CZ Loko, le challenger tchèque

Une ex-série 12 SNCB transformée en EffiLiner 3000(photo CZ Loko)

Alors qu’on ne parle que de l’absorption de Bombardier par Alstom, intéressons-nous à quelques challenger en Europe. Parmi eux, un tchèque qui mérite d’être connu : CZ Loko.

Basée à Česká Třebová, la société a été créée sous le nom de Českomoravská komerční společnost as , avec son siège social à Nymburk et inscrite au registre du commerce le 25 janvier 1995. En 1999, la dénomination a été changée en ČMKS holding, et en décembre 2006, le siège social déménageait à Česká Třebová tout en changeant une troisième fois de nom pour l’actuel CZ LOKO. Elle emploie plus de 750 employés, la plupart dans des usines de production à Česká Třebová et Jihlava.

Cette entreprise était surtout connue pour la mise à niveau des locomotives des séries tchèques 750 à 753 ainsi que de nombreux types de véhicules de service. CZ Loko s’est aussi attaquée à la modernisation des machines de manœuvres des séries 740 et 742, entre autres. L’efficacité de ce travail a permit alors à l’entreprise d’aller plus loin.

(photo CZ Loko)

En 2013, CZ Loko faisait l’acquisition de 12 machines bi-tension de la série 12 des chemins de fer belges SNCB et présentait la première transformation en juin 2016 sous le nom d’EffiLiner. Cette nouvelle gamme de machines est destinée au transport international de trains de marchandises avec une vitesse maximale de 120 km/h. La puissance est légèrement inférieure à celle produite sous caténaire belge, soit 2.910 kW dans les deux systèmes d’alimentation utilisés en Tchéquie et en Slovaquie voisine (3 kV DC et 25 kV AC). 

Fort de cette expérience, l’entreprise propose aujourd’hui quatre gammes de machines :

  • La gamme EffiShunter comportant 4 modèles de locomotives;
  • La gamme HybridShunter comportant 2 modèles;
  • La gamme DualShunter comportant aussi 2 modèles;
  • Et la gamme Effiliner qui ne compte qu’un modèle nouveau, si on retire les EffiLiner ex-SNCB.

Ce portefeuille de produits est complété par quelques véhicules spéciaux et d’autres reconstructions parfois hors site. Comme par exemple cette  locomotive de manœuvre lettone ČME3 avec des piles à combustible produites par Ballard Power Systems.

(photo CZ Loko)

Parmi la clientèle de CZ-Loko, citons notamment l’usine sidérurgique ukrainienne de Krivoy Rog, appartenant au groupe multinational ArcelorMittal, qui a acquit 4 locomotives EffiShunter 1600 destinées au service de manœuvres lourdes. Plus intéressant, CZ Loko ne vise pas que l’Europe de l’Est. En juillet 2020, l’entreprise tchèque a livré des locomotives EffiShunter 1000 à des clients en Italie, chez EVM Rail qui opère au sein du Gruppo Etea. Un autre client italien, FNM (Trenord), a aussi fait l’acquisition de 4 EffiShunter 1000.

(photo CZ Loko)

Enfin le 24 février 2021, CZ LOKO annonçait qu’après une période de négociations plus longue, elle avait signé un contrat avec la soociété de crédit-bail Trainpoint Norway pour la livraison d’un EffiShunter 1000, qui doit être livré cette année. Jusqu’au premier semestre 2022, cet engin devra subir des tests en vue de son homologation en Suède (marché prioritaire), qui doit être réalisée d’ici la fin de l’année prochaine, puis une homologation en Norvège. L’EffiShunter 1000 pour Trainpoint Norway sera équipé du système national de protection des trains suédois ATC et du norvégien ATP-2, ainsi que de l’ETCS embarqué.

Avec d’autres machines déjà vendues, CZ Loko, qui fait 120 millions d’euros de chiffre d’affaires, touche maintenant une vingtaine de pays et a déjà vendu plus de 1000 véhicules, mais n’a pas encore percé dans les pays de l’Europe de l’Ouest, singulièrement dans le Benelux. Mais nous allons rester attentif sur cette petite entreprise qui a permis de se glisser avec ses spécificités parmi les grands dans le monde de la traction.

