2021, année du rail

04/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Comme elle le fait chaque année depuis 1983, l’UE choisit un thème spécifique sur lequel elle souhaite sensibiliser le public et encourager le débat public tout au long de l’année. 2021 sera l’Année européenne du rail.

Le 4 mars dernier, la Commission adoptait une résolution faisant de 2021 l’Année du Rail (EYR en anglais). Et 2021 vient juste de débuter avec notamment la mise en place d’une page web dédiée sur le sujet, en principe dans chaque langue de l’Union. Que devrait apporter une telle médiatisation sur le secteur ferroviaire ? Selon l’European Parliamentary Research Service blog, cette Année européenne vise à mettre en lumière la contribution du rail à la cohésion, à l’économie et à l’industrie de l’UE, grâce à des événements, des débats et des activités promotionnelles spécifiques. Cet événement abordera des sujets tels que le développement régional, la compétitivité industrielle, le tourisme durable, l’emploi, l’innovation, l’éducation, la jeunesse et la culture, sans oublier l’amélioration de l’accessibilité pour les personnes handicapées et à mobilité réduite.

Cette médiatisation offre évidemment une fenêtre unique et inespérée sur un mode de transport que l’on dit un peu en retrait, voir même en retard, sur bien des points par rapport aux autres modes de transport que sont l’aérien, le maritime et surtout, l’automobile. Ces secteurs ne manqueront pas de contre-attaquer en soulignant le poids qu’ils ont dans la société et dans la mobilité du monde moderne. C’est donc le moment pour le rail de se retrousser les manches et de montrer une unité qui a fait défaut jusqu’ici, dès l’instant où certains pouvoirs politiques parlent encore du chemin de fer au singulier, malgré la présence de nombreux opérateurs.

Le secteur ferroviaire est en effet très mal connu, tout particulièrement par ceux qui n’utilisent jamais le train, soit environ 90% de la population. Certains reviennent encore avec l’image du train vert militaire parfumé de la froide odeur des cigarettes de la veille. D’autres retiennent leur image de jeunesse avec ces voitures surchauffées descendant sur Lisbonne, Palerme ou Athènes, quand les trains de nuit n’étaient qu’un vaste camping roulant. Ces images anciennes (des années 70…) percolent encore dans un imaginaire culturel que certains voudraient retrouver.

Mais on ne fabrique pas l’avenir avec de la nostalgie. En Italie, une clientèle captive n’est revenue au train que parce que l’image y était tout autre que le récit de leurs parents. En voyageant avec le privé NTV-Italo, dont ils ont vu la pub sur leur smartphone, ces italiens ont non seulement redécouvert le « train moderne sans vert militaire », mais ils ont vu aussi que la vieille entreprise « Ferrovie dello Stato », devenue Trenitalia, alignait des trains ultra modernes pour aller à Bologne, Rome ou Venise. C’est pour cela que le CEO de Trenitalia a fini par avouer que, « oui, cette concurrence vers la modernité nous a ramené des clients qui, autrement, ne connaissaient que l’avion. » Dans un autre registre, la multiplication des actions en faveur du rail a été visible notamment de la part de l’industrie qui travaille désormais par « plateformes » de produit technologique et qui fournit une locomotive ou une automotrice valable dans toute l’Europe après homologation, ce qui était impossible il y a encore 20 ans.

L’industrie, c’est aussi de l’audace et de la recherche. Aucunes compagnies historiques n’aurait songé à la locomotive bi-mode ou au train à hydrogène. Trop cher, trop technologique, pas de ressources disponibles. Les industries privées l’ont fait malgré tout, avec cette capacité de capter des opportunités quand elles se présentent. On a bien fait de libéraliser et de laisser percoler les idées nouvelles et de combattre les croyances limitantes, sans quoi le train de voyageur n’aurait plus été qu’un vaste musée relégué sur des marchés de niche ou dans les parcs d’attraction. Bien entendu, cette industrie privée peut s’appuyer sur les nombreux programmes de recherches et des plans visionnaires financés par la puissance publique, comme le plan hydrogène dont elle profite. L’État stratège est donc fondamental pour faire foisonner des idées nouvelles, et c’est bien cela qui fonde l’avenir du rail.

À quoi sert le chemin de fer ?
L’Union européenne a décrété 2021 « Année du rail », non pas par nostalgie du passé, mais pour être en accord avec sa politique de Green Deal. L’objectif est d’illustrer que le rail est durable, innovant, efficace sur le plan énergétique et sûr, ainsi que d’augmenter de manière significative la part du rail dans le transport des personnes et des marchandises. Cette Année du rail est également une occasion politique de sensibiliser et de réaffirmer les défis qui restent à relever pour créer un espace ferroviaire européen unique. C’est un long chemin de pédagogie et de lobbying qui consiste à faire admettre que le monde a changé et qu’aujourd’hui, on doit parler des chemins de fer au pluriel car les opérateurs historiques, seuls, n’ont pas et n’auront jamais les capacités d’opérer le transfert modal. Plus on est, plus on transfère, et le train de nuit Prague-Rijeka de Regiojet l’a bien démontré l’été dernier.

Cette année du rail devrait être aussi l’occasion de remettre à plat la tarification des transports, dont le déséquilibre est patent. Il ne s’agit pas d’un « combat contre ceux d’en face » (ce serait perdu d’avance), mais de remettre chaque mode à son coût réel et dans son domaine de pertinence. Ce n’est peut-être pas le carburant qu’il faut taxer mais la pollution : plus on fait des kilomètres, plus on pollue, plus on paye selon les émissions de CO2 et les dégâts collatéraux (mobilisation du système de santé). Cette politique moins idéologique (l’auto = capitalisme), permettrait de ne pas tuer les nécessaires livreurs et chauffeurs routiers ni d’anesthésier le secteur aérien qui a, et aura toujours -, un avenir dans son domaine de pertinence.

