Faut-il imiter Vienne et son abonnement transport public à un euro par jour ?

Deux rames se croisent à Vienne (photo Paul Korecky via license flickr)

Les Viennois font sensation avec leur fameux abonnement annuel au prix symbolique de 365 euros, soit un euro par jour ! Mais il faut bien y regarder de plus près : les 365 euros ne s’appliquent que si vous payez le billet d’une traite. Si vous payez mensuellement, le total grimpe 396 euros. De là émerge rapidement le débat sur les publics visés, ceux qui peuvent payer d’une traite… et les autres.

Et pourtant : à Vienne, pas loin de la moitié de la population possède un abonnement annuel pour les bus, tram et métro du transporteur local Wiener Linien, soit 822.000 abonnements enregistrés sur les 1,8 million d’habitants que compte la capitale autrichienne. Ce nombre est supérieur à celui des voitures immatriculées dans les circonscriptions de la ville. Inversement, en termes de vélos en libre-service, Vienne, avec son maigre 7%, est très loin derrière de nombreuses villes comparables en Europe, où ce pourcentage est double. Mais gare aux comparaisons…

Presque tous les Viennois vivent à cinq minutes de marche à pied d’un arrêt de transports publics. Ils parcourent 38% de leurs trajets quotidiens en métro, en tram (affectueusement appelé «Bim») ou sur l’une des 140 lignes de bus de la ville. Comparée à d’autres villes d’Europe, cette valeur tombe à 27% à Berlin, la capitale étant encore la mieux lotie d’Allemagne : c’est 23% à Munich et seulement 18% à Hambourg. Des billets moins chers augmenteraient-ils ce ratio ? C’est toute la question.

Cependant, une chose est claire : les transports publics viennois relativement bon marché et leur part élevée dans le mix urbain sont une décision politique en dépit d’une capitale lourdement endettée, comme beaucoup d’autres. En 2006, la coalition sociale-démocrate, au pouvoir sans interruption dans la capitale autrichienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a lancé un ambitieux chantier de prolongement et de modernisation de ses transports publics. Or tout cela a un prix.

Comme Vienne accorde aussi moins d’attention au recouvrement des coûts, ce sont près de 700 millions d’euros de subventions de fonctionnement qui sont nécessaires pour mener une telle politique. Toutes les villes d’Europe n’ont pas cet argent. Une offre annuelle de 1€ par jour coûterait à une ville relativement petite comme Bonn près 23 millions d’euros supplémentaires par an.

Pour trouver l’argent, la capitale autrichienne a eu la main lourde. Depuis qu’elle a introduit son célèbre billet à 365€ en 2012, son financement se fait principalement par deux mesures drastiques :

  • la gestion des places de parking: tous les revenus des frais de stationnement vont à Wiener Linien;
  • L’instauration d’une «taxe de métro » payée par tous les employeurs, initialement destinée à l’extension du métro. Depuis 2012, cela représente deux euros par employé et par semaine. Avant cela, c’était 72 cents. Cela ressemble un peu au fameux “versement transport” en vigueur en France, avec les nuances d’usage.

Si les résultats sont à la hauteur en termes de fréquentation, la réalité statistique montre que la part des transports publics dans la répartition modale n’a augmenté que d’un à deux pour cent depuis l’introduction de la carte à 365 euros, ce qui tempère l’analyse…

La coalition municipale rouge-verte de Vienne veut qu’en 2025, 80% des déplacements urbains se fassent à pied, à vélo ou en transports en commun. Étant donné que la répartition modale a peu changé au cours des dernières années, cet objectif sera très certainement manqué au cours des prochaines années.

Imiter Vienne ?
« Pas à pas, je veux atteindre l’objectif d’introduire un ticket de transport public annuel pour 365€, » tonitrue le maire de Berlin, Michael Müller, au Neue Zürcher Zeitung. Un abonnement annuel coûte normalement 761€ dans la capitale allemande. « De nombreuses villes allemandes aimeraient certainement faire la même chose, mais ce n’est pas possible ici  », explique Lars Wagner de l’Association des entreprises de transport allemandes (VDV). En cause : les autorités locales ne sont pas autorisées à créer de nouveaux impôts en vertu du droit allemand. Elles peuvent néanmoins jouer sur le stationnement, mais c’est oublier que l’Allemagne est avant tout… le pays de l’automobile, qui n’entend en rien sacrifier son industrie fétiche. C’est aussi la même chose dans d’autres pays. Mais l’argument fiscal n’est pas tout.