Un exemplaire chez le finlandais Fennia Rail(photo CZ Loko)

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La 103, retour sur une grande dame de la traction


20/02/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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De notre série « Aah, les trains d’hier… »

À l’instar des CC6500 SNCF à leur époque, les E103 de la Deutsche Bundesbahn furent les engins les plus puissants du réseau allemand dans les années 70. Elles sont indissociables de la traction des TEE auxquels elles empruntèrent d’ailleurs la livrée, avant d’assurer toute la panoplie d’InterCity dès 1979.

Au milieu des années 60, alors que les CC40100 SNCF arrivent sur les TEE Paris-Bruxelles-Amsterdam , la DB est confrontée à la nécessité d’augmenter les vitesses commerciales sur son réseau pour pouvoir faire face à la concurrence grandissante des avions de la Lufthansa en trafic intérieur. Le réseau Trans-Europ-Express s’étend et les trains s’allongent, ce qui renforcent les tonnages à tracter.

Critères techniques

En 1961, La remorque d’un train de 300 tonnes à 200km/h, une accélération rapide ainsi que la nécessité de freiner sur une distance de bloc réduite fixait une demande de puissance de 6000kW. Avec les technologies d’époque, ces valeurs militèrent pour l’adoption d’une locomotive à 6 essieux moteurs avec l’avantage de limiter la charge par essieux à 18,7 tonnes (rappelons que le TGV Alstom fait 17 tonnes à l’essieu). Entre 1963 et 1964, des essais de vitesse furent entreprit d’abord avec la locomotive E10 1270 jusqu’à 180km/h, puis à l’aide des E10 299 et 300 sur la section Forcheim-Bamberg. Parmi les changements techniques, de nouveaux bogies avec un rapport de démultiplication différent des séries en service, soit 1,584 au lieu de 1,915 pour les E10 autorisées à 160km/h ou 2,111 pour les autres engins de la série. Les essais Forcheim-Bamberg allaient de pair avec ceux concernant la caténaire, les pantographes et le dispositif de répétition des signaux. 16 types de suspension caténaire et 12 modèles de pantographes furent testés ! L’essai d’un bogie à 3 essieux fut également entreprit avec une locomotive diesel-hydraulique V320 001, qui atteignit 180km/h, ce qui pouvait être un record avec une machine de ce type. Tout mis l’un dans l’autre, la DB pouvait alors sortir un engin tout neuf qui allait devenir l’une des grandes icones de la traction allemande.

Présentation de la E03 004 (carte postale, hauteur inconnu)

Avec les constructeurs Siemens et Henschel, la DB sortit la E03 002 le 11 février 1965, première d’une série de quatre machines de présérie. Elle avait dans le ventre 6 moteurs 12 pôles WB 368/17 entièrement suspendus de 3,6 tonnes chacun. Pour des raisons de commutation et de vitesse du collecteur, la vitesse était bien limitée à 200km/h. Le réglage de la tension aux bornes des moteurs comportait 39 crans, ce qui accroissait la finesse de conduite. Une particularité fut l’installation, pour la première fois en Allemagne, d’un freinage électrique indépendant de la tension de la ligne qui fournissait sur la locomotive un effort de retenue supérieur à celui que fournirait le frein à air comprimé. Cela permettait d’avoir une puissance continue de 4800kW correspondant à un effort de retenue moyen de 16,5 T de 200 à 100km/h. Côté mécanique, les E 03 se distinguait aussi par l’adoption de la « traction basse » mais côté transmission, la DB essaya celle à anneau dansant Alsthom-Henschel sur les E03 001 et 004, et celle à cardan et anneau de caoutchouc avec engrenage unilatéraux sur les E03 002 et 003. Au final, on obtient des machines de 110 tonnes.

Ce qui frappa bien évidemment le quidam fut la forme particulièrement réussie de la caisse, inédite à cette époque. Les deux fronts sont de forme ovoïde spécialement étudié en soufflerie pour une bonne pénétration dans l’air mais surtout amortir le choc à 200 km/h avec un train croiseur. Les parois latérales ont aussi une forme inclinée dans la partie haute.

