire d’un côté comme de l’autre.

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(photo Flystock/Shutterstock)

Troisièmement, les attitudes semblent changer en ce qui concerne la longueur des trajets en train. Selon le groupe bancaire suisse UBS, la tolérance générale pour des voyages plus longs est en hausse, les données d’UBS montrant que les voyageurs d’affaires ne seraient pas contre des voyages de quatre heures et que les voyageurs de loisirs seraient prêts à passer jusqu’à six heures dans le train. UBS pense que l’Europe verra son réseau ferroviaire à grande vitesse croître de 10 % par an au cours de la prochaine décennie. On pourrait même espérer qu’en regardant moins au temps de trajet, les trains de nuit puissent redevenir une nouvelle mode de voyage. Pourquoi pas ? Après tout, s’il est bien conçu, le train de nuit n’est jamais qu’un hôtel roulant. Interviewée par la BBC, Diana Oliveira, une doctorante portugaise qui gère les comptes de médias sociaux The Nerdy Globetrotters, rappelle le problème du port du masque dans les trains. « Si vous voulez être protégé autant que possible, alors un vol semble être une bonne option, puisque le temps d’exposition aux autres est réduit, » argumente-t-elle. « Ensuite, c’est une question de commodité – porter un masque pendant deux heures de vol ou pendant 10 heures dans un train. » Là aussi, le train doit encore montrer son meilleur côté.

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(photo Thalys press room)

En définitive, ce qui frappe le plus dans ce dossier train vs avion, c’est la polarisation, jusqu’aux cercles académiques. Ainsi de nombreuses recherches universitaires semblent vouloir interpréter le mouvement flygskam comme quelque chose de « planétaire ». Elles disent se baser sur des entretiens approfondis avec « beaucoup de monde ». Mais aucune de ces études n’indique le profil socio-économique des personnes sondées, ni la pluralité du panel.  L’impression domine qu’on sonde un public déjà militant et partisan de la cause climatique. Combien sont-ils réellement en regard à la population totale ? Nuls chiffres ni mentions. Parfois en cherchant bien, on peut remarquer que certains chercheurs sont plus engagés que d’autres. Méfiance donc. Entre souhait politique et réalité du monde, seule la vente des tickets pourra nous indiquer l’ampleur exacte du transfert modal.

Il faudra aussi s’attaquer aux coûts de production. Le tableau ci-dessous, provenant d’une étude Deloitte, montre clairement que le train est plus cher que certains vols sur 1000km. Faire du train cher à cause d’un tas d’habitudes industrielles rend un très mauvais service au transfert modal. Il est de plus anti-social car le train devient ainsi un moyen de transport pour ceux qui peuvent se le payer. La structure des coûts de l’aérien fait certes débat – notamment au niveau de la taxation du kérosène ou de la TVA sur les billets. Mais on peut difficilement croire qu’en taxant les concurrents du rail, le chemin de fer serait soudainement revigoré. Sur ce sujet, il n’y a pas non plus de consensus entre chercheurs, académiciens et économistes.

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(photo Deloitte)

Le train, c’est déjà un véhicule électrique dont les émissions de GES sont bien en deçà des autres transports à carburants fossiles. Il convient donc de l’encourager et d’en faire un transport de référence. Cela ne peut se faire que par des acteurs multiples car des sociétés étatiques seules, soumises aux aléas de la politique, n’y parviendront jamais, et l’histoire du rail l’a largement démontré. Faisons en sorte qu’il soit un transport plus utilisé à l’avenir et qu’il plaise à un maximum de personnes.

28/06/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Passer du produit au client : le rail peut-il s’inspirer des Gafam ?

21/06/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Je viens de terminer le livre « Gafanomics » *. Vivifiant. L’ouvrage nous fait réfléchir à l’évolution du modèle économique dominant. Alors que la société industrielle repose toujours sur le produit, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont comme seul objectif le client. Une définition qu’il faut prendre dans le sens de l’usage. Pour les Gafam en effet, la technicité a peu d’importance. C’est le temps passé et l’appréciation du produit qui compte par-dessus tout. En somme, c’est tout le contraire du chemin de fer. Comparaison farfelue ?

