Jadis, la Poste et les colis prenaient le train…


29/01/20212 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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De notre série « Aah, les trains d’hier… »

Le courrier avant le chemin de fer (illustration de Charles Cooper Henderson)

L’histoire de ce qu’on appelle La Poste, un service de courrier ou de messagerie entre quelqu’un et une autre personne à un autre endroit, commença probablement à l’invention de l’écriture. Ce fut pendant des siècles une épopée pour les coursiers, à pied ou à cheval. Le XIXe siècle lança le courrier d’une manière populaire et accessible. Un instituteur anglais, Rowland Hill (1795-1879), inventa le timbre-poste adhésif en 1837, acte pour lequel il a été fait chevalier. Grâce à ses efforts, le premier système de timbres-poste au monde fut émis en Angleterre en 1840. Hill créa les premiers tarifs postaux uniformes qui étaient basés sur le poids plutôt que sur la taille. Quand arriva le chemin de fer, l’accélération de la transmission des messages fut prodigieuse : on passa rapidement de 20 jours à … 20 heures pour un même trajet en à peine deux décennies de progrès, dans les années 1840-1860. Les volumes explosèrent tandis que les coursiers à cheval perdaient définitivement leur job. Ceci explique pourquoi le courrier et le train furent très vite mariés…

La Grande-Bretagne montra vite l’exemple. L’adoption de la loi de 1838 sur les chemins de fer avait considérablement remodelé le marché du courrier ferroviaire. Elle obligeait principalement toutes les compagnies de chemin de fer à transporter le courrier, soit par des trains ordinaires, soit par des trains spéciaux, comme l’exigeait le ministre des Postes. Toutefois, cette loi ne précisait pas ce qui devait être facturé pour ces services. Le premier Traveling Post Office (TPO) fut exploité sur le Grand Junction Rwy, entre Birmingham et Liverpool, le 6 janvier 1838. Dans sa forme initiale, cela consistait en un wagon à cheval transformé, dans lequel le courrier était trié en cours de route vers sa destination. Dans la nuit du 4 février 1840, le premier vrai train postal d’Angleterre était inauguré entre Londres et Twyford. La Belgique, très à la pointe du progrès (on mesure avec aujourd’hui…), ouvrit son premier service de courrier ferroviaire en septembre 1840, cinq ans seulement après l’ouverture de la ligne Bruxelles-Malines. En France, le premier courrier ferroviaire circula sur l’axe Paris – Rouen le 16 juillet 1846. En Suisse, dès 1847, le courrier était transporté sur le Spanish-Brötli-Bahn sur la route de Zurich à Baden (CH). En Allemagne, l’état de Baden entreprit la création d’un chemin de fer postal en 1848 au départ de Heidelberg, suivi un an plus tard par la Prusse, puis l’Autriche en 1850, l’État de Bavière en 1851, la Hongrie en 1856, la Suède en 1863. Les États-Unis ne commencèrent un service ferroviaire postal qu’en 1864 sur la ligne Washington – New York. Un nouveau secteur industriel était né…

Les couleurs et le sigle de la Poste
Selon une légende, le coursier jadis avertissait tout le monde que le courrier allait arriver ou partir au moyen d’un cor de Poste, une sorte de cornet. Ce cor est devenu le symbole de très nombreuses administrations postales en Europe. La livrée jaune que l’on trouve sur plusieurs administrations postales fait référence au premier grand réseau européen de distribution de courrier, qui fut développé par l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg au 15ème siècle. Ce souverain du Saint-Empire romain germanique était issu de la Maison Habsbourg, dont les couleurs sont le jaune et le noir. En 1490, il mandata la famille noble Thurn & Taxis pour distribuer le courrier sur son territoire qui à l’époque embrassait une grande partie de l’Europe centrale. Logiquement ils adoptèrent le jaune comme reprise du symbole impérial. En Grande-Bretagne cependant, au début de l’époque victorienne, la couleur de la boîte aux lettres était verte, puis le rouge apparut sur l’ensemble des boîtes aux lettres britanniques en 1874. Le rouge était mieux repérable en cas du redoutable brouillard britannique, selon une autre légende. Royal Mail a des directives très strictes en ce qui concerne les couleurs de sa marque. Toutes les boîtes aux lettres de Royal Mail doivent être peintes en rouge et noir standard. La Belgique a aussi conservé une livrée rouge, contrairement à ses voisins français ou allemands qui conservèrent le jaune « Imperial ».

