Suède : 750.000 tonnes de copeaux de bois brûlés chaque hiver


04/05/2023 – Billet invité – Auteurs : texte de Ulf Nyström – photos de Kasper Dudzik
Texte original en suédois publié le 7 novembre 2020
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Les opinions des billets invités n’engagent pas la rédaction de Rail Europe News


Note de Rail Europe News : cet article traite du transport par trains des copeaux de bois au départ d’une douzaine de plateformes en Suède et en Norvège. Il faut se rappeler la grande importance de l’industrie forestière dans les pays scandinaves. Particularité : ces copeaux sont transportés par les fameux conteneurs de la firme autrichienne InnoFreight. Texte original directement traduit du suédois sans aucune modification. Rail Europe News remercie vivement les auteurs pour leur autorisation.

Texte original et lien du site : 750 000 ton flis eldas varje vinter

La centrale de cogénération de Värtan est la plus grande usine de biocarburants de Suède. Elle alimente en chaleur l’équivalent de 190.000 appartements et produit de l’électricité pouvant recharger 150.000 voitures électriques.

Chaque semaine, pendant la saison de chauffage, huit ou neuf trains entrent dans la gare de triage de Värtan avec des copeaux sous forme de plaquettes de combustible provenant de nombreux terminaux différents en Suède. Les plaquettes destinées à Stockholm Exergi sont chargées dans 12 terminaux en Suède et en Norvège.

Chaque train transporte entre 1.000 et 1.300 tonnes de copeaux.

En effet, lorsque la centrale bioénergétique KVV8 fonctionne à plein régime, l’équivalent de trois brouettes de copeaux de bois sont nécessaires chaque seconde pour produire de la chaleur et de l’électricité pour les habitants de Stockholm. Cela représente 12.000 mètres cubes de copeaux de bois par jour.

Cet automne chaud (ndlr : en 2020), la chaudière n’a démarré que le 5 octobre et les premiers trains de copeaux de la saison ont été annulés ; il n’y a pas de place pour plus de quelques jours de consommation de copeaux dans l’entrepôt de Värtan.

En hiver on brûle 12.000 mètres cubes de copeaux de bois par jour.

« Au printemps dernier, nous avons brûlé jusqu’au 15 avril, mais nous sommes prêts à brûler de début septembre à mi-mai« , explique Johannes Raudsaar, responsable du transport des copeaux de bois par train et par camion jusqu’à Värtan.

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La locomotive à batterie Wall-E emmène 9 wagons à l’intérieur de l’installation de déchargement (photo et remerciements Järnvägar / Kasper Dudzik)

Déchargement dans la matinée

Les trains de copeaux arrivent à la gare de Värtan vers minuit. À partir de 6 heures du matin, les wagons, généralement neuf par neuf, sont tirés à travers le hall de déchargement, puis retirés par la locomotive à batterie Wall-E de 26 tonnes.

Bien que la puissance de la locomotive ne soit que de 60 kW, soit environ 80 chevaux, elle est suffisante pour tirer et pousser neuf wagons d’un poids total de 600 à 700 tonnes, car il n’y a pas de différences de hauteur significatives dans le Värtan. La vitesse maximale est de 14 km/h.

Un train et demi peut être déchargé avant que Wall-E n’ait besoin de nouvelles batteries ; il y a deux ensembles de batteries pour la locomotive. La locomotive est équipée d’un petit moteur diesel et d’un générateur pour l’alimenter.

Lorsque les wagons entrent dans le hall de déchargement, un robot prélève un certain nombre d’échantillons du chargement. « Nous vérifions principalement le taux d’humidité des copeaux, mais aussi l’absence de corps étrangers dans les copeaux« , explique M. Raudsaar.

Au fil des ans en effet, des sangles déchirées, quelques chaînes de tronçonneuse et un nombre important de gants de protection de travailleurs se sont retrouvés mélangés dans les copeaux.

Zéro déchets et 50% d’humidité

La teneur en corps étrangers doit être nulle. Le taux d’humidité varie généralement entre 45 et 55 %. Une fois que le contenu des conteneurs, trois par wagon, a été vérifié, les conteneurs sont soulevés un par un par un gigantesque dispositif de levage et de rotation.

« Le conteneur est d’abord pesé avec sa charge pour que nous sachions si nous pouvons le soulever« , explique Sebastian Lindqvist, opérateur de locomotive radio et de déchargement.

Chaque conteneur pèse généralement de 16 à 22 tonnes, en fonction du taux d’humidité et du degré de compactage des copeaux. Le dispositif de levage peut supporter 25 tonnes.

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Chaque train transporte entre 1.000 et 1.300 tonnes de copeaux. (photo et remerciements Järnvägar / Kasper Dudzik)

« Nous soulevons ensuite le conteneur et le retournons pour que son contenu tombe sur le tapis roulant qui achemine les copeaux vers une unité de criblage et de broyage. Si les copeaux ne tombent pas, nous devons secouer le conteneur. C’est facile maintenant, mais en hiver, lorsqu’il y a de la neige et de la glace dans le conteneur, nous pouvons être amenés à le secouer pendant un certain temps. »

Chaque conteneur chargé pèse entre 16 et 22 tonnes

Lorsque le conteneur est replacé sur le wagon, Lindqvist saisit l’équipement de radiocommande et fait reculer le train de quelques mètres pour que le dispositif puisse entamer le levage et la rotation du conteneur suivant.

Une fois que les 27 conteneurs des neuf wagons ont été vidés, Sebastian Lindqvist reconduit les wagons dans la cour de l’usine et en reprend neuf nouveaux.

Six heures pour décharger un train

Il faut environ six heures pour décharger 26 à 30 wagons. Par conséquent, lorsque deux trains arrivent à Värtan la même nuit, il faut 12 heures pour les vider de tous les copeaux de bois.

« Nous pourrions traiter quatre trains par jour si nous travaillions 24 heures sur 24, » explique M. Raudsaar, « ce qui nous permettrait d’approvisionner le four en copeaux de bois par voie ferrée. Mais aujourd’hui, nous acheminons la plupart des copeaux de bois par bateau. »

Les copeaux sont transportés sur de gigantesques tapis roulants pour être broyés et criblés. Vient ensuite la chaudière à copeaux, où l’énergie des copeaux est convertie en chaleur par des générateurs pour produire de l’électricité.

Quelle énergie produite ?

La centrale de chauffage aux biocarburants de Värtan a été inaugurée il y a près de cinq ans, en février 2016, devenant ainsi la plus grande de Suède. Les copeaux d’épicéa et les résidus forestiers tels que les branches, les cimes et les brindilles qui ont été déchiquetés sont convertis en 750 GWh d’électricité et 1.700 GWh de chaleur.

Cela équivaut au chauffage d’environ 190.000 appartements de taille normale. La production maximale de vapeur est de 375 MW et la production maximale d’électricité est de 140 MW. 🟧

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Train de copeaux de bois (photo et remerciements Järnvägar / Kasper Dudzik)
Ulf Nyström

Ulf Nyström – Kasper Dudzik
Järnvägar.nu

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Pologne : CPK , le projet de nouvel aéroport et lignes à grande vitesse


03/04/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Vu de l’Ouest, on a de la Pologne une image d’éternel « pays de l’Est » un peu lointain, périphérique. Or le pays veut justement saisir l’opportunité de sa géographie pour devenir un grand carrefour des transports du nord-est européen. C’est l’objet du projet CPK, le plus grand d’Europe.

Centralny Port Komunikacyjny (CPK) est un « hub de transport » à construire entre Varsovie et Łódź, et qui comprend trois éléments : un nouvel aéroport, des lignes ferroviaires à grande vitesse et des autoroutes qui s’y croisent.

Ce projet de hub est situé à environ 37 km à l’ouest de Varsovie et devrait se développer sur une superficie d’environ 30 km². L’objet central de ce projet était avant tout de remplacer l’actuel aéroport Chopin, que l’on dit enclavé et trop proche de la capitale Varsovie. Cela rappelle un peu Berlin…

Le nouvel aéroport baptisé Solidarność a été dimensionné pour pouvoir accueillir 40 millions de passagers par an. Il devrait être construit sur la municipalité de Baranów, dans le district de Grodzisk de la voïvodie de Mazovie, pour ceux qui connaissent…

Ce projet titanesque – un des rares d’Europe pour cette dimension -, a été adopté le 7 novembre 2017 par une résolution du Conseil des ministres, et le 2 juin 2018, une loi spéciale portant sur le CPK était signée par le président de la République de Pologne de l’époque, Andrzej Duda.

Il aura donc fallu un projet d’aéroport pour dimensionner la grande vitesse ferroviaire polonaise

De leur côté, les projets associés de grande vitesse ferroviaire datent de bien avant, mais la crise financière de 2008 avait mis les études au frigo. Les polonais devaient – et doivent toujours -, se contenter d’un réseau qui respire encore çà et là l’ère soviétique, malgré d’indéniables progrès en matériel roulant et quelques grandes rénovation récentes.

Il aura donc fallu un projet d’aéroport pour dimensionner le réseau grande vitesse ferroviaire polonais. Utopie ?

Plus qu’un simple aéroport

Sur le papier, ce projet dépasse le simple stade de son objet central, l’aéroport. D’une part en effet, la zone CPK comprendrait une Cité Aéroportuaire qui prévoit, entre autres, des bâtiments destinés aux salons, foires, congrès et conférences, ainsi que des bureaux.

D’autre part, le CPK prévoit également des investissements ferroviaires d’envergure : il s’agit de relier ce hub aux villes dans tout le pays. Le réseau, bien évidemment relié à la capitale, doit permettre de voyager entre Varsovie et les plus grandes villes polonaises en moins de 2h30. Cela nécessiterait près de 1.980 km de voies nouvelles à construire, dont la moitié prévu pour de la grande vitesse.

Pour faire passer le projet, on l’a aussi inscrit dans un périmètre plus vaste. Ses promoteurs expliquent qu’aucun des 19 pays d’Europe centrale et orientale ne dispose d’un hub aéroportuaire à l’échelle mondiale. 

Côté ferroviaire, comme l’illustre la carte ci-contre, il s’agit de se trouver au centre du jeu entre, d’une part la projet Rail Baltica en cours de construction (du moins partiellement), et d’autre part divers projets en République tchèque et en Hongrie, lesquels sont connectés avec l’Allemagne et l’Autriche.

Le projet s’inscrirait aussi dans le futur réseau ferroviaire à grande vitesse dit « des Trois Mers » (Autriche, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Bon nombre de ces tronçons font partie du réseau transeuropéen de transport (RTE-T).

Dans un grand élan d’optimisme – il en faut par les temps qui courent -, le CPK espère aussi reconnecter l’Ukraine lorsque la guerre sera terminée. En janvier dernier, la société CPK a signé un accord avec les chemins de fer ukrainiens (Ukrzaliznyca) pour stipuler une coopération plus étroite dans la construction de nouvelles infrastructures de transport, y compris un projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Varsovie et Lviv, prolongé on l’espère vers Kiev. L’espoir fait vivre…

Cet ensemble devrait ainsi à terme rapprocher toutes les grandes villes « de l’Est » qui n’ont aujourd’hui que des liaisons ferroviaire peu ou moyennement performantes. En 2021, la Commission européenne (CE) a d’ailleurs publié le dernier projet de règlement sur le réseau transeuropéen de transport (RTE-T), plaçant CPK sur la carte en tant que terminal d’échange essentiel. Mais comment justifier de tels investissements et sur base de quelles études ?

CPK vient justement de donner la réponse ce 31 mars en diffusant une étude élaborée sur base de la libéralisation en Europe. Cette étude résume l’expérience acquise à ce jour par les pays de l’Union européenne en matière de libéralisation avec l’entrée d’autres opérateurs ferroviaires et à la mise en service réussie de nouvelles liaisons ferroviaires à grande vitesse (Espagne, Italie, France).

Sur base des trafics étudiés, CPK a alors envisagé quels étaient les flux correspondants su l’ensemble de la Pologne. Cela a donné une carte où l’on voit que le potentiel se situe à l’Ouest d’un axe Gdansk-Varsovie-Cracovie. Les villes de Wroclaw et Poznan en seraient les premières bénéficiaires.

Chose intéressante, la ligne venant de Gdansk ne passe pas par la capitale mais bien par « son » nouvel aéroport, le fameux hub, où elle rejoint plus au sud la CMK, une ligne existante à 200km/h filant en direction de Katowice et Cracovie. Varsovie n’est finalement qu’une branche de ce vaste réseau. On connait des pays où une telle conception engendrerait des tonnerres politiques…

Un aéroport entre critiques et géopolitique

Le volet ferroviaire ne semble pas souffrir de critiques à l’inverse de l’élément aéroportuaire, qui fait l’objet de certains doutes car « conçu avant la pandémie ». Des voix discordantes – mais c’est toujours le cas dans ce type de projets -, s’interrogent sur les besoins réels postpandémiques et l’aviation en général à l’heure des défis climatiques.

Certains voient un projet très politique du pouvoir en place et préfèreraient une extension d’aéroports existants. Tout cela sans poser le débat de la présence exclusive de Ryanair sur l’autre aéroport, celui de Varsovie-Modlin, où l’irlandais aurait des soucis de capacités et n’a pourtant pas l’intention de déménager. Il demanderait dès lors une extension de « son » aéroport sur le compte du contribuable polonais tout en ferraillant contre le projet CPK. Ryanair dans l’arène politique, on ferait bien de se méfier…

Une pièce maîtresse de la géopolitique

Mais un autre argument plutôt inédit justifierait ce chantier : CPK pourrait être utilisé pour transporter des fournitures humanitaires, d’autres marchandises et… du matériel militaire à travers le continent. Et ce ne sont pas que des mots. L’Ukraine n’est pas loin, la Russie non plus. D’après Politico, qui cite Reuters, le général de l’armée américaine Ben Hodges, qui est le commandant des forces terrestres américaines en Europe, aurait décrit le projet CPK (d’aéroport) comme « ce dont l’OTAN a besoin en termes de mobilité militaire (…) Le projet ajoutera une capacité qu’aucun autre nœud en Pologne, ou ailleurs en Europe de l’Est, ne peut égaler.« 

L’ambassadeur des États-Unis en Pologne, Mark Brzezinski, a également embrayé sur ce thème en expliquant que « les événements actuels ont montré qu’une infrastructure ferroviaire fiable et résiliente est extrêmement importante pour la sûreté et la sécurité de la région.« 

Mais tout cela nous éloigne de la fonction ferroviaire du CPK, qui nous intéresse davantage.

Où en est-on actuellement ?

2028 serait – en principe -, la date d’ouverture d’une toute première ligne à grande vitesse de 148 km reliant Varsovie à Łódź, en passant bien évidemment par le fameux « aéroport-hub ». Le 28 novembre 2022, des contrats ont été attribués au consortium polonais Biuro Projektów Metroprojekt et Sud Architekt Polska pour le premier tronçon de 40 km de ligne ferroviaire à grande vitesse entre CKP et Varsovie. D’autres contrats vont permettre de poursuivre jusqu’à Łódź.

Une fois terminée, les voyageurs pourront rejoindre CPK en seulement 15 minutes depuis Varsovie et 30 minutes depuis Łódź.

Cet axe « central » ferroviaire doit ensuite être prolongé vers Wroclaw, pour lequel on en est encore qu’aux études d’itinéraires. Cette ligne sera conçue pour une vitesse maximale de 350 km/h mais est fort curieusement prévue pour être exploitée avec des trains circulant à une vitesse de 250 km/h. L’obtention du permis de construire est espéré pour 2024 afin de débuter les travaux.

D’abord vers Wroclaw, Katowice et Cracovie

En janvier 2021, le gestionnaire d’infrastructure signait un petit contrat pour la modernisation de 21 ponts et viaducs sur la Centralna Magistrala Kolejowa (la ligne ferroviaire centrale – CMK) qui est justement située au sud de l’emplacement du hub. Cette ligne a été construite entre les années 1971-1977 dans une configuration quasi rectiligne. Elle a une longueur de 224 km et relie plus précisément Grodzisk Mazowiecki, à 30km au sud de Varsovie, à Zawiercie, à environ 45 km au nord-est de Katowice et à environ 70 km au nord-ouest de Cracovie. Électrifiée en 3kV, elle est actuellement limitée à 200km/h.

Les travaux de rénovation de ponts visent en fait à faire passer la vitesse à 250 km/h. Fin 2023, après avoir achevé les travaux nécessaires et lancé le système ERTMS/GSM-R et le système ETCS niveau 2, les trains devraient circuler à la vitesse autorisée de 250 km/h sur la ligne CMK.

La suite du programme, avec les autres lignes, notamment vers Poznan et Gdansk, est encore en gestation. Dans la plupart des cas, le tracé doit encore être convenu car la proportion exacte entre nouvelles infrastructures et modernisation des lignes existantes n’est pas encore été précisée, rappelle Railway Gazette.

Kristian Schmidt, chef de la direction générale de la mobilité et des transports de l’UE (DG-MOVE), expliquait en début d’année sur Money.pl que « d’ici 10 à 20 ans, le réseau ferroviaire polonais pourrait être meilleur que dans les pays de la ‘vieille’ Union européenne, où les investissements dans ce moyen de transport ont été négligés pendant des années« .

Après l’ouverture du CPK et la mise en service de nouvelles lignes ferroviaires, le nombre de passagers ferroviaires longue distance devrait doubler pour atteindre 120 millions de passagers par an, selon ses promoteurs.

Côté aérien, le nouvel aéroport à 8 milliards d’euros devrait aussi ouvrir en 2028 pour une première partie, dans laquelle on transférerait la totalité du trafic de l’actuel aéroport de Varsovie Chopin. Les plans de conception des bâtiments clés du CPK devrait être prêts dès le milieu de cette année, sans plus de précisions. On s’interroge néanmoins sur la soutenabilité de tels délais qui paraissent davantage faire partie d’une stratégie de communication. Cela dit, quand on voit les délais d’autres grands projets aériens (Berlin…), on se dit que 3-4 années de plus resteraient finalement dans la norme…

Voilà donc un projet qu’il conviendra de suivre avec attention, tout comme son frère aîné du Nord, Rail Baltica. 🟧

03/04/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Trains de nuit : commandes massives pour six projets en Europe


26/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Six pays – ou plutôt six opérateurs -, misent en Europe sur de nouveaux trains de nuit par l’achat de matériel roulant neuf. La plupart des projets sont situés sur la moitié Est et Nord de l’Europe. Quatre pays concernés n’ont pas de grande vitesse. Ce sont essentiellement des entreprises historiques qui procèdent à ces achats. L’occasion d’un rapide tour d’horizon.

Une Europe coupée en deux

Norvège, Suède, France, Finlande, Autriche et Italie. Il suffit de tracer une ligne de Trondheim à Palerme pour se rendre compte que cinq des six pays se situent sur la moitié Est de l’Europe. Et nous ne comptons pas la Pologne et les autres sur d’éventuelles commandes à venir.

Les trains de nuit, que l’on pensait atteint d’une lente agonie, restent plus que jamais d’actualité dans cette partie de l’Europe alors que pour la moitié Ouest de l’Europe, dans laquelle on inclue volontairement l’Allemagne, on mise plutôt sur la grande vitesse.

Bien-sûr, nous n’oublions pas les initiatives de Snälltåget en Suède, SNCF en France, Caledonian Sleeper en Grande-Bretagne, RegioJet estival vers la Croatie, ou bientôt European sleeper entre Bruxelles et Berlin. Mais hormis le cas britannique, ces exemples bienvenus utilisent du matériel roulant plutôt ancien, même reconfiguré.

Nous ne parlons ici que des investissements très récents et futurs, ce qui indique que certains opérateurs y ont vu un intérêt.

Les constructeurs des années 60-70 ne sont plus qu’un lointain souvenir

Le matériel roulant, encore et toujours

Des centaines de voitures-couchettes et voitures-lits furent construites dans les années 60 et 70. Les principaux constructeurs de jadis – Nivelles, Carel Fouché, Ansaldo, LHB, Donauwörth et autre Hansa Waggonbau -, ne sont plus qu’un lointain souvenir, absorbés dans les grandes restructurations de l’industrie des années 1990-2000. Talgo, qui avait construit des TrenHotel sur base de ses fameuses rames articulées, n’en construit plus non plus.

Les débuts de la libéralisation ont été marquées par de grands besoins pour les locomotives interopérables d’une part, et pour les automotrices régionales d’autre part, afin d’alimenter les nouveaux candidats qui répondaient aux appels d’offres par du neuf plutôt que du recyclé. Cette politique industrielle sembla avoir mis en sourdine les projets de voiture classique « UIC » comme on en fabriquait encore il y a encore 30 ans.

En réalité pas tout à fait. Siemens, qui rachetait à tour de bras dans les années 90 et 2000, reprit l’usine Simmering-Graz-Pauker (SGP) située à Vienne-Simmering, laquelle est aujourd’hui la seule du groupe allemand à fabriquer de « vraies » voitures.

Plus à l’Est, dans des pays dénués de grande vitesse, on trouve la firme roumaine Astra Vagoane Călători, située à Arad, une survivance d’une ancienne entreprise roumaine, laquelle fabrique toujours des voitures classiques, dont des voitures-lits.

La firme Skoda n’a pas non plus abandonné les voitures tout comme l’espagnol CAF, qui a fournit l’ensemble des voitures du Caledonian Sleeper en Grande-Bretagne. On peut donc dire qu’il reste une petite poignée de constructeurs pour contenter tout le monde.

Obtenir du matériel roulant neuf, plutôt que de l’ancien, est devenu le fil conducteur de six projets en Europe, qui ont tous leurs aspects propres. Avec, on va le voir, quelques innovations.

Autriche

On ne reviendra pas sur la plus grande des commandes, celle des ÖBB. En 2018, les chemins de fer fédéraux autrichiens (ÖBB) et Siemens Mobility signaient un accord-cadre global de plus de 1,5 milliard d’euros, portant notamment sur une commande comportant 13 rames Nightjets de 7 voitures, des rames blocs indéformables, à l’inverse de ce que l’on pratiquait jusqu’ici (des voitures isolées dégroupées et regroupées).

Les ÖBB ont logiquement choisi la gamme ‘Viaggio’ de Siemens, laquelle est justement construite à Vienne-Simmering. Les premières voitures étaient présentées le 6 septembre 2022, coup d’envois des premiers essais pour des rames prévues en priorité sur les flux Vienne-Italie. Les autrichiens innovent avec l’abandon des compartiments à 6 couchettes, ramenés à 4, et surtout par l’adoption de « mini-cabines » individuelles (photo), lesquelles doivent répondre aux demandes de plus en plus affirmées d’intimité de la clientèle individuelle.

Italie

En juin 2022, Trenitalia lançait un appel d’offres pour l’acquisition de nouveau matériel roulant pour les services Intercity Notte à destination de la Sicile. L’accord-cadre porte sur la fourniture d’un maximum de 370 voitures sur une période de cinq ans, avec une quantité minimale garantie de 70 véhicules. Cela parait beaucoup pour la seule destination Sicile, mais rien en dit que Trenitalia n’envisage pas d’autres destinations à terme. La valeur totale de l’accord-cadre est de 732,6 millions d’euros, la commande minimale de 70 voitures devant s’élever à 138,6 millions d’euros.

En Italie, une flotte financée notamment avec l’argent du PNRR

Cette nouvelle flotte est financée par une partie des 200 millions d’euros alloués à Trenitalia pour l’achat de nouveau matériel roulant et, chose intéressante, fait partie du plan national de relance et de résilience de l’Italie (PNRR). L’avis d’appel d’offres ne précisait pas le type de voitures à fournir, mais Trenitalia devrait passer commande auprès d’un seul fournisseur afin de simplifier l’exploitation et la maintenance, tout en préservant l’intégrité de la marque Intercity Notte. La nouvelle flotte de trains de nuit devrait entrer en service à partir de (décembre ?) 2024, ce qui peut paraître serré…

France

Ce n’est pas du côté de la SNCF, mais bien d’un opérateur privé qu’il faut chercher, avec un futur projet dont on sait peu de chose jusqu’ici. Midnight Train veut « réinventer le train de nuit » à prix compétitifs face à l’avion. Il s’agit ici d’une société en mode start-up qui dispose d’un management haut de gamme puisqu’on y trouve, derrière les deux fondateurs Adrien Aumont et Romain Payet, des personnalités comme Franck Gervais, ancien CEO de Thalys ou encore Odile Fagot, ancienne Directrice Transformation & Performance Finances chez SNCF.

