08/03/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Les chemins de fer s’accrochent à l’espoir qu’un jour les gens considéreront leur service non pas comme quelque chose à craindre et détester, mais comme quelque chose qui est agréable et dont on retient une bonne expérience. Et c’est possible. Le patron de Trenitalia racontait dans une interview que c’est grâce au marketing orchestré par son concurrent NTV-Italo qu’une clientèle, qui ne jurait que par l’avion, s’est présentée dans les gares. Cette clientèle a alors soudainement découvert que les trains italiens de 2015 n’avaient rien à voir avec les récits apocalyptiques de leurs parents ou grands-parents, qui racontaient leurs voyages vers la Sicile dans des poubelles sur rails….
(photo Getty image)
Le problème principal réside dans le fait que le chemin de fer a souvent été associé au public pauvre ou sans grands moyens financiers. Il y avait dans les années 60-70 de grandes différences de classes, à tel point qu’on avait créé, en Europe continentale, des trains considérés à l’époque comme luxueux, les Trans-Europ-Express. Ils étaient destinés à ceux qui mettent tous les jours une cravate et un costume trois pièces. De nos jours, la sociologie a évolué et plusieurs réseaux ferrés d’Europe présentent trois classes de confort et de service, et même quatre en Italie. Mais il y a encore beaucoup de réflexions à faire pour amener les habitués de l’avion dans nos trains…
On oublie souvent que le défi de demain n’est pas seulement de retenir les clients qui sont déjà habitués et convaincus de voyager en train, mais aussi d’amener dans les trains des personnes habituées aux services aériens et à la conception des voitures. Ce qui est très difficile ! La tentation est grande d’imiter l’avion. Pour de courts voyages aériens, chaque passager se voit offrir son petit jardin d’enfants sous forme de jus et de biscuits, comme si la majorité des adultes étaient incapables de passer 90 minutes sans ces dispositions. Le rail devrait-il faire la même chose, ou plutôt se différencier de l’aviation ? Comment faire en sorte que le voyage en train soit un élément de lieu de vie, et non un moment perdu dans la journée ?
Design
Sur le plan du design, on peut dire que l’aviation et l’automobile ont clairement mis le train bien loin derrière. Il n’existe pas à ce jour de train dont le design intérieur est aussi soigné qu’une BMW. Une des causes sont les mesures de sécurité, qui imposent de voir des autocollants plaqués partout sur les parois, agrémentés d’extincteurs et de petits marteaux rouges casse-vitres du plus bel effet. Les toilettes des trains ressemblent très souvent à un cabinet médical. Il y a un public qui peut se contenter de cela, mais d’autres sont habitués à plus de qualité dans les matériaux et les coloris. « Le train est souvent considéré comme le parent pauvre par rapport au transport aérien », explique à la BBC Paul Priestman, co-fondateur du studio de design londonien PriestmanGoode, spécialisé dans les transports. « Il y a beaucoup moins d’investissements dans la conception des trains ». Parmi les facteurs qui rendent les voyages en train plus agréables, il y a une plus grande intimité, des matériaux plus luxueux, une signalisation attrayante, un éclairage réfléchi, un voyage doux et tranquille et, surtout, de l’espace. « Un aspect qui peut être grandement amélioré dans nos trains surchargés est de donner plus d’espace aux passagers », explique M. Priestman.
Proposition pour les voitures-lits Nightjet (photo PriestmanGoode)
C’est l’agence Priestman qui a proposé une partie du design des futurs Railjets et Nightjets des ÖBB. Le confort des passagers peut être pris en compte jusque dans les moindres détails ; par exemple, une rampe est incorporée dans les marches utilisées pour entrer dans le train, afin que les bagages à roulettes, majoritaires, puissent être facilement transportés à bord.
Donner de l’espace est un véritable défi économique : chaque mètre compte dans une voiture qui peut coûter entre 600.000 et 2 millions d’euros selon les cas. Les 72 voitures du Caledonian-Sleeper britannique ont coûté 150 millions de £ (2,41 millions €), ce qui n’est pas rien. Dans un humour tout britannique, une étude publiée par Loco2 a mis en évidence en 2018 comment les trains et les avions allouent moins d’espace aux passagers que la loi n’en donne au bétail sur le chemin de l’abattage. Un veau de taille moyenne de 75 kg aurait légalement droit à 0,5m² alors que les avions ne fournissent que 0,35m² par passager. Cette statistique a amené 60% des voyageurs à envisager le train pour leurs voyages, mais en comparaison, les trains ne fournissent que 0,39m².
