2021, année du rail

04/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Comme elle le fait chaque année depuis 1983, l’UE choisit un thème spécifique sur lequel elle souhaite sensibiliser le public et encourager le débat public tout au long de l’année. 2021 sera l’Année européenne du rail.

Le 4 mars dernier, la Commission adoptait une résolution faisant de 2021 l’Année du Rail (EYR en anglais). Et 2021 vient juste de débuter avec notamment la mise en place d’une page web dédiée sur le sujet, en principe dans chaque langue de l’Union. Que devrait apporter une telle médiatisation sur le secteur ferroviaire ? Selon l’European Parliamentary Research Service blog, cette Année européenne vise à mettre en lumière la contribution du rail à la cohésion, à l’économie et à l’industrie de l’UE, grâce à des événements, des débats et des activités promotionnelles spécifiques. Cet événement abordera des sujets tels que le développement régional, la compétitivité industrielle, le tourisme durable, l’emploi, l’innovation, l’éducation, la jeunesse et la culture, sans oublier l’amélioration de l’accessibilité pour les personnes handicapées et à mobilité réduite.

Cette médiatisation offre évidemment une fenêtre unique et inespérée sur un mode de transport que l’on dit un peu en retrait, voir même en retard, sur bien des points par rapport aux autres modes de transport que sont l’aérien, le maritime et surtout, l’automobile. Ces secteurs ne manqueront pas de contre-attaquer en soulignant le poids qu’ils ont dans la société et dans la mobilité du monde moderne. C’est donc le moment pour le rail de se retrousser les manches et de montrer une unité qui a fait défaut jusqu’ici, dès l’instant où certains pouvoirs politiques parlent encore du chemin de fer au singulier, malgré la présence de nombreux opérateurs.

Le secteur ferroviaire est en effet très mal connu, tout particulièrement par ceux qui n’utilisent jamais le train, soit environ 90% de la population. Certains reviennent encore avec l’image du train vert militaire parfumé de la froide odeur des cigarettes de la veille. D’autres retiennent leur image de jeunesse avec ces voitures surchauffées descendant sur Lisbonne, Palerme ou Athènes, quand les trains de nuit n’étaient qu’un vaste camping roulant. Ces images anciennes (des années 70…) percolent encore dans un imaginaire culturel que certains voudraient retrouver.

Mais on ne fabrique pas l’avenir avec de la nostalgie. En Italie, une clientèle captive n’est revenue au train que parce que l’image y était tout autre que le récit de leurs parents. En voyageant avec le privé NTV-Italo, dont ils ont vu la pub sur leur smartphone, ces italiens ont non seulement redécouvert le « train moderne sans vert militaire », mais ils ont vu aussi que la vieille entreprise « Ferrovie dello Stato », devenue Trenitalia, alignait des trains ultra modernes pour aller à Bologne, Rome ou Venise. C’est pour cela que le CEO de Trenitalia a fini par avouer que, « oui, cette concurrence vers la modernité nous a ramené des clients qui, autrement, ne connaissaient que l’avion. » Dans un autre registre, la multiplication des actions en faveur du rail a été visible notamment de la part de l’industrie qui travaille désormais par « plateformes » de produit technologique et qui fournit une locomotive ou une automotrice valable dans toute l’Europe après homologation, ce qui était impossible il y a encore 20 ans.

L’industrie, c’est aussi de l’audace et de la recherche. Aucunes compagnies historiques n’aurait songé à la locomotive bi-mode ou au train à hydrogène. Trop cher, trop technologique, pas de ressources disponibles. Les industries privées l’ont fait malgré tout, avec cette capacité de capter des opportunités quand elles se présentent. On a bien fait de libéraliser et de laisser percoler les idées nouvelles et de combattre les croyances limitantes, sans quoi le train de voyageur n’aurait plus été qu’un vaste musée relégué sur des marchés de niche ou dans les parcs d’attraction. Bien entendu, cette industrie privée peut s’appuyer sur les nombreux programmes de recherches et des plans visionnaires financés par la puissance publique, comme le plan hydrogène dont elle profite. L’État stratège est donc fondamental pour faire foisonner des idées nouvelles, et c’est bien cela qui fonde l’avenir du rail.