La 103 001 lors d’un défilé de locomotives à Nuremberg , en mai 2006. On a remis le logo noir et l’ancienne numérotation de 1965 (photo Urmelbeauftragter via wikipedia)

Vitesse et signalisation

Comme en France, les ingénieurs de la DB avaient bien compris que des vitesses s’approchant des 200km/h nécessitaient un complément d’information à bord. Pour transmettre cette information, la DB installa sur la section Munich-Ausbourg, en Bavière, un câble non-blindé ordinaire le long des deux rails, qui se croisaient tous les 100m pour former un point de repérage du train. Tous les 10 kilomètres, ces câbles étaient bouclés et l’émetteur se situait grosso-modo en leur point milieu. Pour recevoir l’information, les E03 étaient munies de deux bobines réceptrices qui faisaient que, tous les 100m, la locomotive reçoive une impulsion. Cette impulsion enregistrée sur la machine localisait le train par rapport à l’émetteur d’une boucle de 10 km. A bord, le conducteur disposait notamment de la distance voie libre devant le train, de la position des barrières de passages à niveau et d’un système d’ordre de mouvement (accélération, freinage). En clair, on inventa là les prémisses de l’ETCS. Nous n’étions qu’en 1965…

La E03 003 en 1965 à l’IVA de Munich, à côté d’un van Volkswagen du plus bel effet… (photo Anm256 via wikipedia)

(photo Sebastian Terfloth via wikipedia)

La E03 fut présenté lors de la fameuse exposition IVA de Munich en 1965, une Exposition internationale des transports. La Deustche Bundesbahn tenait à faire la démonstration européenne d’un service à 200 km/h ouvert au service commercial sur une voie non spécialisée. Un arrêt temporaire destiné aux trains de démonstration avait été construit le long des voies. Un an auparavant, le Japon avait inauguré son célèbre Shinkansen…

Des documents techniques de l’époque montrent que le démarrage effectif du train s’effectuait souvent aux crans 8 ou 9, au lieu du premier cran sur d’autres machines monophasées antérieures. L’accélération de 120 à 150 km/h demandait une puissance de 10.000 à 12.000 kW (autorisé durant 10 minutes) puis encore 7000kW pour atteindre les 200km/h lors des essais en présence du public à bord. Sur la courte section de Munich-Expo à Augsbourg-Hbf, soit 62 km, seuls 45 km étaient autorisés à 200 km/h et cette vitesse n’était finalement pratiquée que sur 28,5 km, soit 46% du trajet, ceci à cause de nombreux points singuliers imposant des baisses de vitesse.

Après d’autres tests, les quatre E03 sont affectées au dépôt de Munich-Hbf et engagées à l’été 1966 sur les TEE prestigieux de la DB, qui peuvent ainsi goûter aux 200 km/h, mais uniquement entre Munich et Augsbourg, Düsseldorf et Cologne ainsi qu’entre Celle et Hanovre. En rampe de 5%, elles peuvent tracter des trains de 500 T à 200 km/h, ce qui fait saliver la direction commerciale qui peut ainsi allonger les trains. À cette date, la E03 se classe en performances juste derrière la Re 6/6 des CFF.

Heureuse préservation de la 103 184, de passage ici à Ostermünchen en 2011, en tête d’une rame TEE elle aussi préservée (photo Steffs88 via wikipedia)

Les excellents résultats obtenus avec les quatre première machines militent pour une commande massive. Mais entretemps, la direction de la voie s’inquiétait déjà d’une usure prématurée des rails et imposa rapidement de redescendre à 160km/h l’ensemble des trains prestés avec les E03. Mais comme cette vitesse n’était pas non plus pratiquée partout, la direction de la traction considéra déjà les 160 km/h comme un pas en avant et conserva intacte l’ambition d’acquérir de toute manière une grande série. Partout en Allemagne, des relèvements de vitesse étaient de toute manière au programme et la traction des « grands trains » requérait un parc de locomotive renouvelé.

