Où en est le projet de Stuttgart 21 ?

29/10/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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On l’a un peu oublié, ce projet. Stuttgart 21 est un projet ferroviaire et urbain visant à réagencer totalement le nœud ferroviaire de Stuttgart, et qui se poursuit par la ligne nouvelle Wendlingen–Ulm.

Stuttgart, 630.000 habitants, est la sixième ville d’Allemagne de même que la capitale du Bade-Wurtemberg, le deuxième Land le plus riche du pays. En 2007, l’ancien bourgmestre avait présenté Stuttgart aux investisseurs étrangers comme « la puissance créatrice de l’Allemagne ». La ville a dévoilé un nouveau logo et un slogan se décrivant comme ‘Das neue Herz Europas‘ («Le nouveau cœur de l’Europe»). Actuellement, la mairie est aux mains d’une alliance « verte » Bündnis 90 / Die Grünen.

Au niveau ferroviaire, la ville est située sur un axe majeur reliant Mannheim à Munich, mais se trouve en revanche à l’écart du grand flux rhénan Cologne-Bâle. Malgré une ligne la reliant à Zürich via Singen, on peut dire que Stuttgart n’est pas traversée par de grands flux internationaux comme l’est sa voisine Karlsruhe. La gare principale est en cul-de-sac, ce qui est toujours handicapant pour l’exploitation.

Le projet Stuttgart 21, lancé en 1995, est un chantier colossal visant à transformer la gare de Stuttgart en une gare souterraine traversante, ce qui permettrait de dégager une centaine d’hectares en centre-ville pour y construire des logements et de faire transiter beaucoup plus de trains qu’actuellement. Le projet vise à reconstruire une gare souterraine de 8 voies où convergent 3 lignes en tunnel reliant trois points extérieurs de la ville dont l’aéroport et le centre d’exposition voisin. Le coût très élevé du projet est devenu petit à petit le « Notre-Dame-des-Landes » allemand avec les désaccords entre politiciens et l’opposition du public qui s’enflamma quand il fallu abattre par exemple, des arbres centenaires du parc Schlossgarten. Le projet devint la nouvelle tête de turc des partis écologistes et anti-capitalistes mais en décembre 2011, Stuttgart 21 obtenait néanmoins le feu vert au travers d’un référendum recueillant 58,8% de votes favorables, mais la facture gonflait peu à peu pour arriver en 2013 à 7 milliards d’euros. Les élus verts du Bade-Wurtemberg, opposés au projet, ont dû «à contre cœur se résoudre au verdict des urnes, » ce qui engageait le Land dans le financement des travaux.

Actuellement, le projet financé par la DB, le gouvernement fédéral allemand, l’Union européenne, le Land de Bade-Wurtemberg, la ville de Stuttgart, l’aéroport de Stuttgart et le VVS, est estimé à 8,2 milliards d’euros. Prévu initialement pour 2020, l’ensemble ne devrait être délivré que pour 2024, voire même 2025 selon certaines sources.

Deux projets doivent être distingués à Stuttgart, tous deux gérés par la DB Project Stuttgart-Ulm :

  • D’une part le projet Stuttgart 21 susmentionné, qui concerne la ville et sa région englobant l’aéroport;
  • D’autre part sa prolongation sous forme d’une ligne nouvelle de entre l’aéroport et Ulm, budgétée à 3,7 milliards d’euros.

Le projet Stuttgart 21 est représenté sur la carte ci-dessous.

Les pointillés représentent bien des sections en tunnel, ce qui explique les coûts importants de ces projets. Au total, avec les deux projets, la DB construit 120 kilomètres, 81 ouvrages d’art et cinq gares.  La ligne nouvelle sera apte à 250km/h. 

Le cœur du projet Stuttgart 21 est bien évidemment sa nouvelle gare à 8 voies, qui est bâtie perpendiculairement à la gare actuelle,  grosso-modo sur un axe Est-Ouest, en rouge sur la carte ci-dessous. 