L’année du rail est aussi l’occasion de repenser l’accès au train. C’est aujourd’hui un véritable parcours du combattant que d’obtenir un billet alors que de jeunes startups, comme Flixmobility ou d’autres, ont montré de quelle manière on obtient un billet en quelques clics, en passant du train au bus via une application smartphone. Mais pour cela, il faut être adosser à des systèmes informatiques importants et coûteux. Flixmobility a plusieurs centaines de développeurs, ce que n’a pas le secteur ferroviaire. Il existe encore dans certains pays des billets qu’il faut remplir à la main, avec tous les malentendus et fraudes que cela amène, ce qui met le personnel de bord en danger. Le fait que les opérateurs historiques doivent mener des politiques sociales en faveur d’un public précarisé ne doit pas être une excuse pour éviter la digitalisation de la billetterie. Le monde change a une vitesse vertigineuse et ce qui est acquit aujourd’hui peut déjà être obsolète d’ici 4 à 5 années. On ne sait pas ce que proposeront les opérateurs futurs en matière de facilités de paiement. On sait simplement que celui qui aura pris le digital avec sérieux sera le gagnant de demain, quoique fassent les politiques. L’Europe aura-t-elle le courage d’avancer sur cette voie où nous sommes déjà largement en retard ?

Enfin, parler de green deal revient à parler de nos modes de vie. La quantité de déplacements que nous consommons a certes été brutalement freinée par la pandémie et une probable hausse du télétravail, mais nos autoroutes sont loin d’être vides. En parallèle, notre consommation quotidienne demande toujours le maintien d’un gigantesque réseau de flux logistiques désordonnés, lesquels sont essentiels pour remplir les rayons de nos magasins préférés. Le train a raté la logistique, ce domaine si essentiel à nos vies. Il n’est utilisé que quand ca arrange les chargeurs et les industriels. Il n’est jamais le premier choix, sauf pour des secteurs contraints, comme la chimie ou certains vracs. Les politiques ont bien peu la main sur la logistique. C’est donc au rail de montrer toutes ses facultés en déclinant ses meilleurs atouts. Peut-on espérer que cette année du rail soit aussi celle d’une logistique 2.0 ?

Des stratégies solides, une approche digitale plus accentuée, une insertion dans les flux industriels, ce sont là les ingrédients indispensables que le rail devra utiliser pour montrer de quoi il est capable. Pour que cette année du rail ne soit pas qu’un simple show, mais une occasion de se faire connaître aux 90% des non-utilisateurs…

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France : la régionalisation ferroviaire dans le vif du sujet

TER Alsace, avec une UM de X73500 (photo pixabay)

La France entre très doucement dans un processus de régionalisation de son transport ferré local. L’occasion de faire un peu le point sur les évolutions actuelles.

La régionalisation du rail est un sujet à haute teneur culturelle et politique dans l’hexagone. Le pays se distingue en effet par un pouvoir vertical très prononcé et par une approche de la chose publique basée sur l’action des grands corps sociaux afin d’établir la cohésion et la modernité sur tout le territoire nationale. Au niveau ferroviaire, le grand corps d’État est représenté par la SNCF, entreprise née en 1938. La compagnie nationale ayant été l’unique horizon ferroviaire de plus de quatre générations, les français ne conçoivent généralement pas que d’autres entités puissent gérés des trains régionaux, voire des trains tout court. C’est pourtant bien se qui pourrait se passer dans les prochaines années, mais à dose très mesurée.

Un long cheminement
Il y a d’abord deux étapes importantes. Côté institutionnel, la décentralisation mise en œuvre en France en 1982 sous François Mitterrand avait déjà permis de transformer les Etablissements Publics Régionaux en collectivités territoriales, disposant d’une fiscalité propre et recevant un certain nombre de compétences importantes, comme la construction des lycées. Côté ferroviaire, le concept de TER, nommé « Train Express Régional » mais s’agissant pour la plupart d’omnibus, fut créé par la SNCF en 1987. Il s’agissait de regrouper tous les trains de desserte régionale et locale ainsi que d’unifier « la marque TER » avec certaines mises sur route, par car. Seule l’Île de France conserva un mode de gestion particulier, aujourd’hui sous la marque Transilien.

Une première étape fut l’instauration du conventionnement qui ne touchait pratiquement pas au plan transport conçu par la SNCF elle-même. Les Régions devaient être consultées sur l’ouverture ou la fermeture de lignes ou la consistance générale des services, mais il ne s’agissait que d’un avis et non d’un véritable pouvoir décisionnel. « On était sans rien, face à des gens de la grande maison qui connaissaient toutes les ficelles du ferroviaire », pointe un ancien président de région. La SNCF imposait alors un matériel roulant plus ou moins rénové où les régions avaient comme choix la couleur des faces frontales.

X4606+X8406 à Châteaubriant en 1991 (photo Phil Richards via license flickr)

À Lens, Nord Pas de Calais (photo Jännick Jérémy via commons wikipedia)

Il faut cependant bien remettre les choses dans leur contexte. Depuis toujours, « on » reconnaissait « qu’un certain nombre d’obligations actuellement imposées à la S.N.C.F. ont un caractère purement « historique » et que leur justification strictement économique a disparu depuis un certain temps, si elle a jamais existé » (cfr un rapport de 1963). Dans les années 80-90, rien n’avait fondamentalement changé et on demandait encore à la SNCF tout et son contraire, mettant la société dans une situation financière dangereuse. Le conventionnement a pu être traduit par un défis lancé aux élus locaux : « vous voulez nos services ? Alors il faudra payer ». Manière pour l’État de mettre chacun face à ses responsabilités, surtout quand les couleurs politiques État/régions divergent. Diviser pour régner…

Ce premier modèle SNCF/Régions ne sembla pas porter ses fruits durant la période de 1990 à 1996, où la baisse du trafic TER affecta dix régions sur vingt-deux. Il fallait donc urgemment autre chose. Par cheminements législatifs successifs (et débats enflammés), six régions en 1997 furent autorisées à expérimenter une nouvelle forme de politique ferroviaire locale. En 2002, succès aidant, « l’expérience » devînt politique permanente et fut étendue à l’ensemble des régions de la métropole qui furent mises en situation réelle de commanditaire du service public de transport régional de voyageurs.

Si la loi SRU de décembre 2000 généralisait ce mode de gestion des transports régionaux, elle laissait intact le monopole d’exploitation à la SNCF, seule entreprise ferroviaire autorisée à exploiter des trains de voyageurs. Les Régions se sont donc retrouvées à négocier des trains SNCF … au prix de la SNCF et de ses manières d’exploiter. Cette situation différait déjà de ce qui était entrepris à la même époque par les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suède, où le choix du transporteur devenait la règle. En France, la priorité était plutôt de rassurer « le corps cheminot » qui craignait un démembrement de la SNCF à terme. En interne, le pilotage SNCF décentralisé du TER fut confié, pour chaque région administrative, à une direction d’activité TER qui était responsable des relations institutionnelles avec le conseil régional et garante, auprès de lui, de la bonne exécution de la convention.

