Ceux qui pensaient au grand retour du rail britannique nationalisé vont devoir réviser leur théorie. En effet, la société East Coast Trains (First Group) va exploiter jusqu’à cinq services aller-retour par jour entre Londres King’s Cross et Édimbourg via la East Coast Main Line à partir d’octobre 2021, en open access, et non plus sous franchise.
La liaison East Coast Main Line est une ligne qui part de la gare de Londres King-Cross pour aboutir à Edimbourg, via York et Newcastle. Elle n’a jamais eu des niveaux de trafics comparables à sa rivale West Coast Main Line, malgré son électrification intégrale en 25kV. Le système de franchise sur cet itinéraire fut une véritable saga. Elle fut notamment exploitée par Virgin Trains East Coast à partir de 2015, alors que la firme de Richard Branson avait fait l’acquisition des rames Hitachi Azuma. Les trains arriveront sur la East Coast Mainline à partir de 2018, mais Branson n’aura pas la chance de les voir très longtemps. Les incertitudes sur les niveaux de trafic se sont accumulées au fil des ans, avec l’arrivée de Brexit et les attentats de Londres et de Manchester, qui ont fait chuter le trafic. Dès le 26 juin 2018, toutes les liaisons de la côte Est gérées par Virgin Trains furent transférées à la société publique London North Eastern Railway (LNER), une entreprise détenue par le DfT, le ministère britannique des Transports.
Cet épisode arriva en pleine tourmente économique, dès lors qu’il apparaissait de plus en plus vraisemblable que le système de franchise ne convenait plus avec la mauvaise situation de l’économie britannique. Une partie de la gauche réclama dès lors la renationalisation complète du chemin de fer, mais ce n’était pas dans les plans du DfT. Depuis lors, Jeremy Corbyn a perdu les élections…
Pendant ce temps, First Group, une entreprise écossaise de transport par bus et train dont le siège est à Aberdeen, planchait sur un projet de service ferroviaire en open access sur la liaison Londres-Edimbourg. L’ORR (Office of Rail and Road) avait accordé en 2016 des droits fermes supplémentaires pour ajouter des services sur Bradford, Lincoln et Harrogate à partir de mai 2019 et à Edimbourg et Middlesbrough à partir de mai 2021. Si la capacité devenait disponible plus tôt, les extensions de services vers Edimbourg pourraient commencer rapidement. La société East Coast Trains Ltd de FirstGroup s’est vu accorder des droits d’accès aux voies pour une durée de 10 ans, ce qui lui permettra de lancer un service à accès ouvert Londres – Édimbourg d’ici 2021, avec cinq trains par jour dans chaque sens faisant escale à Stevenage, Newcastle et Morpeth. Ce projet est maintenant en bonne voie.
Rappelons que First Group a aussi repris, avec Trenitalia, la grande franchise de la Côte Ouest (WCML), sous le nom de Avanti, ce qui a définitivement éjecté Virgin du paysage ferroviaire britannique.
En mars 2020, le ministère des transports avait attribué directement à FirstGroup un nouveau contrat de trois ans pour continuer à exploiter les services de la Great Western à partir de l’expiration de l’attribution directe actuelle, le 1er avril 2020, jusqu’au 31 mars 2023, avec une prolongation possible d’un an au maximum à la discrétion du ministère.
En mars 2019, FirstGroup a finalisé une commande de cinq rames électriques Hitachi AT300 Class 803, qui auront une vitesse maximale de 200 km/h et seront entretenue par Hitachi pendant les 10 premières années. Récemment, en dépit de ces temps de coronavirus, FirstGroup a nommé l’équipe de direction de son nouveau service, ce qui prouve que le projet suit son court. Il est intéressant de préciser que ce trafic léger, cinq aller-retour Londres-Edimbourg, se superpose au trafic existant de la compagnie publique LNER, qui reste d’actualité. Serait-ce une véritable concurrence entre deux opérateurs ?
Pas vraiment selon FirstGroup, car le service à bas prix serait principalement destiné à « détourner les voyageurs entre les deux capitales des avions non écologiques » et des services d’autocars longue distance, plutôt que de concurrencer directement les activités existantes du LNER sur la côte est. La compagnie affirme que cela permettra d’offrir « plus de 1 à 5 millions de sièges supplémentaires chaque année » sur la ligne très fréquentée de la côte Est.