Ainsi arriva une commande de 145 machines qui, entretemps, pris la nouvelle numérotation de 1967 pour une série qui s’appela désormais « 103 », le « 1 » désignant les machines électriques. La commande se fit en plusieurs lots. La partie mécanique fut confiée au groupement Henschel, Krauss-Maffei et Krupp, tandis que les appareillages électriques provenaient de Siemens, AEG et Brown Boveri. La 103.109, première « de série », fut réceptionnée en mai 1970. Les 103.101 à 215 qui suivent sont toutes identiques aux quatre premières machines, à l’exception de quelques détails d’aérateurs. Mais à partir de la 103.216, la caisse s’allonge de 70cm pour répondre aux critiques d’exiguïté des cabines de conduite. Les 103.216 à 245, ainsi que la 103 173 livrée plus tard, sont du coup appelées « longues », soit des machines de 20,20m et la numérotation s’adapte alors en créant deux sous-séries : 103.0 pour les 101 à 215, 103.1 pour les 216 à 245 + 173. On notera aussi conversion progressive, dans les années 70 à 75, des pantographes à ciseaux Scheren DBS 54 avec des DBS 67 unijambistes plus adaptés à 200km/h et aux paramètres autrichiens, pays où les 103 pouvaient apparaître du fait de la grande proximité technique entre les deux réseaux.

En 1971, la 103.118 servit directement à diverses recherches. Elle était équipée d’un rapport de démultiplication modifié, ce qui permettait de faire monter la vitesse maximale de la locomotive à 250 km/h sans augmenter le régime maximal des moteurs. Avec cette locomotive, la plage de vitesse entre 200 et 250 km / h a été systématiquement étudiée à partir de 1971 sous tous ses aspects afin de rechercher les fondamentaux pour une nouvelle augmentation des vitesses de croisière générales à long terme. Elle abattit le record de 253km/h en 1973.

>>> À lire : une journée d’essais avec cette 103 118 (en allemand)

Le service des trains

Les 103 sont très rapidement incorporées dans les trains nobles de la DB, dont les TEE qui touchent Munich via Augsbourg. Il en sera ainsi du TEE 55/56 Blauer Anzian Hambourg-Munich, par la suite prolongé sur Salzbourg et Klagenfurt en Autriche. La traction d’autres TEE fit que les 103 vont conserver une grande partie de leur vie la très belle robe beige/pourpre adoptée pour les Trans-Europ-Express allemands. Leur affectation aux trains FD et TEE au début des années 70 font grimper les kilométrages mensuels à une moyenne de 30.000 km, le record étant juillet 1972 avec 50.251 km parcourus. Certaines journées, elles abattent entre 1200 et 1800 km. Au milieu des années 70, les quatre prototypes avaient tous rejoint le dépôt de Hambourg pour des utilisations spéciales de service, notamment des trains de mesure.

Les 103 pouvaient être affectées à d’autres tâches quand arrivèrent les 120. La 103 188 est ici en tête à un train de nuit à Munich en juillet 1985, dont on remarque la voiture-lits juste derrière, aux couleurs TEN rouges (photo Phil Richard via wikipedia)

En 1979, la DB introduit son fameux service Intercity grande ligne cadencé à l’heure sur plusieurs grandes radiales allemandes nord-sud à l’époque, car l’Allemagne s’appelant RFA, Berlin était en dehors du système TEE et Intercity. Toutes les 103 sont de facto désignées titulaires des 152 trains Intercity quotidiens, d’une masse de 550 tonnes, et dont il fallait respecter l’horaire au millimètre vu certaines correspondances quai à quai de parfois à peine 3 minutes, comme à Mannheim. À partir de 1985, le nombre d’Intercity monte à 183 circulations quotidiennes et certains d’entre eux roulent à 200 km/h. Ce sont forcément les 103 qui sont à la tâche qui se voient dotées de la LZB (Linienzugbeeinflussung), un système de signalisation de cabine et de protection des trains que l’on peut traduire par « contrôle continu des trains ».

La 103.003, un des prototypes, établit en juillet 1985 un nouveau record en atteignant 283 km/h. En 1989, deux prototypes entrèrent dans la catégorie 750 (750.001 et 002) ainsi que la machine de la série 103.222 qui pris le numéro 750.003 jusqu’en 2005. La série «7» identifie son caractère de véhicule de service.