Les années 2000
Cette première « vraie » régionalisation porta enfin ses fruits, avec une belle envolée du trafic voyageur régional, preuve que la demande était là. On observa en 1998 des progressions spectaculaires, de l’ordre de 60% sur un an ! En 2008, un certain Jean-Pierre Farandou, alors directeur général délégué de SNCF Proximités, déclarait à l’Usine Nouvelle que « la régionalisation a sauvé le TER. Nous sommes dans une logique de construction… ».

On a alors assisté à l’arrivée sur les rails français d’un renouvellement conséquent du parc matériel roulant local et régional, et il était temps…

Port-Bou, aux couleurs de l’Occitanie (photo Ferran Arjona via license flickr)

Ce long cheminement a mené les Régions à prendre plus à cœur leur rôle d’AOT et à développer un esprit plus critique face au service rendu, certaines plus que d’autres selon leur couleur politique. Mais les relations entre les régions et SNCF Mobilités restèrent par nature déséquilibrées, du fait de la situation de monopole de cette dernière : de nombreuses clauses des conventions lui furent toujours favorables. En 2013, un rapport de Jacques Auxiette mentionnait qu’ « alors que la montée en puissance des régions aurait dû avoir comme effet une adaptation de la SNCF dans le sens d’une organisation plus décentralisée, le phénomène inverse s’est produit ». Dans des auditions au Sénat la même année, certains présidents de régions parlent « d’une SNCF [qui] a tendance à se comporter en autorité organisatrice des transports : ce n’est pas nouveau mais cela pose un problème de gouvernance. » (Limousin) ou que « la SNCF reste dans une culture de domination » (président du CCI France). Ces critiques paraissent étonnantes quand beau nombre de politiques – et citoyens -, encouragent le pays « à cultiver sa singularité », et donc, la centralité de la SNCF…

Le poids de la législation européenne a aussi joué. Le quatrième paquet ferroviaire, qui comportait un pilier technique et un pilier plus politique, fut définitivement adopté mi-décembre 2016. Il oblige les États, dès 2023, à ouvrir les services régionaux de transport ferroviaire à l’appel d’offre, ou à justifier « l’attribution directe », comme devront le faire notamment les Pays-Bas, la Belgique ou l’Autriche. Les régions françaises qui le souhaitaient pouvaient émettre leurs premiers appels d’offres européens à partir de décembre 2019, processus qui deviendra obligatoire à partir de 2023.

Pour clore ces 35 années de changements, on rappellera le passage en 2016 de 22 à 13 régions métropolitaines, augmentant ainsi les « surfaces TER » de chacune d’elle, et donc les responsabilités financières. Le bilan 2019 montrait que près de 900.000 voyageurs fréquentaient 7.000 trains et 1.300 autocars chaque jour ouvrable. La Cour des Comptes rappelait côté finances que les coûts du TER étaient couverts à 88% par des subventions publiques, les clients n’en payant que 12%, soit environ 1 Md€ sur un coût total de 8,5 Md€. Nous en sommes là en ce moment.

Corail et Z2 en gare d’Albertville en 2018 (photo Florian Pépellin via commons wikipedia)

Qui fait quoi aujourd’hui ?
Au 1er janvier 2020, la SNCF devenait une SA et c’est… Jean-Pierre Farandou qui prenait les commandes du groupe, alors que le belge Luc Lallemand était nommé en mars à la tête de SNCF Réseau. Malgré la crise du Covid-19, le politique n’est pas resté inactif dans la transformation du mammouth ferroviaire.

Le débat sur la régionalisation s’est élargit au maintien – ou non -, de certaines petites lignes, un des grands soucis de la France ferroviaire. En février dernier, le gouvernement relançait un énième plan qui ne concernait que le réseau, et donc pas la concurrence, où il était déjà question que certaines lignes soient cofinancées par l’Etat et les régions. Les plus petites étaient amenées à être confiées aux seules régions qui décideraient de leur sort. Par endroits, le train pourrait être remplacé par des bus ou par des navettes autonomes, déclarait-on en haut lieu. Il est en effet possible d’être disruptif…

>>> À lire : Taxirail, le train autonome à la demande

>>> À lire : VLR, ou le retour des petits Railbus de jadis

Une certitude : la plupart des régions a encore pris insuffisamment conscience des moyens à mettre en œuvre pour réussir l’ouverture à la concurrence. Pour ce faire, les régions doivent très rapidement renforcer les compétences de leurs services, notamment en recourant davantage à des profils d’expertise technique, juridique et financière. Les bureaux de consultance sont aux taquets, et on peut affirmer que cette régionalisation crée de l’activité… et des emplois. À l’analyse, le travail ne manque pas…

Sur les 12.047 km d’itinéraires identifiés comme appartenant aux catégories UIC 7 à 9 – représentant environ 40% du réseau national de 28.364 km – 9.137 km transportent des trains de voyageurs. 78% sont à voie unique, disposent encore de la signalisation mécanique, ce qui nécessite des niveaux élevés de personnel et beaucoup de lignes ont encore des composants d’infrastructure âgés de 30 à 40 ans. 24% de ces lignes transportent moins de 100.000 voyageurs par an, soit une moyenne de 274 voyageurs/jour. Le rapport Spinetta rappelait que l’exploitation de l’infrastructure de ces lignes et de leurs trains, ainsi que les travaux d’entretien, coûtent chaque année 1,75 milliard d’euros. Soit « 16 % des concours publics au secteur ferroviaire ». Alors même que les « petites lignes » n’accueillent « que 2 % des voyageurs ». Le sulfureux rapport Philizot souligne pour sa part que le besoin de financement global (pour les petites lignes) est évalué par SNCF Réseau à 7,6 milliards d’euros jusqu’en 2028, dont 6,4 milliards restant à engager à partir de 2020. Comment payer une telle réhabilitation pour éviter à terme qu’une grande partie de ce réseau ne soit truffé de ralentissements, voire menacé de disparition ?

