Numérisation : ÖBB veut entrer dans le cloud

La numérisation de l’infrastructure fait partie des progrès importants pour le gestion du trafic. Les autrichiens ont débuté cette transformation dès cette année.

Des réseaux comme le belge Infrabel savent ce que cela veut dire : la gestion du trafic passe en Belgique de 200 à 30 cabines de signalisation, déjà en service, pour 3.600 kilomètres de lignes. La recette : des « loges » de la taille d’un conteneur gèrent un ensemble variable de plusieurs signaux et aiguillages. Elles sont installées le long de la voie tout proche des équipements mais, et c’est là que joue la numérisation, ces loges sont reliées entre elles par un réseau de fibres optiques, jusqu’à la cabine de signalisation qui la gère. Le rayon d’action peut aller loin, 40, 60 voire 100 kilomètres, puisque les ordres donnés passent à la vitesse de la lumière dans les fibres de verre. L’autre avantage de la fibre optique est que la cabine de signalisation reçoit en retour, de manière tout aussi rapide, une confirmation que l’équipement a reçu l’ordre et que, par exemple, les aiguillages sont bien verrouillés comme demandés. Ce contrôle sécurise fortement la gestion du trafic, et tout est enregistré sur serveur, au cas où on voudrait analyser un incident ou faire des statistiques.

Le verrouillage de différents aiguillages dans une position donnée est un traçage d’itinéraire. Dans les gares moyennes et grandes, des dizaines de combinaisons, dépendantes du nombre d’aiguillages, sont ainsi possibles pour orienter les trains et veiller à leur sécurité. Le verrouillage momentané des aiguillages (quelques minutes à peine), est ce qu’on appelle un enclenchement (interlocking en anglais). Une fois « enclenché », l’itinéraire n’est plus modifiable jusqu’à ce qu’un train « l’emprunte » et, après son passage, le « libère ». Cette libération fait appel à des compteurs d’essieux ou parfois des circuits de voie qui sont des éléments de détection des trains. Une fois « libérés », les aiguillages déverrouillés sont mis à disposition pour former un nouvel itinéraire décidé par l’opérateur en cabine de signalisation. Dans certaines gares aux heures de pointe, les aiguillages peuvent ainsi changer de position tous les 3-4 minutes. C’est un peu scolaire, mais cela permet à tout le monde de comprendre…

Du 9 au 19 août, la gare autrichienne de Linz est devenue « numérique » au sens de son exploitation. En dix jours, tous les éléments ont été intégrés dans le nouveau système d’enclenchements, en 16 sous-phases et par plusieurs équipes. D’une durée totale de deux ans, le projet consistait à « basculer » comme on dit, près de 232 aiguillages et 507 signaux lumineux, sur un rayon d’action dépassant largement la gare elle-même. Le système d’enclenchement a ici été réalisé avec la technologie Elektra fournie par Thales, également exploitée en Hongrie, en Bulgarie et en Suisse. Elektra est homologuée selon les normes CENELEC avec un niveau d’intégrité de sécurité 4 (SIL 4).

Cet exemple concret permet de mesurer la quantité de données que fournissent chaque jour, chaque heure et chaque minute le trafic ÖBB :  ponctualité des trains, mouvements des lames d’aiguillages, consommation d’énergie, comportement des signaux et des équipements de détection, etc… Une quantité qu’il convient d’ingurgiter !

(photo Thales)

L’objet de ÖBB Infrastruktur est de se débarrasser des 660 cabines de signalisation et migrer vers un cloud centralisé ! Les cabines de signalisation ne disparaîtraient pas pour autant mais seraient en nombre très réduit. Chez ÖBB, un vaste programme de numérisation a été introduit dès 2010. L’accent avait d’abord été mis sur l’utilisation de solutions standardisées à l’échelle de l’entreprise, assurée par une planification et une hiérarchisation communes à tous départements de la holding. Les objectifs de cette stratégie informatique ont pu être atteints grâce à une coopération constructive entre les départements et « à un mélange « sain » de prestations de services informatiques tant internes qu’externes, » explique-t-on dans l’entreprise. L’informatiques du groupe a été regroupée dans un centre de services partagés et placée sous la dénomination de « Business-IT » au sein de la ÖBB Holding AG dès la fin de 2012, de manière neutre sur le plan organisationnel. 

Vers une utilisation du cloud
Le cloud est un ensemble de matériel, de réseaux, de stockage, de services et d’interfaces qui permettent la fourniture de solutions informatiques en tant que service. Pour la gestion des actifs du système de signalisation, le cloud pourrait être une solution, étant donné les grandes quantités de données dispersées dans différents référentiels. L’utilisateur final (service de maintenance ou opérateurs) n’a pas vraiment besoin de connaître la technologie sous-jacente. Les applications de collecte et de distribution des données peuvent être dispersées dans tout le réseau et les données peuvent être collectées en plusieurs endroits sur divers appareils (tablettes, PC,…). De plus, un des grands avantages du cloud computing est de pouvoir exploiter toutes les fonctions du système de télégestion ferroviaire par acquisition d’une licence, sans devoir se procurer les très lourds systèmes matériels et logiciels nécessaires. Cela évite bien évidemment des options coûteuses.