À quoi sert le chemin de fer ?
L’Union européenne a décrété 2021 « Année du rail », non pas par nostalgie du passé, mais pour être en accord avec sa politique de Green Deal. L’objectif est d’illustrer que le rail est durable, innovant, efficace sur le plan énergétique et sûr, ainsi que d’augmenter de manière significative la part du rail dans le transport des personnes et des marchandises. Cette Année du rail est également une occasion politique de sensibiliser et de réaffirmer les défis qui restent à relever pour créer un espace ferroviaire européen unique. C’est un long chemin de pédagogie et de lobbying qui consiste à faire admettre que le monde a changé et qu’aujourd’hui, on doit parler des chemins de fer au pluriel car les opérateurs historiques, seuls, n’ont pas et n’auront jamais les capacités d’opérer le transfert modal. Plus on est, plus on transfère, et le train de nuit Prague-Rijeka de Regiojet l’a bien démontré l’été dernier.

Cette année du rail devrait être aussi l’occasion de remettre à plat la tarification des transports, dont le déséquilibre est patent. Il ne s’agit pas d’un « combat contre ceux d’en face » (ce serait perdu d’avance), mais de remettre chaque mode à son coût réel et dans son domaine de pertinence. Ce n’est peut-être pas le carburant qu’il faut taxer mais la pollution : plus on fait des kilomètres, plus on pollue, plus on paye selon les émissions de CO2 et les dégâts collatéraux (mobilisation du système de santé). Cette politique moins idéologique (l’auto = capitalisme), permettrait de ne pas tuer les nécessaires livreurs et chauffeurs routiers ni d’anesthésier le secteur aérien qui a, et aura toujours -, un avenir dans son domaine de pertinence.

L’année du rail est aussi l’occasion de repenser l’accès au train. C’est aujourd’hui un véritable parcours du combattant que d’obtenir un billet alors que de jeunes startups, comme Flixmobility ou d’autres, ont montré de quelle manière on obtient un billet en quelques clics, en passant du train au bus via une application smartphone. Mais pour cela, il faut être adosser à des systèmes informatiques importants et coûteux. Flixmobility a plusieurs centaines de développeurs, ce que n’a pas le secteur ferroviaire. Il existe encore dans certains pays des billets qu’il faut remplir à la main, avec tous les malentendus et fraudes que cela amène, ce qui met le personnel de bord en danger. Le fait que les opérateurs historiques doivent mener des politiques sociales en faveur d’un public précarisé ne doit pas être une excuse pour éviter la digitalisation de la billetterie. Le monde change a une vitesse vertigineuse et ce qui est acquit aujourd’hui peut déjà être obsolète d’ici 4 à 5 années. On ne sait pas ce que proposeront les opérateurs futurs en matière de facilités de paiement. On sait simplement que celui qui aura pris le digital avec sérieux sera le gagnant de demain, quoique fassent les politiques. L’Europe aura-t-elle le courage d’avancer sur cette voie où nous sommes déjà largement en retard ?

Enfin, parler de green deal revient à parler de nos modes de vie. La quantité de déplacements que nous consommons a certes été brutalement freinée par la pandémie et une probable hausse du télétravail, mais nos autoroutes sont loin d’être vides. En parallèle, notre consommation quotidienne demande toujours le maintien d’un gigantesque réseau de flux logistiques désordonnés, lesquels sont essentiels pour remplir les rayons de nos magasins préférés. Le train a raté la logistique, ce domaine si essentiel à nos vies. Il n’est utilisé que quand ca arrange les chargeurs et les industriels. Il n’est jamais le premier choix, sauf pour des secteurs contraints, comme la chimie ou certains vracs. Les politiques ont bien peu la main sur la logistique. C’est donc au rail de montrer toutes ses facultés en déclinant ses meilleurs atouts. Peut-on espérer que cette année du rail soit aussi celle d’une logistique 2.0 ?

Des stratégies solides, une approche digitale plus accentuée, une insertion dans les flux industriels, ce sont là les ingrédients indispensables que le rail devra utiliser pour montrer de quoi il est capable. Pour que cette année du rail ne soit pas qu’un simple show, mais une occasion de se faire connaître aux 90% des non-utilisateurs…

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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm