05/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Puisque c’est l’Année du rail, on peut déjà montrer à quoi sert l’Europe. Exemple avec ici deux pays qui ont bien besoin d’une revitalisation de leur réseau classique respectif. Deux projets en cours de réhabilitation de lignes ferroviaires pour connecter les ports et plateformes logistiques de la Méditerranée de l’Ouest et de l’Atlantique, avec le reste de l’Europe.
L’Espagne modernise et reconstruit des sections de deux corridors de fret ferroviaire vitaux pour le pays. Le premier reliera le Portugal à Hendaye/Irun et fait partie du RTE-T Atlantique qui part de Mannheim, en Allemagne, et aboutit au réseau portugais via Burgos en Espagne. L’autre axe modernisé part du Levante (Valencia), et remonte sur Saragosse par une ligne à voie unique assez pentue. Ces ensembles sont représentés en rouge sur la carte ci-dessous :
>>> Voir plus de détails sur le corridor Atlantique
L’acheminement des conteneurs et du fret en général a toujours posé un grand problème depuis l’Espagne, pour au moins deux raisons :
- Ni l’Espagne ni le Portugal ne sont de grandes nations industrielles, à l’inverse de l’Italie;
- Les deux pays doivent composer avec un réseau ferroviaire classique doté d’un écartement de 1668mm, incompatible avec le réseau français et européen de 1435mm.
Il en résulte une interminable attente aux frontières tant à Port-Bou qu’à Irun, où les wagons se voient changer leurs essieux. En dépit de cela, un corridor européen est prévu, traversant le nord plus industriel de l’Espagne. Divers chantiers et améliorations permettent déjà aujourd’hui d’enregistrer des progrès sur les trafics de et vers Irun.
Le corridor Atlantique
Il aboutit aux trois ports portugais de Setúbal et Sines, au sud de Lisbonne, et de Leixões à proximité de Porto. Deux routes sont possibles pour rejoindre l’Espagne :
- L’une au sud via Entroncamento – Abrantes puis Elvas et Badajoz, permettant de rejoindre Madrid via Ciudad Real;
- L’autre plus au nord, via Coimbra, rejoint la section Fuentes de Oñoro – Salamanca puis permet d’atteindre Medina del Campo.
Medina del Campo est le point commun qui ramène ces deux routes vers Irun/Hendaye. Le tronçon sud provenant de Sines ne peut rejoindre Badajoz que via un grand détour. On construit donc 80 kilomètres de voies entre Evora et Elvas, proche de la frontière pour raccourcir grandement cette boucle (carte). Les travaux de cette portion ont débuté en septembre 2019, pour une ligne qui dans un premier temps ne verra aucun train de voyageurs.
Cette ligne nouvelle portugaise n’aura dans un premier temps qu’une seule voie électrifiée sur une plate-forme prévue pour une double voie à l’avenir si nécessaire. La voie conserve l’écartement ibérique de 1668mm, mais pourrait être facilement adapté au standard européen de 1435mm grâce aux traverses polyvalentes. La ligne a été conçue pour la circulation des trains de marchandises de 750 mètres de long et ne comprend aucun passage à niveau. L’objectif est que les trois lots mis en chantier soient opérationnels d’ici 2022.
Comme le montre la carte ci-dessus, les travaux de cette ligne permettront de relier trois plateformes logistiques. La partie nord-est de ce grand « S » faisait partie d’un projet de ligne à grande vitesse Madrid-Lisbonne, mais dont les ambitions ont été revues à la baisse. Ce projet intéresse hautement un acteur ferroviaire comme Medway, du groupe maritime MSC, qui est présent à Sines mais aussi dans tout le Portugal et qui développe des trafics.
Le 98204 sort de Badajoz et se dirige vers Elvas, direction Entroncamento. Locomotive diesel portugaise série 1900, analogue aux 72000 de la SNCF (photo Álvaro Martín via license flickr)
Espagne
La partie espagnole est encore moins avancée qu’au Portugal. Elle part de Badajoz pour aller vers Ciudad Real et Madrid et est techniquement très en retard. L’Estramadure ne dispose que de voies uniques non-électrifiées.