Il faut maintenant voir comment le secteur ferroviaire va réagir après le covid19. Tous les secteurs économiques sont touchés et les transports sont toujours bien plus vulnérables comparé à d’autres secteurs qui vont pouvoir mieux rebondir après la crise (GAFAM…). L’État britannique, comme beaucoup d’autres états, va donner des aides temporaires aux entreprises en difficulté, ce qui ne signifie en rien qu’il s’agisse là d’une nationalisation.
Et c’est au Royaume-Uni que cela se passe ! Des dizaines de villes pourraient bénéficier du concept de Midlands Engine Rail, un programme d’amélioration de 3,9 milliards d’euros proposé par Midlands Connect pour réaménager le réseau ferroviaire de la région.
Le ‘Midlands Engine’ est un groupement de conseils locaux, d’autorités diverses, de partenariats entre des universités et des entreprises de la région, qui collabore activement avec le gouvernement pour créer une identité collective afin de permettre à la région de présenter les Midlands comme étant une région compétitive et attractive. Midlands Connect est la branche ‘Transport’ de Midlands Engine. Elle a été créée en octobre 2015 avec un objectif : déterminer quelle infrastructure de transport serait nécessaire pour stimuler l’économie de la région. Le partenariat est composé de 22 autorités locales, de 9 partenariats d’entreprises locales, des aéroports d’East Midlands et de Birmingham ainsi que des chambres de commerce s’étendant de la frontière galloise à la côte du Lincolnshire. Cette branche vient de présenter un programme ferroviaire de 3,9 milliards d’euros d’investissements et espère un soutien de Londres. Dans le contexte politique actuel, c’est un véritable défi…
Le programme, qui comprend sept projets couvrant les Midlands de l’Est et de l’Ouest, revêt une importance stratégique pour stimuler l’économie et promouvoir la durabilité, la productivité et la mobilité sociale dans la région. Il s’appuie sur le hub ferroviaire des Midlands, introduit en juin, et qui vise notamment à moderniser les itinéraires existants au lieu d’en construire de nouveaux. Quelque 673 millions d’euros serviraient à alimenter la ligne principale Midland reliant Market Harborough à Sheffield, programme annulé par le gouvernement en juillet 2017.
Le rapport, disponible à ce lien, est un document très intéressant qui montre les parts modales de chaque section des Midlands. Ce prospectus d’améliorations nécessite un investissement total d’environ 3,9 milliards d’euros. Midlands Engine Rail fournit ainsi au gouvernement un portefeuille de projets à long terme visant à investir pour la promotion de la mobilité sociale, de la durabilité accrue et de la croissance économique dans la région des Midlands, une ancienne région industrielle particulièrement sinistrée où le « Leave » avait dominé.
Midlands Engine Rail, dont le programme s’étendrait de 2022 à l’achèvement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse HS2 (elle-même retardée), apporterait dixit le rapport, des améliorations indispensables à la capacité de transport ferroviaire national, local et régional et pourrait accueillir 736 trains de voyageurs supplémentaires par jour sur le réseau. Au cours des deux dernières années, le nombre de voyageurs par chemin de fer dans les Midlands a augmenté plus rapidement qu’ailleurs au Royaume-Uni.
La plupart des itinéraires britanniques longue distance vont de Londres au nord ou au sud. Le train le plus rapide de Birmingham à Londres prend 73 minutes pour 161 kilomètres, presque aussi rapide que la moitié du temps nécessaire pour aller à Nottingham. Le programme Midlands Engine Rail raccourcirait le temps vers Nottingham à 33 minutes.
Jusqu’à 60 sites pourraient bénéficier de services améliorés, notamment Birmingham, Leicester, Coventry, Nottingham, Derby, Stoke-on-Trent, Crewe, Shrewsbury, Lincoln, Worcester et Wolverhampton. En raison de la position centrale des Midlands au cœur du réseau ferroviaire britannique, le programme revêt également une importance nationale et présente des avantages bien au-delà, pour Cardiff, Bristol, Newcastle, Kettering et Sheffield.