Le bâtiment historique de l’actuelle gare et ses annexes bénéficient d’un programme d’investissement de 250 millions d’euros. La nouvelle gare sera en souterrain sous le magnifique parc Schlossgarten et sera recouverte d’une dalle verte, selon la grande tradition actuelle. Le chantier est d’une très grande complexité car il faut veiller aux bâtiments environnants.

(Toutes les photos de DB Bahnprojekt Stuttgart–Ulm)

Le chantier de construction de la future station de métro du projet ferroviaire Stuttgart 21 il y a quelques mois.  Maintenant, le train fait une percée avec le dernier tube du tunnel jusqu'à la gare principale.

Les installations de la nouvelle gare permettraient de passer de 35 à 42 trains par heures, hors S-Bahn, puisque celui-ci reste dans l’actuelle gare souterraine qui lui est dédiée. Une fois la nouvelle gare terminée, la gare terminus existante fermera et l’ensemble du quartier pourra alors passé au stade d’un nouvel aménagement urbain. Selon les projets, 20 hectares sur la centaine seraient consacrés aux espaces verts.
(photo DB Bahnprojekt Stuttgart–Ulm)

Sur tous les fronts
Huit chantiers sont actuellement en cours dans le cadre de ce projet. Au nord, des tunnels sont en cours de construction pour offrir de meilleures connexions à Feuerbach et Bad Cannstatt. Il faut savoir que la ville de Stuttgart est très encaissée dans la vallée du Neckar, avec de nombreuses collines qui l’entourent.

Au sud, le tunnel Filder offrira une ligne directe vers l’aéroport de Stuttgart ainsi qu’une meilleure connexion avec la ligne Gäubahn jusqu’à Boblingen. Le site de l’aéroport jouxte, comme à Birmingham, le parc des Expositions, ce qui double l’intérêt du projet.

(photo DB Bahnprojekt Stuttgart–Ulm)

En mai dernier, le tunnel qui relie la future gare principale souterraine de Stuttgart à la plaine de Filder, était percé. Particularité, ce tunnel avale un dénivelé de près de 150 mètres pour atteindre la plaine de Filder, où est situé l’aéroport. Mesurant 9,5 kilomètres, ce tunnel bi- tubes constitue le plus long tunnel entre Stuttgart et Ulm. Pour le réaliser, la firme Herrenknecht a fourni un tunnelier de 2000 tonnes, 120 m de long et 10,82m de diamètre, appelé « Suse ». Le creusement avait démarré en automne 2014. Dans la partie la plus haute du tunnel, « Suse » a travaillé en mode EPB (à pression de terre) avec un transporteur à vis tandis que dans la section basse il a travaillé avec le principe du tunnelier à bouclier simple (mode ouvert) et un convoyeur à bande. 

Côté ferroviaire, le trajet en train de la gare principale de Stuttgart à l’aéroport ne prendrait dès lors que 8 minutes au lieu des 27 minutes actuellement. 10 millions de voyageurs seraient attendus, mais il faudra probablement réviser ce chiffre si la pandémie perdure…

Un tunnelier Herrenknecht achève le creusement du Filder Tunnel

Vers Ulm à 250km/h
Depuis l’aéroport, une nouvelle ligne est en cours de construction parallèlement à l’autoroute existante vers Wendlingen am Neckar dans le cadre de la nouvelle ligne à grande vitesse Stuttgart – Ulm. Une ligne mais deux projets, en fait. Ce mois d’octobre, la Deutsche Bahn attribuait les contrats pour la construction de la partie de ligne nouvelle entre Stuttgart-Feuerbach et Wendlingen, qui fait encore partie du « package » Stuttgart 21 (en vert ci-dessous). Au-delà, c’est le projet « purement » NBS de la Deutsche Bahn qui prend le relais, pour filer vers Ulm (en rouge ci-dessous).