L’idée : des régions pourraient reprendre une partie de leur gestion au lieu de SNCF Réseau. D’après le plan gouvernemental énoncé en février, 1.500 kilomètres remonteraient en lignes structurantes sur les 9.000 et 1.000 kilomètres sont transférables au travers de l’article 172 de la loi d’orientation des mobilités LOM, qui permet le transfert aux régions de la gestion des petites lignes.

Cela suscite des inquiétudes légitimes de financement chez certaines, quand d’autres sont plus optimistes. « Notre mission complète sera inédite en France_», explique aux Echos David Valence, vice-président pour les transports du Grand-Est, région qui innove avec les infrastructures. « Nous sommes la seule région à faire deux démarches : gestion des infrastructures et circulation (…) Ce que nous prévoyons, c’est ce que fait aujourd’hui la SNCF. Demain, ce sera peut-être un autre que la SNCF ». Mais ce cas est rare : l’autre exemple vient du Centre-Val-de-Loire, qui veut aussi reprendre intégralement la gestion deux lignes mais pas le service des trains, quand PACA et les Hauts-de-France font l’inverse en se concentrant uniquement sur le service des trains.

TER Alsace à Wissembourg, 2010 (photo Cornelius Koelewijn via license flickr)

Parmi les formules diverses, celles du Grand-Est mérite attention. Cette région a lancé un appel d’offres pour une concession de 22 ans pour la réhabilitation, l’exploitation et la maintenance d’une partie de la ligne Nancy – Mirecourt – Vittel – Contrexéville en Lorraine. L’appel d’offres lancé par Grand Est ce 17 juillet dernier prévoit que le concessionnaire financera, concevra et mettra en œuvre la réhabilitation de la voie ferrée entre Pont-Saint-Vincent et Vittel, hors d’usage depuis décembre 2016. Le concessionnaire devra entretenir la ligne et exploiter un horaire cadencé à l’heure totalisant environ 870.000 trains-km par an, combiné avec les services de desserte routière associés. Les 22 ans permettent au concessionnaire d’obtenir une durée raisonnable pour amortir ses investissements. Le train régional sous l’angle de la durabilité économique…

En février dernier, l’État et une autre région, celle du Centre-Val-de-Loire, ont signé un protocole où la région s’engage à gérer à 100% deux de ses lignes, Tours-Chinon et Tours-Loches, avec à terme le remplacement des trains diesel par des trains à hydrogène.

Dans ces deux cas, il ne s’agit pas d’une mise en concession de la totalité des réseaux régionaux mais bien de cibler certaines lignes. Cela ressemble fort à la politique pratiquée dans l’Est des Pays-Bas, et il n’y a pas de quoi mettre la SNCF par terre, qui conserve les autres trafics, bien plus rémunérateurs. Philippe Fournié, vice-président de la région Centre chargé des transports, déclarait sur France Bleu, à propos du service des trains : « Si la SNCF se met en ordre de bataille pour répondre aux objectifs de service que l’on fixe, je ne vois pas pourquoi on en changerait. » Au Grand-Est, on serait prêt à remettre la formule des lignes concédées sur des liaisons transfrontalières la reliant aux agglomérations allemandes voisines, comme Karlsruhe ou Sarrebruck. On est donc bien loin d’une « casse du service public », mais plutôt d’une renaissance…

Plusieurs régions ont aussi publié dès 2019 des Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI), qui ne sont en rien des appels d’offres et ni une procédure encadrée par le code des marchés publics. Il s’agit en effet de démarches essentiellement prospectives pour prendre des contacts avec des entreprises potentiellement intéressées. La Région Pays de la Loire l’a fait, réceptionnant ainsi 7 candidats « intéressés », sans aucun engagement, mais elle compte maintenant passer à la vitesse supérieure, avec appel d’offres officiel, sur Pornic et Saint Gilles Croix de Vie.

PACA et Hauts de France sont déjà plus loin et veulent, eux, changer d’opérateur sur certaines lignes. C’est plutôt l’option allemande ou scandinave. Fin février 2020, la région PACA lançait ses appels d’offres pour deux lots de liaisons, Marseille-Toulon-Nice d’une part, et les lignes autour de Nice d’autre part. Selon Challenges, le lot « Intermétropoles » Marseille-Toulon-Nice représente 10% de l’offre TER régionale. Le contrat de concession de 10 ans est estimé à 870 millions d’euros. Ce lot sera attribué à l’été 2021 pour un début d’exploitation à l’été 2025. Le lot « Azur » qui concerne les lignes Les Arcs-Draguignan-Nice-Vintimille, Grasse-Cannes et Nice-Breil-Tende représente lui 23% de l’offre TER régionale pour un contrat également de 10 ans estimé à 1,5 milliard d’euros, à attribuer à l’été 2021 pour un début d’exploitation en décembre 2024.

Z 24563/64 à Amiens, en avril 2010 (photo BB 22385 via common wikipedia)

De son côté, en avril 2019, la région des Hauts de France lançait un avis de pré-information : dix lots furent identifiés par les services de la Région sur quasi-totalité du réseau régional. Cet avis de pré-information publié au journal officiel européen permettait d’informer les différents opérateurs qui souhaiteraient répondre. « Nous souhaitons ouvrir à la concurrence 20 % du réseau régional. Il s’agit d’un test, » justifiait Luc Foutry, conseiller régional et président de la commission transports de la Région. Après neuf mois de réflexion, la Région a sélectionné les trois lots de lignes TER qui seront ouverts à la concurrence : l’étoile d’Amiens, l’étoile de Saint Pol et Paris-Beauvais. Ces trois lots cumulent 5 millions de trains-kilomètre par an. Les appels d’offre devraient être lancés courant de cet été.

D’autres régions, plus « engagées » politiquement, ne veulent pas autre chose que la SNCF. Ainsi l’Occitanie a signé, en 2018, une nouvelle convention avec la SNCF qui court jusqu’en 2025. « C’était une négociation compliquée. Elle nous a pris presque 18 mois, il a fallu tenir ferme. Car la SNCF d’aujourd’hui n’est pas la même que celle avec laquelle mes prédécesseurs avaient traité », raconte Jean-Luc Gibelin (PCF) au Bastamag. La grande maison aurait-elle changé rien qu’à la perspective d’être concurrencée ? Où trouvait-elle là une région « plus accommodante » à ses critères ? Difficile à départager.