Entièrement intégré à la ligne à grande vitesse HS2, Midlands Engine Rail prévoit de créer deux nouveaux services conventionnels compatibles qui relieront directement les centres-villes de Nottingham et Leicester par le biais du nouveau réseau à grande vitesse. Les améliorations augmenteront la vitesse et la fréquence des services existants et introduiront de nouveaux services directs, tels que la connexion de Leicester aux villes de Leeds et de Coventry. En outre, il devrait réduire les émissions de CO2 et promouvoir le transport de voyageurs et de marchandises par rail.
Dans l’immédiat, les politiciens et les chefs d’entreprise régionaux demandent à Boris Johnson de soutenir le programme Midlands Engine Rail avec un financement à la phase initiale de son développement, soit 51 millions d’euros seulement au cours des trois prochaines années. Ces ‘influenceurs » veulent que Boris Johnson « manifeste le même enthousiasme pour les investissements d’infrastructure dans les Midlands que dans le Nord. » Si cela se réalisait, les mises à niveau seraient effectuées par étapes entre 2022 et 2030, date à laquelle la phase 2 de HS2 devrait en principe être mise en service.
Cet exemple montre que l’action d’une région peut être plus déterminante que celle d’un pouvoir central. Mais il faudra bien entendu examiner dans quelle mesure ces 3,9 milliards d’euros pourront être honoré dans un contexte politique très tendu. Wait and see…
Commençons par les chiffres : les 33 compagnies exploitant 16 franchises dans tout le pays reçoivent des subventions de l’Etat, à hauteur 3,6 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaire global de 14 milliards d’euros, (incluant les subventions) alors que leurs dépenses s’élevèrent à 13,66 milliards d’euros. Un système en équilibre donc mais où l’État intervient de toute manière. En vingt ans, le trafic ferroviaire a plus que doublé pour atteindre 1,718 milliard de voyageurs (64,7 milliards de voyageurs-km), sur les 15.700 km de lignes ferroviaires. Ce qui a changé, c’est que les voyageurs financent eux-mêmes 66% des coûts du rail, contre 44% environ 10 ans plus tôt. Au prix, il est vrai, d’une tarification qui paraît onéreuse aux yeux du public. Côté technique, le gabarit plus restreint du réseau (passage sous ponts et tunnels, bords des quais…) interdit en Grande-Bretagne l’utilisation de trains à deux niveaux comme partout en Europe. La forte hausse du trafic induit donc de voyager souvent debout aux heures de pointe, parce qu’il y a des limites au débit du nombre de train par voie, même si le futur Crossrail londonien promet 25 trains à l’heure…
Doublement du trafic en vingt ans (photo de Lily via licence flickr)
Le système des franchises (1)
Cibles favorites des français, qui croient y voir un instrument ultra-libéral, les franchises ont une certaine ressemblance avec les délégations de service public à la française, à certaines nuances juridiques près. Les services voyageurs en Grande-Bretagne sont divisés en 16 franchises régionales ou par ligne, attribuant à aux opérateurs des concessions en monopole d’une durée variable (10 ans en moyenne) assorties de conditions d’exploitation précises dont le non-respect entraîne des pénalités. Les franchises sont instituées sur un réseau de lignes très composites, allant à la fois du transport urbain ou périurbain, aux liaisons intercités et aux liaisons régionales. La totalité des contrats sont attribués par le ministère des Transports (DfT)- et non des autorités organisatrices comme en Europe -, démontrant ainsi que l’État garde la haute main sur le transport local et régional. Une exception : ScotRail (Écosse), où le DfT attribue les franchises sur avis du gouvernement écossais, qui marque ainsi son indépendance vis à vis de Londres. Le système britannique n’est donc pas une concurrence sur les lignes, mais une concurrence pour obtenir un réseau à gérer en monopole durant 8 à 15 ans. C’est une concurrence « pour un marché », comme en Allemagne ou ailleurs, sauf que les décisions sont toutes centralisées à Londres. A noter que la concurrence est « totale » pour le fret ferroviaire qui, lui, se porte très bien, bénéficiant comme en Europe – et en France – de « l’open access ».