Bien évidemment, la première chose qui vient à l’esprit est que la souplesse du numérique – objet par essence immatériel – facilite grandement l’offre d’une expérience optimale, souvent formellement gratuite, personnalisable à grande échelle. Les Gafam n’ont quasi pas d’actifs, hormis les coûteux serveurs. Impossible à réaliser dans un environnement ferroviaire ? A voir. L’allemand Flixmobility fait partie – au travers de Flixtrain -, de ces start-ups voulant disrupter le business model ferroviaire à l’aide de puissants serveurs et d’une armée de développeurs plutôt qu’une armée de cheminots. Mais attention aux comparaisons trop rapides. Guillaume Gombert un des auteurs du livre, explique surtout qu’un grand nombre d’entreprises pourrait s’inspirer de certains éléments qui font vivre les Gafam : « on peut s’en inspirer pour améliorer la qualité d’exécution de son business, améliorer la vie des employés et ses relations avec des partenaires ».

Bien sûr, les Gafam fascinent, étonnent et inquiètent les structures établies, comme les taxis (Uber), le commerce de détail (Amazon), les hôtels (Trip Advisor) et… les chemins de fer (souvent éjectés des comparateurs de voyages). Assis sur des montagnes de données, les Gafam construisent peu à peu ce dont tous les grands dirigeants ont rêvé : un accès global, couvrant toute la planète et s’étendant à n’importe quel endroit où l’on vit. Cet accès instantané et immédiat offre un pouvoir phénoménal. Chaque nouveauté, produit ou innovation permet aux Gafam de consolider leur pouvoir et d’étendre leur influence.

Mais malgré la perception simple qu’on a d’elles en tant qu’entreprises « technologiques », leurs principales sources de revenus sont clairement différentes. En fait, ces entreprises n’exercent pas les mêmes activités : elles ne sont pas en concurrence les unes avec les autres, ni avec qui que ce soit. Apple est considérée comme une référence mondiale en matière de matériel électronique haut de gamme et de divertissement. Elle a réalisé beaucoup de croissance externe par acquisition de nombreuses entreprises dans le domaine de l’automatisation des logiciels, des assistants virtuels ou des capteurs de santé. Google et Facebook tirent l’essentiel de leurs revenus de la publicité grâce au moteur de recherche et aux médias sociaux. Microsoft et Amazon sont dans le domaine de la vente au détail, de l’informatique et des médias. En d’autres termes, ces cinq géants occupent des espaces différents mais qui englobent la quasi-totalité de nos activités sociales et professionnelles. Les chemins de fer n’ont donc aucune chance d’échapper à cette emprise. Mais en quoi ces acteurs sont-ils perçus comme une menace plutôt qu’une opportunité pour les chemins de fer ?

D’abord par leur nationalité clairement américaine, provoquant comme toujours en Europe des vagues de suspicions quand il s’agit du monde anglo-saxon. Cette suspicion est accentuée par la culture européenne qui associe encore largement le rail à un service social, où le business digital n’aurait pas sa place. L’histoire sociale du rail qui compte aussi pour beaucoup : la culture cheminote est l’exact contraire du monde des start-ups planétaires (filière métier, évolution de carrière basée sur le droit, barèmes officiels, échelle hiérarchique, territoire national, etc). Ensuite, la disruption des Gafam porte sur la mobilité au sens large. Quand on agrège des milliers de demandes de covoiturage ou de lignes de bus longue distance à grande échelle, c’est clairement pour éviter le train. Enfin, il y a l’accès aux sources de financement. Les chemins de fer ont toujours été – et demeurent -, des variables d’ajustement des finances publiques. La libéralisation tente de redonner du souffle financier pour l’exploitation des trains, avec un succès mitigé. Le ticket d’entrée pour de nouveaux opérateurs reste encore trop élevé et les priorités sont rarement dans le digital. Tout cela explique pourquoi il est difficile pour le rail de retirer du positif des Gafam. Il y a pourtant quelques raisons d’espérer.

