Comment Gênes va désengorger son réseau ferroviaire étriqué


13/06/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Le projet Terzo Valico est une nouvelle ligne à grande vitesse qui permet de renforcer les connexions du complexe portuaire génois avec les principales lignes ferroviaires du nord de l’Italie et de l’Europe. Il est complété au sein même de la ville de Gênes par une reconfiguration du réseau ferroviaire.

Le contexte
En 2017, le port de la ville de Gênes avait traité près de 2,7 millions de EVP (conteneurs – Equivalent Vingt Pieds). L’effondrement du pont Morandini en août 2018 a fait chuté les trafics à 1,5 million d’EVP. L’accès au port était en danger faute d’une infrastructure stratégique pour la mobilité régionale, mais aussi un signal d’avertissement qui a entraîné des répercussions dans de nombreux domaines, à commencer par l’emploi. Au troisième trimestre 2018, l’INPS faisait déjà état d’une diminution de 5 000 emplois en Ligurie par rapport à l’année précédente, expliquant cette contraction par l’effrondrement du pont, bien qu’il y ait peut-être d’autres facteurs qui entrèrent en jeu.

Inverser cette spirale négative devint alors le motif principal d’accélérer les grands travaux nécessaires pour connecter Gênes à son arrière-pays mais aussi au nord et à l’est de l’Europe.

Connexion
L’objectif de Gênes, grand port à conteneurs mais aussi 6ème ville d’Italie avec 575.000 habitants, est d’être mieux connectée à la Lombardie et au Piémont. Une des priorités est d’être relié au projet Lyon-Turin et d’en faciliter les accès pour les flux vers la France, la Grande-Bretagne mais aussi le Benelux.

Cette connexion s’inscrit aussi dans le corridor Rotterdam-Gênes, qui est l’un des corridors du réseau stratégique transeuropéen de transport (réseau central RTE-T) qui relie les régions européennes les plus densément peuplées et industrielles.

L’autre priorité est d’accéder rapidement à la grande vitesse et à Milan. La grande vitesse italienne est un réseau en forme de T touchant la totalité majorité des grandes villes italiennes, à l’exception notable de Gênes, qui est une conurbation très encaissée. La topographie des lieux rend difficile la construction de nouveaux réseaux de transport sans grands travaux souterrains jusqu’au bord de la Lombardie, plus plate.

On notera avec intérêt cette priorité de miser sur Milan et Turin plutôt que la capitale du pays, Rome, ville il est vrai plus éloignée.

Deux projets
Accueillir le train à grande vitesse et fluidifier à la fois le trafic régional ainsi que le fret ferroviaire international implique la mise en oeuvre de deux projets distincts, mais intimement liés :

  • Le projet Terzo Valico qui consiste à rajouter une troisème ligne (en jaune) aux deux déjà existantes. Cette ligne sera mixte grande vitesse/fret et comportera le plus long tunnel ferroviaire d’Italie;
  • Le projet Nodo di Genova qui est complémentaire et qui consiste en une reconfiguration des voies entre les deux grandes gares génoises pour obtenir une séparation optimale des flux grande ligne/régionaux/fret.

Le projet Terzo Valico
Il s’agit d’une ligne nouvelle à grande vitesse de 53 kilomètres, dont 37 en tunnels, avec en plus 18 km d’embranchements de raccordement. Ce serait la troisième liaison ferroviaire entre Gênes et les vallées du nord, d’où le nom de « Terzo ».

Elle est conçue pour un trafic mixte avec des trains de voyageurs circulant jusqu’à 250 km/h et des services de fret pouvant circuler à 100 ou 120 km/h. La pente la plus raide sera de 12,5 ‰. Le parcours sera électrifié en 3 kV DC avec possibilité d’une conversion ultérieure en 25 kV 50 Hz. La ligne sera équipée de l’ETCS niveau 2.

La grande vitesse Gênes-Milan permettra de réduire de 33 % le temps de trajet entre les deux villes (une heure contre 1 heure et 29 minutes aujourd’hui).

Terzo-Valico

Une longue histoire
L’idée de ce projet remonte à 1990 lorsqu’un consortium de banques, d’entreprises et le Ferrovie Nord Milano présentait une première proposition. Ce programme fut annulé en 1998 et le projet actuel est la version des études finalisée en 2001. Les travaux ne commencèrent qu’en 2012 mais furent fréquemment remis en question au fil des soubresauts de la politique italienne.

En juin 2018 les travaux étaient une énième fois mis à l’arrêt lorsque le gouvernement nouvellement élu lançait un examen du projet pour satisfaire les promesses électorales du mouvement populiste Cinq Étoiles. Les travaux reprenaient en 2019 après la publication des résultats d’une analyse coûts-avantages.