Un grand Classique de la DB des années 70-80 : une 103 au crochet d’un intercity en gare de Hanovre en août 1987 (photo Phil Richards via license flickr)

Une seule 103 aura durant deux années une mission particulière. Dans le cadre d’une première tentative de remplacer environ 3000 vols court-courriers annuels par le train, Lufthansa décidait d’opérer un trafic voyageur longue distance entre l’aéroport de Francfort-sur-le-Main et Düsseldorf et Stuttgart. Initié en 1982 avec des automotrices E 403 sur Francfort-Düsseldorf, la liaison avec Stuttgart n’eut lieu qu’en 1988 avec une rame tractée de 3 voitures Avmz 207, offrant au total 126 places assises. En 1991, la liaison avec Stuttgart pouvait utiliser la toute nouvelle ligne à grande vitesse fraîchement inaugurée, mais avec du matériel apte à résister aux pressions en tunnel. Pour atteindre les 200 km/h permis par cette nouvelle ligne, la DB opta sur la seule 103 101, laquelle arbora la livrée du Lufthansa Airport Express.

Lufthansa-airport-expressLa 103 101 très légèrement chargée sur la ligne à grande vitesse Stuttgart-Mannheim

À l’été 1992, le temps de trajet de l’aéroport de Francfort à Stuttgart fut ramené de 90 à 85 minutes. Mais le mariage air/fer pris brutalement fin en mai 1993, malgré des coûts d’exploitation inférieurs par rapport à l’avion et un nombre élevé de passagers. Il est aussi vrai que la DB s’apprêtait à offrir son offre Rail & Fly introduite plus tard, laquelle permet des ICE à l’aéroport quasiment toutes les heures…

D’ailleurs la Deutsche Bahn s’apprêtait à changer complètement le paysage ferroviaire de l’Allemagne.

Les années 90-2000

Baureihe-401-ICELe paysage de la DB est appelé à radicalement changer. L’ICE de série 401 à quai à Francfort-Hauptbahnhof avec en face « un ancien » InterCity tracté par la 103 132 (juillet 1992, photo K. Jähne via wikipedia)

L’arrivée de la grande vitesse en mai 1991 sonna doucement la retraite pour certaines 103, car entretemps les 120 avaient pris de beaux parcours. De plus, la nouvelle ligne à grande vitesse Hanovre – Würzburg inaugurée est interdite aux 103 car les tunnels ne sont agréés qu’aux véhicules pressurisés. De plus, constat était fait en 1988 à l’inventaire que 30% des engins 103 étaient endommagés, l’équipement LZB des véhicules étant particulièrement sujet aux pannes. Mais l’intense service à 200 km/h ne ménageait pas non plus les bogies C dont la maintenance devenait de plus en plus onéreuse. L’effectif de 1997 montrait que 77 machines étaient affectées à Francfort et les 68 restantes à Hambourg-Eidelstedt.

>>> À lire : La série 120 de la DB tire définitivement sa révérence

Cependant, la DB tente de « moderniser » l’image des 103 en les affublant de la livrée ‘Verkehrsrot‘ rouge-orient qui devenait la nouvelle image de la traction allemande, suite à la réunification. Dès 1988 la 103.115 sortait sous ces nouvelles couleurs qui, petit à petit, fut attribuée à environ 45% du parc complet des 103. En 1993, la 103 101 Lufthansa Airport Express recevait elle aussi la livrée ‘Verkehrsrot‘ suite à l’arrêt de ce service comme expliqué plus haut. On voit alors certaines 103 se charger des nouveaux trains Interregio, une sorte de couche intermédiaire entre l’Intercity grande ligne et l’express régional, créée en 1988.

Baureihe-401-ICEUne 103 223 « longue » au crochet d’un Interegio. Elle arbore la livrée Verkehrsrot avec des bandes frontales blanches (photo Phil Richards via license flickr)

En 1994, la réunification des chemins de fer des « deux » Allemagnes en une seule DB AG permit aux 103 de voyager là où elles n’eurent jamais l’occasion d’aller : dans la partie Est d’un pays enfin réunifié ! Les 103 s’élancèrent alors jusqu’à Berlin et Leipzig, avec aux commandes des conducteurs ex-DR (Deustche Reichbahn) qui ne les avaient jamais connues.