Le monde politique a changé, il est plus jeune et plus attentif (la première ministre finlandaise a actuellement 36 ans). Il ne veut plus signer des déficits à l’aveugle ni encourager de coûteuses situations de rente. Les nouvelles recrues du rail ont aussi changé : ce sont des « digital native » qui comprennent mieux pourquoi il y a des automates dans les gares. Mais qui exigent aussi nettement plus de places pour ranger le vélo…

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Là où les chemins de fer peuvent faire de sérieux progrès et tirer quelques leçons des Gafam, c’est dans les pratiques de mobilité de ses propres clients. La digitalisation des tickets est l’option rêvée pour enfin connaître avec davantage de finesse les taux de remplissage des trains, et les jours et heures de plus grande utilisation. Aujourd’hui, les applis du rail se limitent au seul périmètre ferroviaire. Une situation dictée par les contrats avec l’Autorité et l’absence d’incitants pour aller au-delà de la gare. « Pourquoi se donner tant de mal, on est de toute façon payé », justifie un cadre anonyme. Pourtant l’enjeu pour l’avenir, c’est aussi de savoir ce que font les gens en dehors de la gare. Une analyse complète de leurs déplacements permettrait de tirer les meilleures conclusions.

Pour en arriver là, le rail doit offrir une application qui va au-delà des besoins ferroviaires. Ce sont les fameuses options périphériques, qui semblent sans rapport avec le cœur de métier, mais qui permettent en fait de scruter l’utilisation des choses par ses propres clients. Apple utilise abondamment cette technique pour « retenir » ses clients dans son écosystème, avec iTunes, ses App Stores, iBooks Store, Apple Music et d’autres ventes encore plus annexes qui ne représentent que 11% des revenus de l’entreprise. Les entreprises numériques prennent toutes ces données « brutes » de faible valeur et les transforment en avantage concurrentiel de grande valeur : un meilleur produit ou un processus plus efficace. Dans le secteur ferroviaire, il s’agirait de créer une appli… où ne voit pas trop de trains, mais attrayante et utilisée pour beaucoup d’autres usages, afin de fournir suffisamment de datas pour alimenter de grosses bases de données clients. On évite ainsi les peu fiables comptages à bord ou en gares, toujours très approximatifs.

Ainsi, il est possible de voir quelles gares sont plus fréquentées que d’autres et comment les voyageurs se répartissent (souvent mal) le long d’un quai. Cela permettrait également de connaître les réalités de l’utilisation des trains certains soirs (vendredi et week-end). Peut-être qu’en milieu de semaine, ces trains tardifs sont moins nécessaires. Cela permettrait aussi de savoir combien de clients voyagent seuls, la vente de tickets ne disant rien puisque chaque membre d’un groupe peut acheter son ticket séparément. Les lieux de restauration fréquentés en ville pourraient donner une idée de ce qu’il faut mettre dans les grandes gares, avec tel choix et telle qualité. Il en est de même quand les habitants du quartier utilisent les commerces de gare. Ils ne prennent pas le train mais font tourner la gare.

Passer de la politique « produit » à la politique « client » est un vrai défi pour le rail. Le poids des actifs (trains-infrastructure) et les habitudes culturelles façonnent encore largement la politique ferroviaire, tandis que l’automobile et l’aviation progressent dans un environnement plus ouvert aux nouvelles technologies. Ne dit-on pas que Tesla est un « iPhone sur roues » ?

* « Gafanomics, comprendre les superpouvoirs des Gafa pour jouer à armes égales », ouvrage collectif Fabernovel, coordonné par François Druel et Guillaume Gombert, éd. Eyrolles, 242 pages.