Dans les pays qui pratiquent la régionalisation, a-t-on constaté la disparition de l’entreprise historique ? Sûrement pas ! Deutsche Bahn Regio revendique 64,8% de part de marché, les NS (Pays-Bas), près de 92%. En Suède, l’entreprise nationale SJ fournit toujours 56,6% de l’ensemble des voyageurs/kilomètres (incluant néanmoins les grandes lignes). Le choix du constructeur, notamment, est un sujet parfois politique. En Allemagne, les plaintes récurrentes des Länder tiennent à la position de force de DB Regio qui dispose d’une puissance financière (de l’État) lui permettant encore d’imposer son matériel roulant. Raison pour laquelle les Länder les plus riches achètent eux-mêmes leurs propres trains. Aux Pays-Bas, NS tente de reprendre la main sur certaines lignes concédées, provoquant des grincements politiques.

>>> À lire : Quand une région achète elle-même ses propres trains

Alors oui, les entreprises publiques ont perdu leur monopole, dans certaines conditions, et ne sont plus en posture de domination dans certains cas. Personne n’a recherché la mort de la SNCF, de la DB ou des NS. Simplement, il est vrai que pour s’aligner sur des coûts de production plus légers, les entreprises historiques ont revu entièrement leur modus operandi et certaines de leurs pratiques. C’était finalement le but recherché : ne plus faire du train régional avec les recettes du passé et mettre les élus locaux devant leurs responsabilités. L’expérience démontre donc que les entreprises historiques sont loin d’être liquidées, et que la régionalisation est un important levier pour contraindre au changement, ce qui est le vœux de tous les États…

Reste qu’au-delà du strict périmètre ferroviaire, il faut rapprocher les gens du train, ce qui est aussi le rôle des régions. Ce n’est pas gagné dans une France qui a vu ses campagnes se vider en près de 50 ans. Pourtant des solutions existent pour repeupler durablement les espaces le long des petites lignes.

>>> À lire : Et si on ramenait les gens plus proches des gares ?

On suivra tout cela avec une grande attention et les prochaines années vont se révéler assez riches, d’autant qu’une pandémie est entre-temps venu bousculer tous ces projets, à tout le moins sur le plan des finances et des perspectives de fréquentation.

Quelques sources :

2002 – Bruno Faivre d’Acier – Les premiers pas de la régionalisation ferroviaire

2008 – L’Usine Nouvelle – Les régions pilotent le succès des TER

2010 – Christian Desmaris – La régionalisation ferroviaire en France : une première évaluation par la méthode des comptes de surplus

2013 – Le Sénat – Le service public ferroviaire et les collectivités territoriales

2020 – Railway Gazette – Lightweight trains and no taboos in French secondary line rescue package

2020 – France Info – Pays de la Loire : la région met en concurrence plusieurs lignes ferroviaires de TER

2020 – Railway Gazette – Grand Est to pilot revitalisation of France’s rural branch lines

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Comment reconnecter trois millions d’allemands au train

Le réseau SWEG du Bade-Wurtemberg 

Selon Allianz Pro Schiene et le Verband Deutscher Verkehrsunternehmen (VDV), la réactivation de 238 lignes cumulant une longueur totale de 4.016 km permettrait de reconnecter au rail près de 291 communes totalisant trois millions de citoyens allemands. Audacieux ?

Partout en Europe, un kilométrage important de petites lignes ont été fermé à toute circulation. Contrairement à une idée reçue, ces fermetures n’étaient en rien dictées par l’Europe (ce n’est du reste pas son rôle), mais datent des politiques nationales des années 50 à 80, quand toutes les entreprises ferroviaires publiques exploitaient les trains locaux avec un manque d’enthousiasme évident. Exploiter des express Intercity puis ensuite des TGV était nettement plus prestigieux que de s’occuper d’une population rurale qui ne prend le train que sous couvert de tarifs sociaux.

En Allemagne aussi, de nombreuses fermetures de ligne eurent lieu quand, dans les années 70, la Deutsche Bahn préféra se concentrer sur les S-Bahn suburbains et les Intercity cadencés entre les grandes villes. Lors de la réunification, la Deutsche Bahn hérita en 1994 des décombres de l’ancienne Deutsche Reichsbahn d’Allemagne de l’Est. L’expérience ferroviaire communiste pèse encore très lourd aujourd’hui sur la balance, tout particulièrement en Saxe.

Beaucoup de lignes abandonnées ont toutefois conservé leur plateforme. Dirk Flege, directeur général d’Allianz pro Schiene, explique qu’en « réactivant des lignes ferroviaires désaffectées, nous pouvons arrêter et inverser des décennies de suppression de voies. C’est une solution pour réaliser un meilleur mix de trafic à l’avenir. » Contrairement à ce que l’on écrit trop souvent au sujet des villes, en Allemagne, environ 70 % des gens vivent dans des villes moyennes et petites ou dans des zones rurales. Nous sommes très loin de la situation française ou espagnole, avec des zones rurales vides. Une remarque bienvenue quand dans de nombreuses académies et chez certains experts, on perpétue l’idée que demain tout le monde habitera la ville. Or ces « experts » se basent sur des courbes croissances mondiales sans aucune comparaison avec nos espaces ruraux européens, bien plus peuplés que les espaces vides de l’Inde, d’Afrique ou du Texas.

Rame de l’ODEG, réseau autour de Berlin (photo ingolf via license flickr)

Le défis aujourd’hui est souvent politique : faut-il transformer ces plateformes en pistes cyclables ou les réactiver en ligne ferroviaires modernes ? La mobilité rurale fait en effet l’objet de nombreuses initiatives autres que le chemin de fer. On voit ainsi beaucoup d’associations insister plutôt sur la pratique du vélo, ce mode de transport bon marché « qui ne fait aucun bruit ». Or, la réactivation de lignes ferroviaires abandonnées depuis longtemps rencontre l’opposition des riverains qui ne veulent pas voir des « gros bus sur rails » au fond de leur jardin, fussent-ils « écologiques ». La bataille des idées est rude sur ce plan. Les écologistes les plus radicaux estiment d’ailleurs que le train n’est pas un outil écologique, car le bilan carbone de sa construction est selon eux négatif (acier, verre, plastiques divers, cuivre pour les câbles électriques, moteurs,…) et parce que « cela entretient le délire capitaliste des grandes firmes de constructeurs ». Chacun jugera…

Dirk Flege répond : « Le gouvernement fédéral allemand veut doubler le nombre de voyageurs par rail d’ici 2030 et porter la part de marché du transport ferroviaire de marchandises à 25 %. Cela ne fonctionnera que si l’infrastructure est développée de manière conséquente. La réutilisation des lignes ferroviaires désaffectées est un élément indispensable d’une stratégie de croissance qui met fin à des décennies de rétrécissement du réseau ferroviaire. » Cela parait évident : rapprocher les résidents ruraux des gares ne peut évidemment se faire que si on rouvre des lignes.

