Taxirail, le train autonome à la demande


28/07/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
Inscrivez-vous au blog

🟧 Nos brèves quotidiennes 🟧 Notre lexique ferroviaire 🟧 Nos newsletters 🟧 Nos fiches thématiques

On parlait l’autre jour des 9.000 kilomètres de petites lignes UIC 7 à 9 dont on n’a pas encore trouvé la recette miracle pour leur maintien. Le concept novateur de Taxirail pourrait leur donner vie.

Le TaxiRail, inventé par la société Exid C&D, fut déjà présenté à l’automne 2018 et les développements se sont poursuivis depuis. Rail Europe News a pu récemment s’entretenir avec son auteur, Régis Coat, pour se faire expliquer le concept.

Créé en 2014, Exid C&D est un bureau d’innovations implanté en Bretagne, qui vise le conseil, le management de l’innovation, le pilotage de projets complexes, ainsi que du Design & Concepts. Il avait déjà conçu des projets comme le vélo caréné à assistance électrique Lovelo et la navette autonome Taxicol.

Régis Coat, entouré de quelques collaborateurs, s’est mis en tête de concevoir une réponse à la problématique des petites lignes ferroviaires françaises, dont le maintien est suspendu à leur degré d’utilisation – ou non, pour le transport voyageurs. L’enjeu sont multiples :

  • Une France rurale qui ne prend le train que le matin pour y revenir que le soir, laissant en journée un creux avec très peu de voyageurs;
  • Des provinces pas toujours très peuplées et dont les déplacements sont à 100% tournés vers la voiture;
  • L’impossibilité, avec les référentiels techniques actuels, de faire du train local autrement que par « chemin de fer lourd »;
  • Des coûts de production trop élevé sur les petites lignes.

À cela s’ajoute « des horaires TER pas toujours adapté à la demande, qui donne l’impression que ça arrange plus le transporteur que les usagers ». Il en résulte un usage affirmé de l’automobile, à l’encontre de la politique climatique choisie par la France, et un abandon progressif du réseau ferré local nécessitant des milliards en rénovation.

>>> À lire : France : la régionalisation ferroviaire dans le vif du sujet

Disruption à tous les niveaux
Le concept Taxirail, c’est d’abord la légèreté du mobile. Des navettes de 8 tonnes comportant 16 places assises sur une longueur de 6m. On préserve ainsi la voie, ce qui intéresse hautement le gestionnaire d’infra, et on limite les essieux du véhicule. Pas de grande vitesse mais une « une vitesse raisonnable, entre 90 km/h et 110 km/h en moyenne », avec une motorisation électrique ou hybride (hydrogène, bio-fuel ou bio-gaz). C’est capital parce que cela évite de coûteuses électrification pour des petites lignes déjà fort chères à entretenir. Par ailleurs, le confort, la sécurité et les performances sont garantis grâce à des essieux orientables et des suspensions actives, ce qui allège aussi la maintenance. C’est donc une conception différente que le VLR britannique.

>>> À lire : VLR, ou le retour des petits Railbus de jadis

Disruption aussi sur les enjeux environnementaux : ce sont les panneaux solaires qui alimentent les fonctions de confort (éclairage, chauffage/climatisation) et de divertissement (multimédia, Wi-Fi). De plus, comme il ne devrait consommer que 15 litres de gaz à l’heure et qu’il roule sans conducteur, le Taxirail peut circuler 24h/24 et 7 jours/7 sur des trajets de 20 à 50 km. Son autonomie serait d’environ 600 kilomètres.

Et la voie, justement ? « Rien de disruptif, tout est dans le véhicule » explique Régis Coat. Non pas qu’il ne faille pas remettre en état certaines portions de voie qui le nécessiteront, mais les véhicules étant 100% autonomes, cela requiert une technologie de reconnaissance de la voie. « Le système fonctionne en autonomie de niveau GoA4, » c’est à dire le plus haut niveau, sans personnes à bord autres que les voyageurs eux-mêmes. Régis Coat est déjà en contact avec la société qui a participé au concept de voiture autonome de Renault, qui a testé ses Zoe à Saclay à l’automne dernier.

Contrairement aux autos, les véhicules ferroviaires sont « physiquement » guidés par rail et n’ont pas besoin d’une reconnaissance instantanée de leur environnement à l’inverse des véhicules autonomes. Cependant, la détection des obstacles sur la voie devra être particulièrement affinée et dépendra aussi de la nature de la voie et des systèmes de détection (circuits de voie, autres…).