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(photo Getty image)

21/06/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Doubler le fret ferroviaire : un objectif très ambitieux

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
14/06/2021 –
(English version)
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Il n’y a plus vraiment de débat sur l’importance de transférer le fret de la route vers le rail. Ce transfert est une stratégie clé pour contribuer à l’objectif de l’accord vert européen de diminuer les émissions de CO2 du fret. Trop de marchandises voyagent encore par la route et, comme on le voit en Suisse malgré sa bonne volonté, aucune loi ne peut circonscrire le trafic routier avec des objectifs chiffrés, à moins d’en revenir au contingentement des années 60-70. Mais cette solution reviendrait à anesthésier le tissu économique dont les flux logistiques sont aujourd’hui très largement internationalisés, voire même mondialisés. Alors que peut faire le rail ?

Le rail représente actuellement 16,5 % de l’ensemble du fret transporté sur le continent, tout en ne consommant que 2 % de l’énergie utilisée par les transports. L’Europe s’est fixé pour objectif de porter la part de marché du secteur à 30 % d’ici à 2030. Lors d’un webinaire en ligne organisé en novembre 2020, un certain nombre de diagnostics ont été posés, dont celui-ci : « Vous devez réaliser que vos clients traditionnels – l’industrie sidérurgique, l’industrie chimique, etc. – utilisent déjà le rail », a expliqué le secrétaire général du Conseil des chargeurs européens, M. Godfried Smit. Il mettait le doigt sur un des problèmes pour réellement opérer le transfert modal : aller chercher les clients qui ne prennent jamais le train. On a alors deux solutions qui émergent : les fans du futur qui imaginent résoudre l’entièreté des problèmes ferroviaires par la technologie et la digitalisation. Et puis les pragmatiques qui se rendent compte qu’il faut englober d’autres dimensions pour opérer un transfert modal important. En réalité, on peut s’attendre à un mélange de ces deux solutions.

Il est bien clair que la technologie et la digitalisation vont aider le fret ferroviaire. Le webinaire retenait notamment les cinq thèmes suivants : ERTMS, exploitation automatique des trains (ATO), attelages automatiques numériques (DAC), plates-formes numériques et gestion numérique des capacités. Tous ces thèmes font l’objet actuellement d’études poussées, et certains sont même en phase de test, comme l’attelage automatique. Shift2Rail (S2R), avec un consortium dirigé par la DB ainsi que les membres de Rail Freight Forward et sept associations industrielles, ont signé un protocole d’accord en septembre, exprimant leur soutien à la mise en œuvre du DAC sur tous les trains de marchandises européens d’ici 2030. Avec le DAC, les lignes de frein, d’alimentation électrique et de données numériques sont couplés automatiquement dans un seul ensemble, ce qui supprime le travail physique lourd du couplage manuel, mais pas seulement.

Ce couplage à la fois technologique mais aussi mécanique procure un autre avantage de taille, lié à l’ERTMS : l’intégrité du train. La détection d’une perte de wagon est en effet un point capital. Après une perte d’intégrité, il est grandement nécessaire d’informer le conducteur, qui doit pouvoir prendre les mesures appropriées selon des procédures opérationnelles définies. L’information pourrait alors être affichée au conducteur via le DMI (Driving Machine Interface), mais cela implique un changement dans les spécifications actuelles de l’ETCS. Cela montre qu’il est nécessaire d’avoir une vue d’ensemble lorsque l’on veut numériser le fret ferroviaire.

Dans le même ordre d’idée, des améliorations sont attendues dans le secteur des wagons isolés, qui demeure un point noir du transport de fret ferroviaire. Actuellement, l’encodage des wagons, leurs caractéristiques et leurs trajets sont encore effectués de manière manuelle, ce qui signifie pertes de temps et risques d’erreurs de transcription. On tente alors d’améliorer les processus, mais les solutions sont encore loin d’être répandues de manière universelle. RailCube, par exemple, est une application simple et intégrée pour téléphone mobile destinée au personnel sur le terrain. Cette application multilingue, multi-IM, multiréférentielle est déjà compatible avec les standards d’interopérabilité pour l’échange de données entre systèmes respectant les normes UIC (TAF/TAP TSI). Capable de s’interfacer avec les outils informatiques existants et les systèmes tiers, l’application privilégie la simplicité plutôt que le « tout automatique ». Elle offre un équilibre entre l’automatisation des tâches et l’intervention humaine, avec flexibilité et liberté.