Il faut donc des trésors d’ingéniosité pour tenter de trouver l’équilibre économique. C’est une des raisons qui explique l’absence d’espace pour vélo : ce sont des m² perdus, d’autant plus « invendables » que les cyclistes en réclament la gratuité du transport !
Le service à bord
Le service à bord est une priorité si on vise un public qui rechigne à prendre le train. C’est ce qu’ont fait les nouveaux opérateurs comme Regiojet en Tchéquie, Virgin en Grande-Bretagne ou NTV-Italo en Italie. Le prix n’est pas tout. Le confort a une grande importance.
Il est prouvé qu’investir dans l’expérience du client est synonyme de réussite commerciale. Les clients comparent et prennent des décisions en fonction de ce qui est dit de votre service sur les médias sociaux. Il est donc important de connaître les canaux et les applications où les clients partagent leurs points de vue. Une autre tendance intéressante est le besoin de Wi-Fi et de recharge des batteries. Comme nous vivons à l’ère de l’Internet des objets, nous nous attendons à être connectés en permanence 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, même dans un train !
(photo Avanti West Coast)
Bob Powell, directeur expérience client chez Avanti West Coast, a récemment déclaré qu’environ 90 % des clients d’Avanti déclarent que le Wi-Fi est « important » ou « très important » pour leur voyage. « Nous savons à quoi les gens l’utilisent – principalement pour vérifier et écrire des mails, consulter les médias sociaux, suivre l’actualité, écouter de la musique et suivre leur voyage ».
Pour Avanti West Coast, qui gère la plus belle franchise sur la West Coast Main Line entre Londres, Manchester et l’Écosse, une connectivité fiable est primordiale pour les personnes qui se déplacent pour leur travail et qui souhaitent un temps de trajet productif. Pour les voyageurs de loisirs, rester en contact avec les médias sociaux et naviguer sur l’internet peut être important pour un voyage relaxant et agréable. « Une bonne connectivité à bord encourage les gens à utiliser le train et à revenir vers le rail. Par exemple, si une personne a le choix entre voyager en voiture ou en train, nous savons que la qualité du Wi-Fi est un facteur important en faveur de l’utilisation du train », explique Bob Powell.
Le wifi, indispensable dans les Avanti britanniques (photo Avanti West Coast)
Il ne faut cependant jamais croire que le wifi – ou une technologie analogue -, restera impossible dans l’aviation. Un jour, on aura inventé un nouveau mode de communication, et ce qui est aujourd’hui un argument du train pourrait très bien être mis en route à 10.000m d’altitude. Une fois encore, il faudra que le rail se réinvente et trouve de nouveaux arguments, autres que ceux liés au climat.
Faire disparaître le temps mort du voyage, c’est malgré tout une priorité dans les mœurs actuelles et le train a tous les atouts pour fournir du temps utile.
L’autre grand atout est le service presté à bord. Beaucoup de trains grande ligne ont un bar. Pour certains clients, manger ou boire est d’une importance capitale. Mais le catering est coûteux. On peut alors mesurer en Europe différentes formules, très variables car elles sont liées à la culture sociale de chaque pays. Dans les pays alpins (Suisse, Autriche, Allemagne), on tient à manger si possible dans de la porcelaine. Dans d’autres pays, on en reste au classique sandwich garni ou aux salades emballées.
Certains réseaux ferroviaires ont adopté une offre à bord en trois classes. Elle est destinée à faire payer ceux qui veulent véritablement manger à bord et avoir un service complet. La Renfe en Espagne a ainsi toujours proposé sa ‘Preferente’ tandis que les ÖBB ont une classe appelée aujourd’hui ‘Business’, où on peut être quasi seul dans un compartiment. En matière de catering, le petit-déjeuner a été un critère prépondérant dans le marketing des Nightjets autrichiens.
Business Class chez les ÖBB (photo ÖBB)
Le petit déjeuner autrichien dans un Railjet (photo wikipedia)
En Allemagne, la Deutsche Bahn n’a pratiquement rien changé en 30 ans d’ICE. Il y a toujours deux classes et un bar qui les sépare. Récemment, Thalys et Lyria ont aussi adopté les trois classes dont la plus chère, la ‘Premium’, permet de manger avec un repas du chef. Il ne faut pas trop regarder le portefeuille. Sur l’Eurostar, les tarifs Standard Premier et Business Premier comprennent un repas léger avec du vin (ou le petit déjeuner, pour les départs avant 11 heures). L’Italie est probablement le pays où l’offre est la plus segmentée. Les trains Frecciarossa ont quatre classes. Les classes Premium et Business comprennent des collations et des boissons non alcoolisées, tandis que la classe Executive comprend des repas chauds ou froids et des boissons non alcoolisées ainsi qu’un service personnalisé. Le concurrent NTV-Italo offre des services similaires mais avec trois classes.