Midnight train veut lancer des trains de nuit avec un concept novateur d’hôtel sur rail avec voiture-restaurant et voiture-bar. L’opérateur indique qu’il dispose des finances requises et qu’il a fait le choix d’un constructeur pour son matériel roulant, sans donner plus de précisions à l’heure d’écrire ces lignes.

Jusqu’ici, on connait Midnight train au travers de sa communication de marketing glamour auprès de 60.000 abonnés à sa newsletter et ses réseaux sociaux. L’objectif est « d’installer la marque et de créer du désir avant l’arrivée du produit », explique la société aux Echos.

Il nous faut maintenant remonter sur les rives de la Baltique pour trouver d’autres projets.

Finlande

On connait mal ce pays mais il y a bien des trains de nuit entre la capitale Helsinki, au sud du pays, et la Laponie tout au nord. VR, l’opérateur national finlandais, concluait en décembre 2022 l’acquisition d’une petite flotte de trains de nuit en attribuant un contrat au tchèque Škoda Transtech. Le contrat de 50 millions d’euros porte sur la fabrication et la livraison de 9 voitures-lits, de huit wagons porte-voitures et de pièces de rechange. Les Finlandais, comme les Autrichiens, les Slovaques, les Tchèques et quelques saisonniers, continuent en effet l’exploitation des trains autos-couchettes.

Ce contrat prévoit des options pour l’achat de 30 voitures-lits et de 30 wagons porte-autos supplémentaires. Les Finlandais ont la chance d’avoir déjà en circulation des voitures-lits double étage, grâce à un gabarit d’encombrement très généreux. Le parc actuel comprend 80 voitures-lits et 33 véhicules de transport de voitures.

Il est prévu que le nouveau matériel roulant issu de ce contrat initial avec Škoda Transtech entre en service d’ici à la fin de 2025.

Trois des quatre pays scandinaves ont passé commandes

Suède

La suède compte pas mal de trains de nuit, dont un récent Stockholm-Hambourg lancé en 2022 mais avec des voitures plus anciennes louées chez RDC Deutschland. De son côté, l’opérateur privé Snälltåget (Transdev) fait rouler un Stockholm-Berlin avec des voitures-couchettes et à places assises.

Suite à une décision à l’automne 2022 du Riksdag, le Parlement suédois, Trafikverket s’est vu accorder une facilité de prêt de 3,855 milliards de SEK (356 millions €) par le Bureau de la dette nationale suédoise pour acheter de nouvelles locomotives et de nouvelles voitures. Rappelons qu’en Suède, c’est la société d’État Trafikverket qui détient une grande partie du matériel roulant, pour le relouer ensuite à différents opérateurs.

En mars 2023, Trafikverket devait lancer un appel d’offres pour 16 locomotives et 99 voitures pour le service de train de nuit sous contrat entre Stockholm, le Norrland mais aussi vers l’Allemagne. Une petite polémique amusante s’est insérée dans ce dossier quand quelques politiciens se sont inquiétés de savoir si ces voitures auraient le gabarit suédois ou continental ! Cela influerait sur la longueur des lits. Le gabarit suédois est en effet plus généreux que celui de l’Europe, mais on parle ici de quelques dizaines de centimètres…

L’objectif est de mettre les nouveaux trains en service en 2027-2028.

Norvège

On termine avec un autre pays scandinave qui n’a jamais abandonné tout à fait ses trains de nuit, et qui compte aussi sur le renouveau de ce marché. En Norvège aussi, c’est une société d’État, Norske Tog, qui est propriétaire des rames et les loue. Mais la Norvège semble innover sur plusieurs points.

En février 2023, Norske tog signait un contrat géant avec Stadler. Il s’agit dans un premier temps de 17 rames longue distance sous la marque Flirtnex, avec option jusqu’à 100 rames. Mais la particularité est qu’une partie des rames vont comporter des places couchées en compartiment de 2 ou 4 places. Autre particularité intéressante, en journée, les compartiments des « rames de nuit » pourront être transformés en coin salon fermé pour les familles ou pour les voyageurs d’affaires. C’est une première car jusqu’ici, l’argument généralement entendu était qu’un train de nuit était extrêmement coûteux du fait d’une utilisation exclusive sur le trajet nocturne. Cet argument vole donc en éclat avec le choix de Norske tog de faire opérer ces trains de nuit comme de jour. La dernière particularité est l’entrée du suisse Stadler sur ce marché de trains de nuit, ce qui n’était pas vraiment la spécialité de ce constructeur.

Au final…

D’ici 2030, nous aurons donc le loisir de tester différents trains de nuit d’au moins trois constructeurs (Siemens, Skoda, Stadler), les projets italiens, français et suédois n’étant pas encore formellement attribués à l’heure d’écrire ces lignes.

Puissent ces exemples donner des idées aux pays « du côté l’Atlantique » qui, pour le moment, font le service minimum en la matière, ou ne font plus rien du tout comme en Allemagne ou en Espagne. Le seul exemple est le Caledonian Sleeper britannique dont la formule pourrait parfaitement être développée sur le Continent. 🟧

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(Photo ÖBB)

26/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La grande vitesse dans le monde, où en est-on aujourd’hui ?


20/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La grande vitesse ferroviaire faisait l’objet du 11ème congrès de l’UIC à Marrakech, au début du mois de mars. Le kilométrage mondial a bondit fortement et les constructions se poursuivent, mais l’Europe semble à la traîne. C’est l’occasion de faire un petit tour d’horizon rapide de la grande vitesse dans le monde.

La définition UIC de la grande vitesse

L’Union internationale des chemins de fer (UIC) considère qu’une vitesse commerciale de 250 km/h est le critère principal pour définir la grande vitesse ferroviaire. Néanmoins, l’UIC peut considérer qu’une vitesse supérieure à 200km/h peut être qualifiée de « grande vitesse » si le fonctionnement de l’infrastructure respecte les principes suivants :

  • équipement de la voie,
  • matériel roulant spécifique (unités automotrices),
  • système de signalisation embarquée (sans signaux latéraux),
  • exploitation par poste de commande centralisé
  • et séparation géographique ou temporelle du trafic de marchandises et de voyageurs.

Avec cette définition élargie, on peut alors affirmer qu’en 2020, la barre symbolique des 50.000 km de lignes à grande vitesse dans le monde aurait été dépassée. En 5 ans, la longueur du réseau à grande vitesse mondial se serait accrue de 20%, ce qui représente un saut d’environ 10.000 km de lignes dans le monde. Cette augmentation est principalement liée au développement spectaculaire du réseau à grande vitesse en Chine mais aussi ailleurs en Asie, un continent qui compte pratiquement les trois quarts du kilométrage total mondial. Le quart restant de ce réseau mondial ne concerne que l’Europe, principalement en Espagne, la France, l’Allemagne et l’Italie.

Cela montre qu’il y a de grandes disparités entre les continents du monde. Mais chaque continent a sa culture et ses enjeux propres.

En 5 ans, la longueur du réseau à grande vitesse mondial se serait accrue de 20%, ce qui représente un saut d’environ 10.000 km de lignes dans le monde.

Afrique

En Afrique le Maroc est le seul pays à avoir obtenu fin 2018, une ligne à grande vitesse de 186 km entre Tanger et Kenitra où les TGV Al Borak (analogues aux TGV Duplex d’Alstom), peuvent poursuivre vers Rabat et Casablanca par le réseau classique. À long terme il est prévu une ligne vers Marrakech et plus tard vers Agadir. En Égypte, les contrats signés en 2022 entre les autorités de transport et Siemens prévoient un réseau de quelque 2000 km de lignes nouvelles qui devrait relier les principales villes du delta du Nil, pour remonter jusqu’à Abou Simbel.

TGV_monde
Une rame à grande vitesse ONCF Alstom RGV2N2 à la gare de Tanger Ville en novembre 2018 (photo NicholasNCE via wikipedia)

Amérique du sud

L’Amérique du Sud semble bouder la grande vitesse ferroviaire. Les grands projets qui était prévu au Brésil entre Sao Paulo et Rio de Janeiro qui sont distantes de 450 km semblent abandonner Au Chili on ne parle plus d’une ligne entre Santiago et Valparaíso. En Argentine le pays peu peuplé en dehors de la capitale Buenos Aires ne milite pas pour la grande vitesse ferroviaire.

États-Unis

Il y a beaucoup de prudence en Amérique du Nord. Malgré une carte régulièrement remaniée, les projets à grande vitesse étaient plutôt rares à la fin des années 2020. Amtrak a certes lancé ses trains Acela en décembre 2000 sur le corridor nord-est entre Washington Philadelphie New York et Boston, mais cela n’en fait pas exactement des trains à grande vitesse.

Cela dit, le cousin américain du TGV-M, l’Avelia Liberty ou Acela II d’Amtrak (qui ne sera pas un Duplex), sera mis en service sur le corridor nord-est à des vitesses supérieures à celles de ses prédécesseurs. Les 11 voitures de l’Acela II, avec leurs 17 tonnes à l’essieu, seront autorisées à circuler entre Trenton et New-Brunswick à 257 km/h, ce qui pourrait (un tout petit peu) améliorer la position des États-Unis sur le rang mondial de la grande vitesse.

Siege-train
(photo : Fan Railer via wikipedia)

Les progrès sur deux autres projets sont relativement lents. Le projet californien n’avance que sur sa partie centrale. Un autre projet au Texas demande encore pas mal de fonds et de travail en amont. Le projet en Floride n’est pas de la grande vitesse et ne concerne qu’une ligne apte à 200 km/h.

En Asie, la Chine domine encore et toujours avec près de 43.000 kilomètres de lignes nouvelles. Le Japon veut miser sur le train à sustentation magnétique

Asie

En Asie, la Chine domine encore et toujours. Près de 43.000 kilomètres de lignes nouvelles ont été mis en service ces quinze dernières années, ce qui est phénoménal. Cette maîtrise chinoise, grandement aidée jadis par l’Europe, est maintenant devenu un des piliers de la Belt and Road Initiative (BRI) et de sa soif d’expansion diplomatique dans le monde, au travers de nombreux chantiers d’infrastructures. La Chine développe ainsi des projets à grande vitesse dans d’autres contrées, notamment vers le Laos.

Le Japon, avec déjà 3.000 kilomètres de lignes à grande vitesse indépendantes de tout le reste du réseau, semble quant à lui vouloir faire le grand saut vers une autre technologie, celle de la sustentation magnétique. Le Chūō Shinkansen est un projet national qui reliera Shinagawa, à Tokyo, à Nagoya, dans le centre du Japon, en 40 minutes seulement. Mais des nuages s’amoncellent sur ce projet, la préfecture de Shizuoka refusant un permis après des craintes sur les conséquences hydrauliques qu’entraîneraient la construction de cette ligne.

Maglev

L’Europe en demi-teinte mais bien avancée

En Europe, l’actualité est dominée par l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Italie, et dans une moindre mesure la France et l’Allemagne.

L’Espagne continue ses constructions, notamment le Y-Basque dont on a déjà parlé, mais aussi vers le nord-ouest du pays et, peut-être, vers le Portugal. L’Italie poursuit ses programmes, plus particulièrement entre Naples et Bari, dans le sud de la Péninsule, mais aussi au nord, où on avance projet par projet entre Milan et Vérone.

Siege-train
(photo HS2)

La Grande-Bretagne, avec son projet HS2, risque de remporter la palme du prix au kilomètre. Le projet est devenu tellement onéreux (zones urbaines et zones écologiques à traverser), que seuls les 225 kilomètres entre Londres et Birmingham ont la certitude de voir le jour, les travaux étant largement entamés. Mais la moitié du réseau HS2 risque, plus au nord, de ne jamais voir le jour ou alors bien loin dans ce siècle.

En Suède, on préfèrerait rénover le réseau ferroviaire existant et mettre le paquet sur le réseau routier et les voitures électriques

La France reprend ses objectifs de construction, avec un projet dans le sud-ouest entre Bordeaux et Toulouse ainsi que vers Bayonne, tandis que sont relancées les études sur le projet de ligne nouvelle Provence Côte d’Azur.

En Allemagne, on se concentre actuellement sur la finalisation de la nouvelle ligne Stuttgart-Ulm, dont un tronçon a été inauguré en décembre dernier. Cette ligne se greffe sur un autre projet controversé sans réel lien avec la grande vitesse, Stuttgart 21. Dans les cartons aussi un projet entre Dresde et la frontière tchèque, apparemment assez avancé, les tchèques eux-mêmes ayant pris des décisions sur leur sol jusqu’à Prague.

La Pologne semble se diriger vers un gigantesque projet de réseau à grande vitesse qui prévoit de construire un réseau de 2000 km de 12 lignes à grande vitesse centrées sur un nouvel aéroport à construire à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Varsovie, et dont nous reparlerons prochainement.

Les mauvaises nouvelles viennent par contre de la Suède, qui semble s’éloigner du concept de la grande vitesse ferroviaire. Ce pays nous offre un cas d’école en matière de lobbying. En effet, le gouvernement actuel justifie la modernisation de l’infrastructure ferroviaire existante (sans qu’on sache ce que cela recouvre),  tout en investissant – et c’est ici qu’on attrape des sueurs froides -, plutôt dans l’amélioration des routes et l’installation de points de recharge pour voitures électriques. La transition par la route et le rafistolage ferroviaire, voilà une idée qui laisse perplexe au pays de Greta.

Il faudra veiller maintenant à ce que l’Europe ne deviennent pas un Continent sans projets, même si la transition impose qu’on construise autrement que ce que l’on faisait hier. 🟧

Talgo
Le Talgo Avril, dernier né de la firme espagnole, conçu pour 350km/h (photo Talgo)

20/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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L’expérience client se fait parfois sans fenêtre. Mais pourquoi au juste ?


13/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Qui n’a jamais eu la désagréable surprise de voir son siège réservé sans fenêtre ou de manière très partielle ?  De manière globale, si on y est prête un peu d’attention, on peut s’apercevoir que les sièges sont disposés sans tenir vraiment compte de l’implantation des fenêtres.  Ce n’était pas comme cela avant. Mais aujourd’hui il y a une raison à tout cela.

Au temps où les trains étaient composés de voitures à voyageurs, il a fallu uniformiser au maximum les dimensions et le confort pour que ces voitures puissent passer d’un pays à l’autre. C’est pour cela que sont apparus dans les années 60 les gabarits UIC X puis Z. Ces gabarits ont permis de construire un diagramme de voiture différent mais uniformisé selon que l’on soit en première classe ou en seconde classe. C’était une époque où on voyageait encore beaucoup dans des compartiments.

Cependant, dans les années septante, les opérateurs ferroviaires désirèrent mettre davantage de voyageurs dans les voitures et de donner plus d’intimité. Il s’agissait aussi de moderniser considérablement la seconde classe par rapport à la première classe.

Pour disposer les sièges en fonction de l’implantation des fenêtres, le choix de places en vis-à-vis peut être privilégié. C’est ce qu’on peut voir dans le diagramme suisse ci-dessous :

Siege-train
(diagramme CFF)

On remarque que la disposition des sièges en vis-à-vis s’intègre bien à la disposition des fenêtres, que ce soit en 2e classe ou en première classe. En 2e classe, on obtenait ainsi une voiture de 77 places assises qui ont toutes une vue sur fenêtre, mais qui ont le désavantage d’être en vis-à-vis.

L’option de placer des sièges en file indienne comme dans les avions a permis d’obtenir une voiture de 80 places assises en seconde classe en maximisant les sièges par deux. Mais dans ce cas, il n’était plus possible de tenir compte de l’implantation des fenêtres. Cette disposition a été largement utilisée à partir des années 70 et 80, notamment dans les voitures Corail de la SNCF et les voitures à couloir central de la Deutsche Bahn.

C’est à partir de ce moment que certains sièges se sont trouvés face à un trumeau ou avec une fenêtre partielle. Cependant, il faut reconnaître que ces problèmes n’apparaissaient que sur un nombre restreint de sièges rapport au total disponible dans une voiture. Au final, on réussissait malgré tout à ce que chaque siège ait au moins une partie de fenêtre. De plus, on pouvait parfois trouver une astuce commode, en retournant les sièges, comme le montre cet exemple entouré de rouge :

Siege-train
(diagramme CFF)
Siege-train
Une des nombreuses voitures Intercity de la DB au format UIC Z, ici à Berlin en 2018 (photo Mediarail.be)

La caisse unique

À l’apparition de la grande vitesse, la distinction des caisses entre première classe et 2e classe disparaissait. Il fallait minimiser les frais d’étude et on a donc construit une caisse unique pour tous les conforts disponibles. La disposition des sièges semble avoir été quelque chose de secondaire par rapport à la conception de la structure des caisses.

Les grandes fonctions de la structure de la de caisse sont reprises par la norme EN 15380-4. Cela concerne entre autres la structure et le dimensionnement de la caisse, la dissipation de l’énergie dans la structure du véhicule, la résistance aux chocs, le transfert de la traction et de l’effort de freinage. Mais aussi le transfert des forces transversales, par exemple dans les courbes, entre la caisse du véhicule et le bogie. Ou encore le transfert des charges verticales entre la caisse du véhicule et le bogie.

Les structures transmettent, à des niveaux différents, selon le type de train, l’ensemble de ces efforts. Une structure de caisse est donc le squelette (l’ossature d’un véhicule de voyageur) qui doit être dimensionnée pour pouvoir résister aux combinaisons de charge et adaptées aux diverses sollicitations exceptionnelles et de services qu’elle rencontreront pendant leur vie commerciale.

La structure de caisse doit être conçue dès le lancement des études. Elle doit suivre les principes de l’architecture du train en respectant des données ou contraintes fondamentales, comme par exemple le gabarit et les limites de masse. Elles doivent de plus répondre aux sollicitations statiques, dynamiques et environnementales imposée par les conditions d’exploitation, de sécurité et de confort.

C’est une des raisons majeures de l’option de la caisse unique qui garnira l’ensemble d’une rame, qu’elle soit ou non à grande vitesse :

Siege-train
(Extrait de « Matériel roulant », Tome 2)

La disposition des sièges est cependant une composante liée à l’environnement choisi. Le choix de l’architecture intérieure dépend à la fois des spécifications de l’exploitant ou du donneur d’ordre et de nombreux facteurs techniques, économiques et culturels. Ce choix conditionne de nombreuses performances, dont la capacité, la rentabilité et l’habitabilité pour les voyageurs. Ce choix est déterminant pour la performance globale du produit, les performances d’expansion et la maintenance.

Siege-train

L’exploitant cherche toujours à accueillir un maximum de voyageurs avec différents niveaux de confort selon le segment de marché et le débit de voyageurs de la ligne a desservir. La montée et la descente des voyageurs dans des temps d’arrêt très variables en fonction du trafic, de la ligne ou du réseau doit être assuré en toute sécurité. La distribution des accès sur l’ensemble de l’architecture du train est essentielle et a des impacts sur le confort d’accès et sur le diagramme des voitures.

L’architecture et les principes d’aménagement retenus doivent également contribuer à maximiser la charge et la surface utile au maximum, et donc la capacité en voyageur. Mais il faut aussi tenir compte du pas entre sièges (photo). Cette conception impactera directement sur la disposition des sièges.

On peut remarquer qu’à l’origine sur les premiers TGV français, les sièges de première classe étaient parfaitement disposés avec les fenêtres.

Siege-train
Il y a bien longtemps, quelque part dans les années 70… (photo SNCF)

Le diagramme ci-dessous nous montre une structure de remorque TGV unifiée quelle que soit la classe, et ce que cela donne sur la répartition des sièges. Alignement parfait en première classe, désaxement en seconde :

Siege-train

Comme la structure d’une voiture TGV surpasse toute autre considération, avec le même nombre de fenêtres, il devenait évident qu’il n’était plus possible de placer tous les sièges en fonction de l’implantation des fenêtres. Quelques sièges se sont retrouvés face à un beau trumeau ou avec 20cm de fenêtre.

Un scénario identique se répétait aux autres matériels roulants, que ce soit les ICE en Allemagne ou les Talgo en Espagne.  Il en était de même sur les trains à grande vitesse italiens. Mais il faut reconnaître que cela ne concerne qu’un petit nombre de sièges sur le nombre total d’une rame.

Par ailleurs certains exploitants comme la Renfe ou Trenitalia exploitent des trains à 3 ou 4 classes avec une différenciation encore plus marquée de la disposition des sièges selon les différents conforts.

Siege-train

Le plus de voyageurs au mètre…

Les contraintes de rentabilité ont aussi joué sur le nombre de sièges. Ces dernières années, on semble vouloir battre de record en record. Au fil des études et des créations de nouvelles rames, le nombre siège au mètre augmente. Rien de mieux qu’un petit tableau pour s’en convaincre, en comparant uniquement les rames à simple niveau, à motorisation encadrée ou répartie :

Siege-train
(tableau Mediarail.be)

On doit aussi considérer que ce choix est irréversible. Le concept d’architecture retenu ne pourra plus être modifié pendant toute la durée de vie du matériel roulant, sachant que la conception choisie impactera beaucoup de paramètres, par exemple d’exploitation et de confort. Bien entendu par la suite on pourra toujours changer la disposition des sièges mais on ne pourra jamais changer la disposition des fenêtres et la structure de la caisse.

Il y en a que cela arrange…

Si certains sont surpris de la disposition de leur siège en embarquant à bord, on peut aussi se demander si c’est si important que cela. L’expérience client diffère d’un voyageur à l’autre. Dans notre époque actuelle, ils sont plusieurs à vouloir la pénombre maximale pour regarder un film ou tapoter sur leur PC ou smartphone. Regarder le paysage est devenu accessoire pour beaucoup, particulièrement en hiver où il fait noir assez tôt le soir.

On pourrait cependant suggérer aux opérateurs de faire une distinction entre les places entièrement sans fenêtres et celles qui en sont pourvues. On pourrait par exemple vendre le siège avec trumeaux à des gens qui de toute manière ne lèverons pas le nez de leur smartphone ou PC. C’est en quelque sorte aussi une expérience client pour ce public-là, lequel pourrait choisir lors de leur réservation une place sombre pour s’adonner à leurs activités digitales. 🟧

Siege-train
Un ICE 3 en seconde classe, avant lifting (photo Mediarailbe)

13/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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TGVLes voitures “Inox” SNCF
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train_de_nuitLa voiture-couchettes : comment on a démocratisé le train de nuit (1)
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Corail_Lunéa_André Marques_wikiLa voiture-couchettes : comment on a démocratisé le train de nuit (2)
30/10/2020 – Deuxième et dernière partie de notre historique sur les voitures-couchettes. 1975-2000, une seconde période assez riche. Nous sommes au milieu des années 70 et le tourisme de masse est maintenant devenu une banalité. Pistes d’hiver et plages d’été attirent les foules, ce qui impliquent de renouveler les différents parcs de voitures-couchettes.


HST-125Les rames HST 125 de British Rail désormais à la retraite
23/05/2021 – Outre-Manche, les HST 125, pour High Speed Train 125 miles/hours, furent une icone du rail britannique et du service Intercity. Leur retraite est quasi définitive et c’est évidemment l’occasion de vous compter sobrement leur histoire.


Le Talgo Avril, dernier né du constructeur espagnol


06/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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On va devoir s’y habituer. Après les ICE de Siemens, le Frecciarossa d’Hitachi rail, le TGV-M d’Alstom, un quatrième larron est à poser sur l’étagère : le Talgo Avril. Entendez : des trains conçus pour au minimum V250. L’occasion de parler d’un firme qui s’installe durablement dans la grande vitesse ferroviaire et qui a des atouts à faire valoir.