>>> À lire : Et si on ramenait les gens plus proches des gares ?

« Pour une grande majorité de cette population qui vit dans les zones moins denses, nous avons besoin de services de transport ferroviaire efficaces et respectueux de l’environnement. C’est une question de protection du climat, mais aussi d’égalité des conditions de vie. Si les chemins de fer doivent devenir le moyen de transport du 21ème siècle, alors nous devons prendre en compte l’ensemble du territoire et pas seulement les grandes villes et les conurbations pour le transport à longue distance, » explique Jörgen Boße, président du VDV. Dirk Flege : « En un an, le transport de voyageurs local a repris sur six lignes ferroviaires à l’échelle nationale. Cette réactivation est une énorme opportunité de rendre rapidement l’infrastructure ferroviaire apte au transport de davantage de voyageurs et de marchandises. »

Mais qui va payer cela, sachant que le manager d’infrastructure national, DB Netz, n’a pas les moyens de rouvrir ces lignes et est fortement occupé avec la maintenance très lourde du réseau existant ? Avec l’amendement de la loi sur le financement des transports municipaux (GVFG) en Allemagne, le gouvernement fédéral a considérablement amélioré les conditions cadres pour les projets de réactivation dans le transport de passagers. Cela vaut non seulement pour le montant des fonds mis à disposition, mais aussi pour les conditions de financement. Cette évolution positive conduit à réanimer les projets au niveau des communes et des Länder pour définir plus rapidement les réouvertures éligibles.

Le VDV et Allianz Pro Schiene ont produit une carte des réouvertures de lignes récentes.

(article basé sur la présentation d’Allianz Pro Schiene)

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2020 catastrophique puis remontée des trafics, selon SCI Verkehr

Dans son étude «Impact de la crise du COVID-19 sur le secteur ferroviaire en Europe» présentée aujourd’hui par le spécialiste de l’analyse de marché SCI Verkehr, l’impact de la pandémie de coronavirus sur le trafic ferroviaire européen provoquerait une baisse de 30 à 50% du trafic passagers pour 2020 puis une lente reprise. SCI Verkehr a analysé les effets à grande échelle sur les opérateurs, les propriétaires de véhicules et sur l’industrie des véhicules ferroviaires, pour lesquels la firme allemande retient trois scénarios.

Les restrictions de production et de contact sont en vigueur en Europe depuis mars et l’économie est au point mort dans de nombreux secteurs. Le transport ferroviaire de voyageurs a été directement touché et a baissé de plus de 90%, par exemple en Italie, en France et en Allemagne. Le transport ferroviaire de marchandises est de plus en plus affecté depuis avril et les opérateurs signalent des baisses comprises entre 20% et 35%. Le transport automobile, notamment,  est au point mort, ce qui impacte sur toute la chaîne en amont, notamment en sidérurgie, autre secteur traditionnel du rail.

L’évolution des choses dans les mois et les années à venir dépend en grande partie de l’évolution de la pandémie, de la durée des fermetures et de la stabilisation de l’économie. SCI Verkehr a formulé diverses hypothèses dans les trois scénarios «Retour des fermetures», «Marchés perturbés» et «Reprise rapide» et a esquissé le développement des performances de transport dans le transport ferroviaire de marchandises et de passagers.

(source SCI-Verkher)

Le scénario le plus optimiste montre qu’à l’automne 2021, on devrait avoir atteint un niveau de trafic à peu près identique… à l’automne 2019 ! Le scénario pessimiste est très largement en dessous. Ce qui laisse supposer un retour à la normale pour 2020/2023. Si un nouveau blocage à l’automne est de mise, SCI Verkehr prévoit une baisse du trafic passagers de 40% pour toute l’année 2020, le trafic de fret en Europe continentale diminuera de 10%. Dans ce scénario le plus probable, les experts en SCI vont pus loin et ne s’attendent pas à une reprise au niveau d’avant la crise avant 2023 ou 2024. Autant s’y préparer…

Le bureau d’étude tient compte du fait que la forte perte de revenus des sociétés de transport voyageurs serait susceptible d’être partiellement compensée par différents programmes gouvernementaux, ce qui permettrait de maintenir ce secteur à flots, mais dans des conditions qu’il reste à définir.

>>>À lire : L’après coronavirus, le grand retour au rail ?

De hauts responsables britanniques ont déclaré à la BBC que les ministres souhaitaient une certaine forme de distanciation sociale. Des discussions sont en cours pour essayer de déterminer ce qui pourrait être possible. Le patron d’un opérateur a déclaré que la distanciation sociale de toute nature serait « extrêmement difficile à gérer et à contrôler ». Un autre a déclaré que cette imposition réduirait la capacité d’un train de 70 à 90%. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les réseaux qui mènent à Londres, ni pour tous les trains du quotidiens d’Europe, générateurs de foules chaque matins et soirs, songeons au trafic scolaire.

En Suisse, le rétablissement des fameux horaires cadencés, fierté du pays, se fait par étape. « Des voyages avec correspondances en continu sont proposés dans la mesure du possible. Les défauts et les ruptures de connexion ne sont pas exclus lors de la première phase. Les CFF prévoient une nouvelle étape d’offre début juin, en fonction des nouvelles mesures d’assouplissement du Conseil fédéral. » En Suisse, la distance de 2 mètres entre les passagers s’applique mais si elle ne peut pas être respectée – par exemple aux heures de pointe – les passagers doivent alors porter des masques (qui n’est pas obligatoire là-bas). Les CFF ne prévoient actuellement pas de masque explicite. En Allemagne, en Autriche et en France, en revanche, les voyageurs doivent se protéger avec un couvre-bouche/nez appropriés. La Belgique a remis une toute grande majorité de ses trains depuis ce 4 mai.

Par ailleurs, les grandes gares risquent dorénavant de fonctionner en pures pertes, les commerces et établissements horeca restant inaccessibles jusqu’à de possibles levées qui devraient être les dernières.