D’un autre côté, il y a aussi le tri automatique des wagons. DB Cargo est occupé à transformer la gare de triage de Munich-Nord comme premier triage numérique d’Allemagne. Les wagons de marchandises passent sous un portique caméras, qui prend des photos des wagons de tous les côtés. DB Cargo a développé des algorithmes en collaboration avec l’Université de Wuppertal, la Hochschule Fresenius et les experts en IA de DB, qui permettent de détecter automatiquement les dommages et de les signaler. Cette technologie présente l’avantage supplémentaire de pouvoir inspecter les wagons de marchandises par le haut.

Au triage de Kijfhoek, aux Pays-Bas, Siemens Mobility a remporté un contrat de 110 millions d’euros pour la fourniture d’un système entièrement automatisé appelé Trackguard Cargo MSR32, qui est un système qui prend en charge de manière entièrement automatique la définition des itinéraires pour toutes les coupes entre la bosse et les voies de triage. Pour cela, il faut connaître l’emplacement et les mouvements de tous les wagons dans la zone de tri. Tous les mouvements de wagons sont suivis à l’aide de détecteurs de roues. Le micro-ordinateur de contrôle du routage peut également être utilisé pour définir les itinéraires de manœuvre. Le nombre et le tracé des itinéraires de manœuvre sont librement configurables. 

Toutes ces solutions numériques ne vont peut-être pas faire gagner des clients, mais avant tout améliorer la fiabilité du fret ferroviaire, qui est le grand grief souvent adressé par les non-utilisateurs du rail.

L’autre volet qui encouragera le transfert modal est peut-être encore plus important : coller aux flux logistiques des clients. On en a déjà parlé.

>>> À lire : Comment le rail devrait se reconnecter à la logistique

Le train éprouve toujours autant de difficultés à intégrer des flux logistiques, qui sont pourtant à la base de notre économie et au ravitaillement quotidiens de nos commerces. En Allemagne, selon l’Office fédéral de la statistique, 72% de tous les colis, palettes et conteneurs roulent sur les autoroutes et les routes allemandes (avant la pandémie). Le potentiel est donc immense. En Suisse, la tentative chiffrée de faire descendre en 2018 le trafic à maximum 650.000 poids-lourds sur l’axe du Gothard est un échec, malgré les très bonnes parts de marché du rail sur le même axe. Cela démontre toute la difficulté de modifier des flux logistiques construits sur base de la flexibilité du transport routier.

Le digital peut-il renverser le cours des choses ? À voir. Au-delà des applis et de toutes les formes de suivis possibles, le rail doit améliorer sa fiabilité et respecter ses délais. Les délais ne sont cependant pas toujours imputables aux transporteurs, mais parfois aussi à la propension des cabines de signalisation à mettre systématiquement les trains de marchandises sur le côté. En cause : des priorités de trafic imposées par les indices de ponctualité négociés entre les opérateurs de trains de voyageurs et leur gouvernement, qui ne laissent aucune marge pour le fret ferroviaire et le trafic « aléatoire ». On voit donc tout de suite qu’au-delà des travaux d’infrastructures et des options digitales, il est nécessaire de revoir le cadre complet de la gestion du trafic pour améliorer les choses. Cela demande des négociations à tous les niveaux.

Doubler la part de marché du fret ferroviaire est donc un objectif très ambitieux, pas seulement en termes de moyens mais surtout dans la nécessité de s’attaquer à l’écosystème tout entier. Il y a du travail…

14/06/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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