On ne présente plus Talgo. Le 21 août 1941, Alejandro Goicoechea, , technicien basque,  mena l’expérimentation sur site d’un très curieux ensemble ferroviaire articulé. Cet ensemble était tiré par une locomotive à vapeur et atteignit déjà 75km/h sur le tronçon Leganés-Villaverde. Encore fallait-il vendre le produit, sans quoi son utilité était nulle. L’entrepreneur s’empressa en 1941 et 1942 de protéger son « concept articulé » par deux brevets espagnols (n°151396 et n°159301) et deux français (n°883808 et n°898376). La firme Talgo était née.

80 années plus tard, l’entreprise est toujours bien présente, n’a pas été rachetée par on ne sait qui, et demeure une référence dans le paysage ferroviaire industriel. La firme repose sa réputation sur ses rames articulées. Mais à la différence d’Alstom qui le fait avec des bogies à deux essieux, Talgo a conçu un système ingénieux de « roues indépendantes », comme l’illustre fort bien la photo ci-dessous :

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La rame articulée version Alstom, avec un bogie intercalaire qui est la marque de fabrique du constructeur français (photo Mediarail.be)
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La rame articulée version Talgo, avec un arceau intercalaire comportant deux roues indépendantes (photo Talgo via twitter)

La centre de gravité très bas des rames Talgo permet à la firme d’offrir une largeur plus généreuse, ce qui permet une configuration différente des sièges, nous le verrons plus loin.

Généralement, la technique de rame articulée, tant de Talgo que d’Alstom, ne permet pas la motorisation répartie tout au long de la rame et oblige donc à maintenir le concept de rame encadrée par deux motrices. Alstom a pourtant conçu une rame articulée à grande vitesse avec motorisation répartie, l’AGV, mais n’a plus poursuivi dans cette voie après les 25 rames vendues à NTV-Italo.

Il y a les défenseurs de la rame encadrée par deux motrices, tout comme ses détracteurs, qui font valoir que sur une rame de 200m, on perd pas mal de sièges à cause de leur présence.

On notera aussi que cette technologie de roue indépendante de Talgo a permis aussi d’élaborer le train à écartement variable, l’Espagne ferroviaire ayant été bâtie à l’écartement 1.668mm, alors que le reste de l’Europe, et le voisin français, ont l’écartement standard 1.435mm.

>>> À lire : les rames Talgo I à III et leurs locomotives

Le Talgo à grande vitesse

En avril 1998, la RENFE commandait 32 rames à grande vitesse destinée à couvrir les services AVE entre Madrid et Barcelone, dont l’ouverture était prévue pour 2004. Cette fois, plus question d’acheter Alstom comme pour Madrid-Séville (inauguré en 1992), mais d’opter pour un pur produit national. Le consortium entre Talgo et Adtranz (devenu Bombardier par la suite) remportait l’appel d’offre et s’activa alors sur ce qui s’appelait le « projet Talgo 350. »

Ainsi arrivèrent sur les voies espagnoles le Talgo S-102 et ses étranges motrices au long nez, appelé « pato » (canard) outre-Pyrénées. Étrange ou pas, le Talgo « pato » a tout de même été vendu en Arabie Saoudite dans sa configuration grande vitesse.

>>> À lire : la fiche technique du S-102

Le Talgo Avril

En 2016, la RENFE a attribuait à Talgo un marché de 15 nouvelles rames à grande vitesse, en retenant le nouveau train Avril développé par l’industriel espagnol.  D’un montant de 786 M€, le contrat incluait également la maintenance pour 30 ans. Aptes à 330 km/h, ces rames devaient être équipées pour le service international, avec ASFA, LZB, ERTMS et TVM430, ce qui indiquait une utilisation programmée de facto pour la France, du moins pour certaines rames.

Le Talgo Avril –  acronyme de « Alta Velocidad Rueda Independiente Ligero » -, reprend bien-sûr les bases et l’expérience des rames articulées qui ont fait le succès de la firme espagnole. Mais il est avant tout le fruit d’une vision.

Talgo souhaitait tirer le meilleur parti du gabarit européen pour réaliser des gains d’efficacité. Dans un système dominé par des coûts fixes élevés, il est primordial d’attirer le plus grand nombre possible de voyageurs et de maximiser l’utilisation des actifs. Transporter plus de voyageurs par train permet d’augmenter les revenus, même avec tarifs réduits, et rendre le rail plus attractif, une exigence forte des clients opérateurs.

Il fallait donc maximiser la capacité d’emport sur une rame d’une longueur de 200 m. Les remorques ont une largeur de 3.200 mm, soit environ 200 à 250 mm de plus que les voitures européennes dites « UIC ». Combiné à l’absence de bogies et à des intercirculations très courtes entre remorques, Talgo réussit au final à caser 521 places assises moyennant un aménagement inédit à 5 places de front en classe Turista et à 4 places de front en classe Preferente.

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Un aménagement en configuration des sièges 3+2 (photo Talgo)
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(photo Talgo)
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(photo Talgo)

Avec 12 remorques et l’utilisation de sièges 3+2 et 2+2, le Talgo Avril offre 497 sièges dans les versions à deux classes et un maximum de 581 dans une variante à grande capacité. En configuration double, la version grande capacité offrirait jusqu’à 1.162 places sur un seul niveau avec un seul conducteur, ce qui permet de maximiser l’utilisation de chaque sillon.

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(photo Talgo)

Les motrices ont abandonné leur nez « pato » au profit d’un design plus classique mais recherché pour minimiser la résistance à l’air. En regardant bien, ces motrices, du fait de leur longueur, sont un poil moins larges que le tronçon lui-même, ceci pour s’inscrire dans les courbes conformément aux critères des STI. Elles sont équipées au total de 8 moteurs asynchrones triphasés et de commandes à convertisseurs IGBT. La puissance nominale n’est que de 8 000 kW, bien inférieure à celle des autres trains à grande vitesse, mais cela permet de réduire la consommation d’énergie.

Concrétisation

Un premier prototype fût développé et présenté à InnoTrans 2012 à Berlin, tandis qu’un premier programme de tests se déroula d’avril 2014 à mai 2016, afin de certifier que plus de 100 caractéristiques de la rame soient conformes aux spécifications techniques d’interopérabilité. C’était un changement important par rapport aux S-102, puisque le Talgo Avril devait être aussi un train à vendre à l’international.

Autre différence : il fallait homologuer le Talgo Avril pour une exploitation à 330 km/h, ce qui était une première pour un train adoptant la technologie de changement d’écartement automatique de Talgo. Tous les trains précédents à changement d’écartement étaient en effet limités à 250 km/h maximum. Le prototype a finalement été approuvé en Espagne le 13 mai 2016 après avoir parcouru plus de 76.000 kilomètres. Il répond aux spécifications techniques d’interopérabilité.

En 2017, une option pour 15 rames supplémentaires était confirmée par la RENFE, avec différentes configurations d’aménagement, et notamment 10 rames munies des équipements de signalisation français TVM et KVB.

Viser le marché européen

Le développement du Talgo Avril a permis à l’entreprise d’anticiper  à la fois la libéralisation et l’internationalisation du matériel roulant et des opérateurs. Le train a été conçu, selon le constructeur, pour être compétitif sur un marché ouvert et faire tomber les nombreuses barrières à l’interopérabilité qui persistent encore.

Le premier témoignage de cette politique est venu de France, quand la société Le Train a signé pour 10 rames Talgo Avril qui sont prévues monoclasse mais avec « un confort supérieur au lowcost » ainsi que l’emport possible d’une quarantaine de vélo.

Talgo_Avril

Outre l’internationalisation en cours des opérateurs ferroviaires nationaux européens, les scénarios d’exploitation complexes posés par les écartements mixtes dans la péninsule ibérique ont fait évoluer la plateforme Avril vers cinq variantes distinctes (ci-contre). Sur les 40 unités actuellement commandées, les deux principales différences tiennent aux 15 rames qui seront équipées pour le changement d’écartement 1435/1668 mm (et destinées à la Renfe), tandis que 15 autres rames – également destinées à la Renfe -, n’auront que l’écartement 1435 mm. Dix d’entre elles devraient en outre être certifiées pour circuler en France. À cela s’ajoute les 10 nouvelles commandes de la société française Le Train, appelées à ne circuler qu’en France, et dont on ne connaît pas les détails à ce jour sauf qu’elles ne seraient aptes qu’à circuler qu’en France.

L’efficacité énergétique, la grande capacité, l’interopérabilité et les faibles coûts du cycle de vie deviennent dorénavant des arguments incontournable pour faire du Talgo Avril un outil commercial puissant dans le monde changeant du marché européen du transport ferroviaire voyageurs. Le Talgo Avril a commencé les essais sur un tronçon de la ligne Madrid-Galice, après avoir terminé les essais d’homologation début février. Ces différentes phases devraient alors mener aux autorisations de l’Agence nationale pour la sécurité ferroviaire et de l’Agence ferroviaire de l’Union européenne. 🟧

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(photo Talgo)

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26/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Créée dans le cadre de la réforme des chemins de fer norvégiens, Norske tog AS est aujourd’hui propriétaire de la presque totalité du matériel roulant ferroviaire voyageur en Norvège, à l’exception des rames express de l’aéroport Flytoget et de certains matériels roulants utilisés sur la ligne touristique Flåm Line. Norske tog AS est donc une entreprise d’État qui a pour but de louer le matériel roulant aux opérateurs en Norvège, y compris bien entendu l’opérateur public Vy (ex-NSB).

La gouvernance ferroviaire norvégienne

Le 12 mai 2015, le ministère norvégien des transports publiait un livre blanc décrivant un projet de réforme du secteur ferroviaire norvégien. Le livre blanc a été approuvé par le Parlement norvégien (le Stortinget) le 15 juin 2015 et la réforme impliquait une libéralisation partielle du secteur ferroviaire par l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires de transport de passagers ainsi que des changements dans la structure organisationnelle du secteur.

Le secteur ferroviaire actuel en Norvège se compose entre autres basiquement :

  • de la Direction des chemins de fer norvégiens Jernbanedirektoratet;
  • du gestionnaire d’infrastructure Bane NOR SF, responsable des actifs ferroviaires appartenant à l’État;
  • du loueur public de matériel roulant Norske Tog AS;
  • de l’opérateur public historique Vy (anciennement NSB);
  • de Entur AS qui est un canal national de vente de billets de train. La société collecte également des données de voyage pour tous les transports publics en Norvège;
  • D’une série de délégation de service public;
  • D’opérateurs de fret ferroviaire indépendants.

En Norvège, cette architecture institutionnelle fait débat, car le pays n’est pas membre de l’Union européenne et ne devrait donc en théorie coller à aucune de ses directives. Cependant, la Norvège fait partie de ce qu’on appelle Espace économique européen (EEE), qui est une union économique rassemblant 30 États européens : les 27 États membres de l’Union européenne et 3 des quatre États membres de l’Association européenne de libre-échange.

Ceci pourrait expliquer pourquoi la Norvège pratique une politique fort semblable aux prescrits de l’Union européenne, sans en être membre. Mais le pays semble avoir pousser très loin la segmentation de son secteur ferroviaire, puisqu’on y trouve des dispositions que l’Europe ne réclame pas nécessairement, comme le montre la liste ci-dessous. Il en est ainsi de la mise à disposition du matériel roulant.

Norgske_tog

Une société pour servir tout le monde

Le matériel roulant était jusqu’alors la propriété de l’opérateur ferroviaire national, Norges Statsbaner AS (NSB AS). Le matériel roulant a un long cycle de vie et est spécifiquement développé pour le système ferroviaire et le climat norvégiens. Il représentait donc une barrière potentielle à l’entrée de nouveaux opérateurs ferroviaires sur le marché norvégien du transport de passagers.

Afin de réduire les barrières à l’entrée et d’assurer une concurrence égale pour les services de trains de voyageurs, le ministère des transports a décidé que le matériel roulant devait être placé dans une société distincte. Par conséquent, le matériel roulant a été transféré de Norges Statsbaner AS à Norske tog AG (jadis connu sous le nom de Materiellselskapet AS) et devait être mis à la disposition des opérateurs ferroviaires qui remporteraient les appels d’offres pour les paquets de trafic.

Il faut cependant noter cette contradiction avec Flytoget, une société qui gère le trafic des trains entre Oslo et son aéroport. Cette entreprise n’a pas dû céder son matériel roulant à Norske Tog AS et le possède elle-même, alors que l’opérateur public Vy a dû le faire.

Norske tog AS est désormais détenue à 100 % par l’État norvégien via le ministère des Transports. La société a été créée en tant qu’entité juridique distincte, dotée d’une notation officielle, afin de lui permettre d’utiliser le marché des obligations (tant au niveau national qu’international) pour lever des capitaux.

Missions et objectifs

Les missions de Norske tog AS sont d’acquérir, de gérer et de louer des trains de voyageurs, avec pour objectif de disposer d’un matériel roulant suffisant, moderne, au bon coût et de haute qualité. Or c’est ici que cela devient intéressant. Car cette location concerne aussi l’opérateur historique Vy, une chose plutôt rare dans la pratique ferroviaire en Europe.

Norske tog AS a en effet pour mission « de contribuer à garantir la concurrence dans la fourniture de services de transport de passagers à des conditions égales entre les compagnies ferroviaires, et d’éliminer les barrières à l’entrée pour les nouveaux opérateurs ferroviaires. » On n’est donc pas dans une optique de protection de l’opérateur historique mais bien d’une mise à égalité de tout le monde dans la qualité du matériel roulant.

D’ailleurs, la société précise bien que « dans le cadre de son rôle d’acquisition de nouveau matériel roulant, Norske tog AS veille à ce que les nouveaux trains de voyageurs soient commandés conformément aux exigences norvégiennes et que la remise à neuf des véhicules existants soit également prévue. » Il y a donc une volonté d’uniformiser les critères de confort et de technologie du matériel roulant afin de ne pas avoir, d’une part une barrière à l’entrée et d’autre part, d’avoir une continuité du confort quel que soit l’opérateur.

Quels seraient les avantages d’une telle politique ?

C’est toute la question. Pour ses promoteurs, il y a avant tout l’idée d’éliminer la barrière forte que constitue un matériel roulant qui doit être exploiter dans les conditions météo norvégiennes, rendant les trains plus onéreux, même s’il s’agit de matériel européen standardisé.

Outre ce qui précède, l’État norvégien justifie l’existence de Norkse tog par l’avantage :

  • d’avoir une stratégie en matière de matériel roulant, avec des évaluations concrètes des coûts et des avantages ;
  • d’être responsable au niveau national des décisions relatives au renouvellement de la flotte ;
  • d’avoir l’expertise technique nécessaire dans le choix du matériel roulant.

Parmi les grands sujets qui agite le monde du matériel roulant en Europe, à cause de ses coûts parfois monstrueux, figure notamment la problématique d’installation de l’ETCS à bord des trains. Norske tog s’emploiera à l’installer sur le matériel roulant existant mais aussi à l’exiger sur le matériel roulant nouveau ou en commande.

Les opérateurs qui louent les rames à Norske tog seront responsables de l’entretien des rames, mais certains observateurs constatent que les contrats ne précisent pas ce qui constitue « un entretien adéquat », en dehors évidemment d’une conformité aux exigences minimales de sécurité.

Les détracteurs cette politique norvégienne craignent aussi que l’investissement dans la maintenance soit réduit au minimum, de sorte que les rames seraient « usées » avant d’avoir atteint leur durée de vie prévue.

Crainte aussi pour « un laisser-aller » supposer de l’entretien intérieur des rames (lavage, WC, …) s’il n’y a pas de véritables concurrents sur une ligne donnée. Or cet argument reste parfaitement valable aussi envers un monopole étatique, lequel n’a aucun incitant pour « être plus propre » et mieux entretenu, si ce n’est de demander davantage de sous à l’État…

Jusqu’ici, sur les trois lots octroyés pour 10 ans dont deux opérés par des entreprises privées (SJ et Go-Ahead), on n’a pas observé de tels phénomènes. Un rapport récent du Transportøkonomisk institutt suggère cependant une attention particulière à la maintenance et aux difficultés d’accès aux ateliers, lesquels sont intégrés dans une société à part, Mantena.

Les actifs de l’entreprise Norske tog

Le matériel roulant et les employés de NSB AS ont été transférés à Norske tog AS le 15 octobre 2016, conformément au contrat d’achat d’actifs. Des obligations d’un montant de 5,9 milliards de NOK ont été transférées de NSB AS à Norske tog AS le 9 décembre 2016, et au 31 décembre 2016, Norske tog AS recevait des actifs d’un montant de 9,2 milliards de NOK mais aussi… une dette de 8,2 milliards de NOK.

Norske tog AS bénéficie d’une notation A+ de S&P et vise à utiliser le marché obligataire international pour assurer le financement de ses investissements futurs.

Avec 51 employés à l’heure actuelle, Norske tog AS est une entreprise relativement petite, dotée d’une structure « plate » avec des équipes dédiées et spécialisées. Comme tous les employés ont été transférés de NSB AS, ils possèdent une grande expérience du travail dans l’industrie ferroviaire norvégienne, ainsi qu’une connaissance approfondie de tous les types de matériel roulant, notamment une connaissance technique approfondie des véhicules plus anciens.

Cela signifie aussi que Norske tog dispose d’un site qui présente la totalité de son matériel roulant à louer.  La société a 4 clients auprès desquels il loue ses trains : Vy gruppen, Vy Tog, SJ Norge et Go-Ahead.

Norske tog dispose d’une flotte d’environ 300 rames de 17 types différentes. Le parc actuel de trains est divisé en trois catégories, selon l’âge :

  • Moins de dix ans : Flirt (type 74, 75, 75-2 et 76);
  • Environ 20 ans : 71 rames, qui datent toutes des années 2000 (types 72, 73A, 73B, 93).
  • Plus de 20 ans : 67 rames, 21 locomotives et 135 voitures des années 70, 80 et 90 (types 69C, 69D, 69H, 70, 92, Di4, El18, 5, 7 et voitures-lits WLAB2).

En novembre dernier, Norske tog recevait la 150ème automotrices FLIRT de Stadler. Il s’agissait d’une classe 74 et était la dernière automotrice relative à l’accord – qualifié de géant à l’époque -, entre les anciens NSB et Stadler, signé le 2 septembre 2008.

Flytoget, dont on parlait plus haut, a également acquis récemment de nouvelles rames en pure propriété. En mars 2022, une lettre d’intention a été signée afin que Norske Tog rachète une partie de l’ancien matériel roulant de Flytoget, en l’occurence 6 rames de type 71. Flytoget reste donc à l’écart du système norvégien sauf pour faire reprendre son matériel ancien.

Il faut cependant y ajouter des commandes récentes. La politique norvégienne est de renouveler le matériel roulant et on peut dire que le pays a mis le paquet. En 2021, Norske tog avait travaillé, selon ses dires, sur la plus grande acquisition de train jamais réalisée en Norvège. Pour ensuite passer commande comme suit :

  • En janvier 2022, Norske tog signait un contrat cadre de 1,820 milliard d’euros avec Alstom pour fournir 30 rames Coradia Nordic pour trains locaux, avec une option d’achat de 170 rames supplémentaires. Les 30 premières rames sont attendues pour 2025 ;
  • En février 2023, Norske tog a puisé dans le même contrat cadre pour confirmé 55 rames supplémentaires à livrer d’ici 2027.

Ces trains Coradia Nordic pour Norske tog sont spécialement adaptés au réseau ferroviaire norvégien et aux conditions météorologiques norvégiennes. Les trains régionaux désormais commandés peuvent rouler jusqu’à 200 km/h là où l’infrastructure le permettra.

>>> À lire : InterCity Oslo – tunnels, ponts et grande vitesse pour gagner jusqu’à une heure de trajet

Mais ce n’est pas tout. Après les trains régionaux, Norske tog comptait aussi s’attaquer aux trains longue distance. D’une part sur les trains de jour mais aussi sur les trains de nuit. Le loueur a ainsi signé le 17 février dernier un contrat géant avec à nouveau Stadler.

Il s’agit dans un premier temps de 17 rames longue distance sous la marque Flirtnex, avec option jusqu’à 100 rames. Particularités, une partie des rames vont comporter des places couchées en compartiment de 2 ou 4 places. Particularité intéressante, en journée, les compartiments des « rames de nuit » pourront être transformés en coin salon fermé pour les familles ou pour les voyageurs d’affaires. C’est une première car jusqu’ici, l’argument généralement entendu était qu’un train de nuit était extrêmement coûteux du fait d’une utilisation exclusive sur le trajet nocturne. Cet argument vole donc en éclat avec le choix de Norske tog de faire opérer ces trains de nuit comme de jour. Evidemment tout dépendra du choix d’exploitation de l’opérateur à qui seront louées ces rames.

Autres nouveauté, les places assises de nuit – plébiscitées selon une enquête de 2019 -, seraient de véritable « transat » avec une disposition des sièges en 2+1. Sur son site, Norkse tog évoque même que « sur les nouveaux trains longue distance, il y aura une offre « couchée » plus large avec des fauteuils inclinables comme en première classe dans les avions ». Les esquisses de Norske tog semblent cependant différentes de ce que présente Stadler. Quelle que soit la solution retenue, on note  cependant déjà une amélioration sensible par rapport à tout ce qui se faisait jusqu’ici, quand l’Allemagne fait circuler quelques ICE de nuit, dans des fauteuils fixes et sans éteindre les lumières…

« Le train ne doit pas être uniquement un moyen de transport, mais aussi une expérience en soi et un lieu de séjour agréable », expliquait à la presse Sille Svenkerud Førner, chef de projet chez Norske Tog. Rendez-vous en 2026 pour voir circuler les premières rames.

Conclusion

La Norvège a fait le choix d’un paysage ferroviaire très fragmenté, trop peut-être. Le nouveau gouvernement de gauche a stoppé les démarches d’attribution d’un quatrième lot à la concurrence, en l’attribuant directement à Vy, héritier des anciens NSB. Vy cependant devra continuer de louer les rames à Norske tog, car de ce côté la politique demeure jusqu’ici inchangée.

La société de leasing nationale, une solution durable ? Pourquoi pas. C’est une pratique courante dans l’aérien. Ses détracteurs rappellent cependant que les Coradia Nordic ou les Flirt Stadler sont configurées aux normes norvégiennes et qu’on voit mal les voir rouler ailleurs, ce qui veut dire que ces actifs sont non-transférables comme un avion, qui lui peut être vendu partout dans le monde. Ajoutons qu’aux temps anciens de NSB, c’était forcément la même chose…

Une question demeure cependant : est-ce à un loueur de « forcer » la future politique marketing d’un opérateur ? En effet, le choix d’aménagements intérieurs par une entreprise d’État est bel et bien un choix de marketing. On enlève donc une partie cruciale de ce qui fait vivre un opérateur. Cela signifie que les futurs candidats n’auront d’autres choix que de suivre ce que le loueur a décidé. On peut penser aussi que ces nouvelles commandes seraient taillées sur mesure sur base des considérations de l’opérateur historique, mais rien ne permet de le prouver jusqu’ici…🟧

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Les futures rames longue distance Stadler. On ne sait pas encore qui les exploitera (photo Stadler)

26/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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19/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Comment se fait-il que l’économie publique et la planification, qui disposaient après l’après-Seconde Guerre mondiale d’une assise politique puissante en Europe, ne soit pas parvenue à être au cœur du projet européen ? Ou pour le dire autrement, pourquoi l’économie marchande a finalement pris le dessus, y compris en matière ferroviaire ?

C’est une question qui mérite une réponse un peu longue, sous un angle historique.

L’économie publique en recul ?

Plusieurs éléments historiques sont à prendre en compte si on veut comprendre le cheminement qui a mené à la situation actuelle.

La première chose à retenir est ce rappel énoncé en France dans le « Rapport sur les obstacles à l’expansion économique » (1959), où les auteurs expliquent qu’au cours de la guerre de 1914-1918 ou dans les années qui suivirent, et notamment au cours de la période d’inflation de 1920 à 1926, apparut une série de dispositions par lesquelles l’État (français) intervint dans les rapports de droit privé et réglementa certains échanges économiques. 

