Ce que risque Eurostar en cas de Brexit


05/12/2016 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Le 16 novembre dernier, Eurostar était invité par une sous-commission du marché intérieur de l’UE de la Chambre des Lords. L’entreprise ferroviaire a fait une présentation concernant une enquête plus large intitulée « Brexit : échanges futurs entre le Royaume – Uni et l’UE au niveau des services ». Et on peut déjà dire qu’un éventuel Brexit aura des répercussions fâcheuses sur l’entreprise. Un « détail » que le populisme ambiant en Grande-Bretagne n’a bien-sûr pas voulu voir ni même évoquer…

Ainsi, à la question des Lords : « est-ce que quitter l’UE soulève d’importants avantages ou opportunités de croissance pour votre entreprise / secteur? Quels sont ceux – ci et comment peuvent-ils être mieux exploités ? Dans quelle mesure compensent-ils / l’emportent-ils sur les préoccupations au sujet de l’accès réduit aux marchés de l’UE ? », Eurostar offre une réponse laconique :

Non.

Et de préciser :

– Il n’y a pas d’avantages ou des possibilités de croissance que nous ayons pu identifier en quittant l’UE. En tant qu’opérateur transfrontalier, nos coûts fixes sont déjà très élevés, et dans de nombreux cas, l’analyse de la rentabilisation est marginale. Tout coût supplémentaire, aussi petit soit-il, ne ferait qu’ajouter à ces coûts et aux risques, soit par une hausse des prix pour les passagers ou, si le marché ne peut pas le supporter, soit par des opérations [financièrement] insoutenables dans sa forme actuelle.

L’argumentation du transporteur nous en apprend alors un peu plus sur ce qui fait le business d’Eurostar International Ltd, une société rappelons-le de droit britannique ayant son siège social à Londres. Concernant le personnel :

– la grande vitesse ferroviaire internationale est une industrie hautement technique. Afin de fournir un service compétitif avec succès, Eurostar repose sur l’expertise non seulement des  collègues basés en Grande-Bretagne, mais à partir d’une base de talents dans les autres États membres de l’UE. Nous avons besoin que ces travailleurs soient mobiles, non seulement pour soutenir notre entreprise et ses besoins, mais aussi pour être en mesure d’attirer les meilleurs talents dans un marché international concurrentiel.

Nous employons environ 1.800 personnes au Royaume – Uni, dont les trois quarts aux gares d’Ashford, St Pancras et Ebbsfleet, au siège de Londres, au centre de contact d’Ashford et au centre d’ingénierie de Stratford. Nous payons des impôts au Royaume – Uni, et nous avons toujours été classés comme «faible risque» par HMRC.

Eurostar est une société pan-européenne, et environ 40% de nos effectifs au Royaume – Uni sont des citoyens non britanniques. Cela pose des questions en matière de compétences et d’expérience [mais cela donne] une valeur significative à notre marque [qui] est notre diversité. Nous sommes connus pour notre atmosphère européenne, reflétant les marchés et les clients que nous servons (…) Dans les enquêtes d’engagement du personnel, la «diversité» est régulièrement classé par les employés comme l’un des points positifs clés pour l’emploi chez Eurostar et nous sommes fiers de cela.

L’entreprise explique la problématique de réglementations du travail différenciées en cas de Brexit :

– Des règles plus restrictives pour l’emploi des ressortissants non britanniques rendraient le recrutement difficile et coûteux : une entreprise de taille moyenne telle que la nôtre n’a pas un département des ressources humaines axé sur des processus de travail complexes. De même, la restriction des avantages d’emploi pour les citoyens de l’UE ferait d’Eurostar, une société basée au Royaume – Uni, une société beaucoup moins attrayante, et probablement entraînerait une pénurie des compétences.

– [il y aurait un danger au niveau du management] si les règles futures devaient tenter de faire une telle distinction pour décider quels individus sont autorisés à travailler au Royaume – Uni ou non. Tous les niveaux de la société sont – par sa nature même – dépendants des compétences de chacun [quelle que soit sa nationalité].

Eurostar craint surtout pour son statut. Le Brexit la met en dehors du cadre de l’Union et l’accès au marché européen se ferait à un niveau très inférieur, celui de l’Espace Economique Européen (EEE). Explications :

Opérer sous les termes de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ferait d’Eurostar un business compliqué si cela se traduit (comme il est probable) en obligations douanières et en procédures MPlex à exécuter pour les ressortissants non-britanniques (…) Tout rétablissement de visas et d’obligations d’immigration créerait de la congestion dans nos gares déjà limitées en espace, allongerait le voyage et finirait par menacer le service Eurostar tel que nous le connaissons actuellement.

Brexit

La société donne des chiffres concernant la réintroduction des opérations douanières classiques :

– L’expérience montre que la suppression [de l’actuel système] des contrôles juxtaposés et son remplacement par [des contrôles] à « l’arrivée » augmenterait la durée du trajet de  +/- 40 minutes dans chaque sens. C’est tout le bénéfice de la LGV britannique HS1 – et ses milliards en construction – qui partirait en fumée. Le nombre de passagers utilisant le service pourrait tomber de manière significative dans une telle éventualité, avec un accent particulier sur le segment du Voyage d’affaires, très sensible au temps.

Bien que le secteur aérien souffrirait du même handicap douanier en cas de Brexit, une hausse des temps de voyage de telle ampleur provoquerait à coup sûr un retour du segment des voyages d’affaires vers l’avion, l’exact contraire de la politique environnementale et des différentes COP signées par les Etats. Le Brexit torpille aussi tout une clientèle fidèle qui a adopté l’Eurostar et ses avantages :

Nous transportons annuellement 10 Millions de voyageurs. Environ la moitié des clients de l’Eurostar sont engagés dans du business entre le Royaume – Uni et l’Europe continentale. Une proportion importante de ces clients travaille pour des entreprises françaises basées à Londres ou, dans une moindre mesure, des entreprises britanniques basées à Paris ou à Bruxelles. Environ 3 Millions de voyageurs sont des touristes visitant la capitale britannique.

De même, nous soutenons une communauté de plus de 350.000 citoyens britanniques qui vivent et font des affaires en France, en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas.

– Les obstacles au commerce, ou même l’incertitude quant au risque de futurs obstacles, risquerait de réduire la demande et pourrait conduire des entreprises à délocaliser une partie ou la totalité de leurs opérations. L’incertitude pourrait réduire les investissements étrangers, par exemple les entrepreneurs européens qui ne viendraient plus à Londres pour ouvrir une start-up. Ceci aurait de graves conséquences pour Eurostar comme entreprise de transport.

Le document de la Chambre des Lords pointe aussi les aspects réglementaires. Contrairement à de nombreux opérateurs nationaux, Eurostar exploite ses trains avec cinq gestionnaires d’infrastructure (France , Belgique , Royaume-Uni, Eurotunnel et bientôt les Pays-Bas avec la futur liaison vers Amsterdam), dans le cadre d’une série de lois et de directives réglementaires. Dans ce contexte complexe, l’UE a pour but de faciliter le voyage ferroviaire transfrontalier à travers un éventail de règles unifiées qui ont un impact positif sur Eurostar. La remise en cause de ces règles nuirait clairement au business model d’Eurostar, comme nous l’avons détaillé plus haut.

Voilà donc une conséquence ferroviaire fâcheuse d’un éventuel Brexit toujours programmé outre-Manche. Reste à voir si Eurostar, qui n’est pas la seule, sera entendue à Westminster au vu de l’ambiance actuelle…

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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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