L’ERA devient la seule autorité de certification de l’Union européenne

12/11/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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L’Agence pour les chemins de fer (ERA), sise à Valenciennes, est devenue la seule autorité chargée de la certification et de l’autorisation du matériel roulant dans toute l’Union européenne depuis le 1er novembre.

C’est une étape importante du quatrième paquet ferroviaire, du moins pour ce qui concerne son pilier technique. Le 31 octobre était en effet la date limite formelle pour les États membres de l’UE pour transposer dans leur législation nationale les directives sur la sécurité et l’interopérabilité ferroviaires qui constituent ce pilier technique, adopté par le Parlement européen et le Conseil en 2016. Ce pilier technique accorde ainsi à l’ERA les pouvoirs nécessaires pour devenir l’organisme de certification unique en Europe pour les véhicules ferroviaires et les opérateurs de trafic ferroviaire.

Rappelons que depuis une vingtaine d’années, l’industrie a pris le lead en créant et concevant elle-même le matériel roulant, alors que jadis c’était les compagnies étatiques et leur bureau Matériel qui s’en occupait. Jusqu’aux années 90, la totalité des plans étaient dressés par les entreprises historiques qui les transmettaient, parfois sous appel d’offre, à un constructeur. L’industriel sortait alors un prototype pour essais, avant d’entamer la fabrication en série. Une administration ferroviaire opérant uniquement en territoire national, le matériel roulant était très rarement interopérable avec les réseaux voisins.

Depuis l’obligation de l’appel d’offre européen et le libre choix du matériel roulant, la certification est devenue d’une importance cruciale pour qu’un opérateur puisse exploiter ses trains. Or il y a des pays où circulent des matériels et pas d’autres. Exemple avec les automotrices Stadler, totalement absentes de Belgique et de France (hors Leman-Express). Le problème rencontré est une superposition des règles nationales techniques et de sécurité (en particulier régissant les procédures d’exploitation ferroviaire) avec les STI de l’UE, complexifiant le processus d’homologation, et ce n’est pas faute des entités nationales. Les procédures d’autorisation des nouveaux véhicules ferroviaires sont parfois longues et peuvent coûter plusieurs millions d’euros, mais cela dépendait évidemment des nombreux paramètres à certifier pour tel ou tel véhicule, et des modifications à y apporter par les demandeurs. D’après les auditions de la Commission européenne en 2012, les coûts d’autorisation de procédure représentaient jusqu’à 10% des coûts des locomotives par pays. Lorsqu’elles doivent être utilisées dans trois États membres, les coûts globaux triplaient tout simplement pour atteindre environ 30%. D’après un rapport de l’ERA, un nettoyage important a déjà eu lieu en ce qui concerne les règles nationales pour l’autorisation des véhicules, passant d’environ 14.000 en janvier 2016 à 1.050 à la fin de 2019.

Pour accélérer les choses, le quatrième paquet ferroviaire institua donc que l’ERA soit l’unique autorité en charge de la certification. «Nous franchissons maintenant la ligne d’arrivée», déclare aux médias le directeur exécutif de l’ERA, Josef Doppelbauer. «Avec l’extension de nos compétences à l’ensemble de l’UE, nous franchissons une nouvelle étape sur la voie de l’espace ferroviaire unique européen».

Dans le cadre de son nouveau rôle, l’Agence assume dorénavant la responsabilité de l’autorisation des véhicules, de la certification de sécurité et de l’approbation au sol du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS) dans tous les États membres. Avec la transposition du quatrième paquet ferroviaire le 31 octobre, ces nouvelles procédures harmonisées sont désormais applicables sur l’ensemble des 25 réseaux ferroviaires européens, ainsi que ceux de Suisse, de Norvège et… d’Eurotunnel. Le changement principal vise à simplifier les processus et à réduire les coûts administratifs en permettant de demander l’approbation dans chaque État membre simultanément, plutôt que sur un pays par pays. Dorénavant, une seule demande peut être déposée auprès du guichet unique de l’agence. 

L’ERA avait délivré sa toute première autorisation en juillet 2019, couvrant la conformité au type de 30 wagons pour l’exploitation dans plusieurs pays. En septembre dernier, l’ERA atteignait sa 1000e autorisation de véhicule et avait déjà délivré 14 certificats de sécurité uniques. «Les tâches du 4RP (ndlr : 4ème paquet) et les processus étant nouveaux, nous identifions constamment les besoins de clarification ou d’amélioration, mais grâce à l’engagement exceptionnel de tous les experts des différentes unités de l’Agence affectés aux demandes, les processus se déroulent sans problème et les décisions sont prises en temps utile», explique Josef Doppelbauer dans une récente newsletter.