Après la Seconde guerre mondiale, les exigences de la reconstruction économique et de la lutte contre une inflation persistante ne devaient pas remettre en cause ces dispositions des années 1920. Cela expliquerait en partie pourquoi la France, comme d’autres pays, a tendu une oreille attentive à la planification étatique, laquelle promulguait de nombreuses contraintes.

Ces contraintes étaient encore soulignées dans le rapport de 1959, lequel constatait que « le principe de la liberté du commerce et de l’industrie et plus généralement des activités professionnelles subit aujourd’hui de nombreuses limitations, dont certaines ne paraissent plus motivées par des considérations d’intérêt général (…) il est aisé de constater qu’en fait certaines législations ou réglementations économiques ont actuellement pour effet, sinon pour but, de protéger indûment des intérêts corporatifs qui peuvent être contraires à l’intérêt général. » 

Cette volée de bois vert envers certaines dispositions de l’étatisme à la française indique déjà ce qui va suivre. Car dans les autres pays, le constat est à peu près le même.

La seconde chose à rappeler est l’existence, au sortir de la Seconde guerre mondiale, de deux nébuleuses précocement investies dans la construction européenne :

  • celle de l’économie d’entreprise ;
  • et celle de l’économie publique.

La troisième chose est l’observation d’une structuration progressive d’une mouvance de l’économie d’entreprise (dite néo-libérale) en Europe, laquelle prit racines sur une période allant des années 30 à la création par l’économiste autrichien Friedrich Hayek de la Société du Mont-Pèlerin en 1947 (photo). L’une des principales forces de cette mouvance fut de parvenir à fédérer des personnes au-delà des cénacles libéraux traditionnels, et donc à s’étendre. L’idée phare était de contrer l’idéologie planiste en pleine expansion depuis au moins les années 1930 et qui tendait à prévaloir dans les entreprises publiques.

D’autres éléments interviennent aussi dans le nouveau monde d’après-guerre. Jean Finez rappelle la lente pénétration des idées « modernisatrices » au sein de l’administration et l’extension de l’aire d’influence du ministère des Finances, véritable maître du jeu, en France comme ailleurs en Europe.

Pour preuve de cette lente financiarisation de l’administration, les États vont être obligé d’établir petit à petit un bilan et un compte de résultat à la manière des entreprises. Cela deviendra la règle plus tard dans la plupart des 190 pays membres de l’ONU afin d’avoir des éléments de comparaisons. Or, rien de tel que des chiffres pour comparer.

Une autre forme de « modernisation » est décrite par Catherine Vuillermot qui explique les missions d’études envoyées aux États-Unis par EDF après la seconde guerre mondiale. À cette époque, cette icône industrielle française était à la recherche de références managériales. Les rapports de mission, s’ils s’enthousiasmèrent pour les États-Unis, doutaient cependant de la possibilité de transposer en France les méthodes américaines. Pour autant, l’imprégnation du modèle américain s’opèra à petit pas, contribuant ainsi à faire pénétrer un modèle managérial plus conforme à l’économie de l’entreprise.

Enfin, et ce n’est pas à sous-estimer, la partition de l’Europe d’après-guerre en deux blocs idéologiques a certainement renforcé les antagonismes et encouragé l’idée d’un rejet du communisme, voir même d’une idéologie à combattre, malgré un environnement politique français bien spécifique où le parti communiste était devenu un acteur incontournable de la vie publique de l’hexagone.

Experts reconnus internationalement, des économistes ont joué un rôle clef, expliquant en partie la prééminence accordée au volet économique de la construction européenne

Mouvance néo-libérale, combat contre le communisme, financiarisation de l’administration, normes comptables, nouvelles références managériales et interrogations sur l’économie planifiée, à chacun de ces moments charnières, des économistes ont joué un rôle clef. Experts reconnus internationalement, les rénovateurs du libéralisme purent s’activer en première ligne des mouvements européens. Tout ceci peut en partie expliquer les difficultés de la mouvance de l’économie publique à faire entendre sa petite voix à la naissance de l’Europe.

La prééminence accordée au volet économique de la construction européenne sur une Europe politique peut aussi s’expliquer aussi après l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954, un sujet trop sensible et régalien. Se tourner vers l’économique sembla alors plus « plus simple » pour trouver un consensus.

Vers un Marché commun

Après l’échec de la CED en 1954, le Comité intergouvernemental de Bruxelles de juillet 1955 (six pays) propose 4 axes : « poursuivre l’établissement d’une Europe unie par le développement   d’institutions communes, fusion progressive des économies nationales, création d’un marché commun et harmonisation progressive de leurs politiques sociales. » Le socialiste belge Paul-Henri Spaak (photo) est chargé d’un rapport.

Dans ses mémoires, l’allemand Hans von der Groeben, l’un des rédacteurs du traité de Rome, aurait ainsi expliqué que « si l’on rassemble les objectifs fixés dans ce traité et les instruments donnés, sous forme de règles et d’institutions […], il apparaît que toutes les caractéristiques essentielles d’un système d’économie de marché sont réunies »

La France est alors sur la défensive à un moment où elle subit des difficultés économiques importantes sur fond de guerre coloniale en Algérie. La position française voyait l’école libérale comme une modalité assez mineure de la politique économique et exprima son fort scepticisme. Le ministre socialiste des Finances et des Affaires économiques de l’époque, Paul Ramadier, reprocha au rapport Spaak « d’aller à l’encontre du modèle français d’économie collective associant secteur nationalisé, planification et protectionnisme assumé. » Deux visions socialistes se font face…

Françoise Melonio, de son côté, analysait au Figaro que « la dénonciation du «grand méchant marché» est un lieu commun politiquement (…) les Français, aujourd’hui comme hier, se méfient du marché, s’inquiètent des conséquences sociales de l’individualisme radical (…) Cette dénonciation française de l’individualisme lié au monde de l’argent vient des contre-révolutionnaires et des catholiques, et se trouve reprise par les premiers socialistes. La tradition anglo-américaine, protestante, est très différente: le mot «individualisme» en anglais est d’emblée positif, les Américains valorisent l’héroïsme entrepreneurial

Pour la doctrine française, l’intérêt général est le socle de la République et le point d’intersection entre République et service public

Pour la doctrine française au contraire, l’intérêt général est le socle de la République et le point d’intersection entre République et service public. République et service public, catégories de pensée d’emblée laïque, y trouvent leur légitimité et leur finalité. Si le service public dépasse, aux yeux de certains experts, l’espace proprement français pour figurer « au niveau européen » c’est qu’il compte parmi « des valeurs qui sont inhérentes à notre civilisation », principalement « l’intérêt général » et « la solidarité ». 

Denord et Schwartz rapportent plus fondamentalement que l’administration française ne semblait pas prête à renoncer au rôle directeur de l’Etat dans l’économie. Une partie notable des dirigeants administratifs et politiques estimait que la France n’était pas en mesure de soutenir une libéralisation incontrôlée des échanges – et  qu’elle  n’y  avait  pas nécessairement intérêt.  Son industrie aurait manquer de compétitivité, en raison notamment du niveau important de la protection sociale.  

Cette conception des choses entretenue depuis la Seconde guerre mondiale aura probablement mis la France en porte-à-faux par rapport aux cinq autres fondateurs.

Mais les choses évoluèrent dès 1956 avec l’arrivée au pouvoir en France des « modernisateurs », associés à Jean Monnet (photo, assis à droite, en compagnie de Robert Schuman, président du Mouvement européen de 1955 à 1961). Ils font du marché commun un outil de rationalisation à grande échelle. Ils comptent notamment de « faire de la France un État moderne à un niveau de vie élevé », mais aussi « d’ouvrir largement les fenêtres [de la France] sur le monde ». L’alignement sur les concepts des autres pays voisins devînt alors un chemin obligatoire…

Le Traité de Rome fut finalement signé par six pays fondateurs, dont la France, le 25 mars 1957.

SNCF-TEE-TGV

Cependant, on remarqua rapidement que le principe de la supériorité du droit européen sur le droit national ne fut pas respecté en pratique, principalement parce que la mise en œuvre du programme politique inscrit dans le traité pouvait se heurter à la prépondérance des rapports de forces politiques et sociaux nationaux. « En somme, rien n’était joué dans le traité, et tout restait ouvert pour les partisans de ces ‘projets européens’ dont l’antagonisme s’affirma très tôt », reprennent Denord et Schwartz.

Les chemins de fer nationalisés, de leur côté, se sentent encore à l’écart de ce mouvement européen, tant leur politique sont le reflet de leur État respectif, en dépit de transformations internes avec les électrifications, la fin de la vapeur et la redoutable concurrence de l’automobile. Le secteur ferroviaire était considéré à l’époque comme stratégique, mais se présentait déjà comme trop réglementé, trop cloisonné, trop bloqué par l’histoire et les mentalités, rappellera bien plus tard Hubert Haenel au Sénat français. 

Les cheminots, au travers de l’UIC et par exemple du lancement des Trans Europ Express, ont pu faire valoir leur apport à l’Europe, la réalité démontrait que seuls les voitures à voyageurs et les wagons de marchandises traversaient les frontières, mais pratiquement jamais les conducteurs ni les locomotives, à part quelques cas résiduels avec les premiers TEE ou sur Paris-Bruxelles

La lente prééminence de l’économie dans les décisions de la politique ferroviaire

La prééminence de l’économie dans les administrations ferroviaires devînt une évidence au tournant des sixties. Louis Armand, patron de la SNCF de 1955 à 1958, puis de l’UIC dans les années 60, l’écrivit lui-même dans ses mémoires : « les chemins de fer nationalisés n’avaient pas toujours retrouvé le même niveau de rendement, le même allant que ceux de l’entreprise dont ils sortaient », allusion au PLM devenu, avec d’autres, une SNCF nationale « beaucoup plus complexe à gérer ». 

L’élément économique apparait aussi. Dans sa première plaquette  « L’Exploitation de la SNCF en 1949 d’après les données statistiques », Louis Armand met en exergue la quantification de la modernisation des engins en traction, modernisation qui se répercute bien évidemment sur la productivité du personnel de conduite et d’entretien, mais aussi sur d’autres facteurs. Cette idée pouvait trouver un écho favorable au travers d’une mouvance nationale qui tournait autour de l’ingénieur-économiste Maurice Allais, lequel exprima l’idée que rien n’interdisait à l’État de stimuler le marché dans les entreprises dont il a la propriété. Il proposa de « soumettre les entreprises nationalisées au même régime de concurrence que les entreprises privées dans des conditions d’égalité et leur appliquer strictement les mêmes règles de gestion ». Nous sommes à peine dans les années 50…

L’ingénieur-économiste Maurice Allais exprima l’idée que rien n’interdisait à l’État de stimuler le marché dans les entreprises dont il a la propriété

En Grande-Bretagne, un papier du Center for Economic Performance indiquait que le principal facteur motivant déjà – 15 ans à peine après sa nationalisation en 1947, une réduction drastique du rail britannnique (les fameuses « coupes Beeching »), était la réponse à la situation financière désastreuse de British rail, qui subissait des pertes de plus de 100 millions de livres par an au début des années 1960 (soit 2,53 milliards d’euros d’aujourd’hui…)

Les raisons de ces pertes britanniques sont complexes, explique le document : elles étaient en partie dues à l’évolution de la demande, qui s’était déplacée vers les bus et le transport routier. Elles étaient en partie dues à l’échec des programmes de réinvestissement et à une mauvaise gestion, et elles étaient en partie dues à un héritage du développement du réseau au cours du 19e siècle, qui avait entraîné une offre excédentaire de lignes et de gares. En fin de compte, au cours de la période 1950-1980, 42 % des lignes (environ 13.000 km sur 31.000 km) et près de 60 % des gares britanniques (3.700 sur 6.400) ont été fermées. 

À la même période, la Belgique démantelait l’ensemble de son réseau secondaire vicinal, pour des raisons analogues. Des exemples similaires se sont produits un peu partout en Europe, dans une certaine indifférence où l’idée germait qu’à l’avenir, le rail n’aurait plus comme mission que d’exploiter quelques grands axes.

Ces exemples démontrent que la doctrine économique n’est pas « un truc survenu à l’époque Thatcher » mais quelque chose qui a germé bien plus en amont. Cela remet en perspective la fameuse maxime « c’était mieux avant ». Mais de quel « avant » parle-t-on, au juste ?

Où sont les défenseurs de l’économie publique ?

Dans l’intervalle, la mouvance de l’économie publique se heurte à l’impossible constitution d’un réseau de groupes de soutien et de coopération. Quoique cette mouvance jouisse du soutien d’un ensemble de groupes d’acteurs bien insérés dans les premiers réseaux européens, elle ne dispose toutefois pas d’une assise sociale et cognitive suffisamment solide. Il y a une raison à cela.

La mouvance néo-libérale avait utilisé des recettes de lobbying ayant servi jusqu’alors utilement la cause des entreprises privées dans l’espace européen. Florence Autret rappelle ainsi que l’Allemagne, actrice historique de l’intégration européenne, a exporté à Bruxelles son propre mode de fonctionnement. Plus tard, la Grande-Bretagne fera de même.

En Allemagne, les entreprises et leurs représentants sont constamment sollicités par les autorités publiques à l’appui des politiques de régulation. Or cela heurte la tradition française qui veut que l’expertise soit réputée intégrée à l’administration  de  l’Etat,  via les fameux énarques qui intègrent les « Grands Corps » ou les rouages de la haute administration française.

Autant le « lobbying » est tabou en France, autant il constitue pour d’autres pays, un rouage naturel et essentiel de l’économie sociale de marché. En Allemagne, les entreprises – via les structures qui en émanent – participent directement et activement à l’action politique et sociale.

Le lobbying a donc été exporté à Bruxelles et la participation des groupes d’intérêt à la conception et à l’élaboration des politiques européennes est plus que tolérée, elle est même bienvenue.  La question demeure alors d’expliquer pourquoi la mouvance de l’économie publique n’a pas su utiliser les mêmes outils pour imprégner les instances européennes.

La (trop) longue période de mise en place et de consolidation du Marché commun entre 1958 et 1986 aurait permit une imprégnation juridique silencieuse et feutrée de l’économie de marché

Une autre explication à cette difficulté est plus sournoise. La (trop) longue période de mise en place et de consolidation du Marché commun entre 1958 et 1986, où peu de directives venaient chatouiller les politiques nationales, a été propice pour renverser le paradigme. Cette période de latence (ou de carence pour certains), quasi 30 années de somnolence, aurait permit une imprénation juridique silencieuse et feutrée de l’économie de marché dans tous les rouages politiques, ce qui aurait échapper à la vigilance des autorités nationales. Cette révolution aurait progressivement érigé l’économie publique en « problème » plutôt qu’en solution, et cela aurait permis de créer les conditions d’une profonde transformation amorcée dans le courant des années 1980, plutôt favorable à l’école de l’économie de marché.

Démunis sur le plan du lobbying, les partisans européens de l’économie publique échouèrent aussi faute d’un accord historique entre leurs divers représentants, et n’y parvinrent que bien tardivement dans les années 1980 sous l’impulsion d’acteurs gravitant notamment au sein de gros groupes publics et du Centre européen de l’entreprise publique (CEEP), devenu par la suite SGI Europe.

Le monde ferroviaire, terriblement nationaliste, avait toutes les peines du monde à pénétrer les rouages de l’Europe. Ainsi naquit en 1988 la CCFE, la Communauté des chemins de fer européens, devenue en 1998 la CER. Il s’agissait à l’origine d’un regroupement de 12 entreprises historiques qui fut un moment qualifié par ses détracteurs « d’ambassade de la SNCF et de la DB » au sein de l’Europe. Aujourd’hui, la CER représentent environ 71 % des kilomètres ferroviaires, plus de 76 % du fret ferroviaire et environ 92 % du transport de voyageurs au travers de 70 membres.

L’enjeu de ces deux « lobbies » – car il faut bien les appeler comme cela -, reste la promotion du secteur public dans les politiques européennes.

Les parlementaires européens allemands étant les plus nombreux dans l’hémicycle européen, ils furent parmi les plus actifs (avec les Britanniques) et les plus réputés pour leur professionnalisme, leur assiduité, mais aussi leur grande proximité avec certains intérêts économiques. Ils purent ainsi imprégner plus facilement les législations de l‘Europe de leur empreinte. La proximité idéologique des Pays-Bas, nation marchande, et de la Scandinavie n’a fait que renforcer cette tendance.

Alignement définitif sur le privé ?

L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en juin 1981 a pu faire croire que la France pourrait faire contrepoids à la Grande-Bretagne de Thatcher et à l’Europe du nord trop vite qualifiée de « libérale ». Mais contre toute attente, en fervent européen, François Mitterrand s’employa plutôt à relancer l’Europe main dans la main avec son « ami » d’outre-Rhin, Elmut Kohl. Ensemble, ils entraînèrent leurs partenaires européens sur la voie de la monnaie unique et de l’union politique, inscrites toutes deux dans le traité de Maastricht de 1992.

La décennie de l’avènement du Marché unique entre 1987 et 1997 peut être considérée comme un processus de convergence forcée de l’économie publique sur les conceptions managériales de l’entreprise privée, avec une législation qui prend la forme consolidée d’un acquis communautaire, articulé autour de la perspective d’une union douanière fondée sur l’économie de marché libre

La décennie de l’avènement du Marché unique entre 1987 et 1997 peut être considérée comme un processus de convergence forcée de l’économie publique sur les conceptions managériales de l’entreprise privée

Cet épisode est à mettre en parallèle avec l’instauration progressive du « New Public Management » au sein des administrations, une école managériale qui regroupe de façon protéiforme des réformes de l’Etat très variés conduites dans les pays de l’OCDE au cours des années 80-90 par des gouvernements désireux de réduire les dépenses publiques. Car le maître mot est désormais là : maîtriser les dépenses publiques pour ne plus revivre les horreurs des années 70 et 80, avec ses crises, l’inflation et ses politiques de dévaluation monétaire.

Le New Public Management percola dans les années 90 dans les pays dont les cultures politiques pouvaient l’admettre, Suède, Allemagne, Pays-Bas en tête puis plus tard l’Italie et d’autres pays. L’alignement sur les concepts managériaux du secteur privé se fit petit à petit et parfois dans la douleur, mais toujours avec une forte conviction. Même si les entreprises ferroviaires restèrent à capitaux publics, elles devaient obéir aux règles du droit privé et calquer leur gestion sur celle des entreprises privées. Ainsi, l’introduction d’impératifs de rentabilité, d’approches principalement financières, ou encore de critères de performance transformèrent en profondeur les modes d’intervention publique, explique Louise Gaxie

Ces impératifs furent les arguments qui permirent de construire la réforme du rail en Allemagne au début des années 90. Dans une magnifique thèse, Sonia Lemettre revient sur la dialectique utilisée à la fin des années 80 pour justifier la réforme de la Deutsche Bahn. Elle évoque « la dramatisation de la situation des chemins de fer et de l’évolution de la dette ferroviaire [qui ont] été l’un des ressorts rhétoriques principaux des argumentations portées par les acteurs ayant élaboré cette réforme. Le terme de ‘nécessité’ revient souvent dans les documents d’époque », explique-t-elle. Cette dialectique a été fortement utilisée par le Cercle de Kronberg et le Verkehrsforum Bahn, ce dernier ayant été directement impliqué dans les débats sur la réforme ferroviaire allemande. Un discours qui se renforca à mesure qu’il convainquit et qui était porté par de nouveaux acteurs.

Les conséquences de ces discours qui « exigent une transformation » de l’entreprise publique ont provoqué une refonte importante de l’architecture institutionnelle des opérateurs ferroviaires historiques. Y compris en France. Rémi Brouté et Jean Finez rappelaient par exemple au colloque de Bourges que « l’organigramme du groupe SNCF a petit à petit été calqué sur les logiques marchandes de notre époque, en tant que politique de valorisation du capital ». Une manière de rappeler les anciennes idées – finalement concrétisées -, de découpage du rail en départements plus ou moins indépendants pour mieux cerner les coûts et mesurer les subsides à accorder le cas échéant. Une logique marchande qui fait encore beaucoup de bruit de nos jours, alors que le train n’est pas une fonction régalienne…

Les Anglais avaient déjà montré la voie bien en amont, quand en 1986 British Rail fut découpé en départements (ci-contre). Avec humour, les anglais expliquent que ces découpages voulus sous le règne de Robert Reid « ont permis aux ingénieurs et aux spécialistes du marketing d’acquérir un nouveau sens de l’identité. » Tout restait BR mais tout était géré séparément. Non pas dans une optique de vente, mais d’efficacité.

Au fond, ce n’était jamais que l’application concrètes des idées déjà émises en France à la fin des années 60 et en Belgique au début des années 90, quand on parlait de « groupe », donc de découpages. En Italie, la poussiéreuse administration FS deviendra elle aussi une société par action dès 1991. La même année en Belgique, sans devenir une holding, la vieille SNCB devenait une « SA de droit public », régime inconnu jusque là.

L’Allemagne transforma ainsi la Deutsche Bahn dès 1994 en holding. La réforme juridique s’était accompagnée à l’époque d’un allégement inédit de la dette par le gouvernement fédéral, qui s’élevait en 1993 à l’équivalent de 34 milliards d’euros d’aujourd’hui. En 1999, les CFF suisses cessaient d’être une régie fédérale et devenaient, comme en Belgique, une « SA ».

Mais la sectorisation a aussi donné lieu à un éclatement du lobbying ferroviaire, lequel est maintenant représenté par une quinzaine de groupes au poids d’influence varié. En face, aviation et secteur automobile déplacent des montagnes en lobbying et ne parlent qu’une seule langue…

Logique capitaliste ou compartimentage pour mieux cerner les besoins ? A chacun de se faire son opinion. Il aura cependant fallu près de 30 années et 4 paquets législatifs pour réorganiser l’ensemble du secteur ferroviaire et définir ce schéma type qui définit ce qui doit être subsidié et ce qui peut vivre de ses propres recettes, le choix étant politique :

SNCF-SNCB-politique

Et le service public ferroviaire dans tout cela ?

Sans entrer dans des détails pompeux, il faut comprendre avant tout que la notion de service public n’a pas de fonction juridique spécifique dans de nombreux pays européens à la différence du droit français. Pour illustrer, citons John Bell et T. P. Kennedy qui constatent du « côté français une construction doctrinale et jurisprudentielle riche et complexe (sinon byzantine), alors que du côté de la common law britannique, sur le plan formel, c’est presque le vide juridique ».

L’approche allemande est aussi originale. L’expression « öffentlicher Dienstest » est une notion à contenu précis en droit administratif allemand qui ne fait pas référence à une activité administrative mais à une relation juridique, à savoir celle du personnel du secteur public avec son employeur, l’administration publique. Cette “fonction publique” peut être exploitée par n’importe quelle entreprise, à l’exception des fonctions régaliennes. Cela indique que l’exploitation ferroviaire n’est pas une fonction régalienne en Allemagne, pas plus d’ailleurs qu’en Europe. Les chemins de fer ne relèvement pas stricto sensu de la fonction publique mais du « secteur public », ce qui est très différent.

Toutes ces interprétations ont fort probablement percolé lors des laborieuses rédactions des directives européennes, et notamment celles relatives au service public ferroviaire.

Les premiers textes concernant la définition du service public, en application de l’article 77 (article 73 aujourd’hui) du Traité, remontent à 1965. Un premier règlement en 1969 précise les notions et définit les obligations de service public. Ces notions ont évolué en 1996 puis en 2007. 

Selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), les règles de la concurrence et du marché intérieur s’appliquent aux entreprises définies comme : « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de financement » (arrêt Höffner, 1991). Par ailleurs, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné. » 

Ces définitions très larges font entrer la très grande majorité des services publics dans la catégorie des services d’intérêt économique général, donc potentiellement soumis aux règles de la concurrence, dont le secteur ferroviaire.