Les voitures
La voiture postale était un atelier de tri qui fonctionnait dans un ou plusieurs wagons-poste (poste-atelier). Son rôle principal était le tri et le transport du courrier à destination des différentes stations de sa ligne. Sur certaines lignes secondaires, l’administration des postes louait aux compagnies de chemin de fer un compartiment qu’elle aménageait en  » mini  » bureau ambulant. Dans d’autres cas, partout en Europe, on accrochait une ou plusieurs voitures postales dédiées pour rentabiliser les flux. Dans quelques cas, on faisait circuler un train postal complet, dédié. Tout dépendait bien entendu des volumes à transporter chaque nuit.

Ce fut des parcs très disparates selon les pays et les trains utilisés. En Grande-Bretagne, la loi de 1838 sur les chemins de fer obligeait non seulement les compagnies à transporter le courrier, mais elle exigeait également la mise à disposition de wagons équipés pour le tri du courrier. Pour faire face à cette nouvelle obligation, les compagnies durent rapidement développer du matériel roulant spécialisé pour cette tâche. Certains wagons postaux étaient équipés d’une boîte aux lettres et elle avait même mis au point un système permettant de ramasser et de décharger des sacs en cours de route, sans arrêter les trains. Le terme « voiture » plutôt que « wagon » se réfère au fait que les voitures étaient incorporées dans des trains de voyageurs plutôt que des trains de marchandises, plus lents.

Voiture postale suisse à deux essieux, 1875, avec une plate-forme ouverte sur le côté afin que les passagers et le personnel ferroviaire puissent circuler sur tout le train sans avoir à accéder au compartiment postal

Deux types de voitures postales ont existé :

  • les allèges postales, destinées à transporter les dépêches, mais non-triées pendant le trajet ;
  • les bureaux de poste ambulants, voiture où des employés de la poste effectuent le tri du courrier pendant le trajet d’une gare à une autre. La France les appelait « ambulants ».

Les premiers types de wagons utilisés par la poste avaient une parenté de construction avec les malles-postes de l’époque. Ces voitures mesuraient 5,16 m (longueur de caisse) et des longueurs similaires en Prusse et d’autres États. En 1854 en France, le service avait déjà pris une certaine ampleur avec un effectif de 59 voitures. En Suisse, les voitures-postales furent utilisées pour la première fois en 1857 sur la ligne Zurich – Baden – Brugg. Les premières voitures postales appartenaient aux compagnies ferroviaires à une époque où les CFF n’existaient pas, et les PTT suisses devaient payer les intérêts sur les frais d’acquisition, les montants d’amortissement et la maintenance. Mais en 1866, la Poste fédérale prit en charge ce matériel roulant et acheta elle-même ses voitures-postales. En 1873, les premières voitures postales à trois essieux furent mises en circulation et en 1882 les essieux intermédiaires étaient équipés de coussinets, permettant un meilleur jeu latéral. Les premières voitures postales des chemin de fer à voie étroite entrèrent en service en 1890 entre Landquart et Davos, sur le Rhétique.