Cette ligne nouvelle de 60 km entre Wendlingen et Ulm est conçue pour une vitesse maximale de 250 km/h et est construite en sept lots. La moitié de l’itinéraire est parallèle à l’autoroute A8 quand l’autre moitié se compose de 9 tunnels. L’intérêt de ce lien direct est que la nouvelle ligne emprunte un itinéraire plus direct que la ligne principale Stuttgart – Ulm existante, laquelle traverse les belles collines du Jura souabe mais au prix de nombreuses courbes et d’une ligne qui, à forte intensité de trafic, commence à vieillir.

Le point culminant de la nouvelle ligne est à 750m, ce qui signifie une montée de près de 500m sur la partie montante de 16km de Wendlingen vers Ulm. C’est trop raide pour les trains de marchandises lourds, de sorte que la nouvelle ligne sera limitée aux trains d’un poids maximum de 1 500 tonnes.

La ligne comporte une quarantaine d’ouvrages d’art ferroviaires et routiers. L’un des plus spectaculaires est celui du Filstal, long de 458 m, dont la structure culmine à 85m au dessus de la vallée, ce qui en fait le troisième plus haut pont ferroviaire d’Allemagne. Un pont qui a une double particularité :

  • d’abord il relie deux tunnels : le Boßler de huit kilomètres et celui de Steinbühl, de cinq kilomètres de long;
  • ensuite c’est un « bi-pont », puisqu’il prolonge les deux tunnels qui sont eux-mêmes… bi-tubes, comme on le remarque sur la photo ci-dessous.

« Cette configuration tunnel-pont-tunnel est très spéciale, » explique l’ingénieur civil Igor Zaidmann. Les constructeurs de ponts et de tunnels travaillent côte à côte dans un petit espace et doivent coordonner leurs étapes de travail. Malheureusement, si on peut dire, les voyageurs ne bénéficieront guère de la vue imprenable sur la vallée du Filstal : « un ICE mettra de sept à huit secondes pour effectuer la traversée, » explique Zaidmann. 

File:Baustelle Filstalbrücke-pjt1.jpg - Wikimedia Commons
Février 2019. Ne pas avoir le vertige… (photo Pjt56 via wikipedia)

Avec la mise en service de la nouvelle ligne à grande vitesse, les voyageurs longue distance gagneront environ 15 minutes sur l’actuel trajet Stuttgart-Ulm, qui prend aujourd’hui 56 minutes. 2 à 3 trains longue distance par heure circuleront sur la nouvelle ligne, ainsi que certains trains régionaux.

Fichier: NBS Wendlingen Ulm 18.jpg
La voie sur dalle à l’allemande, juillet 2020 (photo Zugnomade via wikipedia)

Comme souvent, la Deutsche Bahn a opté pour une voie sur dalle de béton, et au 15 octobre, près de 30 kilomètres de ligne (60km de voies), étaient déjà posées. Les deux tubes de 4.847 mètres du tunnel de Steinbühl, qui commence non loin de Hohenstadt, sont déjà pourvus de rails. De plus, plus de 800 mâts de caténaires ont déjà été érigés sur le plateau de l’Alb. Les premiers essais sont prévus pour 2022.

On peut donc conclure que Stuttgart entre dans la modernité avec un transport ferré qui mérite de nouvelles infrastructures. Car l’exploitation complète de cet ensemble de ligne se fera sous ETCS, ce qui ferait de Stuttgart la première ville d’Allemagne à être autant digitalisée au niveau ferroviaire. Mais on n’a pas encore les détails de la mise en oeuvre, qui s’annonce forcément complexe quand il faut relier les nouveaux tronçons avec les voies existantes.

Si on additionne avec la « vieille » ligne nouvelle Stuttgart-Mannheim, inaugurée en 1991 pour 280km/h et 24 millions de voyageurs par an, Stuttgart est au centre de trois éléments essentiels à la mobilité du futur, pandémie ou pas. Cette avalanche de béton et d’argent peut faire débat, mais on n’oublie pas que le Bade-Wurtemberg présente, au-delà de ces projets, une politique ferroviaire locale et régionale qui fait envie dans l’Europe entière. Il n’y a aucune raison d’être pessimiste, tout en gardant bien en tête qu’il n’y a pas de bons services de trains sans bonnes infrastructures…

29/10/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Avantages et limites du tram-train

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15/10/2018
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Karlsruhe est une ville du Bade-Wurtemberg, qui s’est fait connaître par son célèbre tram-train, lequel est fréquemment pris en exemple dans de nombreux cénacles académiques ou politiques. Il est nécessaire d’analyser plus en profondeur les atouts – et les limites – du système tram-train.

