Tenerife et Gran Canaria voudraient avoir des trains alimentés par énergie verte

Les Cabildos de Grande Canarie et de Ténérife (qui sont des Cabinets insulaires), ainsi que le gouvernement des îles Canaries vont présenter les projets des chemins de fer des deux îles à l’État espagnol et à la communauté européenne dans le but d’obtenir un financement pour leur démarrage.

L’archipel des Canaries forme l’une des 17 communautés autonomes d’Espagne et est divisée en deux provinces, Las Palmas et Santa Cruz de Tenerife. Le gouvernement des îles Canaries est l’exécutif de cette communauté de 2,3 millions d’habitants. Il vient d’annoncer une demande de 3,9 milliards d’euros de financement européen pour construire deux lignes de chemins de fer dans le sud de Gran Canaria et à Tenerife. Si l’argent est accordé, les projets pourraient être lancés au début de 2021. Les deux projets « remplissent toutes les conditions requises pour pouvoir se présenter avec toutes les garanties qu’ils pourront être financés par le plan européen de relance dans les années à venir », a estimé ce lundi le ministre des Transports canarien, Sebastián Franquis. Les liaisons ferroviaires dans les Canaries, une destination touristique très courue, sont envisagées depuis plus de 100 ans à des degrés divers, mais depuis 1997, des études réelles ont été menées pour vérifier leur faisabilité. Serait-ce la bonne, cette fois ?

Car au début 2020, les deux îles partaient sur des projets opposés. Des modifications de majorités politiques entraînèrent des… modifications de priorités. Si Grand Canaria maintenait son projet ferroviaire, Tenerife marquait sa préférence pour l’achèvement des routes et autres infrastructures en attente. Mais la politique a souvent le dernier mot. L’ancien président du Cabildo de Tenerife Carlos Alonso avait fait de la construction du train entre Santa Cruz et le sud de l’île une priorité. Mais l’arrivée du PSOE et de Podemos a modifié tous les plans de mobilité.

Néanmoins, les deux îles et « leur » gouvernement régional se sont entendus pour demander à l’exécutif central de Madrid d’inclure ces deux projets ferroviaires canariens dans le plan de réforme et d’investissement que l’Espagne présentera à Bruxelles. Pour le gouvernement canarien, le chemin de fer « doit être l’un des piliers de la stratégie de l’archipel pour des politiques de mobilité durable, le transport guidé étant présenté comme une alternative viable à long terme pour «surmonter l’effondrement du réseau routier insulaire et offrir à l’archipel une mobilité durable, universelle, saine, compétitive, écologique et sûre, et avec un impact minimal sur le territoire ».

Projets de luxe dans ces îles lointaines, et pourtant européennes ? À voir ! Car pour l’Espagne, ces deux projets ferroviaires « entrent dans le cadre du plan de relance de l’Europe approuvé le 21 juin, dans lequel l’un des programmes prévus accorde justement de l’importance aux investissements qui ont trait à la transition écologique et la mobilité durable ». Rappelons que Bruxelles a approuvé un Fonds de relance post-Covid 2021-2027 de 750 milliards d’euros, dont l’Espagne recevrait 72,7 milliards). Le pays voit aussi dans ces projets un moyen supplémentaire lui permettant d’atteindre ses objectifs climatiques… avec l’argent de l’Europe. Et au passage d’écraser un peu plus l’opposition perpétuelle de l’encombrant Podemos…

La stratégie de financement des deux projets a été étudiée en tenant compte des dispositions du plan de relance pour l’Europe. Avec ces hypothèses, les sources de financement et leurs instruments de mise en œuvre sont les suivants : 70% des fonds du plan « Mécanisme pour l’interconnexion en Europe » et les 30% restants des fonds Feder. L’article 14 du règlement sur le mécanisme pour l’interconnexion en Europe établit en effet que les infrastructures ferroviaires dans les régions ultrapériphériques de l’UE peuvent être financées. Ce dont vont profiter les Canaries…

Est-ce vraiment le futur ?

80 kilomètres à Tenerife
Le projet ferroviaire sur l’île de Tenerife (950.000 habitants), a fait l’objet de multiples tractions politiques locales, entre des solutions de tram-train ou tram pur. En 2009, le Cabildo Insular, avec une autre coalition, avait approuvé ce projet estimé à 1,8 milliard d’euros, le gouvernement insulaire disposant de 8,3 millions d’euros pour la phase de planification. Mais en 2011, suite à la crise financière, le projet était à nouveau enterré. Il fait par ailleurs régulièrement l’objet d’oppositions locales, ce chemin de fer étant perçu comme une menace sur les bus de la société de transports publics TITSA, qui assurent déjà un service qualifié « de suffisant » par ses promoteurs.