Le réseau ferré ? Entreprise privée mais propriété publique !
Le réseau à l’origine fût confié à la société privée Railtrack. Les accidents mortels – seuls évènements que retiennent les européens !! -, suite aux défaillances de cette entreprise, ont conduit le législateur à faire revenir l’infrastructure dans le giron de l’Etat en 2004 (2). Alors oui, l’actuel Network Rail est bel et bien une entreprise privée, mais 100% au mains de l’État britannique. Aucune action n’a jusqu’ici été vendue à quiconque, pas même au Qatar ou aux chinois. Les 34 000 employés de l’entreprise ne sont pas au statut, ce qui n’a pas empêché le réseau d’être considéré comme le réseau le plus sûr d’Europe. Les britanniques n’ont en effet plus connu de Buizingen (BE), Saint Jacques de Compostelle (ES) ou Brétigny (FR) depuis longtemps…
Network Rail est 100% aux mains de l’État, mais n’embauche pas sous statut. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sécurité ni d’entretien du réseau… (photo Network Rail)
Surestimation des offres
Cependant ces dernières années, le système a connu plusieurs dérapages. Alors que se tient actuellement le troisième tour de renouvellement des franchises depuis 1996, on constate que le Departement for Transport (DfT) tente d’encourager des offres agressives de la part des opérateurs ferroviaires afin de maximiser les revenus qui lui reviennent en retour. Les nouvelles franchises sont ainsi gagnées sur base d’objectifs « héroïques », comme l’a décrit un expert du secteur. Fin 2017, ces experts ferroviaires estimaient qu’aux moins quatre franchises pourraient être mise en difficulté après avoir surestimé le nombre de voyageurs et les montants à verser au DfT au cours de la transaction. Dans certains cas, les entreprises prévoyaient une croissance à deux chiffres du nombre de passagers, mais ce ne fût pas le cas et, comme on l’explique plus bas, les marges se sont effondrées. La difficulté à exécuter certaines franchises augmente dès lors les chances que le gouvernement intervienne avant que les exploitants ne fassent défaut. Ce qui équivaut à du renflouement ou à de la subsidiation complémentaire. Les opposants au système n’ont pas hésité une seconde à s’engouffrer dans la brèche, à commencer par les écologistes et le parti travailliste… Mais qu’est ce qui flanche vraiment ?
Conditions trop dures et aventure du Brexit
Les conditions contractuelles onéreuses et le coût du risque trop élevé ont nui à la concurrence. Ainsi, les deux franchises remises sur le marché l’an dernier – South West et West Midlands – n’ont attiré que deux soumissionnaires qualifiés, démontrant l’incertitude qui règne. « Il est correct de dire qu’au début 2018, le modèle de franchise semble grippé », explique Rupert Brennan Brown dans le ‘Financial Time’. « Dans le contexte d’incertitude politique [ndlr le Brexit], d’incertitude sur des marges relativement faibles d’à peine 3%, il n’y a évidemment pas de grosse file d’attente pour les candidats souhaitant faire offre… ». Il y en a même qui ont arrêté les frais. National Express, compagnie de bus pure ‘british’, et qui était autrefois un grand nom du ferroviaire britannique, a quitté le marché pour aller se consoler en Allemagne, en faisant du train le long du Rhin, dans un environnement nettement plus favorable. (3)
Des marges qui s’effondrent
Le franchisage à la sauce britannique a été une activité très compétitive au début. Les marges qui étaient généralement de 5 à 7% il y a 20 ans ont cependant pris la courbe descendante avec une moyenne de 2%. Beaucoup de franchises d’aujourd’hui ont du mal à réaliser un bénéfice après avoir payé la prime convenue ou reçu la subvention convenue du gouvernement. D’où des dérapages dans les soumissions et de moins en moins de candidats intéressés.
Le mauvais feuilleton de la Côte Est
La franchise de la Côte Est (Londres-York-Edimbourg) est un autre serpent de mer qui a donné du grain à moudre aux opposants. Les deux franchisés précédents ont échoué dans leurs obligations. GNER, qui faisait partie du conglomérat Sea Containers, a échoué en 2007. Puis National Express a pris le relais, mais a dû remettre les clés en 2009. Les trains ont ensuite été gérés avec succès par Directly Operated Railways, un organisme d’état qui a supervisé la gestion et le développement de la franchise ferroviaire de la Côte Est jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau remise sur le marché.