Karlsruhe, 300.000 habitants, est située sur le grand axe ferroviaire Francfort-Bâle, tout au nord de la région très touristique de la Forêt-Noire. La ville avait déjà une expérience d’implantation de tram sur une ancienne ligne de chemin de fer. C’est en effet en 1957 qu’est née la Albtal-Verkehrs-Gesellschaft (AVG), laquelle reprend en main une ancienne ligne de la DEBG qui va mener le tram à quitter l’agglomération au sud par étapes successives vers Ettlingen puis Busenbach et enfin Itterbach en 1966. Sur cette ligne, le tram utilise ses propres règles ainsi que le courant continu 750V. Dans les années 70, la ville veut réactiver d’autres voies qui sont encore la propriété de la Deutsche Bahn, avec laquelle d’intenses négociations doivent être entamées, en dépit de l’utilisation faible et exclusivement marchandise de la ligne. C’est que les critères ferroviaires sont obligatoirement d’application lorsqu’on doit emprunter les voies ferrées dites « grand train ».   Le 23 décembre 1977 un contrat d’affermage entre DB et AVG est finalement conclu qui autorise l’AVG d’une utilisation partagée de la ligne fret avec la DB jusqu’à Neureut.

C’est finalement de 25 septembre 1992 que le premier vrai tram-train bi-tension du monde devient réalité. Tout va alors très vite avec la multiplication exponentielle du trafic. On parle dès lors du « Karksruher Modell » dont le concept va se répandre dans le monde entier ! Autour de la ville, de prolongations en ouvertures de lignes, on en arrive à un vaste « S-Bahn » version tram dont le réseau couvre actuellement plus de 400 kilomètres, jusqu’au fin fond de la Forêt-Noire allemande. Particularité de ce tram-train : à la gare principale (Karlsruhe Hauptbahnhof), les trams-trains quittent les voies ferrées et se dirigent vers le centre-ville en tant que trams urbains classiques.

Côté technique, il a fallu tout d’abord définir qui certifiait quoi. Les trams relèvent en effet du BOStrab, qui est une ordonnance sur la construction et l’exploitation de tramways et qui énumère les exigences de base et les dispositions relatives à la sécurité de l’exploitation des tramways. Mais quand on emprunte les lignes ferrées de la DB, cela relève de l’EBO, l’organisme qui gère le Règlement de Construction et d’Exploitation ferroviaire. Les deux entités ont ainsi octroyé les permis d’exploitation de tram-train bicourant, 750V DC et 15kV AC.

Un tram-train sur une voie normale électrifiée de la DB. C’est cela le « modèle Karlsruhe » (photo Heiko S via licence flickr)

Lors de la mise en service de la ligne Bretten-Karlsruhe en 1992, le nombre de passagers a doublé en un an, en partie parce que le chemin de fer a laissé dégénérer ses itinéraires régionaux. Mulhouse, Sarrebruck, Kassel et Chemnitz ont repris le « Karlsruher modell

Les limites de Karlsruhe

Le système Karlsruhe a dépassé toutes les espérances. Trop même. Avec un schéma régional impliquant quasi toutes les lignes tram-train opérant dans le centre-ville, Karlsruhe avait pratiquement « déplacé » sa gare principale en plein centre-ville, après l’avoir déplacée au sud avant la Première Guerre mondiale. Résultats : en heure de pointe, jusqu’à 144 trams de six lignes différentes convergent vers la place du marché et la célèbre rue commerçante Kaiserstraße. Laquelle se plaint : on n’y voit plus qu’un mur de trams à certaines heures de la journée. Pire : le règlement de l’AVG n’autorise pas les conducteurs à ouvrir les portes en cas d’embouteillage de trams ou d’un tram en panne qui bloque tout. Les passagers doivent patienter à bord juqu’à l’arrivée aux arrêts pendant que sur les côtés, les badauds déambulent gaiement… On notera que c’est le cas de tous les réseaux de tram du monde. Néanmoins, de plaintes en crises de nerf, la Kaiserstraße avait perdu de son charme et les accidents se sont accumulés. Un traitement de choc s’imposait.

