ATO : l’automatisation de la conduite des trains


25/06/2024 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Elle arrive doucement, elle est déjà en service sur quelques lignes en Europe. L’ATO, pour Automatic Train Operation, est un concept qui est amené à se développer à l’avenir, sans remplacer pour autant le conducteur. Explication.

Déjà existant

Le train sans conducteur fait rêver – ou pas -, mais en réalité il existe déjà sur plus de 1000 kilomètres de lignes dans 42 villes du monde. En réalité il s’agit de métros automatiques. Facile ?

En quelque sorte, oui. Les métros, comme chacun sait, sont des systèmes clos dont la conception même leur permet un degré élevé – voire total – d’automatisation. Les voies sont en effet protégées de toute forme d’intrusion, par le fait d’être en viaduc ou en tunnel selon les cas. Les gares elles-mêmes sont des endroits doublement fermés : on y accède par des portiques (pour la billetterie), et les quais sont souvent – mais pas toujours -, protégés de la voie par des portes palières.

Enfin, chose importante pour faciliter l’automatisation, le matériel roulant est uniforme et est amené à fournir un service répétitif tout au long de la journée : on s’arrête à toutes les stations, il n’y a pas d’express ou de semi-directs. Cette simplicité, les ordinateurs adorent : pas de chichis, pas de complications.

Transposable au « grand train » ?

La réponse est connue : c’est non. Du moins au stade actuel. Le métro a certes une ressemblance certaine avec le « grand chemin de fer », il est clair que des différences majeures les opposent.

L’exploitation ferroviaire fait appel tout d’abord à une variété importante de matériel roulant, qui a des performances et des poids différents. L’exploitation elle-même est multiforme, avec des trains qui s’arrêtent partout et d’autres qui ne s’arrêtent qu’à quelques gares. Les vitesses sont aussi différentes (fret vs voyageurs) et les rattrapages fréquents.

Les gares sont pour la toute grande majorité des milieux ouverts, sans portiques ni portes palières. Les intrusions sur les voies sont hélas possibles quasiment partout, à l’exception notable des lignes TGV. Il y a des passages à niveau qui restent des points noirs pour la sécurité.

En un mot, le concept du métro automatique n’est pas transposable tel quel sur le « grand chemin de fer ». Alors pourquoi s’esquinter à vouloir automatiser ? Et quels trains ?

L’ATO en bref

À l’inverse du métro, qui peut directement obtenir le degré d’automatisation le plus élevé, les défis ferroviaires (milieu ouvert, variété trop importante de matériel roulant), militent pour une approche par phases, ou par grades.

L’ATO est ainsi divisé en quatre grades distincts :


Le grade 3 ou 4 (GoA 3, GoA 4) n’a jusqu’à aujourd’hui pas d’exemple ferroviaire à fournir. En cause : la probable nécessité d’installer sur le matériel roulant un système de détection des obstacles. Il y a des tests déjà en cours mais nous verrons à l’avenir si cette détection est obligatoire, et à quel niveau.

Quels trains ?

L’approche par phase – et prudente -, a conduit à s’en tenir pour le moment au grade GoA 2, là où cela semble à priori le plus approprié :

  • Sur des services de type RER / S-Bahn à forte circulation ;
  • Pour des missions à caractère répétitif.

Mais avec aussi un certain nombre de conditions :

  • Superposition à la signalisation existante (ETCS ou CBTC le cas échéant)
  • Nécessité d’une transmission voie/machine (GSM-R)
  • Maintien du conducteur à bord

Dans les détails, cela signifie que l’ATO se superpose à l’ETCS et qu’il n’y a pas d’interface possible avec la signalisation nationale (TBL1+ en Belgique, KVB en France, etc). La transmission GSM-R est obligatoire, l’ATO ne peut pas se contenter uniquement des balises. Pourquoi ?

Parce que le GSM-R, qui va à terme migrer vers la norme FRMCS, doit envoyer davantage de datas qu’actuellement en ETCS, à savoir :

  • Des données horaires ;
  • Des données infra ;
  • Des données trafic.

Il n’est pas impossible cependant que des systèmes hybrides voient le jour mais ils seront alors en dehors de la normalisation.

Quels besoins ?

L’ATO ne peut être installer que si cela permet répondre à trois critères essentiels :

  • Go Fast : il faut “coller” au plus près de la courbe de freinage ETCS ;
  • Be Punctual : adopter la “juste” vitesse qui permet au train d’être à l’heure ;
  • Save Energy : éviter au train de trop décélérer / re-accélérer.