Au fur et à mesure des développements ferroviaires du XIXème siècle, les parcs de matériel roulant s’agrandissent. En France, on comptait en 1885 un parc de 386 voitures dont 83 bureaux ambulants. Ces voitures étaient de même conception technique que leurs consœurs du service voyageur, et dans les années 1860-1880 elles étaient à deux ou trois essieux. Les livrées des voitures postales différaient d’un pays à l’autre. Certaines arboraient déjà le rouge quand d’autres restèrent vertes ou brunes. Le célèbre logo en forme de corne fut pratiquement identique dans toute l’Europe, avec certaines nuances. L’entretien du matériel postal incombait aux administrations postales, dont les véhicules étaient assimilés à des wagons de particuliers. La Suisse, en 1893, comptait 273 cours postales !

Voiture postale allemande de 12,50m, construction Görlitz de 1924 (photo Wumag Görlitz)

Aménagement typique

Des ambulants…
C’est à cette époque qu’apparait la notion de bureau ambulant, où le personnel de la poste prend place dans les voitures postales et trie le courrier durant le trajet. Selon les témoignages écrits, les ambulants étaient un petit monde à part au sein de la Poste, avec ses rites et ses coutumes. C’est un service assez pénible car, outre la fatigue de voyages continuels, bien souvent le personnel trouve au départ un wagon-poste bien encombré, et ce n’est qu’après plusieurs heures de travail de tri que l’on commence à « y voir plus clair ». L’horaire est tendu et il ne peut y avoir de retard dans le travail, car les sacs à descendre en cours de route doivent impérativement être prêts à l’heure ! Des tensions pouvaient parfois apparaître avec les cheminots en gare, notamment pour le chargement.

(photo CFF Historic)

Aux PTT suisses, avant l’introduction des codes postaux, une excellente connaissance de la géographie et du système de transport postal était nécessaire pour travailler dans la voiture-postale, qui était considéré comme une étape importante dans une carrière postale. Tous les pays ont connu le même phénomène. Dans les années 1900, près de 8000 personnes étaient par exemple affectées en Allemagne à ce qui s’appelait la ‘Bahnpost ‘, la poste ferroviaire.

Le XXème siècle
Le matériel roulant évolue. Dans les années 1900 apparaît en France des voitures postales à 2 essieux avec empattement de 8,20m pour une longueur HT de 15,172m. Sur le réseau PLM, il existait une variante de ce type avec 3 essieux. Les techniques de construction sont analogues à celles des voitures voyageurs de la même période. A partir de 1907 apparaît un type de voitures à bogies portant la longueur à 18,040m. Une distinction est faite entre les différents types de voitures en fonction de leur équipement : pour le traitement exclusif des lettres, pour le traitement des colis et voitures pour le traitement des lettres et colis. Parallèlement, les administrations postales européennes utilisèrent des fourgons à bagages pour certains de leurs transports, solution qui leur évite l’entretien de véhicules spécialisés. Sur des relations omnibus, une partie du fourgon pouvait suffire et, parfois même, la poste utilisait simplement un compartiment dédié dans une voiture voyageur classique à deux essieux.

L’apogée
Jusqu’après la fin de la Première Guerre mondiale, le courrier ferroviaire en Europe a connu son apogée absolue. Juste avant 1914, l’Allemagne possédait environ 2.400 voitures affectées au service postal. Les premières réductions ont été provoquées par l’inflation en 1923 et par la loi allemande sur les chemins de fer de 1924, qui a mis fin à la gratuité du transport du courrier ferroviaire et a introduit la rémunération sur la base des kilomètres-essieux. Cela a inévitablement conduit aux premières mesures de réduction des coûts dans le transport ferroviaire du courrier. En France en 1939, à la veille de la Seconde guerre mondiale guerre, la poste française, qui était l’administration PTT, disposait de 825 voitures-poste dont 300 bureaux ambulants. Ce nombre chuta à 600 unités après la Seconde guerre mondiale, suite à des destructions durant le conflit ou à des réformes.