Un mur de tram : pas vraiment ce qui était souhaité au départ ! (photo VDE)

Dès 2003, il devient évident que des limites sont atteintes, notamment les samedis, en termes de sécurité et… d’efficacité. Les urbanistes redécouvrent « le charme des kilomètres de tunnels », selon l’ironie du Frankfurter Allgemeine. Ils suggérèrent que le trafic des trams de la Kaiserstraße ainsi que le trafic automobile de la Kriegsstraße soient enfouis en sous-sol, les deux rues devenant totalement piétonnes, sans aucuns véhicules. Cela a abouti à un projet gigantesque au regard d’une ville moyenne : pour un total de 496 millions d’euros, les ingénieurs ont projeté près de 2,4 km de tunnels sous la Kaiserstraße. Il y aurait sept stations souterraines, toutes de couleur blanche et, une fois achevées en 2019, « il est peu probable que leur nuance diffère de la conception d’un magasin d’Apple. » dixit toujours le même journal.

De l’air libre… au souterrain. Ce n’est pas vraiment l’esprit du tram en centre-ville (photo suelzle-stahlpartner.de)

Deux ans après le début de la construction, les tunnels du tramway avaient déjà deux ans de retard. Ré-estimés à 788 millions d’euros en 2016, le projet de construction dépasserait maintenant le milliard d’euros selon ses détracteurs. La mise en service, prévue en 2019, est repoussée à 2020/2021.

Les limites du réseau extérieur

Une des lignes du réseau de Karlsruhe part loin, très loin. Freudenstadt est une petite ville touristique au centre de la Forêt-Noire et se situe à… 82km de la Kaiserstraße ! On peut raisonnablement se demander quels clients font le trajet de bout en bout. Même si on se contente du début de la Forêt-Noire, ce sont tout de même près de 40 à 50 kilomètres à se « farcir en confort tram », soit l’équivalent de Bruxelles-Gand ou Paris-Fontainebleau.

Bien loin de Karlsruhe, ce tram-train en pleine Forêt-Noire va marquer l’arrêt à Husenbach (photo Mediarail.be)

Bien-sûr, avec un tram, l’autorité organisatrice peut ainsi faire du train moins cher bien loin des villes, et les trams de la Forêt-Noire sont surtout là pour maintenir en exploitation des petites lignes moins gourmandes en entretien, en dépit de leur électrification. C’est d’ailleurs un des arguments souvent rencontrés chez les promoteurs du tram-train. Mais justement….

Pourquoi il y a si peu de tram-trains en Europe ?

Il y a d’abord la définition du tram-train, qui s’est élargie selon le degré d’exploitation, au « train-léger ». Les rares exemples de tram-train « à la française », excepté Mulhouse – Thann, sont plutôt catalogués comme « train léger », sans être systématiquement compatibles avec l’exploitation SNCF, par exemple au niveau des passages à niveau. À Nantes, le tram-train n’est rien d’autre que la reprise en main d’une petite ligne locale menant à Châteaubriant.

De manière générale, le véritable tram-train est celui qui roule sur des voies ferrées « lourdes », où circulent d’autres « vrais trains ». En dehors de Karlsruhe, les exemples ne sont pas légion. L’excellent site light-rail.nl a décortiqué toute une série de paramètres indispensables à la bonne mise en marche d’un réseau de tram-train.