Sur ce plan-là, certains pays ont été plus proactifs que d’autres, avec des résultats positifs. La période actuelle est celle de la délégation de service public pour les transports régionaux ou même certaines liaisons à plus longue distance. Les pays de plus petites tailles, comme ceux du Benelux ou le Danemark, ont logiquement attribué directement à leur opérateur historique les missions ferroviaires régionales.

Le service public est-il mort ? Certainement pas. Ce sont les autorités publiques elles-mêmes qui réalisent le périmètre du service public et peuvent décider d’en confier la gestion à des personnes privées. La maîtrise publique concerne aussi le financement de l’exploitation et le pouvoir de décider de rendre l’accès gratuit ou payant, se réservant un pouvoir d’homologation des tarifs maxima et, parfois, un pouvoir de fixation directe.   

Mais s’il y a une grande différence entre le XXème et le XXIème siècle, c’est que le transport ferroviaire ne pouvait plus être ce club fermé de techniciens de jadis, qui fabriquait sa propre vie et ses propres boulons. Exploité par contrats, le rail est scruté de partout, ce qui l’oblige à une certaine rigueur dans la consommation des deniers publics – et pour les nouveaux entrants, à démontrer qu’on peut faire mieux avec moins, ou “faire du train autrement.” Les contrats ont l’avantage de la transparence, mais ont entraîné une inflation bureaucratique liée au contrôle de leur bonne exécution.

À qui tout cela profite ?

Un gain pour les politiciens locaux. Karl-Peter Naumann, président honoraire de l’association de voyageurs allemande « Pro Bahn » expliquait ainsi en 2019 que depuis que « la responsabilité du transport régional a été transférée aux Länder, de manière globale, le transport régional est la réussite de la réforme ferroviaire. Beaucoup plus de passagers voyagent dans les transports régionaux. L’offre s’est nettement améliorée car elle n’est plus planifiée de manière centralisée par une autorité fédérale. Maintenant c’est gérer localement. » Une opinion en droite ligne avec le phénomène de régionalisation qui s’est emparé, à des degrés divers, d’une grande partie de l’Europe. Bien évidemment, cette régionalisation n’est possible qu’avec une structure institutionnelle ad-hoc et les flux financiers qui l’accompagnent. Dans certains pays, les régions n’ont aucune compétence rail. À ce titre, la Belgique est l’exemple contraire aux trois autres pays qui lui ressemblent, la Suisse, les Pays-Bas et le Danemark…

Un gain pour les opérateurs historiques. Cela peut paraître curieux et pourtant. La SNCF règna sur le Benelux depuis longtemps avec ses Trans Europ Express, puis avec l’Eurostar dès 1994 et Thalys dès 1996. La prochaine fusion des deux porte toujours clairement la marque SNCF. Il en est de même pour Lyria, où les suisses semblent uniquement faire partie du décor. Enfin la récente rupture de la coopération Elypsos (SNCF/Renfe) est encore une initiative de Paris. L’économie d’entreprise semble convenir à merveille à la grande maison française, qui ne cache plus ses besoins d’expansion à l’étranger. Et on s’en réjouit…

L’Espagne est devenue depuis peu le terrain de jeu d’opérateurs multiples, dont la SNCF, avec certes une formule « encadrée » pour préserver l’opérateur historique Renfe. Jusqu’ici cela semble fonctionner. En Italie, cela fait un bon bout de temps que Trenitalia ne conteste plus l’arrivée d’un concurrent sur « ses terres ». Le groupe public italien semble ainsi requinqué et se répand maintenant en France et en Espagne, en solo ou avec un partenaire, et dispose d’une stratégie pour l’international.

En Allemagne, l’éléphant Deutsche Bahn ne semble pas avoir été terrassé par le caniche Flixtrain qui opère ses trains verts outre-Rhin, tandis que les ÖBB ont pu répandre à plus de 1000km autour de Vienne un étonnant savoir-faire avec le marché de niche des trains de nuit.

En définitive, les quelques succès d’entrepreneurs privés ne semblent pas menacer une seconde les opérateurs nationaux qui s’accommodent finalement fort bien de la politique européenne. Tout cela avec des deniers publics et la bénédiction des tutelles politiques respectives.

Au final

Ce long papier avait pour but de montrer la lente progression des idées de l’économie libérale au sein des nations et au coeur de l’Europe. Il permet de mieux comprendre comment on en est arrivé à la politique ferroviaire actuelle. L’Europe « libérale » – un terme à redéfinir -, ne date donc certainement pas des années 80 mais a émergé cinquante ans plus tôt.

La sectorisation d’aujourd’hui a l’inconvénient d’une grande fragmentation mais a mis fin à l’époque du train « quoiqu’il en coûte » et du « puit sans fond à renflouer ». Dans certaines régions de France, le transport ferroviaire local peut engloutir à lui seul entre 16 et 20% d’un budget régional. Cela impose de la transparence et la recherche de nouvelles formules pour faire baisser les coûts.

On continue de distiller cà et là des croyances tenaces (et souvent idéologiques) que « l’Europe a détruit les petites lignes secondaires ». Outre que l’Europe n’a pas la main sur ce réseau secondaire, la vraie question est de comprendre pourquoi, dans un environnement contractuel, avec la transparence des finances, rien n’a été fait pour remettre en selle un chemin de fer secondaire plus viable pour les finances publiques. Des choses difficiles à expliquer en 240 caractères…

Le rail ne peut pas être une question de guerre entre deux courants de pensée, c’est juste un outil de transport parmi d’autres qui offre des solutions de mobilité décarbonées.

Si l’univers des contrats à l’inconvénient d’entraîner une vaste bureaucratie et de focaliser sur la défense d’intérêts contradictoires, il permet malgré tout de distinguer ceux qui propose une « vraie » politique ferroviaire et ceux qui ne s’en préoccupe pas. Qui donne de l’argent et qui n’en donne pas. Qui accueille de nouvelles idées ferroviaires et qui fait barrage. Une clarification bienvenue en cette époque où tout reste centré – qu’on le veuille ou non -, sur la maîtrise des finances publiques… 🟧

Quelques références :

  • 1982 – Georges Ribeill – Les cheminots (éditions La Découverte)
  • 1998 – Annales des Mines – Service public et concurrence – Les leçons des expériences européennes
  • 2002 – Dominique Barjot – L’américanisation en Europe au XXe siècle : économie, culture, politique (Institut de recherches historiques du Septentrion, 2002)
  • 2004 – Florence Autret – Influence allemande à Bruxelles : un état des forces économiques (Bulletin économique du CIRAC)
  • 2004 – Julien Coulier – La libéralisation dans le transport ferroviaire en Europe – Un essai d’analyse économique des stratégies des acteurs (thèse de doctorat – Université de Reims Champagne-Ardenne)
  • 2007 – Jean-Claude Boual – Europe et service public (Regards croisés sur l’économie, 2007)
  • 2010 – François Denord et Antoine Schwartz – L’économie (très) politique du traité de Rome (Cairns infos)
  • 2011 – Crisp – Aubin / Moyson – La régulation du rail en Belgique (bulletin du Crisp, 2011)
  • 2011 – David Azéma – Idéologie ou pragmatisme, le dilemme de la concurrence ferroviaire (Ville Rail & Transports du 21/09/2011)
  • 2011 – Vida Azimi – République et service public (Tous Républicains, 2011)
  • 2013 – Sonia Lemettre – Gouverner le fret ferroviaire en France et en Allemagne (1990-2010) : processus de diffusion d’énoncés réformateurs à l’ère du développement durable (thèse de doctorat – Université de Grenoble)
  • 2013 – Jean Finez – Les économistes font-ils l’économie ferroviaire ? Maurice Allais, la « théorie du rendement social » et les premières restructurations de la SNCF (Revue française de socio-économie, 2013)
  • 2014 – Patricia Pérennes – Les économistes et le secteur ferroviaire : deux siècles d’influence réciproque (Alternatives économiques – « L’Économie politique »)
  • 2016 – Le Figaro – Interview de Françoise Mélonio – Les Français ont-ils un problème avec le libéralisme ?
  • 2016 – Louise Gaxie – La construction des services publics en Europe – Contribution à l’élaboration d’un concept commun (thèse de doctorat – Université Paris Ouest Nanterre/La Défense)
  • 2018 – Center for Economic Performance – Gibbons / Heblich / Pinchbeck – The Spatial Impacts of a Massive Rail Disinvestment Program: The Beeching Axe (CEP Discussion Paper No 1563)
  • 2019 – Mélanie Vay – La mise en problème européen de l’économie publique – Socio-histoire des mondes de l’entreprise publique au contact de la politique européenne (1957-1997) (thèse de doctorat – Université de Paris 1 Panthéon/Sorbonne)
  • 2019 – Thomas Hammer – Die verantwortung des staatesfür die eisenbahn (thèse de doctorat – Deutschen Universität für Verwaltungswissenschaften Speyer)
  • 2021 – Ferinter – Champin / Finez / Largier – La SNCF à l’épreuve du XXIème siècle, regard croisés sur le rail français (Éditions du Croquant, 2021)
  • 2021 – Nelly Demonfort – L’influence du droit européen sur l’organisation politique et administrative des États et de leurs entités infra-étatiques (thèse de doctorat – Université de Nantes)
  • 2023 – Ferinter – Brouté / Finez – L’ouverture à la concurrence au prisme de la dette et de la valorisation du capital : ​politique de État-actionnaire, rentabilité du groupe SNCF et investissements des milieux d’affaires​ (Colloque de Bourges, 12/01/2023)

TER_SNCF

19/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Articles complémentaires :

Le rail, ce secteur multiple
Une série de fiches qui résument dans les grandes lignes l’environnement et la gouvernance de nos chemins de fer aujourd’hui. Il est important en effet d’avoir une vue globale du secteur ferroviaire si on veut par la suite comprendre toutes les interactions dans les détails.


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21/03/2022 – Rééquilibrer la taxation des transports est une chose. Mais cela ne fera pas à elle seule une politique de transfert modal. Il faut aussi que le rail démontre toute sa pertinence et réponde aux besoins. Le rail n’est plus le transport dominant qu’il était encore dans les années 1950. Aujourd’hui, il doit redevenir…


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03/01/2023 – C’est une question lancinante pour ceux qui veulent se lancer sur les rails européens : matériel roulant d’occasion ou du neuf ? La question ne pose guère dans les contrats de service public – les OSP -, où l’autorité exige de facto du matériel neuf pour le train du quotidien. Mais dans le secteur grande ligne, il est possible de démarrer avec de l’ancien rénové. Sauf que six opérateurs en…


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11/10/2021 – La régionalisation de l’Europe est un fait, quoiqu’avec des formules diverses d’un pays à l’autre. On peut s’en rendre compte au travers de la gestion du transport par rail, qu’explique cet article.



Tarification transfrontalière : une ode à la complexité
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27/12/2022 – Ce second volet de la réforme britannique nous montre le basculement entre les années « franchises » et la fin de ce système qui s’écroula pour des raisons expliquées dans cet article. En cette époque post-pandémique, le rail britannique n’a plus la même clientèle et doit composer avec un environnement nouveau, sous le signe de Great British Railways.


Un chantier ferroviaire pas comme les autres : le Y-Basque en Espagne


12/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La nouvelle ligne à grande vitesse Vitoria – Bilbao – San Sebastian – frontière française, en réalité appelé Y-Basque, fait partie de la branche atlantique du projet prioritaire n° 3 de l’Union européenne, et concerne en territoire espagnol la ligne Madrid – Valladolid – Vitoria – frontière française. L’occasion de faire le point sur ce long chantier.

En Espagne, cette ligne reliera les trois capitales de la Communauté autonome basque et rapprochera le Pays basque du reste de la péninsule et de la France. En outre, la nouvelle infrastructure ferroviaire sera reliée à Pampelune par le « Corredor Navarro ».

Dès sa mise en service, les temps de trajet en train seront considérablement réduits pour les trois capitales basques. On peut ainsi compter que le temps de trajet entre Vitoria-Bilbao et Vitoria-San Sebastián sera réduit d’environ 60 %, et de 80 % pour la liaison Bilbao-San Sebastián.

Les travaux avancent, certains ouvrages d’art terminés n’attendent plus que les rails, mais le projet a pris des années de retard tout en étant sujet à de multiples dates d’ouverture. Près de 41 ans se seront écoulés depuis qu’Abel Caballero, aujourd’hui maire de Vigo, lorsqu’il était ministre, a commencé à parler du « Y basque » et deux décennies se sont déjà écoulées depuis que la première pierre a été posée.

Les spécificités de la politique en Espagne

Il faut connaître toutes les subtilités de la politique espagnole dans le contexte basque et catalan que l’on connait. Le train à grande vitesse espagnol AVE est une compétence exclusive de l’État central. En 1999, le gouvernement espagnol avait vaguement annoncé un projet visant à relier toutes les capitales provinciales à Madrid par le rail en moins de 4 heures. Sans plus…

Mais le pays Basque ne visait pas prioritairement, on s’en serait douté, à une liaison rapide avec Madrid. La région autonome a notamment usé du « fait régional » pour asseoir ses vues. La Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest explique qu’à la différence d’autres projets de LGV en Espagne, le Y-Basque a toujours été conçu comme un outil de structuration interne de la région. Alors qu’en Espagne les projets de lignes à grande vitesse ont été définis comme des lignes permettant la connexion d’une région ou d’une ville (normalement) avec Madrid, mais aussi avec l’Europe, dans le cas basque le projet fait plutôt référence à l’idée de réseau régional.

Contrairement à d’autres régions espagnoles, le pays basque avait en fait déjà une expérience ferroviaire à faire valoir. Le ministère des Transports basque intervient en effet, depuis sa création dans les années 1980, dans la planification d’une série d’infrastructures de transport au niveau régional. En matière ferroviaire, le ministère des Transports gère déjà à travers le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire Euskal Trenbide Sarea (ETS) et l’opérateur de transport (Eusko Trenbideak) le réseau métrique régional, mais pas le reste du réseau ferroviaire, qui reste du ressort de la Renfe (puis plus tard de l’Adif pour les voies et les gares). Cette responsabilité ferroviaire régionale a probablement donner des ailes au gouvernement basque dans la mise sur l’agenda d’un programme de modernisation du réseau ferroviaire basque, incluant donc la grande vitesse. Mais qu’en était-il alors des compétences ?

Pour faire pression et demander au gouvernement central espagnol la réalisation effective du projet, l’administration basque actionna un autre levier en jouant sur le fait que le projet de train à grande vitesse faisait – et fait toujours -, partie d’un projet prioritaire européen au sein des fameux RTE-T (le couloir Atlantique). Un projet régional argumenté au travers d’une idée européenne…

Au début des années 2000, près de vingt ans après la première ligne entre Madrid et Séville, la tension entre Lakua (le siège du gouvernement basque) et le Fomento à Madrid devînt palpable, avec des volées de bois vert par médias interposés.

En décembre 2002, le gouvernement basque lançait lui-même un appel d’offres pour la rédaction des projets de six tronçons du « Y-Basque », un terme qu’on exigeait voir apparaître en lieu et place de « AVE ». Il s’agissait davantage d’un geste symbolique, car les travaux ferroviaires devaient de toute manière recevoir l’aval de Fomento, lequel est aussi le seul habilité à recevoir des fonds communautaires du Feder et de la Banque européenne d’investissement (BEI). Les téléphones ont donc vivement chauffé.

On vous passe les détails rocambolesques et les passes d’armes conséquence des élections espagnoles et basque, avec ses changements de majorité, ses coulisses et ses tractations diverses. Toujours est-il qu’autour de 2004-2005, le projet avait deux cahiers des charges, un basque et un espagnol ! Ebullition et pression maximale de part et d’autre…

Retenons surtout que l’impasse entre les gouvernements régional et central a officiellement pris fin en avril 2006 avec la signature d’un accord entre l’administration générale de l’État, l’administration générale du Pays basque et l’ADIF, gestionnaire des infras ferroviaires, selon lequel l’ADIF (puis plus tard ADIF Alta Velocidad, une filiale du gestionnaire Adif créée en 2014), restait responsable de l’étude du projet et des contrats de construction couvrant les tronçons entre Vitoria-Gasteiz et Bilbao dans les provinces d’Araba et de Bizkaia. De son côté, pour marquer le « fait régional », le gouvernement basque se chargeait lui-même de l’infrastructure du tronçon de Gipuzkoa (vers San Sebastian).

On parle ici du génie civil, car les aspects purement ferroviaire voie-caténaire-signalisation resteront une compétence exclusive de ADIF Alta Velocidad.

Le contrat de construction du premier tronçon de l’Y était attribué le 26 avril 2006, deux jours après la signature du fameux accord, pour montrer la bonne volonté de chacun…

Adif-Alta-Velocidad

L’Union européenne, quant à elle, joua au début un rôle mineur au travers du programme de réseaux transeuropéens. Dans la période 2000-2006, 16 millions d’euros furent accordés pour la réalisation des études dans le cadre des aides RTE-T. Dans la période de programmation 2007-2013, le projet fît l’objet d’une aide d’environ 55 millions d’euros sur le budget RTE-T.

Mais en juin 2022, l’Union européenne donnait un coup de pouce plus important, en décidant d’accorder 145,4 millions d’euros pour la construction du « Triangle de Bergara » (nudo de Bergara, voir plus bas). Ce montant était le plus important parmi les 216,5 millions d’euros approuvés pour sept projets de transport en Espagne dans le cadre du programme « Connecting Europe », qui vise à améliorer les réseaux de transport et à promouvoir la mobilité durable.

Côté technique

Comme pour ses autres lignes à grande vitesse, les différentes lignes de ce Y sont construites à l’écartement UIC standard 1.435mm et auront une configuration de type 3, pour un tracé mixte fret/voyageurs, avec des courbes d’un rayon minimal de 3.100 m et des pentes maximales de 15 millièmes par mètre.

L’ADIF et ETS ont chacun établi leur propre cahier des charges. Avec quelques différences techniques : l’ADIF a ainsi fixé la vitesse de conception maximale à 250 km/h, tandis que l’ETS a opté pour une vitesse de 220 km/h, ce qui la met en dessous des critères de l’UIC (V250). L’argument d’une vitesse moindre tient aux courtes distances entre les trois villes, où les gains de temps liés à des vitesses plus élevées seraient minimes.

Dans les faits, les trains de voyageurs pratiqueront donc des vitesses de 220 à 240 km/h, tandis que les trains de marchandises rouleront jusqu’à 120 km/h. Comme la ligne est mixte fret/voyageurs, l’itinéraire desservira également deux plateformes logistiques : l’un à Jundiz près de Vitoria-Gasteiz et l’autre au port de Pasaia, à l’ouest d’Irún.

Ces nouvelles lignes devraient permettre d’effectuer Bilbao-San Sebastian en 0h38 au lieu de 2h40, Vitoria-Bilbao en 0h28 au lieu de 2h20 et Vitoria-San Sebastian en 0h34 au lieu d’1h40. En avril 2019, le département des transports du gouvernement basque annonçait que les trois capitales provinciales seraient reliées par des trains à la demi-heure aux heures de pointe, avec 21 voyages par jour sur chacun des trois axes. Il reste à voir si ce sera réalité…

Génie civil important

Le relief tourmenté de toute la région font que le génie civil est très important. Dans une orographie telle que celle du Pays basque, il est coûteux de tracer des rayons très larges et des profils essentiellement horizontaux. Cela fait d’ailleurs penser au projet entre Stuttgart et Ulm, dont un tronçon vient d’être ouvert. Ou aux différents projets autour d’Oslo dont nous avions déjà parlé. Le projet tel qu’il se dessine comprend 80 tunnels, et potentiellement deux de plus si la liaison entre Basauri et Bilbao-Abando est enfin décidée.

Cumulés, la longueur des tunnels totaliseraient 104,3 km et représenteraient 61 % de la longueur totale de l’itinéraire. Les viaducs comptent de leur côté pour un total de 17 km, soit tout de même 10% des tracés, ce qui ne laisse que 50,6 km, soit 29 % du tracé à même le sol, en tranchées ou en remblais.

Le nombre moyen d’ouvrages singuliers sur l’ensemble de la ligne, qu’il s’agisse de tunnels ou de viaducs, est de 71% du parcours.

Parmi la longue liste des tunnels, on peut retenir ceux d’Albertia (4.786m), d’Udalaitz (3.185m), de Zarátamo (2 .728m), d’Induspe (2.224m), de Galdakao (1.827m) ou encore du Ganzelai (1.365m)

Certains des viaducs parmi les plus remarquables sont  le viaduc sur la route A-2620 : 1.401m de long avec ses piles jusqu’à 90 m de hauteur. Ou encore les viaducs de San Antonio-Malaespera (837 m), de Mañaria (616m) ou surplombant la route A-3002, la N-1 et la rivière Zadorra, avec ses 505 m.

Le fameux nudo de Bergara

Lorsque le Y sera achevé, la distance entre Gasteiz et Bilbao devrait tombé à 73,8 km, tandis que le tronçon Gasteiz-San Sebastián aura une longueur de 103,9 km, étant entendu qu’il y a en réalité un tronc commun entre Gasteiz et le Triangle de Bergara (nudo de Bergara), qui est le véritable Y du projet basque, composé de cinq tronçons. Ce Y, qui rappelle celui des Angles au sud d’Avignon, permet de créer une troisième section Bilbao-San Sebastián de 108,9 km.

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Environ 60% des tracés sur les trois côtés du triangle sont en tunnel, et 10% en viaduc. Des jonctions en hauteur ou souterraines sont nécessaires à chacune des extrémités, mais ce n’est qu’à l’extrémité ouest qu’il y a une jonction en plein air.

La zone où le Nudo est construit est ponctuée de trous et de cavernes., ce qui pose des problèmes pour la construction des tunnels et des galeries d’accès. D’autre part, des problèmes financiers et légaux sont apparus. Les appels d’offres furent adjugés en septembre et octobre 2015 pour ensuite été annulées en raison de problèmes financiers parmi les entrepreneurs sélectionnés. Les appels d’offres furent alors relancés en janvier 2018 et les contrats d’une valeur de 384 millions d’euros ont été signé l’année même. Mais il y a encore eu d’autre contraintes liées à l’environnement.

Le Nudo est en effet situé dans une zone d’intérêt scientifique spécial, avec trois formes rares de faune et de flore. Railway Gazette raconte ainsi qu’au moment de la réattribution des contrats en 2018, un couple de vautours avait commencé à nicher à proximité. Leurs activités ont entraîné la suspension des travaux de janvier à mai 2019, d’avril à juin 2020 et de mars à septembre 2021. Parallèlement, le dynamitage de certaines parties du Nudo a été interdit lorsque huit colonies de chauves-souris ont été découvertes en train d’hiberner dans les grottes de Kobaundi.

La question des accès urbains

Elle agite les trois villes, Vitoria-Gasteiz, Bilbao et San Sebastian. L’enjeu : des gares actuellement étriquées qui doivent accueillir des voies à l’écartement UIC 1.435mm. Cela paraît un détail mais en Espagne, cela suppose soit de spécialiser des voies à cet écartement, et donc d’encore rétrécir l’espace concédé aux voies larges espagnoles, soit d’enfiler un troisième rail sur les voies existantes. Deux conceptions qui ne conviennent ni l’une ni l’autre, de part leur complexité. Du coup on songea à enterrer les voies UIC, comme on l’a fait à Gérone. Mais qui va payer ?