Après la seconde guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale n’a pas seulement entraîné la destruction de grandes parties du réseau ferroviaire européen, mais elle a également provoqué la perte d’innombrables wagons postaux. Il devenait évident que le volume du courrier n’avait plus rien à voir avec ceux du XIXème siècle. Il y avait aussi une distinction de plus en plus marquée entre le courrier et les colis, qui impliquait des circuits et des rythmes de flux différents. British Rail construisit entre 1959 et 1977 un total de 96 véhicules, tous basés sur la conception des voitures Mark 1 et numérotés 80300 à 80395. Les premiers véhicules construits comportaient les fameux filets de capture et des bras de collecte, pour permettre l’échange de sacs de courrier sans que le train ait besoin de s’arrêter, une pratique qui s’arrêta seulement en 1971. Ces véhicules pouvaient dans certains cas composer des trains postaux entiers.

Les voitures postales sur base des Mark 1

Les PTT français continuèrent d’utiliser un grand nombre de divers types de voitures OCEM sur base de plans de 1928 puis 1931, et qui étaient des voitures métalliques d’environ 15 tonnes pour une longueur de 21,57m. Dans les années 80, certaines d’entre elles reçurent la livrée jaune de La Poste, et au passage des soufflets UIC ainsi que des bogies Y24.

Le modèle français OCEM, une construction de 1926, sur bogies.

En Allemagne, 72 voitures postales de type Bpw au gabarit UIC-X de 26,40m furent construites dans les années 1955-56 pour les intégrer dans des trains de voyageurs (photo). Par la suite, certaines de ces voitures seront affublées de la livrée beige/bleu Intercity de la DB.

Les nouvelles voitures postales allemandes, gabarit UIC-X et longueur 26,40m. On rentre dans la modernité…

Les trains postaux « autonomes »
Le terme « autonome » se réfère ici à des trains spécifiques pour la poste, dans des services séparés du trafic voyageur. Sans rapport avec le train autonome sans conducteur, qui est un tout autre sujet…

Le travail des ambulants était mis à rude preuve par… l’accroissement de la vitesse des trains. Certaines nuits, une dizaine d’agents postaux devaient trier jusqu’à 400 sacs avec des temps de trajet de plus en plus réduits ce qui posa des problèmes. La réponse fut alors la mise en place de train postaux autonomes, qui pouvaient selon les cas faire de plus longs arrêts en gare, indépendamment du service voyageur. Ces trains autonomes pouvaient aussi circuler de nuit, quand les trains de voyageurs dormaient dans leur dépôt…

Aux Pays-Bas, les PTT et les NS avaient convenus un accord pour des trains séparés dès 1955. Pour éviter des convois tractés, la société Jansen de Bergen op Zoom avait transformé 20 automotrices de la série mCD 9100, mCD 9151 et mBD 9001 en automotrices postales. Pour à peine 10 ans : en 1966, tout ce matériel était déjà mis hors service. Dans l’intervalle, les PTT font construire 35 nouvelles automotrices à une caisse de type mP1, 2 et 3, sur base des automotrices dites « Plan V ». Elles ont une longueur maximale de 26,40m et entrent en service dès 1966 (photo). Dès 1979, ces automotrices sont autorisées à tracter des wagons de fret de type Hbbkkss construits par Talbot, avec un maximum de cinq wagons pour 200 chargées.

Un exemplaire bien conservé des automotrices plan V de type mP1

Wagons de fret de type Hbbkkss construits par Talbot, utilisés dès 1979

En Belgique, le premier train autonome postal fut testé en octobre 1962, soit plus de 100 ans après les premières voitures postales. Cette automotrice dédiée provenait d’une transformation de huit automotrices quadruples de 1935 de la SNCB, récemment retirées du service et ayant pour certaines déjà 3 millions de kilomètres au compteur.  Après les conclusions du test, le démarrage eut lieu en février 1968 avec des automotrices couplées au départ de Bruxelles-Midi, vers Gand et Ostende, vers Anvers, vers Liège et vers Jemelle et Luxembourg. D’autres destinations suivirent.