> Le prix de la technique

Quoiqu’on en dise, le concept tram-train représente une forme de transport public onéreux et complexe. Le prix s’alourdit si l’emprunt d’une infrastructure ferroviaire lourde requiert une chaîne de traction bicourant et l’adjonction de systèmes de sécurité complémentaires, cas du tram-train de Karlsruhe. On se dirige alors plutôt vers un « train léger », ce qui n’est pas la même chose. Au niveau technique, les tram-trains ont une rigidité de caisse inférieure à celle des véhicules ferroviaires lourds standard et ne répondent donc pas aux exigences de rigidité de l’UIC. La sécurité active du système doit donc être accrue pour atteindre un niveau de sécurité acceptable dans les opérations mixtes sur voies ferrées standard. Par conséquent, des règles spécifiques pour les opérations mixtes doivent être suivies («directives LNT» / directives pour les véhicules de transport en commun rapides et légers). Ces directives ont été publiées en Allemagne après la mise en place du système de Karlsruhe. Elles fixent la vitesse maximale des véhicules tram-train à 90 km / h (ou 100 km / h si des exigences supplémentaires sont remplies).

> Contexte institutionnel

Les projets tram-trains sont compliqués et nécessitent une réglementation forte de haute qualité. Presque tous ces projets couvrent des corridors régionaux qui dépassent souvent le cadre géographique d’une collectivité urbaine ou d’une intercommunale. De manière générale, la construction et l’exploitation d’infrastructures de transport public sont financées par diverses sources. Les sources de financement locales et régionales revêtent une grande importance. Le succès d’un projet tram-train dépend dans une large mesure du degré de compétences juridiques et fonctionnelles des autorités de transport. Or, en matière ferroviaire, certains pays sont plus avancés, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, tandis que dans d’autres, ce sont les chemins de fer nationaux qui mettent leur éventuel véto.

> Les caractéristiques locales

Une culture très avancée du transport public est une condition préalable au succès du tram-train. Sans surprises, les villes disposant déjà d’un réseau de tram urbain sont généralement prédisposées à l’accueillir. À contrario, il est nécessaire de construire une ligne de tram dans le centre-ville, voire de « piétoniser » une ou deux rues de celui-ci. D’autre part, si toutes les villes ont des gares, toutes n’ont pas nécessairement leur grande rue commerçante à proximité, comme à Cologne, Düsseldorf ou Hambourg. Pour qu’un tram-train se justifie, le fossé entre la gare principale et le centre-ville devrait être d’au moins 1.000 à 1.500 mètres, soit une distance de marche d’environ 10 à 20 minutes, comme par exemple Gand ou Liège. En-dessous de cette limite, mieux vaut en rester au transport public traditionnel avec rupture de charge à la gare principale. Par ailleurs, de nombreux centres urbains ont un caractère historique. Ils constituent une source de patrimoine culturel (comme en Italie), lequel pourrait limiter l’utilisation du tram pour des raisons esthétiques compréhensibles. On songe à l’alimentation par caténaire et ses fils qui viennent gâcher l’environnement local. Si la remarque vaut pour un réseau de tram traditionnel, l’option d’un tram-train « bimode » alourdit encore un peu plus la facture des rames, lesquelles sont souvent produites sur mesure.

UNe urbanisation à la fois intelligente, proche du tram-train, mais aussi…de construction durable (illustration)

> Localisation des emplois et des logements

Les services de tram-train dépendent fortement des flux de passagers potentiels au regard des divers types de destinations, de leur localisation ainsi que de leur pertinence, comme les bureaux, les écoles / universités, les magasins et les zones de loisirs. C’est un calcul complexe qui différencie une ville de l’autre, mais la dispersion des lieux publics est néfaste aux transports publics, donc au tram-train. Les villes non-universitaires ont parfois des centres moins attractifs. Le succès d’un réseau tram-train dépend aussi dans une large mesure des flux importants- ou non – vers le centre-ville. L’attractivité du centre-ville est prépondérante, mais l’inverse se produit aussi. Ainsi, bien que difficilement vérifiable, on estime qu’à Karlsruhe, le tram-train a pu également avoir une influence positive sur le développement du centre-ville. Environ 300 nouveaux magasins ont ouvert dans le centre-ville entre 2003 et 2006.