L’actuel Conseiller Insulaire de la Mobilité, Enrique Arriaga, avait dans un premier temps estimer que le coût du train était trop élevé – environ 2,5 milliards d’euros – et que d’autres options devaient être envisagées. Arriaga argumentait que Gran Canaria avait des projets ferroviaires plus avancés et qu’ils étaient plus rentables car une bonne partie de ses routes principales était achevée, tandis que la situation à Tenerife était – et reste – différente : « Nous avons un très gros problème d’infrastructure et nous devons en faire la priorité avant le train. » En 2019, le groupe d’extrême-gauche Podemos arrivait sur l’île en s’opposant à tous ces projets et dans la commune de Candelaria, la maire Mari Brito insistait « pour planifier un autre modèle plus durable que le train. » (sic) ! On mesure à quel point le train doit encore convaincre chez certains…

Mais la politique prend toujours la direction du vent car dès l’instant où « le plan de relance approuvé par l’UE sert à récupérer les dommages immédiats causés le Covid-19 (et) intègre des plans de financement de projets de transition écologique et numérique », autant en profiter ! S’en suit une belle contorsion politique : « le projet de train sud n’est toujours pas une priorité (…) mais il est de notre responsabilité de promouvoir l’initiative lorsque l’occasion se présente », déclare-t-on à Tenerife. Fin du « débat »…

Revenons donc au sujet ferroviaire. Aujourd’hui, le projet va donc prendre corps sur la partie sud mais il faut en réalité retenir à Tenerife deux projets distincts :

Le premier projet ferroviaire devrait comporter 80 kilomètres de ligne et 7 arrêts, entre Santa Cruz de Tenerife et Costa Adeje, pour un temps de parcours total de 42 minutes. Le projet ne concerne pas que les touristes mais avant tout les nombreux travailleurs du sud qui se déplacent chaque jour vers Santa Cruz en formant des embouteillages infernaux. Les estimations font état d’un trafic de 67.000 voyageurs par jour et prévoient un train tous les quart d’heure. Aucun précisions du type de train n’est actuellement disponible.

Un prolongement jusqu’à Fonsalía, un quartier de Guía de Isora, est encore à l’étude. Ce chemin de fer électrifié aurait d’ailleurs sa touche « verte » par la fourniture en énergie prévue via une centrale solaire de 350 mégawatts. La première partie des travaux de construction du chemin de fer sera une plaque tournante du trafic à Los Cristianos dans la municipalité d’Arona. La planification de ce terminal aurait été achevée et un appel d’offre pourrait être envoyé en janvier 2021 dès que l’argent de l’UE sera disponible.

Sur le tronçon San Isidro-Adeje, la première section est en cours de construction et est considérée comme la section avec la plus grande base de voyageurs possible. Par la suite, la section San Isidro-Santa Cruz de Tenerife serait mise en oeuvre. Au total, 946 expropriations devront être réalisées, dont 615 sont des terrains privés. 73,6% sont des terrains vagues et d’autres zones sans culture, 20,9% se situent en zones urbaines, routes, équipements et infrastructures et 4% sont des cultures en serre.

Le second projet de prolongation du tram sur 3,5km vers l’aéroport est en revanche reporté et fait l’objet de trois options…

57 kilomètres sur Gran Canaria
Les projets de Gran Canaria sont bien plus avancés. Et pour cause  :avec son réseau routier « achevé », presque tout le trafic de particuliers est acheminé via l’autoroute GC-1. En moyenne, 150.000 véhicules circulent chaque jour sur cette route encombrée. Ce qui est l’inverse de la durabilité. Pour le Cabildo de l’île, « on ne peut pas continuer avec le modèle actuel de construction routière, car il est prouvé que l’élargissement des routes ne réduit pas le nombre de voitures dans la rue et le volume de trafic est exagéré, avec l’un des ratios le plus élevé d’Espagne. »

Le conseiller insulaire des travaux publics et Transport, Miguel Ángel Pérez, a une tout autre opinion sur le train que Podemos ou d’autres opposants. « Le train induit une réduction des émissions de C02 par rapport aux autres moyens de transport tels que la voiture ou le bus; il est plus durable en raison de la plus grande capacité d’occupation des passagers par kilomètre, environ 200 passagers; il est construit avec des matériaux de durabilité élevée, de sorte que le coût d’entretien de la voie sera pratiquement nul dans les 100 prochaines années; l’impact est minime sur les sols agricoles et il y aura des panneaux solaires en toutes saisons. » Voilà qui change de la Tenerife voisine…