C’est ainsi qu’en novembre 2014, une nouvelle franchise « Côte Est » de huit ans était attribuée à la coentreprise Stagecoach / Virgin pour débuter les activités au 1er mars 2015 sous le nom de Virgin Trains East Coast (VTEC). Après seulement deux années, Stagecoach relatait que la courbe des revenus avait entamer une douce descente vers le déficit ! Ce serait dû – selon l’entreprise – aux inquiétudes liées au terrorisme (Londres, Manchester), à une économie moins florissante que prévu et à l’incertitude politique des suites du Brexit. De plus, les montants à payer et à recevoir de Network Rail au regard du rendement d’exploitation demeuraient « volatils et incertains ». Raison pour laquelle l’entreprise demanda l’automne dernier au gouvernement de sortir de la franchise « au plus vite », soit probablement vers 2020. Les travaillistes boivent du petit lait…
Ce dossier « Côte Est » divise les observateurs. La franchise précédente – nationalisée –, aurait bénéficié d’un rabais de 30% sur le prix de vente, faussant l’interprétation des coûts réels dont personne n’aurait vraiment les chiffres. D’autres tablent sur une possible surenchère de Stagecoach. Quoiqu’il en soit, le système de franchise n’en sort pas grandit…
Un des services de la côte Est, tant décriés, en 2014, alors repris directement par l’État (photo Hugh Llewelyn via licence flickr)
Quand le réseau ne suit pas…
Un autre son de cloche attribue les problèmes aux défaillances de Network Rail dans le planning des travaux promis. La croissance des revenus aurait ainsi – et pas seulement sur la Côte Est – été limitée par le non-respect du programme des travaux promis par Network Rail. Avec des conséquences fâcheuses sur le service quand les franchisés avaient promis des améliorations à leurs clients. Plus grave est l’arrêt des électrifications : certains franchisés avaient commandé du nouveau matériel roulant qui ne servira pas dans les prochaines années.
Ce problème n’est pas spécifiquement britannique, loin s’en faut, il suffit de voir le débat actuel en France et les carences majeures de SNCF Réseau. Idem en Allemagne et même en Suisse. Il ne peut y avoir de bons trains sans bons rails. Or il est fréquent de constater cette mentalité qui consiste à croire qu’on peut faire rouler de beaux trains sur n’importe quels rails. L’infrastructure ferroviaire n’est certes pas un sujet sexy ni porteur au niveau électoral ou médiatique, mais elle est incontournable si on veut des trains en nombre partout dans le pays (4). Malheureusement, on constate trop souvent que la gestion publique de la chose ferroviaire est fonction de variables d’ajustements budgétaires sans rapport avec le transport, mais à des fins politiques au détriment du service des trains.
Network Rail entretient et répare le réseau, mais cela reste encore insuffisant face à la demande. Ici à Bickley Junction en 2015 (photo Train Photos via licence flickr)
Une tarification incompréhensible
C’est aussi un serpent de mer. Le modèle organisationnel de 1994 visait essentiellement à préserver les avantages de l’effet réseau. La tarification comprend deux volets : une partie régulée et une partie non régulée. La liberté tarifaire dans la partie non régulée et les politiques différentes suivies par chaque franchisé, qui développe des tarifs toujours plus sophistiqués et spécifiques à sa franchise, tout cela a conduit progressivement sur une vingtaine d’années à un fractionnement considérable de la tarification nationale. Le système de tarifs d’aujourd’hui est un système que le grand public ne comprend plus, et il en résulte une couverture médiatique négative qui devient un cauchemar pour les relations publiques. Certains pointent que cela décourage les voyages en train, et que beaucoup de gens abandonnent le rail face à la complexité de l’achat d’un billet et au manque de flexibilité offert par les tarifs abordables. Le doublement du trafic ferroviaire depuis 1996 infirme cela, mais c’est une façon de voir les choses…
Des changements déjà perceptibles
La suite des hostilités laisse néanmoins entrevoir des changements, dont certains déjà perceptibles. Ainsi en est-il du matériel roulant. Le magazine Modern Railways indiquait que la forte concurrence entre constructeurs, passés de 3 à 6 industriels, combiné à la chute du crédit depuis 2008, permet d’obtenir des prix 2018 quasi identiques à ceux de… 1990, soit bien avant la privatisation, inflation corrigée. Cela permettrait par exemple à South Western Railway, qui a commandé 750 nouvelles voitures à Bombardier, d’épargner près de 150 millions de livres par rapport à une commande similaire en 2014. Pour l’ensemble des acteurs, ce sont près de 6.000 caisses qui auraient été commandées et/ou récemment livrées, ce qui est considérable.