> L’urbanisation régionale

L’environnement régional compte aussi pour beaucoup. Il ne peut pas être un désert comme du côté de Reims, Amiens ou autour de nombreuses villes d’Espagne. À Karlsruhe, la politique d’urbanisme et de maîtrise du territoire s’inscrit justement autour des lignes du tram-train, voire d’un projet d’extension future du réseau. Vient alors la délicate question de la densité idéale des zones périurbaines pour exploiter un tram-train. Le système tram-train est système hybride situé entre le bus et le train régional. Étant donné que ces véhicules circulent dans les rues du centre-ville, leur capacité est limitée. Certains experts estiment alors que la densité de population doit « coller » avec la capacité suffisante du tram-train pour satisfaire la demande. Si la densité est trop faible, un système tram-train serait alors inapproprié, comme on l’a constaté sur Nantes-Chateaubriant. Il va de soi qu’un tel critère demande un très haut degré de coordination, voire de planification, qui ne se rencontre quasi nulle part. En général, l’immobilier construit ses projets et c’est aux opérateurs à adapter les fréquences…

> L’attractivité tarifaire

La billetterie est aussi un argument souvent évoqué pour la promotion du tram-train. En effet, le tram-train, c’est le même opérateur en ville qu’à l’extérieur, ce qui simplifierait les choses. Mais l’argument ne tient plus dès l’instant où existe déjà une intégration tarifaire, comme aux Pays-Bas avec l’OV-chipkaart, valable chez tous les transporteurs, qu’ils soient tram-train ou pas. L’attractivité tarifaire est évidemment fonction des circonstances locales. Elle se décline souvent par zones, la « zone 1 » étant le centre-ville. Ces schémas se retrouvent aujourd’hui dans tous les transports publics et le tram-train n’apporte rien de plus si ce n’est l’absence de rupture de charge, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la billetterie.

Au-delà de Karlsruhe

Il y a eu un moment de grands espoirs, fin des années 90, début 2000, pour faire prospérer le système tram-train. Nous ne les citerons que pour mémoire. En France, les spécificités françaises du tram-train sont dues à la confrontation de deux cultures : celle de la SNCF et celle des transports urbains, qui ne relèvent pas du même monde. On a donc vu, de Nantes à Paris, l’adoption de solutions qui se rapprochent davantage du train léger ou, carrément, du tram de 2,65m de large en site propre, parfois sur des tronçons ex-SNCF où l’exploitation ferroviaire est de toute manière proscrite. Ça simplifie les choses… et le chacun chez soi.

L’exception est le tram-train de Sarreguemines-Sarrebrück. Inaugurée en octobre 1997, la ligne utilise 5 kilomètres de portions urbaines de type tramway, ainsi que 13 kilomètres du réseau ferré DB, pour terminer par une très courte incursion en France à la gare de Sarreguemines. À Mulhouse, le service de tram-train utilise 12 rames Siemens Avanto de 36,68 m de long. Ces unités ont été financées et appartiennent conjointement à la région Alsace et à la MAA. Les chauffeurs viennent de la SNCF (75%) et de Soléa (25%). La ligne relève de la responsabilité de Soléa jusqu’à Lutterbach, la SNCF reprenant la responsabilité jusqu’à Thann et Kruth. La mixité n’existe que par le (très léger) trafic fret.

En gare de Cernay, croisement entre le tram-train 18 et la 60111 de la SNCF qui dessert une usine chimique (août 2016, photo David Schangel via license flickr)

En Grande-Bretagne, le tramway de Croydon ne doit pas faire illusion : c’est un « pur tram » en site propre, avec un mélange comprenant des voiries partagées, des sites propres et des voies remplaçant d’anciennes lignes de chemin de fer déclassées. Pas de mixité avec les trains lourds. À Genève, on a tenté le coup aussi, avec cinq automotrices Bem550 se rapprochant plus de l’autorail que du tram. Là ce fût inversement du pur ferroviaire, sans desserte du centre-ville. Toutes les rames sont parties à la casse en 2014 et le Léman-Express, le RER genevois, sera opéré par des trains « lourds » en bonne et due forme.

