L’Interporto, un outil pour créer les conditions du transfert modal

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
06/12/2021 –
(English version)
🟧 Nos brèves quotidiennes 🟧 Notre lexique ferroviaire 🟧 Nos newsletters 🟧 Nos fiches thématiques

Il est trompeur de penser que la simple construction d’une infrastructure ferroviaire dans une zone économique peut générer un processus de croissance économique. Il faut des installations plus complètes et un tissu industriel tout autour. C’est ce que nous montre l’exemple italien avec son concept Interporto.

Le modèle régional italien a longtemps été original en Europe, car à mi-chemin entre le modèle centraliste et le modèle fédéral des Länder allemands. Dans les divisions territoriales officielles, les régions du nord de l’Italie par exemple sont très différentes les unes des autres, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des institutions locales et sociales. 

La particularité italienne en matière d’organisation logistique du territoire est qu’il s’agit d’une politique nationale décidée au travers de plusieurs lois édictées entre 1990 et 2002.  Mais le développement économique particulier de l’Italie a en réalité débuté après la Seconde Guerre mondiale, avec un agencement des structures sociales et institutionnelles, une répartition du capital physique et humain et leur évolution ultérieure qui ont déterminé dans les années 80 la consolidation d’un modèle aux caractéristiques particulières et au potentiel de croissance élevé même en l’absence de grandes entreprises « leaders » dans la région.

Le cas italien, atypique, avec ses régions « à statut spécial » dotées d’un solide réseau bancaire régional, nous montre un modèle puissant et créatif, où les PME dominent l’espace économique.

Un environnement complet
Les Italiens ont également fait preuve d’une certaine maturité intellectuelle. Par exemple, il ne suffit pas d’investir dans le rail pour générer du trafic. Le développement des infrastructures doit nécessairement répondre aux besoins exprimés par l’industrie locale et le contexte dans lequel l’infrastructure est située. A ce titre, les régions italiennes révèlent souvent de grandes différences entre elles, ce qui stimule leur compétitivité. 

C’est un aspect très intéressant lorsqu’on analyse l’écart entre le sud de l’Italie et le centre-nord de l’Italie, en ce qui concerne les installations « interporto », dont les causes sont beaucoup plus profondes et complexes que le déficit d’investissements ferroviaires qui caractérise la région.  Il est trompeur de penser que la simple construction d’une infrastructure ferroviaire dans une zone économique faible peut générer un processus de croissance économique en l’absence d’un contexte productif « fertile » sur lequel fonder le développement. Pour remplir des trains, il faut des acteurs, des investisseurs et des usines.

startup

L’une des caractéristiques concrètes de cette politique est l’implantation de nombreux ‘Interporto’ (ports secs), sur tout le territoire italien.

Actuellement, l’Etat définit la planification générale, les règles de financement et de gestion tout en laissant aux acteurs locaux (administrations territoriales, CCI) la mise en oeuvre. Une politique qui montre toute sa souplesse et un extraordinaire dynamisme. Un vaste mouvement public/privé soutient fermement une économie régionale exportant dans toute l’Europe.

Le rôle et la fonction des ‘Interporto’ ont été interprétés de différentes manières au cours des années, malgré le fait que la loi 240/1990 (art. 1) donne une définition explicite du « village de fret ».

Le village de marchandises à l’italienne est une infrastructure complexe couvrant des surfaces allant de milliers de mètres carrés à des millions de mètres carrés, dont la fonction est d’accueillir des entreprises de logistique et de transformation qui ont besoin d’effectuer des traitements finaux à petite échelle (emballage, personnalisation, etc.), d’intégrer, au moyen d’infrastructures et d’infostructures, différents modes de transport, et d’offrir une large gamme de services.