Ce à quoi ressemble cette ligne, avec un train de charbon de passage à Almorchón (photo Trenero592 via licence flickr)
À l’automne 2017, le gouvernement espagnol a annoncé que le tronçon Mérida – Puertollano avait été choisi pour faire partie du corridor Atlantique à travers l’ouest de l’Espagne. Ce tronçon bénéficie du coup d’une attention toute particulière et depuis 2019, un contrat d’étude d’une valeur de 1,18 millions d’euros a été notifié, comprenant le support technique nécessaire à la rédaction de la documentation requise pour l’étude d’impact environnemental (DIA) et la rédaction des projets de construction pour l’électrification et toutes les procédures nécessaires jusqu’à leur approbation finale. L’amélioration de la ligne Puertollano-Mérida, d’un coût prévu de 382 millions d’euros, est cofinancée par le Fonds européen de développement régional (FEDER) par le biais du PO multirégional Espagne 2014-2020.
Troisième chantier : Cantábrico – Mediterraneo
Ce chantier nous mène en Méditerranée, à côté de Valencia, grand port de conteneurs et disposant d’une usine du constructeur automobile Ford GM España ainsi que le constructeur ferroviaire Stadler, auteur des fameuses locomotives Eurodual et Euro 4000 qui percent bien en Europe.
La ligne de 315 kilomètres reliant Sagunt, au nord de Valencia, à Saragosse est pentue, à voie unique et non électrifiée.
Au-delà de Saragosse, elle s’attache à un autre projet franco-espagnol : l’axe du Somport, le fameux Pau-Canfranc en France, qui fait l’objet de tant de dossiers depuis plus de vingt ans, et dont nous ne parlerons pas ici. Si ce n’est pour indiquer que c’est la route la plus directe vers la France.
Cette ligne, qui était sur le point de fermer en 2000, faisait partie d’une proposition de développement d’un couloir ferroviaire reliant les ports de Santander, Bilbao et Pasaia dans la région de Cantábrico avec ceux de la côte méditerranéenne. En 2015, Ford GM España testa la ligne en y envoyant quelques un de ces trains, de 550m de long.
Un train destiné à la centrale thermique d’Andorra/Teruel (photo Luis Zamora/Eldelinux via license flickr)
Lors de la neuvième conférence annuelle des Journées RTE-T, qui s’est tenue à Ljubljana les 25 et 27 avril 2018, l’ancien ministre du Développement Íñigo de la Serna a présenté des propositions de lignes supplémentaires dans les corridors atlantique et méditerranéen à inclure comme projets RTE-T au cours de la Période de financement de l’UE 2021-2027. Ses plans incluaient la ligne Sagunt à Saragosse, qui a été acceptée par la DG Move de la Commission européenne dans le cadre du corridor Cantábrico – Mediterráneo le 21 novembre 2018. Cela a permis à d’autres travaux d’infrastructure de se qualifier pour un cofinancement de l’UE jusqu’à 50%. Les actions développées comprennent, entre autres, l’adaptation de la voie et de l’infrastructure dans la section Teruel-Sagunto et la réalisation d’ouvrages d’art entre Teruel et Saragosse pour promouvoir le trafic de fret ferroviaire, ainsi que la réparation de cinq remblais et l’adaptation de tronçons de 750 mètres. Le schéma directeur de cette infrastructure a un horizon d’exécution jusqu’à 2022-2023 et un investissement global initial prévu de 386,6 millions d’euros.
Entamées depuis cinq ans, des améliorations pour plusieurs dizaines de millions d’euros ont déjà permis de voir le trafic être multiplié par… 12, passant de 3 à 36 trains par semaine. La filiale SNCF Captrain España l’utilise notamment pour un trafic généré par Opel Saragosse et par un trafic d’ArcelorMittal destiné à Sagunto. La ligne, encore non électrifiée, fait justement le bonheur des locomotives Stadler Euro 4000.
Cet exemple intéressant montre comment sont utilisés les subsides de l’Europe et ce que peut apporter l’Union, malgré les critiques. Car on peut parier sans se tromper que sans plan européen, les lignes de Badajoz, de Teruel et d’Evora n’auraient jamais été modernisées. Elles auraient pu même disparaître. C’est la preuve qu’une bonne infrastructure crée de la demande et qu’il faut y mettre de l’argent pour parvenir à des résultats encourageants.
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