Ensuite, on observe une maturation des acteurs. Les candidats sont peut-être moins nombreux mais ont fortement gagné en professionnalisme. On y retrouve les habituels Virgin, Stagecoach, mais aussi Arriva, Keolis et autre Abellio, ce qui fait fulminer les politiques qui hurlent à la main mise étrangère. Mais on leur pose la question : qui a poussé à libéraliser le rail dans les années 90 en Europe ? Un peu tard pour s’en émouvoir… Toujours est-il que la baisse du nombre de candidats pousse le DfT à revoir sa copie sur le système de franchise pour tenter d’attirer les investisseurs.
La demande de matériel roulant explose, et le parc roulant se modernise, comme on le voit à Victoria Station (photo Train Photos via licence flickr)
Quelles améliorations à l’avenir ?
Dean Finch, le PDG de National Express Group, déclarait en 2017, lors de la présentation des résultats du groupe en Allemagne, que « le marché ferroviaire actuel au Royaume-Uni est un marché qui, selon nous, n’est pas aussi attrayant que nos autres opportunités de croissance (…) Les contrats allemands sont plus petits et moins risqués que les franchises britanniques, avec des investissements de démarrage relativement faibles. » Voilà qui incite à énumérer les bases d’une amélioration du système, dans un contexte d’incertitude économique et politique lié au Brexit.
>> Passer des franchises à la concession
La judicieuse remarque de Dean Finch tient à une différence fondamentale entre le système britannique et ce qui se fait sur le Continent. La principale différence entre franchise et concession est que dans une franchise, le franchisé fonctionne sur la base du coût net. En d’autres termes, il assume tous les risques liés aux revenus et agit comme une entreprise commerciale. Le modèle de concession ne fonctionne qu’avec l’existence d’une autorité de transport public locale qui considère le transport ferroviaire comme un moteur essentiel du tissu économique et social, et est disposée à consentir les efforts financiers et d’engagement nécessaires pour améliorer la mobilité. Le concessionnaire fonctionne dès lors sur une base de coût brut. La concession procure des bénéfices stables, mais avec une marge inférieure à celle d’une franchise complète. C’est donc presqu’un choix politique.
>> Meilleurs scores pour ceux qui remplacent le matériel
C’était un des premiers griefs dans les années 2000 : les franchises trop courtes en temps n’incitaient pas à investir dans le matériel roulant. Les choses ont déjà changé. Remplacer les trains plus anciens par de nouveaux matériel « donne des points » lors de l’examen des soumissionnaires par le DfT, et toutes les franchise récemment gagnées ont été accordées à des entreprises qui ont promis de nouveaux trains. Les faibles coûts actuels du crédit rendent les achats de nouveaux trains plus abordables que par le passé.
>> Mieux s’occuper d’infrastructure
Un axe à venir serait une collaboration plus étroite entre les opérateurs et Network Rail. Certains TOC (Trains Operating Company) doivent maintenant s’occuper d’avoir leur propre dépôt, souvent géré par le constructeur de leur matériel roulant neuf. C’est une tendance que l’on retrouve de plus en plus dans les offres de matériels roulant en Europe, et qui permet au passage à l’industrie d’étendre son périmètre vers le service après-vente, en mordant sur le business des technicentres.