Quelles infrastructures ?
Les petites lignes visées peuvent fonctionner en circuit fermé, à l’aide d’un seul PCC. La voie arrive le long d’une gare existante, sur le même quai mais sans connexion au réseau SNCF. La topographie complète de la ligne est mise en mémoire à bord : « le véhicule « sait » parfaitement bien où il y a une courbe ou une pente plus serrée, et aura automatiquement l’ordre de ralentir ». La question du GPS est ici essentielle « mais il s’agit de quelque chose de plus sophistiqué que ce que nous avons dans nos autos. Ce sera basé sur le système Galileo, plus industriel ». Dans sa Bretagne natale, Régis Coat vise par exemple les lignes Morlaix-Roscoff, Lamballe-Dole ou Auray-Quiberon, « dès l’instant où la demande des usagers prime sur les contraintes d’exploitation ».

La question des passages à niveau est aussi cruciale, et le concepteur en est bien conscient. Le passage à niveau a le désavantage de mêler deux réglementations : la ferroviaire et la routière. Leur traversée par navette autonome requiert une modification de la Loi et des référentiels techniques. La direction de l’EPSF à Paris ne semble pas opposée à des modifications. On se rappellera que Patrick Jeantet, ex-patron de SNCF Réseau, évoquait justement dans son « kit méthodologique pour la desserte fine des territoires », des « navettes autonomes sur voie unique ».

Ce qui induit aussi une conception du véhicule qui rencontrent les critères de crash-test, mais ce ne sera forcément pas ceux du « grand chemin de fer », d’où peut-être une arrivée en gare SNCF sur voie dédiée et séparée, « hors zone SNCF Réseau ». Cela existe déjà sur certains petits chemins de fer à voie étroite en Suisse ou ailleurs.

Orienté usager
L’autre disruption, plus forte encore, concerne l’utilisateur. Fini les horaires qui ne conviennent à personne, ou les arrêts qui n’ont personne à embarquer : « avec Taxirail, nous faisons nos horaires, et nos arrêts » s’enthousiasme Regis Coat. L’entrepreneur souligne qu’il pourrait conserver le principe de l’horaire matin et soir, « avec des Taxirail à cadence rapprochées et plusieurs modules chaînés… en un train », pour davantage coller aux besoins horaires et à l’éventuelle affluence. Certains vont en effet travailler plutôt que les élèves, nécessitant des trains trop matinaux pour ces derniers. D’autres ne font que du mi-temps, à d’autres heures. Les heures de sport des français sont encore à un autre moment de la journée. Pour tous ces publics différenciés, Regis Coat a bien vu que l’offre TER classique était tout simplement inexistante.

En heure creuse, place au « Taxirail à la demande », d’où son nom. Moyennant une appli, « on commande son « taxi » une heure à l’avance », voire moins, un peu à la manière d’Uber. Avantage : le module ne se déplacera que si on le lui demande. On ne gaspille donc pas à faire rouler des trains vides à des heures où il n’y a pas de demande, laquelle peut ainsi varier d’un jour à l’autre. La même appli est utilisée aux arrêts pour valider le trajet via une borne, sans quoi le véhicule ne s’arrêterait pas.

Derrière cette exploitation, l’intelligence artificielle de Taxirail doit être connectée en permanence aux PCC pour se charger de définir en temps réel les horaires les plus pertinents en fonction des besoins des voyageurs. Le système permet aussi de répartir les véhicules là où on sait qu’à telle heure il y aurait davantage de demande. Cela évite d’envoyer des véhicules vides au fin fond de la ligne. Rappelons que le concept de machine learning permet… à la machine d’apprendre par elle-même en collectant au fur et à mesure du temps toutes les données disponibles (appli, demandes, amplitude,…). Cela permet d’affiner les statistiques et de prévoir, si nécessaire, la mise en place future de véhicules supplémentaires.

Régis Coat a du pour réussir ce projet de rupture, s’entourer d’experts du ferroviaire mais aussi provenant du secteur de l’automobile et de l’aéronautique. Reste maintenant à trouver une ligne, 10-15 kilomètres, pour tester ce concept. Le concepteur est persuadé de pouvoir rendre « quasi » rentables ces lignes structurellement déficitaires : « on peut radicalement baisser une ligne qui pompe 2 millions d’euros de déficit par an à moins de 100.000 euros ».  Voire pas de déficit du tout ? Cela dépendrait in fine du modèle économique.

Ce projet, certes fortement disruptif, a l’avantage de recréer un service attractif pour les voyageurs, rencontre l’exigence de rentabilité pour l’exploitant ainsi que la nécessaire protection de l’environnement, tout en consommant peu d’espace, peu d’énergie et n’émettant pas de gaz à effet de serre. Régis Coat est déjà en « conversation » avec certaines régions, notamment Grand-Est. Car il faut maintenant un démonstrateur « réel » et des partenaires industriels prêts à s’engager. EXID Concept & Développement prévoit de mettre en service le premier Taxirail en 2023, au moment de l’ouverture à la concurrence des lignes TER.

 

>>> D’autres news sur nos newsletters hebdomadaires.
Souscrivez par mail pour être tenu informé des derniers développements ferroviaires

Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

Merci pour votre commentaire. Il sera approuvé dès que possible

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.