Mais qu’en est-il dès lors des agences nationales, comme la puissante EBA en Allemagne ? Elles restent toujours en action. Ainsi, le constructeur doit toujours envoyer une demande aux agences nationales pour obtenir des informations sur les exigences nationales applicables à l’autorisation, même si cela passe par l’ERA. En cas de modernisation ou de renouvellement, l’agence décide des seules fonctions à évaluer pour la nouvelle autorisation. Car il y a derrière l’application des fameuses STI, des points ouverts ou spécifiques à chaque pays. Ainsi par exemple pour la Suède, où les véhicules doivent être conçus pour fonctionner dans les conditions hivernales nordiques afin d’obtenir une autorisation sans restrictions opérationnelles. Cela signifie dans cet exemple que l’Agence suédoise des transports a besoin d’un essai d’exploitation pour délivrer une autorisation «permanente» sans restrictions opérationnelles. En Suisse, le matériel roulant utilisé sur le réseau ferroviaire doit rester conforme au règlement suisse d’exploitation des trains, conformément à l’article 11a de l’OFT. Certains pays peuvent avoir plus d’exigences que d’autres, songeons à l’Italie et ses règles anti-feu très exigeantes pour rouler dans ses tunnels ferroviaires, qui a motivé les ÖBB de renouveler notamment les Nightjets.

«Un pool d’experts permettra de créer à moyen terme un véritable esprit européen parmi les professionnels du secteur ferroviaire impliqués dans l’autorisation et la certification et de stimuler l’harmonisation des nouveaux processus. Afin d’impliquer encore plus d’agences dans ce pool d’experts, nous continuerons à travailler avec les 9 agences qui n’ont pas encore signé la partie volontaire de l’accord de coopération consacrée au pool d’experts.», explique Josef Doppelbauer.

L’approche unique de l’autorisation des véhicules réduira également le délai de mise sur le marché des technologies émergentes. On songe notamment aux trains à hydrogène qui essaiment pour le moment partout en Europe, ainsi qu’à l’attelage automatique pour wagons de fret. Nul doute que l’industrie va maintenant enclencher le turbo avec cette facilité offerte par l’Europe. Il est crucial pour elle d’opérer des sauts technologiques majeurs, dans un secteur ferroviaire trop habituer aux cycles longs, alors que ses principaux concurrents évoluent dans des cycles courts, que ce soit en véhicule, en logistique ou en digital.

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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

5 réflexions au sujet de “L’ERA devient la seule autorité de certification de l’Union européenne”

  1. Les frais de plusieurs millions d’euros sont ceux liés à l’organisation pratique des essais (parcours, personnel) et des évaluations. Ce sont des tâches réalisées par les organismes de certification. Ce ne sont pas des tâches facturées par les autorités de sécurité. En outre, les autorités de sécurité sont tenues de prendre leurs décisions endéans les 4 mois lorsque le dossier technique est complet. Ce n’est pas la faute des ANS si certains dossiers techniques, dont le contenu est fixé par des textes légaux, mettent plusieurs années à être complets.

    Je trouve dommage que vous participiez à la critique des autorités de sécurité sans rien savoir de leurs tâches et de leur fonctionnement. Il est facile de critiquer des entités dont le personnel est tenu à un devoir de réserve et ne peut donc pas répondre avec toute la liberté aux attaques incessantes dont il fait l’objet depuis des années de la part d’entités qui ont trouvé un moyen aisé pour camoufler leurs propres errements en accusant ceux qui n’ont pas le droit de répondre avec les mêmes armes de communication.

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    1. Bonsoir. Il serait intéressant en effet d’entendre tous les points de vue, encore faut-il qu’on sorte du bois. Je ne critique aucune autorité quelconque dans le cas présent puisque je cite même qu’elles sont nécessaires dans le processus d’homologation en me basant sur l’exemple suédois, notamment. Je conçois que le nouveau rôle de l’ERA puisse ébranler certaines situations, mais c’était connu depuis 2016 si je ne me trompe, avec l’adoption du 4e paquet ferroviaire.

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  2. Comme indiqué dans mon commentaire, je suis tenu à un devoir de réserve. Je ne peux donc pas exposer publiquement tous les détails des dossiers que j’ai à traiter depuis près de 14 ans. Il est impossible d’avoir un débat ouvert lorsque les deux côtés de la table n’ont pas les mêmes droits en termes de communication. Communication ne rime pas nécessairement avec vérité factuelle.

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  3. Pas de changement majeur en sommes.
    Les constructeurs seront toujours contraints de se plier aux cahiers des charges de chacun des pays membres et de réaliser des essais aux quatres coins du continent pour pouvoir traverser les frontières sans relais tractions.

    À quand une harmonisation des normes de sécurité et un protocole d’homologation valable pour l’Europe entière ?

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    1. Attention, si le matériel roulant est construit sur base de plateforme commune (Coradia Alstom, Desiro Siemens, Stadler Kiss….), les réseaux nationaux, eux, ont conservé leurs technologies. Parmi les grands défis : s’assurer que l’engin ne provoque aucune perturbation, que ce soit en caténaire mais , surtout, au niveau des circuits de voie en signalisation, qui varient considérablement d’un État à l’autre. Du coup, les cahiers de charge doivent en effet prévoir tous les particularismes du pays en question, et l’agence nationale ne donne son feu vert que quand tous les paramètres correspondent.

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