(getty image)

Côté marchandises, les opérateurs du transport de marchandises initialement moins touchés doivent encaisser de faibles marges généralisées. Un manque de fonds d’investissement des chemins de fer aura un impact négatif sur l’achat de matériel roulant et sur le développement des trafics. En dépit de déclarations faisant état du maintien de 60 à 80 % des trains durant la crise, « le rail reste un secteur avec des marges assez basses, et avec 20% de revenus en moins, nous tirons la sonnette d’alarme », explique Paul Hegge, représentant du Belgian Rail Freight Forum.

Un malheur ne venant jamais seul, on sait aussi que le fret ferroviaire est un secteur d’activité pour lequel tout reste à faire en termes de digitalisation. A l’heure actuelle, les wagons sont encore des équipements purement mécaniques et pneumatiques (pas d’alimentation électrique). Ni les pratiques d’exploitation, ni les services apportés aux clients n’ont évolués au cours de ces dernières décennies. Les pertes de part de marché modales et intermodales, combinées à l’amoindrissement des marges financières des entreprises ferroviaires, brident les capacités d’investissements.

Pour le court terme jusqu’à la fin de 2021, il semble clair qu’il faudra tenir compte du développement de la pandémie et des restrictions sociales éventuelles qui nuiraient aux taux de remplissage, déjà calamiteux. L’évolution de la situation dans les mois et les années à venir dépendra en grande partie de la poursuite de la pandémie, de la durée des fermetures et de la stabilisation de l’économie.

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Regiojet achète polonais pour son trafic local

Le fabricant polonais de véhicules ferroviaires Pesa a publié le nouveau désign de ses automotrices Pesa Elf.eu, commandées par RegioJet pour ses opérations dans la région d’Ústí nad Labem.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi, Regiojet, acteur privé majeur sur les grandes lignes tchèques, slovaques et sur Prague-Vienne, avait fait offre et gagné une concession de service public dans l’est de la Tchéquie, ce qui était plutôt nouveau compte tenu ses objectifs d’obédience privée. Déjà gagnant d’une concession de service public sur la ligne R8 de 180 km entre Brno, Ostrava et Bohumín, pour huit ans, Regiojet a aussi signé un autre contrat local avec le gouvernement régional d’Ústí nad Labem, à l’extrême nord-est du pays, pour exploiter les lignes U5, U7, U13 de cette ville de 95.000 habitants. La région est frontalière avec la Saxe et par extension la région de Leipzig en Allemagne.

L’entreprise étend ainsi son business sur les appels d’offres publics, ce qui permet à Regiojet de s’installer durablement dans le paysage ferroviaire tchèque, encore très estampillé aux couleurs des České dráhy historiques. L’opérateur, pour son contrat dans la région d’Ústí nad Labem, s’est engagé à commander du nouveau matériel destiné à revitaliser un secteur régional où circulent encore beaucoup de vieilleries d’une autre époque. C’est de ce nouveau matériel dont il est question ici.

La valeur totale de la commande ne tourne qu’autour des 20 millions d’euros, pour 7 unités à deux caisses. PESA Bydgoszcz SA commencera à livrer les automotrices à partir du deuxième semestre de 2021, de manière à ce que les opérations puissent débuter pleinement lors du changement d’horaire de décembre 2021. Le modèle de rames Pesa Elf.eu, peu connu dans nos contrées, est une famille d’automotrices initialement produites depuis 2010 dans les usines Pesa à Bydgoszcz, en plusieurs versions, pour renouveler le matériel roulant régional polonais. Ce sont en quelque sorte les Régiolis ou des Flirt Stadler de l’Europe de l’Est, la comparaison s’arrêtant là…

Le modèle Elf.EU est une nouvelle version de la plate-forme Elf2 de Pesa. RegioJet va en être le tout premier client (d’où de probables remises financières), et le terme UE indique clairement que Pesa a l’ambition de revenir sur le marché après un certain nombre de difficultés, et de produire différentes configurations destinées au marché ferroviaire européen. Les unités sont à plancher bas. L’intérieur est climatisé et équipé d’un réseau Wi-Fi ainsi que de prises de courant 230V. Une toilette pour personnes à mobilité réduite est également disponible. L’ensemble de la rame est équipé d’un système d’information acoustique et par écrans permettant l’annonce des arrêts et d’autres informations sur la circulation en temps réel à l’aide de l’ordinateur de bord. Ces unités destinées à RegioJet seront multi-systèmes 3kV DC et 25kV 50 Hz AC, sont conformes aux normes des STI européennes et disposeront des système de signalisation et de contrôle des trains ETCS Niveau 2 de Bombardier. Reste à voir quel sera la tenue en exploitation de ce nouveau matériel régional.

Le nouveau design destiné à Regiojet a été publié ces jours-ci par le site polonais Rynek Kolejowy. La grande nouveauté – et le changement majeur -, concerne les deux faces frontales de l’automotrice, nettement moins arrondis que ses consœurs polonaises. D’après les connaisseurs tchèques, le nouveau train se rapprocherait des RegioPanters de Škoda Transportation. Ces nouvelles unités seront classées en Tchéquie dans la série 654.

Les coloris ne seraient en revanche pas définitifs. «La solution de couleurs des unités Pesa Elf.eu pour la région d’Ústí est en cours de modification. La visualisation n’est donc pas définitive. C’est une version opérationnelle qui n’a pas encore passé le processus d’approbation avec la région d’Ústí nad Labem », a déclaré le porte-parole de RegioJet, Aleš Ondrůj. La région d’Ústí nad Labem exige en effet que les transporteurs régionaux aient une couleur verte, qui est le symbole des Transports publics de cette région. Comme le look de Regiojet est le jaune oeuf, le compromis s’avère quelque peu ardu, mais il pourrait faire penser aux belles rames du hongrois GySev. Dans l’immédiat, ce look serait porté par les unités de série 628 que RegioJet déploiera à partir de décembre prochain, en attendant les nouvelles Pesa.