En 1995, la DB fait encore une tentative sur le segment touristique en créant des ‘Urlaub Express‘, des trains de vacances. À cette fin, la 103 220 se voit dotée de la plus folle livrée jamais entreprise, mélangeant diverses couleurs bleu saphir, vert feuille, jaune signalisation, bleu ciel et blanc, pour symboliser les éléments de l’eau, de la terre et de l’air. Surnommée ‘Paradiesvogel‘ (Oiseau du Paradis), la 103.220 fera le bonheur des photographes. Pour peu de temps ! Encore une fois, l’offre n’a pas collé avec les desiderata du monde de l’industrie touristique et l’essai se termina en 1997. Cependant, la 103.220 ne revînt pas à sa livrée d’origine ni à la ‘Verkehrsrot‘ rouge-orient, et resta en l’état jusqu’à son retrait de service.

Malgré la poussée grandissante des services ICE, les 130 abattaient en 1997 des kilométrages toujours aussi impressionnants, de l’ordre de 1420km par 24 heures. On les voit sur des Bâle-Berlin via Cologne et même effectuant l’intégralité du parcours des trains de nuit EN 491/490 Hambourg-Vienne, soit 1131km et une mobilisation de plus de 12 heures, avec un trajet qu’elles refirent le soir même au retour.

2002 : la fin officielle

Voyant ses services se réduire de plus en plus, les 103 ont tout doucement quitté la scène ferroviaire au début du XXIème siècle, quasiment sur la pointe des pieds. Officiellement, la série 103 perdait la totalité des services de trains au diagramme horaire de décembre 2002 (horaire 2003). Cependant, la DB maintenait encore en service une flotte réduite de 103 pour quelques ultimes services. Ostensiblement retenues pour les mettre en tête de trains spéciaux, les planificateurs de la DB contribuèrent à maintenir des 103 en bon état en les inscrivant dans des services réguliers réguliers comprenant des EuroCity internationaux, des trains de nuit, quelques InterCity ainsi que des remplacements d’ICE. C’est ainsi qu’on pouvait encore en voir dans la vallée du Rhin

La 103.245 en tête d’un train de nuit de la DB, à Munich en juin 2007 (photo Sebastian Terfloth via wikipedia)

En 2015, la 103.222, qui dispose des bogies de la 118 dont on parlait plus haut, était vendue pour 551.000 € à la société RailAdventure, une société basée à Munich-Neuhausen et qui s’occupe des transferts de matériels roulants non-homologués et, depuis quelques années, de l’événementiel au travers de Luxon, dont nous avons déjà parlé à cette page. En 2015, la 103.222 a fait l’objet d’une nouvelle inspection générale à Dessau avec la livrée d’entreprise ‘RailAdventure’.

La 103.222 en tête d’un transfert de Vectron destinées à la Finlande. L’écartement russe du réseau finlandais a imposé ce transfert sur trolleys spéciaux jusqu’à Kiel, au bord de la Baltique (photo RailAdventure)

Depuis décembre 2016, soit 51 ans après la sortie des quatre prototypes, plus aucune 103 n’était au programme. Néanmoins, 17 exemplaires, incluant la 222 de RailAdventure, sont pieusement conservés dans divers musées d’associations et certaines continuent de parcourir le réseau en tête de trains spéciaux, dont des Trans-Europ-Express historiques. Est-ce cela qui a donné l’idée à l’automne 2020 au ministre allemand Schreur de présenter un concept de « TEE 4.0 » ? L’avenir nous le dira, mais ce sera sans les 103…

Trois 103 à Bremen-Hemelingen. Ou comment terminer en beauté… (1984, photo Benedikt Dohmen via wikipedia)

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Libérée de ses restrictions, la « Transmontana » roumaine peut circuler en Suède

(photo Green Cargo)

Une roumaine en Scandinavie ? En effet. Green Cargo voulait faire tracter ses trains lourds de manière économique avec un seul engin de traction plutôt qu’une UM (unité multiple). Restait à trouver la locomotive ad-hoc. À la surprise générale, le suédois commandait en 2017 huit machines CC « Transmontana » à la société roumaine Softronic, capable d’emmener le double de la charge admise jusqu’ici par les vénérables Rc4 des années 70, soit 3.000 tonnes. « Les locomotives Transmontana permettront de mettre en place une logistique plus efficace, en particulier pour les trafics plus lourds », justifiait à l’époque Jan Kilström, président de Green Cargo.