Ces ‘interporti’ doivent de facto, selon la loi, comporter une gare intermodale. Le cadre réglementaire établit en effet certaines exigences comme les liaisons ferroviaires directes avec le réseau ferroviaire national grande ligne et l’existence d’un terminal ferroviaire intermodal, apte à former ou à recevoir des trains complets, conformément aux normes européennes, capable de fonctionner avec un nombre d’au moins dix paires de trains par semaine. Ils ont aussi différentes zones destinées, respectivement, aux fonctions de transport intermodal, de logistique d’approvisionnement, de logistique industrielle, de logistique de distribution et de logistique de distribution urbaine. Le village de fret peut donc être considéré comme une sorte de « port » à l’intérieur du territoire, d’où ne partent et n’arrivent pas les navires, mais les trains et/ou les camions.

Développements
Ces dernières années, la réalité interportuaire, principalement due au fait que le développement de l’intermodalité est devenu la règle et non plus l’exception, a connu des changements qui ont permis aux ‘Interporti’ de développer une large gamme de services qui leur ont permis d’atteindre une plus grande compétitivité, leur permettant dans de nombreux cas d’acquérir un haut niveau de spécialisation dans leur offre.

Le plus grand ‘Interporto’ est celui Vérone-Quadrante Europa. En 2019, environ 28 millions de tonnes de marchandises y ont transité, dont 8 millions par train (28,6% de part modale), dont la plupart étaient des flux intermodaux. Cela a représenté 15.950 trains comptabilisés, soit une moyenne de 53 trains/jour.

Voilà comment l’état devient stratège, sans se mêler de la nature du béton ou des propriétaires d’entrepôts. Ces structures et services sont financés par des capitaux publics et privés locaux et régionaux. Il va de soi que l’activité ferroviaire n’est pas réservée à l’unique entreprise étatique nationale, Mercitalia, mais à une variété d’opérateurs ferroviaires selon la demande et la construction des flux logistiques.

L’exemple italien nous montre donc que par des lois formellement établies, une économie peut bifurquer vers le transfert modal, pourvu qu’on lui en donne les moyens. Il ne s’agit pas de décider au travers du centralisme politique mais de transférer les responsabilités aux autorités régionales, qui connaissent mieux que quiconque l’environnement politique et économique de leur région. L‘Interporto’ est ouvert à tous les opérateurs de fret ferroviaire, ce qui est une preuve de maturité pour transférer davantage de volumes de marchandises vers le rail.

Digital

06/12/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
Inscrivez-vous au blog

Pour approfondir :

LogistiqueComment le rail devrait se reconnecter à la logistique
09/11/2020 – Comment le rail peut-il augmenter ses parts de marché ? En optant davantage pour une orientation logistique



OBORComment une région peut dynamiser une économie favorable au train. L’exemple du nord italien
22/07/2020 – Comment les ports et les régions du nord de l’Italie peuvent-ils être aussi dynamiques ? Grâce à une régionalisation de la politique économique qui porte ses fruits dans une des régions les plus riches d’Europe.


RCAComment le train peut s’adapter à la logistique contemporaine
23/10/2017 – Depuis des années, le fret ferroviaire se bat pour sa survie. Il a décliné en France, il remonte ou se stabilise ailleurs. En ligne de mire : la logistique de distribution d’aujourd’hui qui demande une politique centrée sur le client et une réactivité pour laquelle le rail est mal adapté. Décryptage et propositions de remèdes…


Containers trainFret ferroviaire : pose-t-on les bonnes questions ?
19/08/2018 – David Briginshaw, éditorialiste de renom à l’International Railway Journal, signe un éditorial pessimiste dans l’édition du mois d’août. Il n’a pas tort. Intitulé « Les temps ne sont plus du côté des opérateurs de fret ferroviaire », cette chronique est un compte rendu de la Conférence de juin à Gênes. Qu’avons-nous appris lors de cette grande messe ?


ERA_Europe_RailwaysCinq exemples qui font gagner des clients au fret ferroviaire
26/11/2020 – Le fret ferroviaire peut aussi montrer qu’une bonne organisation logistique ainsi que des nouveautés technologiques permettent de lui faire gagner des clients. Démonstration.


Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

Merci pour votre commentaire. Il sera approuvé dès que possible

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.