Le coût d’une profonde transformation des gares et de leurs accès agite forcément ces villes, car on a affaire alors à des transformations urbaines considérables qui peuvent être une opportunité, mais qui ressortent d’autres budgets. Tractations avec le Fomento de Madrid, le gouvernement basque, les gouvernements provinciaux et les mairies concernées…

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Le projet de gare souterraine à Bilbao. C’est du lourd…

L’engagement des institutions pour l’arrivée de la grande vitesse à Vitoria et Bilbao a été signé en février 2022 avec l’accord entre le ministère des Transports et les mairies de Vitoria et Bilbao, qui comprend une mission de gestion pour le gouvernement basque dans la réalisation des travaux de génie civil pour les accès aux deux villes. Une option temporaire de gare TGV à voies UIC à Basauri, à l’entrée de Bilbao, est dans les cartons, avant la réalisation complète « d’une descente » sous la gare principale de Bilbao-Abando. Pour l’occasion, Raquel Sánchez, la ministre des Transports, de la Mobilité et de l’Agenda urbain avait fait le déplacement à Vitoria pour présenter ces accords institutionnels et indiquer sa volonté de mener à bien ces projets. Jusqu’ici, seule l’entrée à San Sebastian a été approuvée. Reste à déternminer celle de Bilbao et Vitoria.

« Il s’agit de projets complexes. Cela signifie parfois que nous ne pouvons pas suivre le rythme que nous voudrions« , a admis la ministre au journal El Diario, qui a voulu souligner le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un projet ferroviaire, mais aussi de grands projets de régénération urbaine dans les deux villes les plus peuplées du pays basque, ce qui implique d’autres budgets.

>>> Voir l’excellente documentation et les plans précis du Fomento concernant Vitoria et Bilbao.

Se raccorder à la France

Le projet basque se termine en principe à San Sebastian, non loin de la frontière française. Contrairement à Vitoria et Bilbao, la descente de 3km entre la fin de la ligne nouvelle à Hernani et la gare principale a donc déjà été décidée et se fera à double écartement. Ce sera donc la première des trois gares à être reconstruite pour les services à grande vitesse. Des appels d’offres ont été lancés fin 2019 et un contrat de 42 mois d’un montant de 80,4 millions euros a été attribué.

Pour rejoindre la France, il a été décidé en 2013 une mise à double écartement de la ligne existante San Sebastián-Irún via Errenteria et Oiartzun (en rouge sur la carte). L’idée, écartée pour son coût, de pousser jusqu’à la frontière française par une ligne de contournement (en bleu sur la carte), demeure pour le moment un trait de crayon. Les lieux, fortement urbanisés côté basque, tout comme à Hendaye, Saint Jean de Luz, Biarritz et Bayonne, auraient été l’argument pour créer, selon un accord de 2011, une déviation prévue autour du sud de l’agglomération San Sebastián-Irún jusqu’à Behobia, à la frontière française.

On ignore jusqu’ici qu’elle est la position française dans le cadre du projet GPSO. Il y a peu de chances que « la ligne bleue » apparaisse un jour au milieu des paysages basques, car cela implique de manière logique une coordination avec Nouvelle Aquitaine. On est pratiquement certain qu’on en resterait au bipôle Hendaye-Irun pour passer d’un pays à l’autre.

Les travaux de mise à double écartement sont (petitement) en cours entre San Sebastian et Irun. Ils ont débuté en février 2022 pour un investissement de 53 millions d’euros et c’est l’Adif – et non l’ETS basque -, qui est à la manœuvre. Les travaux comprennent des interventions sur l’infrastructure, la voie, la caténaire et les systèmes de sécurité tout au long du parcours de 20 kilomètres, l’adaptation des tunnels, des ponts métalliques, des gares et des arrêts pour les situations de trafic mixte revêtant une importance particulière.

L’ouverture complète du Y basque n’est pas encore arrêté malgré de nombreuses déclarations. Les travaux sont cependant fortement avancés au niveau génie civil. Mais il y a encore tout le reste, les voies, les aiguillages, la caténaire et la signalisation. Tout n’est pas encore figé. Dernièrement, une des options d’entrée en ville de Bilbao a été décidée, avec une gare qui aura des quais souterrains et dont on vous parlera dans une prochaine chronique.

Le Y-Basque avance, on évoque à voix (très) basse 2027, mais il y a encore beaucoup de travail. Par ailleurs, bien que non concerné par le Y-Basque, un autre chantier redémarre après des mois d’incertitudes, celui du tronçon reliant Venta de Baños et Burgos, qui ferait maintenant face à sa dernière ligne droite pour devenir une réalité.

En outre, en juillet 2022, le gouvernement espagnol autorisait la suite du programme avec le tronçon à grande vitesse Burgos-Vitoria, une ligne de 101,3 kilomètres de long dont le coût est estimé à 1,5 milliard d’euros. Cette nouvelle ligne représente le dernier maillon de l’axe complet Madrid-Vitoria-frontière française.

L’inauguration intégrale de la ligne Madrid-Vitoria permettra ironiquement de rapprocher le siège du gouvernement basque à un peu plus de 2h du Fomento de Madrid… 🟧

Y-Basque_TGV
Des éléments de génie civil déjà trerminés qui n’attendent plus que les voies… (photo Zarateman via wikipedia)

12/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Développer le leasing pour soutenir les projets des nouveaux entrants


05/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La disponibilité du matériel roulant constitue une pierre d’achoppement pour les ambitions des nouveaux opérateurs pour lancer de nouveaux services à accès ouvert, avec des coûts d’investissement élevés pour les nouveaux véhicules et un marché de l’occasion limité.

Le constat n’est pas neuf. Le marché de l’occasion est inégalement réparti sur le territoire européen et les critères d’homologation varient d’un pays à l’autre. C’est d’autant plus regrettable que les grands opérateurs disposent maintenant de flottes importantes de nouveaux trains, pour beaucoup des trains à grande vitesse ICE ou TGV qui remplacent les rames tractées.

Il y a cependant plus d’opportunités dans l’aire germano-alpine qu’en France ou en Italie.

L’Association des loueurs européens de matériel roulant ferroviaire AERRL et l’association des opérateurs indépendants AllRail se sont concerter au sujet de la problématique de fourniture de véhicules pour faciliter le lancement de nouveaux services de transport de passagers. Cela ne concerne que les projets en open access, et non les contrats de service publics, pour lesquels on opte pratiquement toujours pour du matériel neuf.

Loueurs et nouveaux entrants main dans la main

Une rencontre entre les loueurs au sein d’AERRL et les nouveaux entrants réunis au sein d’ALLRAIL a débouché sur un nouvel engagement à contribuer activement au lancement de nouvelles offres commerciales ferroviaires pour les passagers par une disponibilité maximale du matériel roulant voyageurs.

L’enjeu pour les deux associations est de montrer aux autorités politiques nationales et européennes qu’il faut faire davantage confiance à l’industrie pour créer des conditions favorables à l’achat de matériel roulant neuf.

Fabien Rochefort, Président de l’AERRL rappelle que « le potentiel d’investissement des loueurs est bien connu sur le marché des locomotives. Nous avons déjà démontré au cours des 12 dernières années que nous sommes capables de donner accès à un matériel roulant efficace, interopérable et sûr à toutes les entreprises ferroviaires intéressées. Nous sommes prêts à promouvoir le même développement sur le marché du transport ferroviaire de passagers, avec la collaboration de tous les acteurs. »

Les membres de l’AERRL souhaitent donc s’engager au-delà des seules locomotives pour financer et mettre sur le marché le volume nécessaire de matériel roulant à grande vitesse et classique devant permettre à tous les opérateurs ferroviaires de construire de nouvelles offres commerciales et innovantes. Les bailleurs de l’AERRL sont intéressés par le financement de matériel roulant neuf ou d’occasion, y compris les mises à niveau et les plans de réaménagement.

De leur côté, les opérateurs membres d’ALLRAIL s’engagent à utiliser du matériel roulant longue distance inutilisé ou sous-utilisé sur les marchés où ils sont actifs, s’il est disponible à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires.

Erich Forster, Président d’ AllRail (et patron de WESTbahn), explique « qu’il est important que, comme dans les autres modes de transport, il y ait un marché ouvert et dynamique pour le matériel roulant d’occasion. S’il existe du matériel roulant longue distance inutilisé ou sous-utilisé à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, nous nous engageons à ce que nos membres l’utilisent – afin de développer le rail transfrontalier européen et de réaliser le transfert modal. »

Les deux associations voudraient aussi qu’un tel engagement puisse être soutenu par la Commission européenne qui ferait confiance aux acteurs privés et les aiderait à catalyser les idées alternatives et l’innovation. Un soutien important de l’UE est même une condition de la faisabilité de certains réaménagements et mises à niveau de voitures à voyageurs.

Il pourrait également être appliqué au financement de plates-formes de matériel roulant nouvellement construites avec des coûts non récurrents, au profit de l’ensemble du marché et des clients des équipementiers. Grâce à ce soutien, la mise au rebut du matériel roulant avant sa durée de vie utile peut être évitée, ce qui est essentiel pour parvenir à une économie circulaire dynamique et durable.

AllRail, qui défend une approche concurrentielle du transport ferroviaire international, dit ne pas voir d’opportunité dans une structure publique, qui ne peut d’ailleurs qu’être nationale. Il est vrai qu’à l’international, les gouvernements n’interviennent que fort peu, si ce n’est, comme Trenitalia, SNCF, DB ou Renfe, par les rames mises à disposition par ces grands opérateurs et puisées dans leur parc respectif, investi via de l’argent public.

Le marché du leasing à la hausse

Le marché de la location de locomotives a connu une croissance rapide et soutenue entre 2010 et 2020. En 2016-2020, 40 % des livraisons de locomotives neuves dans l’UE, en Suisse et en Norvège étaient destinées à des loueurs, contre 25 % en 2011-2015. Au sein du parc de locomotives grandes lignes, les locomotives louées sont principalement exploitées dans les services de fret ferroviaire. Dans les années à venir, les bailleurs souhaitent augmenter le volume de matériel roulant de transport de passagers disponible pour tous les opérateurs.

AllRail soutient que le marché longue distance voyageurs devrait se développer grâce à des initiatives commerciales capables d’attirer de nouveaux voyageurs. On peut rappeler les chiffres prépandémiques de 2 opérateurs privés : 10 millions de voyageurs chez Regiojet et 13 millions chez NTV-Italo, soit bien plus que Thalys.

Le leasing de matériel roulant neuf ou d’occasion est clairement l’une des clé pour lancer de tels services. On rappellera que sur les 12 opérateurs actifs en open access en Europe, sans liens avec un opérateur historique, 8 ont opté pour acheter du neuf : NTV-Italo, WESTbahn, Leo Express, MTRX, Astra Trans Carpatic, ILSA (quoiqu’avec l’aide du groupe public Trenitalia), Grand Central, Hull Trains et Lumo, ces 3 derniers opérant en Grande-Bretagne. Regiojet, Snälltåget (Transdev) et Flixtrain ont opté pour du matériel d’occasion. Un 11ème opérateur, Le Train, vient d’annoncer qu’il achètera du neuf via une structure en leasing.

>>> À lire : La petite liste de ceux qui ont essayé, et de ceux qui opèrent toujours en open access

Trenitalia et SNCF, qui la jouent solo en Espagne, ont aussi du matériel neuf mais il s’agit là d’une dépense publique via leur État respectif.

De leur côté, les loueurs membres de l’AERRL sont prêts à mettre à disposition leurs outils financiers, leur expertise et leur capacité d’investissement afin d’aider le marché international du transport ferroviaire de voyageurs à avoir accès à un marché du matériel roulant voyageurs ouvert et fluide.

AERRL et AllRail appellent maintenant tous les propriétaires, opérateurs et loueurs de matériel roulant à participer aux objectifs du Green Deal en accélérant le mouvement en faveur de la croissance du transport ferroviaire voyageurs. 🟧

Lumo_UK_Railways
Lumo (First Group) a pris en leasing les rames Hitachi class 803 pour lancer ses propres trains entre Londres King Cross et Édimbourg, sur la côte Est (photo Network Rail)

05/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Nouveaux entrants en service voyageurs : qui sont les quatre de France ?


30/01/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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En France, quatre entrepreneurs tentent de mettre sur les rails des trains privés. Mais avec pas mal de défis à surmonter. Aucun des quatre n’a un business semblable, mais tous parlent de combler un trou dans l’offre ferroviaire nationale.

Pas facile de lancer ses propres trains en France. Plusieurs entrepreneurs veulent lancer leurs propres trains là où la SNCF a abandonné les dessertes. Ils ont tous un business model différent. Certes, l’hexagone a déjà connu le « nouvel entrant » au travers de Thello dès décembre 2011. Et il est vrai que deux autres nouveaux entrants sont venus – ou vont garnir -, le paysage ferroviaire français : Trenitalia, présent depuis décembre 2021 avec des capitaux italiens et bientôt la Renfe, avec des capitaux espagnols, qui prévoit ses premiers services d’ici avril 2023.

Pour notre part, nous nous penchons ici sur des projets dont l’intérêt est qu’ils sont exclusivement français. Il ne s’agit donc pas de « méchants étrangers venus manger la SNCF« , mais d’initiatives qui veulent combler un trou dans l’offre nationale.

Railcoop

C’est probablement le projet le plus atypique. Il s’agit d’une coopérative qui compte à ce jour près de 13.000 « sociétaires » qui ont acheté des parts sociales de 100€. La coopérative dispose d’environ 8 millions d’euros mais veut atteindre 43 millions € pour financer son projet de relance de la ligne Bordeaux-Lyon.

La moitié de cette somme est nécessaire pour financer les actifs, tandis que la seconde moitié est nécessaire sous forme de garantie auprès des banques et des organismes de prêts financiers. Railcoop n’a pour l’instant pas cette garantie à présenter et ne peut donc fournir aucune date de mise en service.

Récemment, la métropole de Lyon a voté une subvention de 80.000€ pour prendre 800 participations au sein de la coopérative ferroviaire. Cette entrée au capital permet au « Grand Lyon » de participer à la relance de ces lignes délaissées par la SNCF. Celle de Lyon-Bordeaux fut stoppée en 2014 faute, dit-on, de rentabilité.

Midnight Train

Il s’agit d’un projet qui veut « réinventer le train de nuit » à prix compétitifs face à l’avion. Il s’agit ici d’une société en mode start-up qui dispose d’un management haut de gamme puisqu’on y trouve, derrière les deux fondateurs Adrien Aumont et Romain Payet, des personnalités comme Franck Gervais, ancien CEO de Thalys ou encore Odile Fagot, ancienne Directrice Transformation & Performance Finances chez SNCF.

Midnight train veut lancer des trains de nuit avec un concept novateur d’hôtel sur rail avec voiture-restaurant et voiture-bar. L’opérateur indique qu’il dispose des finances requises et qu’il a fait le choix d’un constructeur pour son matériel roulant, sans donner plus de précisions.

Jusqu’ici, on connait Midnight train au travers de sa communication de marketing glamour auprès de 60.000 abonnés à sa newsletter et ses réseaux sociaux. L’objectif est « d’installer la marque et de créer du désir avant l’arrivée du produit », explique la société aux Echos.

Kevin Speed

Cette société française, malgré son nom anglais, a pour vocation d’offrir la grande vitesse, pour tous, tous les jours. Cette société récente a été mise sur pied en 2021 par Laurent Fourtune, un ingénieur qui a fréquenté notamment la RATP (transports publics de Paris) et Getlink, opérateur du tunnel sous la Manche.

Kevin Speed veut des trains à grande vitesse courts pour des trajets moyennes distances. La société vise des rotations rapides et fréquentes, à la manière des Intercity, jusqu’à 12 rotations par jour et des arrêts très réduits en gare. Elle annonce des tarifs de 3€ pour un trajet de 100 kilomètres.

Kevin Speed veut passer un « contrat de longue durée » avec SNCF Réseau pour avoir des sillons garantis et permettre ainsi d’amortir le matériel roulant sur des dessertes qu’il ne précise pas à ce jour.

Le Train

Ce projet émane du sud-ouest de la France (Bordeaux, Aquitaine). La ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux a engendré des frustrés, expliquait à La Vie du Rail Alain Gertraud, le directeur général. La ville de Angoulême, notamment, ne bénéficie pas assez de dessertes et les élus locaux sont mécontents.

Le Train est aujourd’hui une petite holding installée près d’Angoulême, avec plusieurs filiales, et qui peuvent être des sociétés qui sont soit détentrices de matériel roulant, soit font de la maintenance.

La zone visée par Le Train s’étend principalement au nord de Bordeaux, avec des lignes Bordeaux-Nantes, Bordeaux-Tours ou encore Bordeaux-Rennes. L’entreprise a annoncé mercredi dernier l’achat de 10 rames Talgo Avril.  Une de ces rames est en cours d’homologation en France pour l’opérateur Renfe, qui les mettra à terme sur ses services Barcelone-Lyon (et plus tard Paris ?).

Cette homologation est donc une aubaine pour Le Train et un atout pour Talgo, qui disposera de rames prêtes à l’emploi. La maintenance pourrait s’effectuer dans l’atelier que projette Lisea, le concessionnaire de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux. Mais cela reste à ce stade au conditionnel.

On peut dire que Le Train semble être jusqu’ici le projet le plus abouti des quatre. Il va être intéressant de suivre tous ces projets dans une France où domine clairement la marque SNCF sur le segment longue distance, malgré l’entrée récente de Trenitalia et l’entrée à venir de la Renfe. 🟧

Trenitalia-France
Trenitalia, un nouvel entrant qui succède à Thello. Mais il ne s’agit pas d’une initiative française, ni d’argent de l’hexagone…

30/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Les nouveaux entrants : opportunités ou risques pour les territoires et le service public ?


16/01/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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C’était le sens de ces deux journées d’études organisées par l’association Ferinter à Bourges ces 12 et 13 janvier. Cette belle ville de province avait été choisie pour sa desserte exclusivement possible en TER, à l’écart des grands flux TGV, ce qui traduisait bien le thème de ce colloque.

Ferinter – International Railway Studies, est une association française née en février 2013 à l’initiative d’une dizaine de chercheurs en sciences sociales. Ce réseau a pour objectif l’étude du secteur des transports par voie ferrée au sens large afin de mettre en lumière ses différentes configurations supranationales, transnationales et nationales, ainsi que l’analyse des dynamiques à l’œuvre.

Comptant aujourd’hui une quarantaine de membres, dont votre serviteur depuis peu -, Ferinter vise à encourager les échanges et le dialogue entre universitaires (sociologues, politistes, historiens, économistes, juristes, géographes, etc.), acteurs du ferroviaire (représentants de structures supranationales, de l’Etat, des collectivités territoriales, du management des entreprises publiques ou privées, des organisations syndicales, de cabinets d’expertise, etc.), et passionnés des chemins de fer.

En septembre 2021, l’association s’était rendue à l’ULB à Bruxelles pour un colloque passionnant consacré à l’État et le Rail. L’édition 2022 a dû être reculée dans le calendrier pour aboutir finalement à l’organisation des deux journées en tout début 2023 à Bourges.

« Les nouveaux entrants : opportunités ou risques pour les territoires et le service public ? » est une question qui agite tout le microcosme concerné par la chose, tout particulièrement en France. Les présentations et échanges avec le public ont permis de mieux cerner des enjeux qui sont souvent mal expliqués au grand public. Mais aussi de pointer la réalité du terrain.

À commencer par Philippe Fournié, Vice-président délégué aux Mobilités, aux Transports et aux Intermodalités de la Région Centre-Val de Loire et Irène Félix, Présidente de Bourges Plus, Communauté d’agglomération qui ont ouvert la session avec une interrogation sur l’apport éventuel d’un nouvel entrant dans la mobilité ferroviaire dans le Centre-Val de Loire et pointant avant tout un constat glaçant des horaires TER actuels avec la SNCF. Des trajets qui oscillent entre 2 heures et 3h35 avec la capitale, avec parfois des correspondances importantes soit via Orléans, soit via Nevers soit même via… St Pierre des Corps.

Les deux seuls belges présents à cette manifestation – dont votre serviteur -, ont d’ailleurs pu goûter à cette réalité, le retour Bourges-Austerlitz-(Bruxelles) se faisant par 43 minutes de correspondance TER à Orléans. On ne s’en plaindra pas : c’était l’occasion d’abord de tester un AGC Z27800 ex-Bombardier. Et puis nous avons bénéficié d’une flambant neuve 706L livrée… le 3 janvier dernier, version grand confort du Regio 2N (dit Omneo Premium) conçue pour la région Centre-Val de Loire.

D’où on vient…

Mais il fallait avant tout remettre un peu les idées en ordre pour comprendre comment on en était arrivé à la situation d’aujourd’hui tout en évacuant certaines idées reçues. Votre serviteur (Ferinter, blogueur et observateur du rail européen) a rapidement fait l’historique des trois périodes qui ont jalonné l’histoire du rail, en rappelant que le secteur ferroviaire est aujourd’hui soumis à un ensemble très vaste de contrats, où on cadre de manière précise les financements et le volume de service de trains attendus.

Patricia Pérennes (Ferinter et consultante chez Transmissions), a ensuite rappelé les deux formes actuelles de concurrence, entre l’open access, appelé Service Librement Organisé en France (SLO), et les obligations de service public (OSP ou PSO en anglais). La pratique des SLO montre une diversité en Europe, certains pays étant plus avance que d’autres, certains acquérant du matériel neuf et d’autres plutôt de seconde main.

Entrant encore plus dans les détails, Jérémie Anne, (Ferinter et journaliste notamment chez Rail Passion et Railway Gazette), pointait l’ensemble des défis relatifs aux nouveaux entrants, en matière de financement, de matériel roulant ou encore de sillons horaires.

Questionnement utile aussi en ce qui concerne l’évolution du groupe SNCF. Jean Finez (Ferinter, Université Grenoble Alpes) et Rémi Brouté (Ferinter, socio-économiste) interrogent : « manifestement » expliquent Remi Brouté et Jean Finez, « l’organigramme du groupe SNCF a été calqué sur les logiques marchandes de notre époque, en tant que politique de valorisation du capital ».

…et où on en est actuellement

La politique ferroviaire actuelle n’échappe pas non plus à l’immense champ que représente le droit. Stéphane de la Rosa (Ferinter, Université Paris-Est Créteil) a ainsi pu nous montrer les défis que représentent l’interprétation du droit devant les juges internes et européens. Lesquels doivent parfois arbitrer sur des points précis tout en montrant également des points qui peuvent être plus ouverts.

La table ronde animée par Hervé Champin (Ferinter, Université Polytechnique des Hauts-de-France), réunissait tour à tour Pierre Zembri (Université Gustave Eiffel), Jean-Marie Beauvais (Membre du Conseil national de la FNAUT) et Béatrix Létoffé (Association pour le développement de la ligne Épinal – Saint-Dié) pour donner des exemples concrets de déclin puis de renouveau des services ferroviaires locaux. Pierre Zembri rappelait la « définition typiquement française de lignes classées 7 à 9 », que l’UIC n’avait à l’origine pas envisagé, rappelant au passage l’obsolescence d’un tel classement. Un intervenant faisait d’ailleurs remarquer que « certaines petites lignes TER étaient sauvées par le fret, moyennant… de rouler à 30km/h » !

Cette journée du jeudi se terminait par l’intervention de Marius Chevallier (Cercle de recherche Railcoop), qui nous relatait une intéressante enquête interne concernant la motivation des sociétaires de la coopérative française Railcoop, cherchant à améliorer leur fonctionnement de participation et de gouvernance.

La matinée du vendredi fut d’abord un retour au passé, avec le verbe teinté d’humour de Georges Ribeill (Ferinter, chercheur à la retraite de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées), qui a montré comment jadis faire du train « économique » était possible, au travers d’exemples aux États-Unis et d’un chemin de fer du pays de Galles, qui avaient à leur façon créé des conditions d’un chemin de fer financièrement viable.

Retour ensuite au présent avec Vincent Doumayrou (Président de Ferinter, auteur d’un livre sur la SNCF), qui a fait un état des lieux de l’Allemagne, avec ses 16 Landers et 27 AOT, pour une synthèse sur une certaine forme de réussite mais aussi des questions, certains acteurs comme Keolis ou Abellio ayant quitté le marché allemand. Commentaire de votre serviteur rappelant l’incohérence de certains contrats, notamment les clauses sur la responsabilité des retards.