Un constat a souvent été fait avec la conduite « humaine » : la prudence parfaitement justifiée des conducteurs conduit à rester très souvent en dessous des limites autorisées, comme le montre ce graphique, avec un parcours type entre deux gares londoniennes :

On observe une sorte d’irrégularité de la marche et un freinage puis un redémarrage peu avant l’arrêt dans la gare Y. Que l’on comprenne bien le propos ici : il ne s’agit absolument pas d’une faute quelconque en conduite, mais tout simplement de l’ordinaire de la marche d’un train. Une marche que l’on peut trouver sur les milliers de trains quotidiens en Europe.

On constate que le petit freinage/redémarrage induit un gaspillage d’énergie, quelque chose qui pourrait être mieux maîtriser si…

…si l’ATO est installé. Comme le montre le schéma ci-dessous, le système automatisé GoA 2, où le conducteur ne « conduit pas » mais surveille, adopte une marche plus régulière et se permet d’aller jusqu’aux limites permises (ici 60km/h). Le train ne fera ni 59 ni 61 km/h, il adoptera tiptop le maximum permis. La régularité de la marche s’accompagne d’une surveillance « de ce qui est devant », de sorte que l’ordinateur peut conclure qu’il n’est pas nécessaire d’opérer le petit freinage/redémarrage comme vécu en conduite manuelle : c’est ici que l’on gagne en énergie.

À contrario, en cas d’encombrement, l’ordinateur peut décider de démarrer de la gare X plus en douceur, de maintenir une vitesse moindre mais régulière, avant d’entamer un freinage plus doux jusqu’à l’arrivée en gare Y. Le train aura pris 50 secondes ou une bonne minute de retard ? Oui mais la marche demeure très régulière et l’énergie n’a pas été gaspillée :

Où peut-on observer des cas concrets ?

À Londres, sur la Thameslink depuis 2018 et la Elisabeth Line (ex Crossrail), depuis 2023. À Hambourg aussi, depuis 2022. On vous parle ici de mise en situation réelle, en service commercial avec voyageurs. Les exemples londoniens utilisent le système d’exploitation CBTC sur les tronçons centraux (en tunnel sous la ville), quand à Hambourg il s’agit de l’ETCS niveau 2.

Dans tous les cas, le GSM-R est utilisé. Dans tous les cas la présence du conducteur a été maintenue.

En moyenne, on a pu observer :

  • Une diminution du temps de parcours allant jusqu’à -10 voire -20% entre deux gares, avec bien-sûr respect des limites de vitesse ;
  • Une diminution de la consommation d’énergie pouvant dans certains cas atteindre 30% grâce aux démarrages/freinages optimisés ;
  • Des gains de capacité : on peut gagner jusqu’à 20 à 30% d’espaces vides pour insérer encore plus de trains.

Et ensuite ?

L’ATO a déjà fait l’objet d’une normalisation avec la STI CCS 2023 qui a introduit les spécifications techniques ATO GoA1 et 2. Les constructeurs devront donc s’y conformer, les opérateurs de trains aussi. Et les organismes de certification ont une base technico-juridique sur laquelle s’appuyer.

Le tout automatique ne serait prescrit que dans des cas très particuliers. Il s’agirait par exemple de rentrer puis ressortir des rames d’un atelier durant la nuit, évitant ainsi une prestation de conducteur pour des petites missions aléatoires et sans réelle plus-value pour le métier de conduite. C’est l’idée, nous n’y sommes pas encore.

L’autre idée serait de pouvoir faire bénéficier de l’ATO certaines sections que l’on dit encombrées (aux abords des grandes gares), permettant une meilleure fluidité. Cela suppose que l’ensemble du matériel roulant – quel que soit son poids, sa charge ou sa nature (rame automotrice ou tractée) -, soit équipé. C’est l’idée, nous n’y sommes pas encore.

Nul doute que l’ATO va cependant faire l’objet de nombreuses améliorations dans l’avenir. C’est aussi cela, la digitalisation du rail. 🟧

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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

Une réflexion sur “ATO : l’automatisation de la conduite des trains”

  1. Très intéressant; mais pour avoir accompagné au siècle dernier de nombreux conducteurs expérimentés, le graphique sans ATO pose question. Un conducteur expérimenté savait « tenir le trait » c’est à dire rouler à la vitesse maximale permise si c’était nécessaire pour le respect de l’horaire, et avec l’apparition de la VI (Vitesse Imposée), c’était devenu encore plus facile. Si le train était à l’heure, il coupait la traction au bon endroit pour respecter une limitation de vitesse locale (par ex le 140km/h pour un PN à Marainviller, la coupure traction s’effectuant à la sortie de la gare d’Igney Avricourt) pour éviter tout freinage coûteux en énergie. Tout ces dispositifs modernes d’aide à la conduite sont bien évidemment très intéressants, mais je ne suis pas certain d’économies d’énergie importantes comparées à des conducteurs expérimentés, et il y en avait beaucoup notamment dans les roulements nobles.

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