Transformation des AM54 après le retrait des AM 1935 de la SNCB. Le logo « B » aura par la suite le logo de La Poste comme voisin sur la face frontale

La poste belge était propriétaire de ces véhicules. Avec les progrès techniques des centres de tri, le tri ambulant fut rapidement arrêté dès 1971 et les trains se contentèrent de ne transporter que des sacs prétriés. Á la fin des années 80, quinze automotrices type 1954 furent transformées, tout en restant cette fois propriété de la SNCB, qui les louait.

En France, 8 autorails postaux basés sur les techniques des X4750 furent construits en 1978 pour des transports entre Paris et Rouen, Caen et Lille. Leur capacité était de 66 conteneurs pour une charge de 13,2 tonnes de courrier. Ces engins, numérotés X94750 à 757, ne circulèrent qu’une quinzaine d’années, avant leur retrait en 1993.

Mais le plus spectaculaire fut certainement le lancement des TGV postaux en 1984. La Poste construit tout spécialement deux plateformes postales directement accessibles avec quais ad-hoc : à Macon et à Cavaillon. La Poste est propriétaire du matériel roulant : 7 demi-rames dérivées du TGV Sud-Est. Les 923006 & 007 sont issues de l’ex-rame PSE n°38 et ne seront livrées qu’en 1993. Jusqu’à 6 services sont opérés en fin de soirée ou au petit matin.

Le TGV postal, ce sera le seul exemple en Europe, si on excepte beaucoup plus tard l’arrivée du Fast Mercitalia en 2018, qui n’était pas postal…

La fin du mariage
Les années d’après-guerre favorisèrent largement l’aviation postale pour les distances supérieures à 400-500km. Dès 1961, par exemple, la Bundespost allemande avait mis en place un réseau postal aérien de nuit où des vols à destination et en provenance de Hambourg, Brême, Hanovre, Berlin-Tegel et Cologne/Bonn, Nuremberg, Stuttgart et Munich, convergeaient à Francfort entre 23h50 et 1h40 pour échanger du courrier. L’Allemagne pouvait ainsi être couverte en une seule nuit. L’Allemagne tenta néanmoins quelque chose de rapide entre 1980 et 1997, malgré le réseau aérien, au travers de ‘Post InterCity’, une forme nocturne rapide du courrier ferroviaire. En 1980, une liaison de train de nuit rapide entre Hambourg et Bâle ou Stuttgart a été mise en service à titre d’essai, puis étendu en 1981 aux liaisons Hambourg – Cologne et Hanovre – Düsseldorf. Le 23 mai 1982, sept autres trains de nuit rapides étaient encore rajoutés. Mais la haute priorité horaire accordée à ces trains entrait en conflit avec certains trains de fret tracés à 120 km/h. De plus, l’utilisation nocturne des machines E103 provoquait des tensions sur les roulements, ces machines étant prioritaires sur les InterCity grande ligne de jour. Quand les intérêts de la Poste se heurtaient à ceux du rail…

La compatibilité entre les horaires voyageurs et ceux du déchargement/chargement postal a toujours été un soucis…

Dans les années 90, le volume de courrier transporté par chemin de fer diminua régulièrement. Il y eut aussi une politique de séparation des services de courrier et de colis introduite par la Deutsche Post et la technologie grandissante des centres de tri. L’Allemagne passa ainsi entre de 1994 à 1998 de 83 à 33 centres de courrier et de tri des colis. De plus, pour la Deutsche Post, le manque d’itinéraires rapides pour le saut de nuit a rendu le transport du courrier par chemin de fer peu attractif. En France, au début des années 90, avec la mise en service de machines de tri automatique, le tri manuel, qui se faisait de nuit dans les wagons, fut supprimé. Du même coup, le transport ferroviaire perdait son seul avantage pour ne conserver que ses inconvénients ­ lenteur et rigidité. En 1991, la Poste française décidait de transférer progressivement les services du rail vers la route.