Peter Lenz, l’ancien CIO du groupe ÖBB, expliquait que le cloud computing peut être rajouté à un portefeuille de services informatiques déjà existants. « En même temps, nous nous rendons compte que certaines solutions ne peuvent être proposées que sous forme de services de cloud computing à l’avenir. Nous nous préparons donc à leur utilisation. » Mais lesquelles ? Les ÖBB ont établi une catégorisation qui définit des règles d’utilisation claires pour les services du cloud. « Elle définit ce que nous voulons et sommes autorisés à faire dans le cloud et ce que nous ne pouvons pas faire. Nous testons actuellement [ndlr en 2016] ce projet de politique en matière de cloud computing et son applicabilité sur des cas concrets d’utilisation, » détaillait Peter Lenz. Un de ces cas concerne précisément les enclenchements dont nous parlions plus haut.

Le cloud computing a déjà été testé en Suisse. En 2017, la société privée Gornergratbahn (Zermatt) et Siemens ont célébré le premier système de contrôle ferroviaire fourni en tant que service. Le système Iltis de Siemens (utilisé par les CFF depuis plus de 20 ans), et les applications au sol et l’infrastructure informatique sont exploitées à distance dans le cloud, depuis Siemens à Wallisellen, à 170 km du centre de contrôle de Zermatt. Il s’agit du premier système de télégestion ferroviaire mondial pouvant être exploité dans cloud. En cas de besoin, le chef de sécurité du trafic ferroviaire peut en option activer un ordinateur auxiliaire sur site, permettant de gérer à nouveau les postes d’aiguillage du GGB de manière autonome depuis Zermatt. Bien évidemment, on est dans un environnement homogène, en circuit fermé. Ce n’est évidemment pas représentatif d’un réseau ferroviaire à l’échelle nationale. N’empêche…

Cette année, les ÖBB s’y sont mis aussi. Dans une démonstration en direct, il a été montré comment un enclenchement peut fonctionner dans le cloud. Le contrôle de la cabine de signalisation de la gare de Wöllersdorf a été pris en charge par un ordinateur cloud afin de régler les signaux et les détections, et ce depuis le siège de Thales à Vienne, à 55 kilomètres de là. La démonstration a montré que cela fonctionnait, bien évidemment à petite échelle. Elle avait pour but de vérifier les possibilités de décentralisation des opérations d’enclenchements. La tâche est maintenant de rendre l’innovation utilisable dans les opérations quotidiennes le plus rapidement possible et à l’échelle de tout le réseau autrichien.

La gestion des enclenchements par le biais du cloud suscite encore des débats, et les autrichiens en ont tout autant que d’autres réseaux. Dans un environnement physique contraint par l’urbanisation et les subsides publiques, l’option de multiplier les voies à l’envi n’est plus la politique des gestionnaires d’infrastructure. Il va falloir faire avec ce qu’on a ! Peut-on dès lors augmenter la capacité de la signalisation ferroviaire en la mettant dans le cloud ? C’est ce que tentent les ÖBB. Mais le défi dans un environnement ferroviaire est de rendre les technologies telles que le cloud computing, la communication sans fil ou les solutions IoT industrielles utilisables selon les exigences de sécurité les plus élevées et garantir ainsi la disponibilité optimale du système ferroviaire. Par ailleurs, on l’a vu plus haut, qu’il y ait un cloud ou pas, la quantité d’équipements reste importante sur les voies et dans les gares.

Thales, qui est surtout un fournisseur de solutions dans les secteurs de la sécurité et de la défense de nombreux gouvernements, veut répondre aux défis de niveau SIL 4 exigé par le ferroviaire à grande échelle. Il n’est pas clair pour l’instant jusqu’où les ÖBB comptent aller dans la direction du cloud computing, mais l’entreprise publique cherche et teste. Se pose tout de même la question du gestionnaire du cloud : que se passerait-il si celui-ci était amené à faire défaut à l’avenir, et de manière imprévisible ? Quid de la cybersécurité, dont on peut raisonnablement pensé qu’elle est au cœur du système ?

 

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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

Une réflexion sur “Numérisation : ÖBB veut entrer dans le cloud”

  1. Bonjour cher ami Blogueur,

    je n’avais jamais pensé que le traffic ferroviaire était d’une telle complexité et autant informatisé ! Evidemment me direz-vous, car le voyageur occasionnel monte dans le wagon, s’assied et attend simplement d’arriver à destination . Evidemment …

    Bonne journée à vous !

    J’aime

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