Très peu connue, Softronic est le seul constructeur de locomotives électriques d’Europe du Sud-Est. Cette firme, basée à Craiova dans le sud de la Roumanie, a déjà vendu à Deutsche Bahn Cargo Romania et à LTE. Softronic a été fondée en 1999 et travaillait principalement sur la reconfiguration et la modernisation de locomotives plus anciennes. En 2008, elle commença sa propre production de locomotives et en 2010, elle sortait un nouveau type de machine à six essieux appelée Transmontana.

Ces locomotives de type Co’Co’, dérivées des série EA d’Electroputere en service en Roumanie, Bulgarie, Serbie et Monténégro, peuvent rouler sous caténaire 15kV 16 2/3 Hz et 25kV 50 Hz. Leurs six moteurs triphasés asynchrones développent une puissance 6.000 kW et leur vitesse maximale est fixée à 160 km/h.

En avril 2018, outre les deux premières machines commandées, Green Cargo avait décidé d’en acheter 6 autres. Les deux premières locomotives, 4001 et 4002, sont arrivées en Suède en juillet 2018 pour des essais et les six autres ont été livrées en 2019 et 2020. Apparemment satisfaite, Green Cargo en a recommander 8 exemplaires supplémentaires, portant le parc à 16 engins, tous classés dans la Série Mb.

(photo Kaj Larsson)

Les dernières locomotives CC de l’entreprise publique suédoise étaient les Ma construites par feu ASEA entre 1953 et 1960, dont les exemplaires ont tous quitté Green Cargo en 2012, pour être revendus à des musées ou associations privées. Entre 2002 et 2014, le chemin de fer privé LKAB, exploitant la ligne minière Narvik-Kiruna, recevait 34 machines ADtranz/Bombardier de conception CC, pesant 30 tonnes à l’essieu, sur une infrastructure conçue pour accepter des trains de 8.600 tonnes, ce qui n’est justement pas le cas dans le reste de la Suède.

L’admission de la locomotive Softronic de configuration CC était toutefois soumise à des restrictions de la part du gestionnaire d’infrastructure suédois Trafikverket. Malgré les tests concluant au circuit de Velim (Tchéquie) et son homologation depuis 2014 par l’ERA, l’administration suédoise n’avait pas permis à la locomotive CC de circuler sur les voies si la sécurité n’était pas garantie. La classification de cette locomotive CC à un niveau supérieur par rapport aux BB en Suède signifiait l’adoption de vitesses commerciales plus faibles pour ne pas abîmer l’infrastructure, ce qui n’était pas un atout pour Green Cargo. La « Transmontana », 120 tonnes, est en effet plus lourde au total qu’une Rc4 ou une TRAXX, mais sa charge à l’essieux demeure pratiquement identique, avec 21,5 tonnes. La situation était devenue un point bloquant entre Trafikverket et le PDG de Green Cargo, qui avait huit machines inutilisées et neuves sur les bras. Green Cargo voulait donner les preuves que « la roumaine » n’abîmerait pas plus les voies que deux TRAXX en UM. C’est ici qu’intervient l’outil numérique.

Quand l’université aide le chemin de fer
Charmec est un Centre d’Excellence en Mécanique Ferroviaire établi au sein de l’Université de Technologie de Chalmers à Göteborg. Dans son domaine de compétence, Charmec œuvre à la constitution à long terme de connaissances adaptées aux besoins de l’industrie suédoise. Ce centre implique notamment, outre l’université, le gestionnaire Trafikverket et un groupe représentant des intérêts industriels divers comme Atkins, Bombardier Transport, Lucchini ou encore l’autrichien Voestalpine Schienen, tous actifs dans le domaine ferroviaire.