La Grande-Bretagne y croit encore
Dans les années 1980, le transport du courrier par rail avait acquis la réputation d’être peu fiable, le courrier arrivant souvent en retard. En réponse, British Rail conçut ‘Rail Express Systems’ (RES) pour mieux répondre aux besoins de Royal Mail. Au milieu des années 1990, une nouvelle stratégie audacieuse pour transporter le courrier par rail fut élaborée. «Railnet» a été développé pour faciliter le traitement en vrac du courrier en ayant des dépôts spécialement construits pour le tri des trains et le transfert des sacs de courrier vers et depuis le réseau routier. Ce projet de 150 millions de livres sterling financé par Royal devait être « à la pointe de la technologie, prévu pour des économies d’échelle » afin de traiter efficacement de gros volumes de courrier, dixit les documents d’époque. Nous sommes juste une année avant la privatisation de British Rail. À la fin de 1993, Royal Mail signit un contrat de 13 ans avec ‘Rail Express Systems’ (un contrat intérimaire de trois ans, puis un accord de dix ans une fois le «hub» achevé) pour faire circuler les trains à partir de son nouveau «hub», connu sous le nom de London Distribution Centre (LDC, maintenant mieux connu sous le nom de Princess Royal Distribution Center) et construit à Stonebridge Park, près de Wembley.

Dans l’intervalle, le secteur « colis » de British Rail était à la recherche d’un parc de plusieurs unités d’automotrices dont l’exploitation serait plus rentable qu’un parc tracté. Ainsi naquirent, sur base des Class 319, les 16 automotrices de la Class 325 construites chez ADtranz Derby entre 1995 et 1996. Chaque ensemble est composé de quatre voitures, chacune avec deux volets coulissants et pouvant contenir jusqu’à 12 tonnes de colis. Il n’y a pas d’intercirculation entre les voitures. Les voitures postales n’avaient pas encore toutes disparues : il y avait encore une flotte de 123 voitures postales en 1995, dont 84 équipées pour les ambulants.

Une composition de Class 325, un des rares exemples réussit d’automotrices postales, excepté le TGV français…(Slindon en 201, photo Steve Jones via wikipedia)

En Suisse, 640 wagons de courrier circulaient encore quotidiennement au début des années 90 sur le réseau CFF, et 51 sur les chemins de fer privés. Mais dans ce pays aussi, les bouleversements de la logistique et des habitudes de consommation modifièrent les règles du jeu et les flux ferroviaires.

Une des nombreuses cours postales suisses, mais la réduction de celles-ci commençait…

Fatales années 1997-2004…
L’arrivée d’internet n’explique pas tout, loin s’en faut. Jusque-là, une frontière plus ou moins hermétique avait été constituée entre le ‘courrier’ et le ‘colis’. Or, la diminution du courrier contrastait avec les colis qui, eux, voyaient leurs volumes croître régulièrement. Dans l’intervalle, les années 2000 sont marquées par l’arrivée sur nos tarmacs de gros intégrateurs basés sur le binôme avion/camionnette, avec livraison à domicile et installations de tri géantes et ultrasophistiquées. Il devenait clair pour toutes les Postes d’Europe qu’il y avait là un marché à prendre et qu’un tournant se dessinait dans la distribution. Tous les pays ont eu à connaître une reconfiguration complète des réseaux postaux et des centres de tri, ce qui impacta forcément sur le trafic ferroviaire postal.

Aux Pays-Bas, la fermeture définitive du tri-postal de Roosendaal rend les automotrices inutiles. Le 20 mai 1997, tout le trafic postal est transféré à la route et les 16 automotrices restantes sont mises au chômage illico. Coïncidence, c’est ce même mois de juin 1997 que prend fin le trafic du courrier ferroviaire sur les lignes de la Deutsche Bahn AG. En Belgique, l’acheminement du courrier par train pris fin le 31 décembre 2003 sur un ultime train Bruxelles-Gand.