Le petit déjeuner à bord du Lyria (photo SNCF InOui)
Il est difficile de dire si toutes ces prestations culinaires permettent de tuer le temps mort du voyage, mais il est certain que cela a pris une grande importance dans l’expérience client.
Objet de certaines critiques plus philosophiques qu’objectives, les TGV Ouigo en France, et bientôt en Espagne, offrent le train sans chichis, à petits prix. Ces trains mono classe sont une réponse à une clientèle qui n’a besoin de grand-chose, juste se déplacer sans vider son compte en banque.
Toutefois, il faut bien garder à l’esprit que les facteurs qui influent sur l’emploi du temps en train des voyageurs d’affaires et des voyageurs non professionnels diffèrent parfois grandement. Le service à bord des TGV devrait faciliter la participation des voyageurs à diverses activités et l’amélioration de leur expérience de voyage. Une connexion internet stable, des prises de courant adéquates et un environnement sans bruit favorisent à la fois le travail et les loisirs en train grande ligne, qu’il soit à grande vitesse ou non.
Il y a un facteur très difficile à intégrer : la psychologie de chaque voyageur. Il y en a qui ne supporte pas la voix d’un enfant quand d’autres n’ont aucune gêne à parler fort au téléphone ou à se déplacer tout le temps dans le train. Sur ce plan-là, l’expérience client peut vite tourner au vinaigre. Les technologies digitales pourraient permettre, en remplissant au préalable certaines préférences lors de la réservation, de regrouper les personnes « de même pedigree » dans la même voiture. Avec le risque de ségrégation sociale ? Ah mais si c’est demandé par les clients, pourquoi contourner leurs demandes. Cela permettrait de séparer des fans de rugby des lecteurs de Maupassant. Qu’y aurait-il de mal ?
Mais ce qui peut aussi faire revenir les clients au rail, ce sont les facilités d’obtention des billets et surtout leur échange au dernier moment. En lien avec ce qui précède, une place réservée selon les demandes du client devrait être garantie au moment de l’achat, mais le numéro du siège ne serait indiqué que 10 à 15 minutes avant le départ, par SMS ou une borne à quai pour ceux qui ont un billet en papier. Cela permettrait de gérer les dernières minutes et de reporter au train suivant quand un premier train choisi est plein à 100%. Design, wifi, catering et ticketing digital devraient permettre au rail de faire mieux que l’aviation. Il convient alors de mieux aménager les gares, mais cela, on en a déjà parlé…
Le petit déjeuner à bord du Nightjet (photo ÖBB)
08/03/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour appronfondir :
Comment le train peut-il reconquérir la clientèle d’affaires ?
17/07/2020 – La clientèle d’affaires a des attentes importantes en matière de voyages. Le train peut conquérir cette clientèle mais sous certaines conditions.
Ouigo España démarrera son offre le 10 mai 2021
09/12/2020 – Ouigo España, par le biais de Rielsfera, devrait lancer cinq A/R sur la liaison Madrid-Saragosse-Barcelone dès le 10 mai 2021, si les restrictions gouvernementales sont levées.
Embarquez à bord des Lyria
Créée en 1999, mais apparue seulement en 2002, Lyria est une marque attribuée aux liaisons ferroviaires par TGV entre la France et la Suisse.
Embarquez à bord des NTV-Italo
Lancés en avril 2012, NTV-Italo a pu se faire un nom dans le petit monde ferroviaire italien. L’opérateur privé détient grosso-modo un tiers des parts de marché de la grande vitesse.
Nightjet présente son nouveau design – 25/11/2019 – Les ÖBB viennent de dévoiler les maquettes définitives des futurs aménagements intérieurs de leurs Nightjets. Ils sont pratiquement conformes à ce qui avait été présenté en 2016.
Nightjet, la renaissance du train de nuit
25/03/2019 – Le train de nuit, promis à une mort certaine, renaît avec l’offensive majeure des ÖBB, l’entreprise publique autrichienne. Quel bilan après seulement deux années d’exploitation ?
Embarquez à bord des Railjet
Railjet est – depuis 2005 – une marque déposée appartenant à ÖBB Personenverkher, la filiale voyageurs du groupe autrichien ÖBB. L’idée de base était de renouveler le matériel roulant des Intercity et Eurocity, trains grande ligne cadencés à l’heure avec de nouvelles rames de très grand confort.
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