Aux Pays-Bas, une brève expérience eut aussi lieu dans la Randstad, semblable à celle de Genève. Un trafic de style tram fût initié de 2003 à 2009 sur la ligne ferroviaire Gouda – Alphen aan den Rijn, mais devait aussi s’étendre bien au-delà. L’incertitude concernant l’aide financière du gouvernement central a retardé puis finalement conduit à l’annulation du projet. Depuis 2011, un nouveau projet purement ferroviaire a abouti à la création d’un RER avec en pointe 4 trains par heure, généralement des rames Stadler Flirt 3.

C’est surtout en Allemagne, grâce au contexte politique et législatif favorable, que l’on trouve le plus d’exemples. Des projets de deuxième génération tels que Kassel, Nordhausen, Chemnitz ou Zwickau ont apporté une innovation sérieuse à tram-train en adaptant et en élargissant l’idée originale de Karlsruhe. Le Citybahn de Chemnitz a démontré une symbiose intelligente entre les opérations de trains légers électriques et de trains lourds diesel au sein d’une même société d’exploitation. À Kassel depuis 2007, des trams-trains bi-mode, électriques / diesel, circulent entre le centre-ville et plusieurs lignes régionales. Certaines portions du réseau sont « mixées » avec le trafic lourd de la DB. Ces trams-trains sont du type Alstom RegioCitadis classés E/D, et sont exploités sur la ligne Kassel-Wolfhagen.

Les Citadis « diesel » d’Alstom permettent de parcourir la section non-électrifiée vers Wolfhagen (photo wikipedia)

Conclusions

Le modèle Karlsruhe reste un cas typique sans reproduction ailleurs avec une telle ampleur. Le nombre de cas mis en œuvre est limité et les projets qui sont allés plus loin que l’étude de faisabilité initiale se sont souvent développés dans une autre direction. Même en Allemagne, avec des structures réglementaires et politiques très favorables, les progrès ont été beaucoup plus lents que prévu.

Même si l’idée d’offrir un transport sans couture vers les centres-villes demeure l’objectif de haut niveau d’un transport public, les projets ne doivent pas être traités de manière trop dogmatique consistant à éviter toute rupture de charge. Car tout a un coût. La conception du matériel roulant est une caractéristique importante. Malgré toutes les exigences techniques supplémentaires d’un véhicule tram-train, il ne sera pas acceptable de conduire un « vilain petit canard » aux côtés de tramways « normaux ». C’est certainement l’un des problèmes qui a surgi en France, où la plupart des systèmes ont été développés à partir d’une feuille blanche, la SNCF souhaitant faire main basse sur un concept qui était plus du ressort de la RATP.

On ne peut pas supposer que l’utilisation de deux infrastructures existantes entraîne automatiquement une combinaison peu coûteuse des deux. Là est l’erreur des politiciens et des « experts de la com ‘ ». Les principaux facteurs de coût concernent les installations régionales d’électrification, de sécurité et de détection, des liaisons physiques d’infrastructures de chemin de fer et de tramway (souvent en plein ville – manque de place), voire la création d’infrastructure de tramway et les adaptations nécessaires des réseaux existants, ce qui peut coûter cher dans les centres-villes.

Aurons-nous de nouvelles versions de tram-train avec les évolutions technologiques des batteries, voire de l’hydrogène ? On ne peut que le souhaiter…

Une image du futur préfigurant l’avenir ? Tout dépend des coûts et de la motorisation (tram-train de Kassel, photo Werner Wilmes via license flickr)

15/10/2018 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Références

www.lightrail.nl

La Kaiserstraße victime de son succès

Un centre ville est en train d’être creusé

A checklist for successful application of tram-train systems in Europe

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