Clôture de cette demi-journée par une dernière table ronde animée par Jérémie Anne, déjà présenté, où Daniel Coffin (Comité de Défense du Rail de Montluçon et de la Vallée du Cher) a rappelé le déclin de la desserte de Montluçon avec Paris et fait entendre quelques doutes quant à l’initiative Railcoop pour remédier à l’absence de transversale. Railcoop, justement, était représenté par Dominique Guerrée, administrateur de la coopérative, qui a dû expliquer les difficultés actuelles de la coopérative, notamment en matière de garantie bancaire. Vincent Doumayrou intervenant également pour rappeler l’importance des dessertes locales face à une politique du tout TGV.

Au final

Comme toujours chez Ferinter, c’est la qualité qui compte, celle des intervenants. L’intérêt d’une telle manifestation est de faire sortir chacun de son silo. Les incantations politiques – souvent de gros coups de com’ répandu dans les médias avec une certaine dose de simplifications -, se heurtent à la fois à la réalité du terrain et à la fois au regard aiguisé des chercheurs universitaires qui ne manquent jamais de questionner le modèle ou d’en épingler certaines caractéristiques qui peuvent faire débat. C’est tout l’intérêt de participer à ces manifestions de l’association.

Le sujet « nouveaux entrants » reste inépuisable et il n’y a pas de solution unique. Elle dépend – comme l’a souligné votre serviteur le jeudi -, de la culture politique des pays. Or, on constate des interprétations différentes suivant justement le contexte culturel de chacun. En France même, des régions veulent un autre modèle que le « tout SNCF » quand d’autres ne voient pas l’intérêt d’un changement d’opérateur.

L’avenir confus dans un contexte post-pandémique va-t-il requestionner le « modèle marchand » dénoncé par la gauche ? Où va-t-on assister à un renforcement de la régionalisation et du « libre choix de l’opérateur » ? Rien n’est figé… 🟧

TER_SNCF

16/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Ferinter – International Railway Studies
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Livre : La SNCF à l’épreuve du XXIème siècle
À l’encontre de ces représentations du sens commun, ce livre propose une analyse pluridisciplinaire des transformations du système ferroviaire français et de son principal acteur, la SNCF, qui resitue leurs évolutions récentes dans une perspective historique. Le lien renvoie à sa description.


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InterCity Oslo : tunnels, ponts et grande vitesse pour gagner jusqu’à une heure de trajet


09/01/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Oslo, capitale de la Norvège, compte partiellement reconstruire trois de ses lignes intercity pour à la fois augmenter les capacités et raccourcir jusqu’à une heure les temps de parcours avec les principales villes norvégiennes. Au menu : beaucoup de chantiers, de lignes nouvelles, de ponts et de tunnels. Un bel exemple d’amélioration du quotidien régional.

La gouvernance ferroviaire norvégienne

Le secteur ferroviaire en Norvège se compose :

  • de la Direction des chemins de fer norvégiens Jernbanedirektoratet;
  • du gestionnaire d’infrastructure Bane NOR SF, responsable des actifs ferroviaires appartenant à l’État;
  • du loueur public de matériel roulant Norske Tog AS;
  • de l’opérateur public historique Vy (anciennement NSB);
  • de Entur AS qui est un canal national de vente de billets de train. La société collecte également des données de voyage pour tous les transports publics en Norvège;
  • D’une série de délégation de service public;
  • D’opérateurs de fret ferroviaire indépendants.

Le réseau compte 3.848 kilomètres de lignes, soit un peu plus que la Belgique, mais seulement… 290 kilomètres sont à double voie, ce qui est très handicapant pour la capacité du réseau.

Dans ce pays, améliorer le futur de la mobilité des citoyens passe par une large refonte du réseau ferroviaire, fortement handicapé par sa sinuosité et ses lignes à voie unique. Cela induit de faire couler pas mal de béton et de (prudemment) tailler dans son magnifique relief, pour créer des tronçons de lignes nouvelles et rouler à 250km/h là où c’est possible, le tout en ETCS. Objectif : réaliser une réduction des émissions de CO2 de 45.000 tonnes par an.

Le projet InterCity autour d’Oslo

Un chemin de fer moderne desservant les villes des comtés de Vestfold et d’Østfold, ainsi que la rive orientale du lac Mjøsa, élargira la région métropolitaine d’Oslo, créant ainsi une zone urbanisée homogène de 2 millions d’habitants. C’est de cette manière très scandinave qu’est présenté – et justifié -, le projet InterCity autour d’Oslo.

Une étude en 2010 a estimé que la région qui entoure directement la capitale verrait sa population augmenter de 450.000 personnes vers 2040. Un investissement majeur dans les infrastructures de transport était donc nécessaire pour faire face à la croissance du trafic qui en découlerait. L’espace disponible ne permet plus de développer le réseau routier vers Oslo. La Norvège compte donc sur le train – et les transports publics -, pour résoudre les principaux défis posés par une telle croissance de la population.

Les norvégiens ont eu la bonne idée de coordonner ce projet autour de la capitale avec l’étude sur la grande vitesse ferroviaire. Un rapport a fourni plusieurs réponses et recommandations pour le choix des concepts pour trois lignes : Oslo-Halden, Oslo-Lillehammer et Oslo-Drammen-Skien. Les municipalités, les autorités du comté, l’industrie et des organisations citoyennes ont tous été impliqués dans l’étude. Et qu’est-ce qu’on en retient ?

  • qu’il est largement question d’augmenter les capacités sur un réseau réputé pour ses lignes à voie unique, en construisant 230 kilomètres de lignes nouvelles ou dédoublées sur ces trois lignes, avec certains tronçons aptes à 250km/h (tant qu’à faire), permettant d’exploiter 4 InterCity par heure et par sens, en plus du trafic local;
  • qu’on profite des nouveaux tronçons pour augmenter les vitesses et obtenir des gains de temps qui oscillent entre 15 et 30 minutes dans un rayon de 50 kilomètres, mais qui deviennent plus significatifs dès qu’on va plus loin, comme Lillehammer (180km), qui gagnerait 51 minutes ou Skien qui diviserait son temps de parcours presque par deux.
  • que l’ensemble du projet est doté d’un budget estimé à 130 milliards de NOK (12 milliards d’euros), et que sa réalisation nécessiterait au moins une dizaine d’années, sur la base d’un processus de planification de cinq ans et d’une période de construction de cinq ans, bien qu’on pense à plutôt 13 années. On attrappe tout de même mal au coeur en pensant au RER de Bruxelles ou à Stuttgart 21…

Des ponts, des tunnels et du béton

La mise en oeuvre de ce plan InterCity fait donc appel à une combinaison importante de ponts, de tunnels et de dédoublement de sections à voie unique. Dans les dernières décennies, sortir d’Oslo a déjà donné lieu à quelques grands ouvrages d’art :

  • Le tunnel de Lieråsen, 10.723 m de long, a été ouvert à la circulation le 3 juin 1973 . C’était le plus long tunnel ferroviaire de Norvège jusqu’à l’ ouverture de Romeriksporten en 1999. Partant vers l’ouest, il a permis un temps de trajet entre Drammen et Oslo passant de 50 à 31 minutes;
  • le tunnel de Romerik (Romeriksporten), long de 14,58 kilomètres, apte à 210 km/h et ouvert en août 1999. Il part vers l’est jusqu’à Etterstad et est un tronçon de la ligne desservant l’aéroport de Gardermoen.

Nous n’entrerons pas dans tous les détails de ce vaste ensemble de chantiers, mais retenons tout de même ces 7 points singuliers dont les travaux sont déjà en cours (cliquer sur la photo pour agrandir).

Oslo-BaneNor

À noter que chaque chantier dispose de sa page Facebook personnalisée, que nous vous renseignons au fur et à mesure.

Drovebanen Oslo-Lillehammer-Trondheim

Le Dovrebanen s’étend vers le nord sur le côté est de Mjøsa jusqu’à Lillehammer, à travers Gudbrandsdalen avant de monter et de traverser Dovrefjell à Dombås jusqu’à Hjerkinn, de descendre Drivdalen jusqu’à Oppdal et jusqu’à Støren et Trondheim, à 485 kilomètres d’Oslo. C’est donc un maillon essentiel vers le nord du pays. Depuis 1998, cette ligne connait un fort trafic puisque qu’une partie sert de desserte pour le nouvel aéroport de Gardermoen. Elle a déjà obtenu une amélioration avec le tunnel de Romerik évoqué plus haut. Le Dovrebanen a eu 100 ans en 2021.

Plusieurs chantiers la concernent dans le cadre du projet InterCity Oslo. Le but est d’exploiter Oslo-Hamar en 1h (gain de 30 minutes) et Oslo-Lillehammer en 1h30 (gain de 51 minutes). Deux chantiers majeurs se démarquent par leur ampleur : Tangen et Eidsvoll. Dans le premier cas, il s’agit de construire 29,7 kilomètres de lignes nouvelles. Du côté du génie civil, il y a d’abord le tunnel monotube de Hestnes, long de 3.100m, qui débouchera en hauteur de Espa pour traverser le fjord de Tangenvika grâce au sectaculaire pont de 1 040 mètres de long (photo). La double voie continue ensuite à travers la Tangenhalvøya où une toute nouvelle zone de gare sera construite au nord-ouest de l’actuelle. La double voie est aménagée de manière à ce que les trains puissent rouler jusqu’à 250 km/h. On peut suivre ce trajet en 3D à ce lien.

Le second chantier est tout aussi spectaculaire. En 1998, le Gardermobanen (liaison vers l’aéroport), a été ouvert en double voie d’Oslo à Venjar mais au-delà, la voie unique continue jusqu’à la gare d’Eidsvoll, qui est depuis lors un goulot d’étranglement. Il est donc prévu de débloubler la voie vers le nord, direction Tangen, jusqu’à Langset. Outre une série de petits tunnels bi-tubes, il y a surtout le pont de Minnevika (photo), 836m soutenu par 268 pieux dans les masses meubles au fond de l’eau.

Venjar-Langset
Dédoublement en cours. Tout à droite, on distingue une courbe de la ligne « ancienne », à voie unique (photo Bane Nor)

Vestfoldbanen Oslo-Drammen-Narvik-Skien

Le Vestfoldbanen s’étend sur 138 kilomètres de Drammen à Porsgrunn et fut ouvert en tant que chemin de fer à voie étroite vers Skien en 1882. Elle fut ensuite convertie à la voie standard UIC. Le Vestfoldbanen doit être reconstruite en une ligne moderne à double voie. Certains travaux ont déjà été effectués dans le cadre du programme InterCity. En 2016, la nouvelle section à double voie a ouvert de Holm i Sande à travers Holmestrand jusqu’à Nykirke. Ce tronçon de 14 kilomètres contient un tunnel de 12 kilomètres avec une nouvelle station Holmestrand à l’intérieur de la montagne. En 2018, la nouvelle section de Farriseidet à Larvik à Porsgrunn a ouvert. Il s’agit d’une nouvelle voie ferrée longue de 22 kilomètres qui a remplacé l’ancienne ligne obsolète le long de Farrisvannet et à travers Bjørkedalen. Le temps de trajet entre Larvik et Porsgrunn passe alors de 34 à 12 minutes.  

Pour la suite de cette modernisation, les sections impactées sont Drammen – Kobbervik et Nykirke – Barkåker. Les deux sections sont en construction et devraient ouvrir en 2025. Lorsque ces deux chantiers seront livrés, le Vestfoldbanen disposera d’une ligne à doubles voie continue, ce qui rend possible de faire circuler quatre trains par heure dans chaque sens entre Tønsberg et Oslo. Démarré en 2019, le chantier de Drammen comporte deux parties (carte ci-contre – cliquer pour agrandir). La première consiste à repartir en sévère courbe vers le sud avec deux petits tunnels et la réalisation en plein bâti d’une tranchée couverte (photo ci-dessous).

Vestfoldbanen Oslo-Drammen
Réalisation de la tranchée couverte (photo Bane Nor)

Parallèlement, des travaux importants remodèlent la gare même de Drammen. La seconde partie du projet est un tunnel monotube de 6.050m qui rattrape l’ancien tracé ferroviaire plus au sud à Skoger. Ce chantier est réalisé en même temps qu’un autre plus au sud, qui consiste en la construction d’une ligne nouvelle de 13,6 kilomètres comportant deux petits tunnels entre Nykirke et Barkåker au nord de Tønsberg. Le projet comprend une nouvelle gare moderne à Skoppum.

leo-express-railways
Insertion dans les voirues routières existantes (photo Bane Nor)

Østfoldbanen Oslo-Moss-Halden

Cette troisième ligne est également un gros morceau. Non seulement elle traverse une dense région au sud de la capitale norvégienne, mais c’est aussi une ligne internationale en direction de Göteborg en Suède, et par extension Malmö puis Copenhague.

La Østfoldbanen est longue de 170,1 kilomètres entre Oslo S et Kornsjø à la frontière avec la Suède. Le chemin de fer Østfold a été ouvert en 1879 et a été électrifié en 1940. La ligne originale longe la côte via Moss et Fredrikstad, le long de Glomma jusqu’à Sarpsborg avant de se diriger vers l’est jusqu’à Halden et jusqu’à la frontière à Kornsjø. La double voie n’a atteint Sandbukta au nord de Moss qu’en 1996.

On peut y distinguer quatre chantiers : la sortie sud de la gare centrale d’Oslo, le tunnel de Blix, la reconstruction de la gare de Ski et enfin une petite ligne nouvelle à Moss. À Oslo-S, la gare centrale, un important remaniement des voies est en phase finale. Dans le cadre du grand projet Follobane, sept voies ferrées entre Ekebergåsen et Oslo S ont été posées dans un nouveau tunnel de 600 m de long sous le parc historique Middelalder, une des rares parties d’origine médiévale de la capitale norvégienne.

Le second chantier de cette ligne vient tout juste d’être terminé, avec le désormais plus long tunnel ferroviaire de Norvège, le Blix. Ce dernier est long de 18,5 kilomètres et évite ainsi toute la côte escarpée et bâtie au sud-est d’Oslo. Ce tunnel bi-tube a été forés par une joint-venture entre l’espagnol Acciona et l’italien Ghella, avec quatre tunneliers (TBM) distincts, pour un contrat signé en 2015 d’une valeur de 1,215 milliards d’euros. Ce serait le premier tunnel bi-tube de Norvège, en ligne avec les spécifications d’interopérabilité de l’Europe. Bien que la ligne ait été conçue pour une vitesse de 250 km/h, la vitesse des trains sera limitée à 200 km/h jusqu’à ce que l’ETCS soit disponible, soit probablement en 2034.

Cet ouvrage – qu’on appelle aussi Follobane – abouti directement en gare de Ski, à 24,31 kilomètres d’Oslo S, laquelle a déjà été remodelée en deux chantiers entre 2016 et 2022. Deux nouveaux quais dotés de toits voûtés en bois accueillent quatre voies (photo ci-contre Bane NOR/Nicolas Tourrenc). Le temps de trajet entre Oslo et Ski sera divisé par deux, avec un temps de trajet réduit à 11 minutes. Le projet Follobane à Ski comprend également le renouvellement de la ligne Østfold et de nouvelles voies de raccordement. Bane Nor possèderait elle-même environ 12 ha de terrains ferroviaires non bâtis, et sa filiale immobilière prévoit de construire 400 logements, un grand hôtel et un immeuble de bureaux accueillant environ 800 employés, ainsi que des commerces.

Bien plus au sud, le quatrième chantier concerne Moss. Bane NOR construit 10 km de double voie sur le tronçon de Sandbukta au nord à Rygge au sud, comprenant deux tunnels, celui de Moss même et celui de Karlberg. Ces travaux ne seront terminés qu’en 2026 et mettront alors Moss à 30 minutes d’Oslo. Au sud de Moss, la nouvelle voie poursuit jusqu’à Halmstad où elle rejoint le tracé original. Chose amusante, ces chantiers de Moss se trouvent à 10 kilomètres de ceux de Nykirke – Barkåker, dont nous vous parlions plus haut. Sauf qu’il faut traverser l’Oslofjorden en bateau…

Ceci termine ce petit tour autour de la capitale norvégienne. Ces travaux peuvent paraître disproportionnés pour une ville de 650.000 habitants, soit la taille de Stuttgart qui, tient, tient, est aussi aux prises avec de vastes chantiers ferroviaires. Mais le contexte n’est pas le même. Dans le cas présent, la Norvège met tout simplement son réseau à jour et à double voie, ce qui explique cette abondance. Mais cet exemple du nord confirme notre maxime favorite, souvent déclamée dans ces colonnes : pas de bons services trains sans bonnes infrastructures. 🟧

Moss-Halden
Construction d’un tronçon de ligne nouvelle pour éviter la sinuosité de l’existante (photo Bane Nor)

09/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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DeutschlandtaktD-Takt : le grand défi de l’horaire cadencé intégral 2/2
10/05/2021 – Un train toutes les demi-heures de ville à ville et de village à village. Des correspondances pratiques pas trop longues, même en province. Prendre le train partout dans le pays devrait être aussi facile que de prendre le S-Bahn en zone urbaine. Cette seconde partie va détailler l’implication du service cadencé sur les temps de parcours entre les grandes villes allemandes et la place réservée aux nouveaux entrants.


Nouveaux entrants : le choix d’acheter du neuf


04/01/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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C’est une question lancinante pour ceux qui veulent se lancer sur les rails européens : matériel roulant d’occasion ou du neuf ? La question ne pose guère dans les contrats de service public – les OSP -, où l’autorité exige de facto du matériel neuf pour le train du quotidien. Mais dans le secteur grande ligne, il est possible de démarrer avec de l’ancien rénové. Sauf que six opérateurs en Europe ont choisi du matériel neuf.

Lancer une nouvelle compagnie ferroviaire est parfaitement permis par les textes européens et leurs déclinaisons au niveau du droit de chaque état membre. Ces dernières années, de nombreuses initiatives ont éclos mais d’une manière curieuse, on constate que ce sont les sillons horaires qui semblent avoir été le plus facile à obtenir. Il domine l’impression que les futurs nouveaux entrants n’ont pas donner toute l’importance qu’il fallait à la question cruciale du matériel roulant.

Le témoignage le plus récent de cette situation a été le hollandais European Sleeper. Celui-ci avait obtenu l’ensemble de ses horaires assez rapidement pour son train de nuit Bruxelles-Amsterdam-Berlin. Mais le départ fut plusieurs fois reporté par… manque de matériel roulant. Finalement, European Sleeper a pu fin décembre dernier annoncer une date de départ car la société avait enfin le matériel roulant adéquat pour opérer ses services.

Un choix difficile

Plusieurs initiatives en accès ouvert (open access en anglais) ont émargé en Europe, avec des business model différents. Le suédois Snälltåget, le tchèque Regiojet ou l’allemand Flixtrain opèrent des services avec du matériel de seconde main, généralement d’anciennes voitures de la Deutsche Bahn et des ÖBB. Dans certains cas, comme chez Flixtrain, avec de profondes rénovations.

L’acquisition de matériel roulant est le principal défi qui peut compromettre un calendrier. L’homologation du matériel roulant neuf également. Une dimension pas toujours bien calculée chez certains candidats, qui disposent de sillons avant d’avoir le matériel roulant.

Au magazine français Challenge, Alexandra Debaisieux, la directrice générale déléguée, confiait en avril 2022 « qu’il y a un vrai problème de disponibilité de matériel roulant ». À cela s’ajoutait, selon la directrice, l’attentisme des banques qui demandent davantage de garanties, notamment des engagements de l’Etat.

Une autre initiative française vient de la société Le Train, laquelle désire faire rouler des TGV régionaux entre Arcachon, Bordeaux, Angoulême et Poitiers. Prévu en décembre 2022, le lancement du nouveau service est reporté avec, là aussi, un souci de matériel roulant à acquérir.

Mais comment font les autres en Europe ?

Le rôle incontournable des Rosco

De nos jours, quelques nouveaux entrants possèdent leur matériel roulant en propre, mais la maintenance est presque toujours déléguée d’une manière ou d’une autre. Un tas d’ateliers privés permettent cette fonction, ce qui a permis de maintenir des espaces existants en vie et de créer de l’emploi et du savoir-faire. Parfois c’est le constructeur lui-même qui fait l’entretien, comme par exemple à Nola pour Alstom qui s’occupe de la maintenance des rames de NTV-Italo.

Dans d’autres cas, l’acquisition du matériel roulant se fait par le biais de Rosco, des Rolling Stock companies, lesquelles louent le matériel roulant choisi par le nouvel entrant ou loue le stock existant de la Rosco. Il s’agit ici de contrats de location simple plutôt que des contrats de location-financement, ce qui signifie que les actifs sont théoriquement restitués au Rosco à la fin de la période de location. Cela signifie également que les Rosco assument la plupart des risques liés à la propriété et à l’entretien du matériel roulant. La maintenance est aussi réalisée par externalisation vers des ateliers agréés, parfois ceux du constructeur lui-même.

La crise financière de 2008 a provoqué… une crise de confiance de la part des banques, lesquelles ont déserté les principales Rosco notamment en Grande-Bretagne, en revendant leurs parts à des sociétés de capital-investissement. Tony Mallin, alors CEO du consortium STAR Capital, expliquait à l’époque ce revirement par le fait que les banques n’étaient peut-être pas les mieux placées pour investir directement dans le métier de loueurs de trains et dans la gestion de ce type de risques.

Aujourd’hui, les Rosco d’Europe sont détenues par des sociétés d’investissement associés à des sociétés de services financiers ou des sociétés d’investissement dans les infrastructures. Mais des montages plus directs via des constructeurs existent aussi, moyennant un dosage assez savant du partage des risques entre les parties prenantes.

Car le grand risque est la longueur des contrats et l’amortissement. Des Rosco britanniques avaient déjà tirer la sonnette d’alarme : au terme de 10 ou 15 années, le matériel roulant est rendu aux Rosco, lesquelles doivent impérativement trouver un nouveau client pour relouer. Or, la plupart des nouveaux clients rechignent à reprendre du matériel « ancien » – même en très bon état -, et préfèrent s’engager sur du neuf ! Avec le risque d’un entreposage nuisible au matériel roulant « ancien » (généralement à mi-vie) et, en fin de compte, une dépréciation très rapide des actifs, ce dont les banques ont horreur. Pas simple…

Ils ont choisi du matériel neuf

Compte tenu de ce qui précède, certains opérateurs ont préféré l’acquisition de matériel neuf pour lancer leurs services. Dans beaucoup de cas cependant, l’acquisition ne s’est pas faite par le biais de loueurs ayant « pignon sur rue » mais par des montages financiers plus particuliers.

Trenitalia et SNCF ont certes des rames neuves qui roulent à l’étranger dans le cadre de l’open access, en France et en Espagne pour l’instant. Elles peuvent donc être qualifiées de « nouvel entrant » apportant du matériel neuf mais, s’agissant d’entreprises publiques historiques ayant des sources de financement public, les conditions d’acquisition sont évidemment très différentes par rapport à de véritables nouveaux entrants qui partent d’une feuille blanche.

WESTbahn
L’autrichien WESTbahn a commencé ses services le 11 décembre 2011 sur la liaison Vienne-Linz-Salzbourg. L’opérateur avait opté pour de l’achat neuf avec un financement couvrant au total 16 rames Stadler KISS à 2 niveaux. Les conditions de ce financement se révélèrent trop lourdes pour l’entreprise. Mais plutôt que d’opter pour un refinancement, WESTbahn s’engagea à revendre ses KISS existantes et à en acheter d’autres avec de meilleures conditions.

C’est Austrian Train Finance AG qui prît en charge le financement de la nouvelle flotte de 15 automotrices KISS Stadler d’une valeur d’un peu moins de 300 millions d’euros. Par ailleurs, Westbahn envisage de louer quatre rames au constructeur chinois CRRC, et de les utiliser dans cinq pays d’Europe, dont l’Autriche, l’Allemagne et la Hongrie, sur des relations existantes ou à venir.