RegioJet exploitera la ligne U7 de Děčín à stí nad Labem-Střekov (rive droite de l’Elbe), la ligne U5 d’Ústí nad Labem à Bílina via pořiny, la ligne U13 de Most à Žatec, et assurera également des trains entre Most – Žatec , Most – Bílina, stí nad Labem západ – Štětí (1 service aller-retour) et Teplice – Litvínov. Le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire tchèque, SŽ DC, va électrifier un petit tronçon long de 2 km qui sépare deux villes locales avant l’entrée en service des nouvelles unités. Le contrat porte sur 5 millions d’euros au cours de la première année et Regiojet prévoit de produire 1 million de trains-kilomètres par an, soit 15% du trafic de cette région, au coût d’exploitation de 5 euros par kilomètre.  

Pour le perdant de ces lignes, l’entreprise publique historique České dráhy, les choses sont très claires. « L’histoire est terminée pour nous. Nous avons accepté que la région ait sélectionné un autre soumissionnaire. Cependant, nous avons souligné une chose qui est valable non seulement pour la région de Ústecký mais partout ailleurs : si un concurrent remporte un paquet de lignes précédemment exploitées par ČD, ce processus est irréversible. Nous allons déplacer notre personnel et nos trains vers d’autres lieux » , a déclaré le directeur général Kupec. Autrement dit sans retour de l’entreprise publique, laissant le champ libre à la concurrence ? À voir…

Cet exemple montre qu’avec une bonne politique d’appel d’offre, il est parfaitement possible de revitaliser un chemin de fer local sans pomper un fleuve d’argent et avec la qualité requise pour les déplacements d’aujourd’hui et de demain.

Quand une région programme 3,9 milliards d’investissements ferroviaire

Et c’est au Royaume-Uni que cela se passe ! Des dizaines de villes pourraient bénéficier du concept de Midlands Engine Rail, un programme d’amélioration de 3,9 milliards d’euros proposé par Midlands Connect pour réaménager le réseau ferroviaire de la région.

Le ‘Midlands Engine’ est un groupement de conseils locaux, d’autorités diverses, de partenariats entre des universités et des entreprises de la région, qui collabore activement avec le gouvernement pour créer une identité collective afin de permettre à la région de présenter les Midlands comme étant une région compétitive et attractive. Midlands Connect est la branche ‘Transport’ de Midlands Engine. Elle a été créée en octobre 2015 avec un objectif : déterminer quelle infrastructure de transport serait nécessaire pour stimuler l’économie de la région. Le partenariat est composé de 22 autorités locales, de 9 partenariats d’entreprises locales, des aéroports d’East Midlands et de Birmingham ainsi que des chambres de commerce s’étendant de la frontière galloise à la côte du Lincolnshire. Cette branche vient de présenter un programme ferroviaire de 3,9 milliards d’euros d’investissements et espère un soutien de Londres. Dans le contexte politique actuel, c’est un véritable défi…

Le programme, qui comprend sept projets couvrant les Midlands de l’Est et de l’Ouest, revêt une importance stratégique pour stimuler l’économie et promouvoir la durabilité, la productivité et la mobilité sociale dans la région. Il s’appuie sur le hub ferroviaire des Midlands, introduit en juin, et qui vise notamment à moderniser les itinéraires existants au lieu d’en construire de nouveaux. Quelque 673 millions d’euros serviraient à alimenter la ligne principale Midland reliant Market Harborough à Sheffield, programme annulé par le gouvernement en juillet 2017.

 

Le rapport, disponible à ce lien, est un document très intéressant qui montre les parts modales de chaque section des Midlands. Ce prospectus d’améliorations nécessite un investissement total d’environ 3,9 milliards d’euros. Midlands Engine Rail fournit ainsi au gouvernement un portefeuille de projets à long terme visant à investir pour la promotion de la mobilité sociale, de la durabilité accrue et de la croissance économique dans la région des Midlands, une ancienne région industrielle particulièrement sinistrée où le « Leave » avait dominé.

Midlands Engine Rail, dont le programme s’étendrait de 2022 à l’achèvement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse HS2 (elle-même retardée), apporterait dixit le rapport, des améliorations indispensables à la capacité de transport ferroviaire national, local et régional et pourrait accueillir 736 trains de voyageurs supplémentaires par jour sur le réseau. Au cours des deux dernières années, le nombre de voyageurs par chemin de fer dans les Midlands a augmenté plus rapidement qu’ailleurs au Royaume-Uni.

La plupart des itinéraires britanniques longue distance vont de Londres au nord ou au sud. Le train le plus rapide de Birmingham à Londres prend 73 minutes pour 161 kilomètres, presque aussi rapide que la moitié du temps nécessaire pour aller à Nottingham. Le programme Midlands Engine Rail raccourcirait le temps vers Nottingham à 33 minutes.

Jusqu’à 60 sites pourraient bénéficier de services améliorés, notamment Birmingham, Leicester, Coventry, Nottingham, Derby, Stoke-on-Trent, Crewe, Shrewsbury, Lincoln, Worcester et Wolverhampton. En raison de la position centrale des Midlands au cœur du réseau ferroviaire britannique, le programme revêt également une importance nationale et présente des avantages bien au-delà, pour Cardiff, Bristol, Newcastle, Kettering et Sheffield.

Entièrement intégré à la ligne à grande vitesse HS2, Midlands Engine Rail prévoit de créer deux nouveaux services conventionnels compatibles qui relieront directement les centres-villes de Nottingham et Leicester par le biais du nouveau réseau à grande vitesse. Les améliorations augmenteront la vitesse et la fréquence des services existants et introduiront de nouveaux services directs, tels que la connexion de Leicester aux villes de Leeds et de Coventry. En outre, il devrait réduire les émissions de CO2 et promouvoir le transport de voyageurs et de marchandises par rail.

Dans l’immédiat, les politiciens et les chefs d’entreprise régionaux demandent à Boris Johnson de soutenir le programme Midlands Engine Rail avec un financement à la phase initiale de son développement, soit 51 millions d’euros seulement au cours des trois prochaines années. Ces ‘influenceurs » veulent que Boris Johnson « manifeste le même enthousiasme pour les investissements d’infrastructure dans les Midlands que dans le Nord. » Si cela se réalisait, les mises à niveau seraient effectuées par étapes entre 2022 et 2030, date à laquelle la phase 2 de HS2 devrait en principe être mise en service.

Cet exemple montre que l’action d’une région peut être plus déterminante que celle d’un pouvoir central. Mais il faudra bien entendu examiner dans quelle mesure ces 3,9 milliards d’euros pourront être honoré dans un contexte politique très tendu. Wait and see…

(photo Abellio)