Les plans ferroviaires, débutés très en amont, sont terminés et prévoient la construction d’une voie ferrée de 57,8 kilomètres de long du parc Santa Catalina à Las Palmas, via l’aéroport, jusqu’à la zone touristique de Maspalomas au sud de l’île. Le coût total s’élèverait à 1,6 milliard d’euros, dont 1,3 milliard pour la première phase de construction entre San Telmo à Las Palmas et Playa del Inglés. Pour les études techniques, 27,6 millions d’euros ont déjà été dépensés dans la phase de planification; Le projet est divisé en 22 lots de construction et une planification préliminaire de la ligne de train.

Le projet de San Telmo à Las Palmas

Onze gares sont prévues dont 5 seraient en surface et 6 seraient souterraines. Près de la moitié du trajet se fera en surface (42% à terre et 6% sur viaducs) et l’autre moitié en souterrain (38% sous un tunnel foré et 14% dans un faux tunnel). Le chemin de fer, qui traverserait une zone qui concentre 85% de l’activité économique, touristique et industrielle de l’île, serait un hybride entre un train de banlieue et un train à grande vitesse d’une vitesse maximale de 160 kilomètres / heure, et devrait couvrir le trajet entre San Telmo à Las Palmas et Playa del Inglés en 33 minutes. Des départs « direct » seraient également prévus avec cinq arrêts pour un temps de trajet de 25 minutes. Les trains transporteront 17 millions de passagers par an. La partie technique du projet est achevée à 97%, et seuls quelques changements mineurs subsistent pour le parc de San Telmo.

Énergie verte
Énergie solaire photovoltaïque pour le chemin de fer de Tenerife et énergie éolienne pour le chemin de fer de Gran Canaria, voilà qui permet la transition écologique. Le chemin de fer de Gran Canaria sera alimenté par une électricité produite par un parc éolien distinct qui sera construit dans la zone industrielle d’Arinaga, avec environ 25 mégawatts de puissance.  Pendant les heures de pointe, le chemin de fer n’utiliserait que 70 à 75% de cette production, selon les documents techniques du projet. Si à un moment donné il n’y a pas assez de vent, le chemin de fer tirera son électricité dont il a besoin du réseau. Et inversement : si la production d’énergie éolienne du parc dépasse les besoins ferroviaires, les kilowattheures «excédentaires» seront déversés dans le réseau, permettant ainsi de couvrir une partie des frais de maintenance.

Avec un budget de construction estimé à 40,60 millions d’euros, le projet Piletas comprend 11.294 mètres de lignes d’interconnexion souterraines internes, un centre de manœuvre et de contrôle, une tour météorologique et une ligne d’évacuation souterraine, entre autres installations. Le parc éolien sera la première partie du projet ferroviaire à être construit sur Gran Canaria. La planification a commencé et un processus d’appel d’offres sera annoncé en 2021.

Le projet de Tenerife est quant à lui basé sur le photovoltaïque, à travers les sociétés ITER. « Nous attendons de démarrer une grande centrale photovoltaïque à accumulation, d’environ 350 mégawatts, et, en temps voulu, il sera décidé si elle est fournira directement le train ou injectée dans le réseau. Cela est réaliste car le Cabildo de Tenerife souhaite produire 15% de l’énergie totale de l’île avec des sources renouvelables », déclare-t-on à Tenerife. Ce projet a déjà commencé avec la construction d’une installation pilote R&D intitlée FOTOBAT 5 + 5, une centrale photovoltaïque de 5 MW de puissance et 5 MWh d’accumulation. Cela avant l’installation géante Fotobat 350 + 350, avec 350 MW de puissance et 350 MWh d’accumulation.

Dépenses inutiles ? Projets hors normes ? Il est vrai que Malte, Chypre, la Crète n’ont pas de chemin de fer, mais bien la Corse, la Sardaigne? la Sicile… et Majorque. Ces projets entrent parfaitement dans le cadre d’un futur décarboné. Mais pour vider une autoroute, il faudra en parallèle avoir le courage de boucler certaines rues des villes et villages et de les rendre piétonnes, y compris sans scooter ni vélos… toute l’année. Or, dans le sud, c’est toujours très dur à faire admettre…

cc-byncnd