Leo-Express
Ce nouvel entrant tchèque a débuté ses opérations en décembre 2012 sur la ligne Prague-Ostrava, à l’aide cinq automotrices Stadler First financées auprès de Credit Suisse AG. Le contrat était basé sur les paramètres du marché prévus à l’époque, notamment en ce qui concerne le prix moyen des billets. La croissance de l’entreprise avait cependant été freinée par un service de la dette déraisonnablement élevé, qui consommait tout le flux de trésorerie disponible de l’entreprise, s’élevant en 2019 à environ 120 millions de CZK par an (4,96 millions €).

A l’examen, il apparaissait aussi que le financement du Credit Suisse AG ne correspondait plus à la durée de vie des rames Stadler Flirt acquises. En outre, l’effet négatif du financement et du montant du service de la dette avait un impact sur l’évaluation faite par les agences de notation, un critère souvent pris en compte dans les négociations avec des partenaires contractuels.

En aout 2019, un refinancement des cinq unités électriques Stadler Flirt devenait effectif avec leur vente à la banque Raiffeisen Leasing, s.r.o. avec laquelle il a conclu un contrat de crédit-bail de 10 ans. Le service de la dette passa alors à environ 33 millions de CZK (1,37 million €) versés chaque année. Au terme de la période de dix ans, les rames reviendront à la pleine propriété du transporteur.

MTR Nordic Group
Filiale de MTR Corporation (Hong-Kong), MTR Nordic Group est une société scandinave qui dispose de 7 entités en Suède, dont MTR Express AB qui exploite des trains longue distance sur les 455 km entre Stockholm et Göteborg sous la marque MTR Express. Le service de MTR Express, opérationnel depuis le 21 mars 2015, utilise six automotrices Stadler Flirt Nordic classées X74 et aptes à 200 km/h. Le contrat signé en 2013 était assorti du programme de maintenance pour lequel MTR Tech, une autre filiale de MTR Nordic, dispose d’un atelier spécifique à Solna au nord de Stockholm. Cet atelier est en réalité une location auprès de Jernhusen, la société immobilière qui possède et exploite les gares et autres bâtiments liés au réseau de chemin de fer suédois.

Constat intéressant : pour ces trois nouveaux entrants, c’est le constructeur suisse Stadler qui fut choisi, avec des automotrices configurées pour les longues distances.

NTV-Italo
En novembre 2007, NTV signait avec Alstom un contrat pour la fourniture et la maintenance de 25 trains AGV 575, avec une option pour 10 trains supplémentaires. NTV a été le premier opérateur ferroviaire à acquérir des trains AGV d’Alstom. Et le contrat fut signé bien avant les détails opérationnels et les sillons horaires. En octobre 2015, cette flotte était complétée par 17 rames de la famille Avelia d’Alstom, représentant la série ETR 675 EVO qui est une évolution de la famille Pendolino d’Alstom.

Il s’agit pour NTV-Italo d’une acquisition pure mais le fait d’avoir entièrement externalisé la maintenance de sa flotte de trains à Alstom a contribué à ajuster davantage le coût global des trains. Ainsi, en 2017, les coûts des trains (correspondant à l’amortissement du matériel roulant et à la gestion des rames) représentaient 25,5 % des coûts totaux, ce qui prouve l’importance d’évaluer la sélection de ce type d’actif en fonction des coûts d’exploitation et du plan de maintenance associé. NTV-Italo a semble-t-il bénéficié d’un coût d’achat unitaire compétitif en commandant une flotte de trains assez importante, contrairement au fait d’avoir commencé les opérations avec une flotte plus petite, ce qui aurait probablement entraîné un coût plus élevé par train.

Midnight Trains
Midnight Trains est une start-up française de train de nuit. L’entreprise vise à remettre les voiture-lits en service dans toute l’Europe. Le premier trajet devrait ouvrir en 2024, avec un réseau pleinement opérationnel d’ici 2030 partant de Paris et menant vers l’Espagne, l’Italie, le Portugal, l’Allemagne, le Danemark et… l’Écosse !

D’après leur dernière newsletter, l’achat du matériel ne serait pas imputé sur l’actif financier, ce qui signifie qu’on partirait sur le modèle du leasing, avec une Rosco dont certains pensent qu’il s’agirait du britannique Beacon Rail, une filiale de JP Morgan Chase & Co très active outre-Manche. Peu de précisions à l’heure de boucler ces lignes, mais des indices laisseraient croire à du matériel neuf. C’est d’autant plus probable que les constructeurs de voitures-lits sont très peu nombreux en Europe et que le matériel roulant d’occasion est épuisé…

Outre-Manche

La Grande-Bretagne nous montre aussi des exemples de nouveaux entrants ayant acquis du matériel neuf, non pas sur demande d’une autorité, mais de leur propre initiative. Les deux premiers exemples mentionnent des opérateurs en open access – donc hors franchises -, qui ont commencé leurs opérations avec du matériel roulant ancien avant d’opter pour du neuf.

Hull Trains
Il s’agit du plus ancien opérateur ferroviaire en open access puisque ses services ont commencé en septembre 2000. Il appartient au géant du transport FirstGroup, et exploite des services voyageurs longue distance entre London King’s Cross et Hull / Beverley. Hull Train dispose d’un droit d’accès aux voies jusqu’en décembre 2032 et exploite à ses propres risques jusqu’à cinq allers-retours quotidiens entre Hull et Londres King’s Cross en semaine.

Lorsque Hull Trains a commencé ses opérations le 25 septembre 2000, elle exploitait exclusivement une flotte à l’époque nouvelle de 4 rames ADtranz/Bombardier Turbostar Class 170, pas vraiment conçues pour de tels services. Elle passa ensuite aux Class 222 déjà mieux équipées, puis aux Class 180 Adelante avant de passer à cinq rames Hitachi Class 802. Hull Trains est la démonstration parfaite de la nécessité d’avoir une Rosco pour soutenir une telle politique.

Grand Central
Il s’agit d’une société d’exploitation ferroviaire filiale d’ Arriva UK Trains, et qui exploite deux services voyageurs depuis décembre 2007 entre Londres et Bradford, d’une part, Londres, York et Sunderland d’autre part. Dans un premier temps, l’opérateur a eu recours à un vaste jeu de chaise musicale du matériel roulant pour débuter ses opérations, avec des HST 125 et des rames tractées.

En 2009, Grand Central pu louer à Angel Trains cinq rames Alstom Coradia appelées Adelante Class 180, du matériel roulant provenant du Great Western et construit entre 2000 et 2001. Ce n’était plus vraiment du neuf à proprement parlé mais ce n’était pas du vieux non plus. Cela suffit à l’opérateur pour couvrir ses 4 A/R sur chacune des deux branches. La flotte de Grand Central est entretenue dans les dépôts de Heaton et Crofton.

Lumo
Ce n’est pas un Japonais mais bien une filiale du groupe britannique First Group, premier acteur ferroviaire du Royaume-Uni. Fruit de son expérience sur l’opérateur en open access Hull Train, FirstGroup répondit à l’appel à manifestation d’intérêt de l’ORR, qui lui octroya en mai 2016 un accord de 10 ans pour d’exploiter entre Londres et Edimbourg cinq allers-retours par jour et par sens via les gares intermédiaires de Stevenage, Newcastle et Morpeth.

Démarré le 25 octobre 2021, Lumo a d’emblée utilisé de fait 5 rames… japonaises Hitachi Rail Class 803 neuves commandées en mars 2019 et financées par Beacon Rail Leasing Ltd dans le cadre d’un contrat de 100 millions de livres sterling sur 10 ans (117 millions d’euros). Les rames sont ici monoclasse et circulent à raison de 5 A/R par jour en semaine.

Grand Union Trains
Un quatrième opérateur en libre accès aurait obtenu en décembre dernier des droits d’accès pour 10 ans à compter de décembre 2024 pour couvrir cinq services aller-retour quotidiens entre Carmarthen et Londres Paddington, avec des arrêts intermédiaires à Llanelli, Gowerton, Cardiff Central, Newport, Severn Tunnel Junction et Bristol Parkway. On parle ici du pays de Galles.

Grand Union s’est dit « très satisfaite » de l’approbation mais reconnait « qu’il reste encore beaucoup de travail à faire » avant le lancement de ces services. Le futur opérateur négocie un partenariat stratégique avec l’opérateur national espagnol RENFE pour exploiter les services, avec le soutien financier de la société espagnole de capital-investissement Serena Industrial Partners. L’image de synthèse nous montre à nouveau une probable acquisition de rames Hitachi Class 803, mais il n’y avait pas plus de précisions à l’heure d’écrire ces lignes.

En définitive…

Sans surprise en Grande-Bretagne, Hitachi Rail et ses Class 802 et 803 dominent le paysage. Une grande partie de ce matériel roulant est construit en Grande-Bretagne, avec le gabarit ad-hoc. Mais Hitachi Rail, qui construit déjà le train à grande vitesse de Trenitalia, dispose ici d’une carte intéressante sur le segment des trains V200, ces intercity qui peuvent rouler vite sans avoir la taille et la puissance du TGV.

Or en Europe continentale, c’est plutôt Stadler qui domine, comme on l’a vu avec Leo-Express, WESTbahn et MTR Express. Hitachi serait-elle tentée par venir titiller ce marché continental V200 avec ses Class 803 ou futurs ? Pourquoi pas, mais tant Alstom que CAF peuvent aussi rivaliser sur ces trains configurés grande ligne.

Quoiqu’il en soit, ces exemples nous montrent les possibilités d’acquérir du matériel neuf. Il faut cependant bien distinguer qui prend les risques, lesquels et à quelle hauteur. Une question cruciale pour tout nouvel entrant, car le ticket d’entrée est diablement lourd. La tentation est grande pour d’autres de débuter avec du matériel éprouvé, tout dépend du modèle économique adopté. RegioJet, par exemple, a principalement acheté de l’ancien mais dispose d’un contrat de fourniture de voitures neuves avec le roumain Astra.

Par ailleurs, il y a la question cruciale de la traction et du personnel de conduite. Les exemples énoncés ci-dessus montrent une utilisation exclusive de l’automotrice, ce qui implique que les nouveaux entrants disposent de leur propre personnel de conduite. Cette fonction peut être déléguée chez des tractionnaires purs, comme le font par exemple Flixtrain ou European Sleeper, mais il s’agit là de rames tractées. Ce devrait être probablement le cas pour Midnight Train, qui devra trouver un ou des partenaires pour cette fonction.

Dans beaucoup de cas, le constructeur a pris en charge l’homologation nationale, soulageant le client opérateur. En retour, cela permet à un constructeur d’avoir un pied sur un nouveau terrain de vente et de pouvoir fournir une démonstration grandeur nature. Le passage par des montages de crédit-bail ou assimilé semble incontournable. Les risques de ces contrats doivent cependant être bien mesurés pour ne pas devoir être étranglé comme ont pu l’être WESTbahn et Leo-Express.

Ce bref panorama non-exhaustif montre aussi qu’il ne peut y avoir, comme pour les locomotives, de solutions standardisées. Chaque opérateur a ses critères et un environnement de marché particulier, ce qui implique une solution individualisée. 🟧

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04/01/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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👉 Suite de la première partie : 1996 – 2019, le temps des franchises

Pourquoi le système précédent s’est écroulé ?

On se rappellera que pendant près d’une décennie, grosso modo de 2004 à 2014, les opérateurs de trains en Grande-Bretagne versaient à l’État d’importantes primes en échange de l’usage exclusif de leur franchise.

Les redevances d’accès à Network Rail ayant été réduites et la fréquentation et les recettes ayant augmenté sur la même période, on en était arrivé à une situation où les opérateurs avaient réussi à générer plus d’argent que les subventions provenant du gouvernement. Cette situation a été qualifiée de « prime nette » et peut constituer comme étant l’âge d’or du franchisage.

Mais voilà, au cours des années 2016-2018, des inquiétudes diverses concernant un ralentissement mondial, les divers attentats (Londres, Manchester,…) et les perspectives du Brexit ont nui à la croissance de l’économie de la Grande-Bretagne. L’impact de ces causes à priori exogènes s’est rapidement fait sentir avec une stagnation des voyages en train et des revenus correspondants. À la longue, les généreuses primes versées au Trésor britannique finirent par fondre comme neige au soleil. Les belles années étaient terminées…

L’ORR, le régulateur ferroviaire britannique, peut facilement démontrer cette chute des primes versées par les opérateurs (en vert), conjuguée à une hausse soudaine des subventions (en orange) :

Great-british-railway
(Graphique Modern Railway, basé sur les données ORR)

Un rapport

Économie plombée, perspectives plombées, manque de candidats pour les renouvellements de franchises, discussions sans fins et critiques du système, la franchise était clairement en voie d’extinction, mais il a fallu beaucoup de temps au pouvoir conservateur de Boris Johnson pour l’admettre. Le grand chaos des horaires de mai 2018, sur les réseaux nord et sud-est, sonna la charge ultime. Le secrétaire d’État aux Transports de l’époque, Chris Grayling, commanda alors « une révision » pour calmer les esprits échaudés.

C’est l’ancien CEO de British Airways, Keith Williams, qui s’y colla, ce qui avait un moment suscité quelques craintes, et le nouveau plan à paraître fut alors connu sous le nom de « Williams Review ».

Force est de constater que Keith Williams s’acquitta plutôt bien de sa tâche. En 2019, lors d’un discours à Bradford, il exposa que « ce qui a fonctionné pendant les 25 années qui ont suivi la privatisation est maintenant devenu un frein pour le secteur. Cela entrave la collaboration, empêche le chemin de fer de fonctionner comme un système et encourage les opérateurs à protéger les intérêts commerciaux. »

Pour ensuite détailler ses objectifs et vouloir :

  • S’attaquer à la fragmentation, au court-termisme, au manque de responsabilité et aux conflits d’intérêts qui résultaient des structures du secteur ;
  • Veiller à ce que les chemins de fer britanniques soient financièrement viables pour les contribuables et les usagers et
  • Améliorer l’accessibilité.

Williams avait dans l’idée de rassembler les responsabilités jusque-là éparpillées entre le ministère des Transports (DfT), Network Rail et le régulateur, l’ORR. Mais, précisa-t-il, « avec une plus grande distance entre le gouvernement et la gestion quotidienne des chemins de fer », ce qui excluait de facto toute forme de nationalisation et de retour à British Rail, comme en rêvait encore le bouillant leader travailliste de l’époque, Jeremy Corbyn.

En janvier 2020, le ministre Chris Heaton-Harris, s’adressant à un débat à la Chambre des communes, montrait la voie qui allait être « probablement » suivie : des opérateurs privés sous concession. La nuance avec la franchise est importante : le cadre juridique est en effet différent. Dans un modèle de concession, un organisme public conserve le « risque de revenus » plutôt que de le transférer à l’opérateur désigné et les soumissionnaires n’ont généralement pas à produire d’échéanciers ou de prévisions de revenus.

Une certaine forme de régionalisation est aussi mise en avant, afin « d’influencer et d’éclairer les décisions concernant les services et les mises à niveau [régionales] ». En bref un chemin de fer plus conforme aux désirs locaux et moins ligoté au ministère.

Puis vint la pandémie

En mars 2020, la Grande-Bretagne subissait les conséquences de la pandémie comme toute l’Europe et même le monde entier. Les restrictions de déplacements décrétées par le gouvernement Johnson se traduisirent par une fonte drastique des flux, entraînant des recettes nulles pour les opérateurs, et donc des primes réduites à zéro si on compare à l’ancien système des franchises.

Ce fût d’ailleurs l’inverse qui arriva. Dans l’urgence, le gouvernement Johnson créa des mars 2020 des emergency measures agreements (EMAs), des mesures d’urgence avec tous les opérateurs (TOC) afin d’atténuer les impacts financiers résultant de la pandémie de coronavirus et de garantir que les services ferroviaires puissent continuer à fonctionner.

En septembre 2020, ces EMAs étaient remplacées par des emergency recovery measures agreements (ERMAs), une mesure transitoire menant à de nouveaux (NRCs) qui furent négocié au début de 2021.

Conséquence de tout cela : la subvention nette aux opérateurs augmentait de 700 millions £, soit +127,4 %, pour atteindre un total de 1,2 milliard £ en 2020. Selon l’ORR, l’impact du Covid en mars 2020 représentait 0,3 milliard £ de cette augmentation, tandis que les 0,4 milliard £ supplémentaires étaient attribués à « un certain nombre de raisons » sans préciser lesquelles.

On peut dire que la pandémie à en quelque sorte entériner pour de bon les idées de Keith Williams.

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Un nouveau plan

En mai 2021, la Williams Review, renommée « The Williams-Shapps Plan for Rail », du nom de l’ancien Secrétaire aux Transports de l’époque, était enfin publiée avec les idées relatées plus haut. L’élément central du plan était la création de Great British Railways, un organisme directeur unique que beaucoup ont un peu trop traduit par « nationalisation ». Malgré le grand flou qui entoure sa mise en œuvre, il devenait rapidement clair que de nationalisation, il n’y en aurait point.

Pas mal d’anciennes franchises furent cependant reprises par des OLR, operator of last resort qui appartiennent à l’État, afin de permettre une certaine continuité du service ferroviaire.

Mais cette reprise suscita beaucoup de commentaires en sens divers. Elle coïncida en effet avec les hausses de prix de l’énergie et des craintes concernant le pouvoir d’achat. Les syndicats se retrouvèrent à négocier avec des gouvernements plutôt qu’avec des opérateurs. Ces moments troublés ont pu offrir une opportunité pour remettre les choses à plat, notamment en matière de temps de conduite. La reprise du trafic s’est en quelque sorte fait dans la douleur. En Écosse, la « nationalisation » des trains d’Abellio, par exemple, se solda rapidement par 30% de trains en moins à l’horaire de mai 2022.

Côté politique, les travaillistes semblèrent divisés. Si la base voudrait voir revenir le chemin de fer « à la propriété publique, » leur leader Keir Starmer voulait à tout prix faire oublier « le désastre Corbyn » qui leur ont fait perdre les élections de 2019. Sur la question ferroviaire, Starmer déclara en juillet 2022 qu’il voulait être « pragmatique sur [la nationalisation] plutôt qu’idéologique. »

NRC et PSC, c’est quoi au juste ?

L’enrichissement du jargon ferroviaire britannique mérite à coup sûr, avant d’aller plus loin, quelques éclaircissements.

NRC : National Rail Contracts. Une mesure transitoire. Le Dft – donc l’État britannique -, prend en charge une grande partie des risques liés aux recettes et aux coûts jusqu’à un plafond convenu individuellement avec chaque opérateur. Les NRC ne durent qu’un temps, parfois assez long comme le GWR (Great Western Railway), qui dispose d’un NRC de 3 ans. Les opérateurs concernés ont des NRC moins longs et sont répertoriés à cette page.

PSC : Passenger Service Contracts. Sa création indique bien qu’il n’y aura pas de nationalisation dans un grand ensemble, mais des contrats séparés.  Les PSC doivent remplacer « à terme » les NRC transitoires. Les conditions doivent encore être confirmées mais le plan Williams-Shapps stipule que les PSC « inciteront les opérateurs à répondre aux priorités des usagers et les inciteront à accroître l’utilisation du rail« . Chaque contrat sera différent, afin de refléter les marchés et les besoins locaux, et sera conçu pour répondre aux besoins des voyageurs et de l’ensemble du réseau, dans le cadre d’un système intégré.

Il est à noter que les britanniques ne semblent toujours pas vouloir faire la différence entre le transport régional – forcément déficitaire -, et le transport grande ligne qui pourrait survivre sans subsides et sans nécessairement de « contrat » avec une autorité. C’est une différence marquante avec la gouvernance européenne.

Un retour « comme avant », vraiment ?

Aux incertitudes de la reprise et de la fièvre sociale, s’est ajouté une donnée sociétale : va-t-on retrouver les trafics d’antan ? Et de quel type ? Vers la fin du mois d’août 2022, le nombre de voyageurs au Royaume-Uni oscillait entre 86 et 95 % des niveaux prépandémiques, selon les jours. Mais cette heureuse embellie fût rapidement plombée par les grèves à répétition qui ont affecté le rail britannique tout au long de l’été et de l’automne.

En outre, le modèle économique semble avoir changé. La répartition de la demande entre les trajets domicile-travail, les déplacements professionnels et les loisirs va avoir un impact profond sur les recettes. De plus, un aplatissement des heures de pointe est aussi susceptible d’impacter la tarification différenciée, et donc d’amoindrir encore un peu plus les recettes.

Une réflexion profonde est en cours pour déterminer de nos jours ce qu’est exactement un « week end », et les billets qui avaient cette qualification. Ce qui, là aussi, impacte sur la billetterie. Les vendredis semblent en effet être devenus un jour de voyages « loisirs », ce qui n’était pas le cas en 2019.

Et ensuite ?

Lorsque que Rail Business UK interrogea début 2022 le secteur ferroviaire britannique sur les perspectives post-Covid, un consensus émergea dans les interviews pour insister sur le fait que si rien n’était fait pour faire avancer la réforme, la croissance du rail de ces deux dernières décennies pouvait brutalement s’arrêter. Une perspective contraire aux promesses électorales prises en faveur de climat.

Great British Railway n’est jusqu’ici qu’un simple ensemble de trois mots. Tous les observateurs avisés ne pouvaient pas encore, début 2023, expliquer exactement en quoi consisterait le Great British Railway prévu dans le plan Williams-Shapps.

L’ORR, le régulateur, confirmait en octobre 2022 « qu’il était peu probable que GBR soit établi avant le début de la période de contrôle 7 (CP7), » qui débute en avril 2024 ! Le 7 décembre 2022, Mark Harper, le nouveau secrétaire d’État aux Transports du gouvernement Sunak, déclarait à la commission des transports de la Chambre des communes qu’il n’était pas en mesure de donner un calendrier pour l’élaboration de la législation nécessaire à la création de Great British Railways.

Une embellie, tout de même : le gouvernement Sunak a publié le 1er décembre 2022 les objectifs et les fonds disponibles pour l’infrastructure ferroviaire opérationnelle en Angleterre et au Pays de Galles entre avril 2024 et mars 2029. Il s’agit donc du CP7 (Control Period 7), qui constitue une mise à jour régulière du développement opérationnel et de la maintenance des chemins de fer dans les territoires concernés (donc hors Écosse). Network Rail sera engagé sur un budget de 53 milliards d’euros pour cinq ans. Sans attendre la naissance du Great British Railways.

On en est là pour le moment, mais une réflexion s’impose malgré tout : le cas britannique est véritablement un monde à part. L’Europe n’a jamais promulgué un politique ferroviaire si particulière et tellement anglo-saxonne. On ne comprend dès lors pas pourquoi on s’échine encore – jusque dans nos académies -, à prendre cet exemple d’Outre-Manche en comparaison avec nos propres politiques européennes. Probablement par manque d’arguments envers certaines réussites du Continent ? 🟧

GWR-railways
(photo GWR)

27/12/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Articles complémentaires :

Le rapport Williams-Shapps
En mai 2021, le Williams-Shapps Plan for Rail était enfin publié avec les idées relatées dans l’article. L’élément central du plan était la création de Great British Railways, un organisme directeur unique. Le rapport comporte aussi d’autres solutions pour un chemin de fer tourné vers l’intérêt des voyageurs. À ce lien on accède directement au rapport sous format pdf.


La politique ferroviaire en Grande-Bretagne : 1996 – 2019, le temps des franchises – Comme le rappelait un ministre des Transports dans les années 90, les British Railways (BR) manquaient d’efficacité parce que, en tant qu’organisme public, leur programme d’investissement restait toujours limité par les finances publiques. Nationalisés en 1948, les services voyageurs de British Rail avaient été réorganisés en 1982 en trois secteurs clés : InterCity, Réseau Sud-Est et Chemins de Fer régionaux. Évocation des 25 années de franchises en Grande-Bretagne.


Le transport ferroviaire en Grande-Bretagne
– Une petite page de synthèse sur le transport ferroviaire au Royaume-Uni. Qui gère le réseau, quel est la tutelle gouvernementale, comment fonctionnent les trains régionaux, intercity ou de fret ? On passe en revue les principaux thèmes, les associations et la politique ferroviaire qui évolue au gré du temps.