Pour s’assurer d’un réel soutien de l’État, une cérémonie s’était tenue à Gênes le 21 juillet 2020 en présence du Premier ministre, en pleine pandémie, pour marquer la reprise de ce projet ferroviaire Terzo Valico évalué maintenant à 6,9 ​​milliards d’euros. Depuis les travaux vont bon train.

Un projet d’envergure
La ligne ne fait certes que 53 kilomètres mais le tracé de la ligne Terzo Valico traverse un terrain montagneux et nécessite la construction de quatre tunnels totalisant 31,7 kilomètres. Le plus long est celui de Valico, qui atteindra 27 kilomètres à lui seul.

Au nord, depuis la plaine de Novi Ligure, la ligne nouvelle se connecte aux lignes existantes Gênes – Turin, pour les flux de trafic vers Turin, Novara et la Suisse via le Simplon. Une autre connexion permet de joindre la ligne Tortona – Piacenza, destinée au flux trafic vers Milan, la Suisse via le Gothard et ainsi que Vérone et l’Autriche. C’est dire l’importance de cet ouvrage pour la ville de Gênes.

Terzo-Valico
Terzo-Valico

Le tunnel de Valico, long d’environ 27 km, dispose de quatre fenêtres d’accès intermédiaires. Il s’agit d’un double tunnel monotube à voie unique, à l’image des tunnels à grande vitesse comme le Gothard (terminé) ou le Lyon-Turin (en cours). 

Un décompte récent montre que les travaux de percement ont atteint 80% d’avancement, grâce à un système de production de chantier actif 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. L’achèvement du tunnel de Valico est prévu pour 2024.

En décembre 2016, le consortium Saturno a été nommé entrepreneur général pour l’électrification et la signalisation. Hitachi Rail STS est responsable du système de signalisation et de contrôle des trains, sa part du contrat s’élevant à 174∙6 millions d’euros. Colas Rail Italia (anciennement Alpiq) assure l’électrification, y compris les lignes aériennes, les lignes d’alimentation, les sous-stations, les équipements auxiliaires et les systèmes de télésurveillance ; la part de l’entreprise dans le contrat s’élève à 86∙5 M€.

Gênes et son réseau
Le Nodo di Genova est au projet Terzo Valico, est c’est aussi un projet à lui seul, mêlant l’arrivée de la grande vitesse et la séparation des flux avec le trafic régional et le fret. L’ensemble couvre la section Gênes-Voltri-Piazza Principe-Brignole, ainsi que de prévoir la construction de deux nouvelles voies entre les nœuds ferroviaires de Porta Principe et Brignole. 

Le plus gros des travaux est représenté sur la carte ci-dessous. Depuis l’origine, les deux gares de Piazza Principe et de Brignole sont reliées entre elles par deux jonctions souterraines à double voie : Traversata Vecchia et Traversata Nuova, soit au total 4 voies.

Deux autres tunnels à voie unique relient Brignole à la gare marchandise et portuaire de Genova-Maritima : San Tomaso et Colombo. Hélas ces 2 voies uniques se raccordent chacune dans les Traversata Vecchia et Traversata Nuova. C’est le prolongement de ces 2 voies marchandises jusqu’à la gare de Brignole qui est cours (en rouge sur la carte).

Terzo-Valico

Pour complexifier davantage, la prolongation du San Tomaso implique de réaliser une courbe reliant les deux branches du « Y » de Grazie Alta/Grazie Bassa. Vous suivez ?

L’enjeu final est d’obtenir 6 voies au lieu de 4 entre les deux grandes gares génoises, en différenciant les flux de trafic. Gênes peut même obtenir une sorte de RER jusqu’à Voltri à l’ouest, sur une section comportant 13 gares.

Nous aurons l’occasion de revenir plus en détails sur le nœud ferroviaire Gênes, l’un des plus complexe d’Italie.

Au final, beaucoup d’infrastructures dans un environnement très contraint, offrant à la ville près de 3 lignes pour rejoindre le nord de l’Italie. Ouverture en 2024 ? Ce serait toujours d’actualité, dit-on.

Terzo-Valico

13/06/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

2 réflexions au sujet de “Comment Gênes va désengorger son réseau ferroviaire étriqué”

  1. Bonjour, merci beaucoup pour votre article. Je suis nouveau dans le milieu des infrastructures ferroviaires mais Gênes m’a très tôt attiré l’œil. J’ai une question : Les trains de marchandises sont-ils censé faire demi-tour pour entrer dans les différents complexes portuaires ? cela semble être beaucoup de travail pour des trains chargés

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    1. Il semble en effet qu’il y ait deux choses : faire le moins possible de manoeuvres et sécuriser le transit dans les deux grandes gares génoises du trafic portuaire par train directs (et longs). L’enjeu pour le port est important : plus le trafic fret est fiable, plus il attrapera des flux maritimes.

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