Le métro de Berlin (photo Ingolf via license flickr)

Vienne a commencé à s’éloigner de la politique automobile relativement tôt au XXème siècle : le centre-ville a été progressivement fermé à la circulation automobile dès les années 1970. Rappelons qu’à la même époque, la Grand Place de Bruxelles n’était encore qu’un vaste parking, inimaginable aujourd’hui. Les viennois se sont donc habitués…

Quid de la couverture des coûts ?
Cette question, hautement politique, consiste à trancher si c’est l’usager ou le contribuable qui doit payer les coûts des transports publics locaux, ou un mix des deux : « il risque d’y avoir de sérieux problèmes de financement, » explique Wagner. « Avec un ticket à 365 euros, la couverture des coûts est nettement insuffisante. » Sous-entendu, il faut subsidier, trouver d’autres sources de financement, rassembler, mettre différents intervenants sur la même longueur d’onde. Un vrai chemin de croix…

A Berlin, tout cela fait actuellement l’objet de discussions à la fois par les Verts et au sein de la coalition du Land. Dans ce débat, la ville a soutenu qu’un prix bas n’attirerait pas nécessairement les foules dans le métro. Oliver Friederici, porte-parole de la CDU pour la politique des transports rétorque que le transport local de Berlin est sous-financé, et que donc « chaque euro est nécessaire. » En échos, le patron des transports publics berlinois, Sigrid Nikutta, a récemment déclaré que les prix des billets bon marché ne sont « pas compatibles avec l’expansion du réseau de BVG. »

Les chiffres lui donnent raison : à Vienne, la couverture des coûts des billets est d’à peine 60%, à Berlin on grimpe à 70%. La moyenne allemande est même de 78%, explique Wagner : « sur ce point l’Allemagne est au top en Europe. » La viabilité économique des entreprises est le principal critère en Allemagne, dit-il. Le VDV souligne à ce titre qu’avec une telle mesure d’abonnement à bas prix, ce serait près de 13 milliards d’euros de manque à gagner annuel qu’il faudrait compenser pour couvrir tous les transports publics d’Allemagne !

Du côté de la gare de Bonn… (photo Michael Day via license flickr)

Le fameux modal shift
Jusqu’à présent, les recherches à Vienne n’ont pas été suffisantes pour déterminer si un tel abonnement annuel encourage réellement un nombre important de personnes à passer des voitures aux transports publics locaux. L’introduction du billet de 365 euros à Vienne s’est certes accompagnée d’une augmentation drastique des frais de stationnement pour les voitures. Mais l’inconvénient d’un tel abonnement est l’obligation d’avoir la capacité suffisante pour transporter le nombre accru de passagers. Plus de trams, bus ou métro, ainsi que des rames plus longues circulant à une fréquence plus élevée semble être la réponse évidente, mais comment financer cette hausse des véhicules avec moins de revenus du côté de la billetterie ?

Comme l’écrivait The Guardian, un billet de 365€ est testé depuis le début de l’année à Bonn et dans la ville de Reutlingen, dans le sud-ouest. Dans le cadre de l’initiative «Ville pilote» (Lead City), Essen, Herrenberg et Mannheim recoivent également un financement du gouvernement fédéral pour examiner si d’autres formes d’abonnements à prix réduit peuvent persuader les habitants de laisser leur voiture au garage et d’emprunter les transports publics.

L’association de voyageurs Pro Bahn critique le projet «Lead City». À Bonn, ceux qui ont déjà un pass annuel ne sont pas autorisés à échanger leur abonnement contre la nouvelle offre. De plus, le projet ne dure que douze mois et est limité à la ville même de Bonn. Ce qui signifie que la majorité de la clientèle captive, qui vient surtout de la périphérie ou des bourgs plus lointains pour le domicile-travail, en sont exclus. La ville sans voitures ne serait dès lors qu’un rêve…

À Munich, l’association des transports de la capitale bavaroise, la MVV, vient d’annoncer qu’elle introduit cette année un pass annuel à un euro, mais uniquement…pour les étudiants, les écoliers et les stagiaires. Or, il s’agit là d’un public majoritairement sans auto. Les politiciens bavarois prennent ainsi aucun risques puisqu’ils peuvent contenter tout le monde : les étudiants sont ravis, et les aînés aussi, puisque pour eux rien ne change au niveau automobile !

Le billet de 365€ coûterait à MVV environ 30 millions d’euros par an de subsides complémentaires, un fardeau qui sera partagé par le Land de Bavière, qui contribuera aux deux tiers environ, ainsi que la ville de Munich et quelques municipalités environnantes concernées.

Il reste à voir dans quelle mesure le modèle viennois pourrait être reproduit avec succès dans d’autres villes européennes. Car plus que le prix, c’est avant tout le service offert vers les lieux d’emplois et de scolarité qui importe le plus. La localisation des domiciles ainsi que la vie quotidienne de chacun sont prépondérants quant au choix modal. Il est toujours indispensable de le rappeler à certains politiciens…

Le métro de Munich (photo Daniel Schuhmann via license flickr)

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