Le Linlithgow Viaduct avec un régional Edimburg-Glasgow (photo de B4bees via licence flickr)
>> Obliger l’infra à suivre : le rôle de l’État stratège
Un problème majeur est que le DfT n’a pas mis en place un régime financier en cas de défaut du gestionnaire d’infrastructure. Il n’y a ainsi pas de clauses qui définit un ratio dont bénéficierais le TOC en cas de défaut de Network Rail, par exemple sur la non implémentation des électrifications pour raisons budgétaires nationales, donc politiques. C’est donc certains articles du Railway Act qui doivent être modifiée en ce sens, sachant que plus il y a de trains, plus Network Rail engrangera des recettes. L’État doit ici jouer réellement son rôle de stratège : quand on signe pour un futur décarboné, il faut alors passer aux actes, contrôler ce que fait Network Rail mais aussi… lui donner les moyens financiers pour que les TOC puissent améliorer leurs services aux clients. Pas de bons trains sans bons rails, mais les cycles électoraux ne militent pas pour une vision à long terme…
>> Simplifier la tarification
Le passager ferroviaire du Royaume-Uni paye une part plus élevée du coût du voyage qu’ailleurs, mais dans d’autres pays, le niveau des subventions ferroviaires financées par le contribuable est plus élevé. Devant la jungle décrite plus haut, deux types de billets doivent coexister : les grandes lignes et les « régionaux ». Les premiers au prix du marché et les seconds subventionnés par une communauté d’organisme de transports sur une aire donnée. C’est ce qui se fait en Allemagne ou dans les grands pays. On peut aussi imaginer une OV-Shipkaart à la sauce hollandaise au niveau national britannique (5). Le Royaume-Uni devrait donc disposer d’un réseau entièrement intégré d’autorités de transport régionales pour planifier et guider les transports publics comme à Londres et d’autres régions européennes. Ces autorités doivent alors prendre en charge une partie du coût du billet selon leur politique propre, sans pour autant faire déraper le cadre de la franchise ou de la concession.
>> Redynamiser les gares
Un sujet qui n’est pas spécifiquement britannique, loin s’en faut ! Si les grandes gares s’en sortent bien au niveau de leur modernisation, c’est parce qu’elles peuvent compter sur de gros flux de clients, et donc de commerces. Mais quid des petites gares ? Ces dernières devraient devenir des lieux dynamiques, pleines de vie, et au cœur de leur communauté locale. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’amener des activités auxiliaires sur le site ferroviaire afin qu’il y ait toujours du personnel et qu’il y ait des raisons de s’y attarder. Un bon moyen serait d’y installer une boutique – de préférence genre boulangerie/sandwicherie ou librairie – pour y vendre certains types de billets ou renouvellement de carte d’abonnement, disons les billets les plus faciles. Cela existe déjà pour certains services postaux, la loterie et d’autres chose encore. Ce concept d’épicerie qui vend des billets de train est largement déployé aux Pays-Bas où il semble avoir du succès. Dans le modèle NS, le magasin est exploité en concession privée et agit un peu comme un agent de billetterie ferroviaire.
Terminons par le commentaire de cet internaute anglais sur LinkedIn en 2017, et qui résume tout : « Bien que le système actuel ne soit pas parfait, et qu’aucun système de cette envergure ne soit susceptible de l’être, certains d’entre nous sont assez vieux pour se souvenir de British Rail, [pour se rendre compte] que le système est tellement meilleur maintenant [alors] que certaines des anciennes lignes fermées par Beeching (6) sont à présent réouvertes. En fait, [le chemin de fer] a presque été victime de son propre succès, et l’investissement n’a tout simplement pas suivi la demande. Cependant, quiconque travaille avec l’industrie ferroviaire sait qu’il y a beaucoup de nouveaux investissements qui amélioreront le système. »
(2) En 2001, une décennie après la privatisation de British Rail, le gouvernement britannique avait placé Railtrack sous tutelle, pour ensuite la transformer en 2004 en une entreprise à but non lucratif du nom de Network Rail. Network Rail a repris la dette de Railtrack (9,3 milliards £) et a reçu 21 milliards £ du Gouvernement pour la rembourser et financer ses investissements. La dette de Network Rail n’est pas inscrite au compte de l’Etat.
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