Ce partenariat public/privé a permit d’acquérir de l’expérience et des connaissances permettant de créer des outils numériques de pointe. Dans le cas qui nous occupe ici, des outils de calcul pour les ponts étaient déjà disponibles pour analyser l’impact de certains véhicules ferroviaires, mais pas pour la géotechnique. Une analyse poussée peut nécessiter des échantillons de sol très coûteuses et prenant beaucoup de temps. Trafikverket voulait en effet effectuer de nombreux carottages de sol pour voir quel impact avait la locomotive Transmontana sur sur ses voies. Les outils numériques développés par Charmec ont permis de les remplacer.

Anders Ekberg, directeur du centre de compétence Chalmers Railway Mechanics (Charmec) raconte que le principal défi fut de comprendre le problème de Trafikverket. Mais grâce aux contacts et aux connaissances établis entre les partenaires de Charmec, une solution fut rapidement été trouvée. « En quelques réunions et des analyses intermédiaires, nous avons pu approfondir notre expérience et nos connaissances acquises dans des projets précédents. Une fois que la méthode a été identifiée, nous pouvions facilement trouver une solution en utilisant les outils numériques que nous avions construits », explique Anders Ekberg.

Pour la Transmontana, les chercheurs de Chalmers ont donc utilisés des modèles qu’ils ont développés et leur analyse a pu démontré que la charge légèrement inférieure par essieu sur la locomotive CC réduisait la contrainte totale au sol pour l’ensemble de la Transmontana. Pour analyser davantage la charge, Trafikverket a effectué une analyse dynamique à l’aide d’un logiciel développé au sein de Charmec. C’est ici que l’on retrouve l’excellence du partenariat entre une administration d’État et une université. « L’analyse a permis de conclure que la locomotive fournissait une charge plus faible sur le ballast et le sous-sol. Dans cet esprit, Trafikverket a pu réduire le nombre de restrictions pour la locomotive CC de Green Cargo », explique Ibrahim Coric, chef des homologations à l’Administration suédoise des transports.

(photo Softronic)

Moins de trains mais plus lourds
Markus Gardbring, directeur des opérations de Green Cargo, estime que cela est d’une grande importance pour leurs opérations. « Green Cargo peut désormais réduire un grand nombre de circulations pour un certain nombre de gros clients, ce qui permet un transport de marchandises avec des trains plus volumineux , donc plus efficaces et plus économiques, ce qui est une condition préalable pour que nous puissions avoir davantage de transfert modal ».

Il restera à concrétiser ces plans transports avec « la roumaine », comme on l’appelle en Scandinavie. Les suédois n’ont pas choisi cette machine de 6.000kW à la légère : ces locomotives sont un mélange de technologies éprouvées qui utilisent des bogies de conception suédoise et d’électronique moderne. Le transformateur est fourni par ABB et de nombreux composants mécaniques sont d’origine allemande, comme par exemple les pantographes de Stemmann Technik, les tampons de EST Eisenbahn-Systemtechnik ou encore le système de frein de Knorr Bremse.  « Ces locomotives ont un certain nombre d’ajustements techniques pour notre climat nordique. De plus, l’augmentation de la puissance de traction signifie un impact environnemental moindre car, au total, [on consomme ] moins d’énergie par rapport à l’addition d’un plus grand nombre de trains moins lourds ».

Il est difficile de prédire quels sont les « clients » qui vont bénéficier de cette locomotive, mais nuls doutes qu’il pourrait s’agir de l’industrie sidérurgique suédoise, où les tractions en UM sont actuellement légion. De plus, les vénérables machines Rc4, icones du rail suédois et de la technologie ABB, devront à un moment donner tiré leur révérence et « faire place aux jeunes ».

Que retenir de tout cela ? D’une part, qu’une bonne collaboration entre industrie privée et université peut produire des outils numériques qui permettent de lever des incertitudes à prix raisonnable. Et d’autre part, il est intéressant de constater que des petits constructeurs des pays de l’Est ont encore une chance sur un marché de niche. Outre le roumain Softronic, on songe notamment au tchèque Skoda, qui propose ces locomotives pour trains de voyageurs et au polonais Newag, lui aussi producteur de locomotives CC six essieux. Une alternative rafraîchissante à l’hégémonie des Vectrons de Siemens ou des TRAXX de Bombardier.

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