En Autriche, avec la construction et l’agrandissement des six centres de distribution à partir de 2001, le courrier n’avait plus de raison d’être trié en cours de route dans un train. En mai 2004, la dernière liaison nationale Vienne – Wolfurt – Vienne était définitivement arrêtée. La dernière liaison régionale exploitée fut Innsbruck – Wolfurt après l’ouverture du centre de distribution de Hall / Innsbruck.

Une des voitures postales autrichiennes « modernes » rescapées chez une association privée. Le jaune « Empire » est resté…

Chez le voisin suisse, l’ère était aussi à la transformation. La centralisation du tri et les nouvelles modes de consommation militèrent pour d’autres systèmes de distribution. Avec le transfert du transport de journaux du rail vers route, l’ère des wagons accompagnés en Suisse était révolue dès août 2004.

En Grande-Bretagne, il y avait encore une flotte de 112 voitures postales passé les années 2000, ainsi que les automotrices de Class 325, toujours actives. Le London Distribution Center ouvert en 1996 signifia un changement radical, signifiant par-là que seuls les trains de courrier dédiés circuleraient. Les TPO étaient soumis à des restrictions considérables, notamment des limitations de vitesse et des annulations sur de nombreux itinéraires, ce qui retardait parfois les trains jusqu’à six heures. Cependant, dès 2003, Royal Mail retira ses contrats et cessa l’exploitation des bureaux de poste itinérants (TPO) en janvier 2004, après 166 ans de service au service du Royaume de Sa Gracieuse Majesté. Mais pas pour longtemps…

La France y a cru aussi longtemps que possible. En 1995, les trains postaux avaient été massivement supprimés, en dehors du Paris-Besançon (et de trois rames de TGV qui continuent de relier quotidiennement Paris, Lyon et Cavaillon). Le courrier n’était acheminé qu’à 4 % par le rail, la route se chargeant de 75 % de l’acheminement. Le dernier train postal autonome, hors TGV, circula en décembre 2000 entre Paris et Besançon. Le TGV Postal, lui, conserva encore ses atouts avec des trafics entre Paris-Charolais et Lyon-Montrochet, où un entrepôt a été spécialement aménagé. L’une des deux relations marquait un arrêt à Mâcon-Loché, où une plate-forme spécifique a également été créée. Le volume de courrier transporté ne cessant de diminuer, un des allers-retours Paris – Cavaillon fut supprimé en 2009 tandis que ne subsistait que trois autres rotations journalières, l’une subsistant sur Cavaillon et les deux autres sur Mâcon. La chute du volume se poursuivant, il fut décidé d’arrêter. Le dernier TGV Postal circula le 26 juin 2015 entre Cavaillon et Paris-Charolais avec la rame 953.

Les résistants
Contre toute attente, les anglais n’abandonnèrent jamais vraiment, en dépit des baisses de volume et du courrier électronique. L’année même de l’arrêt des TPO, en 2004, Royal Mail décidait de revenir sur le réseau ferroviaire et engageait le privé GB Railfreight pour transporter des lettres déjà triées sur la West Coast Main Line entre les terminaux de courrier à Willesden à Londres, Warrington et Glasgow, en utilisant les Class 325. Ce contrat fut ensuite transféré en 2009 à DB Schenker, et qui reste toujours en vigueur aujourd’hui, sous le nom de ‘Mail by Rail’ qui circule chaque jour de semaine sur le même itinéraire.    

La Poste suisse n’a as encore abandonné le train

En 2002, la Poste Suisse lançait REMA, un projet de réorganisation du traitement du courrier et de la logistique des colis. Les bureaux de postes passaient de 3500 à 2500 unités, ce qui reste encore remarquable compte tenu de la taille du pays. Le nombre de centres de tri principaux tombait à trois : Zurich-Müllingen, Éclépens et Härkingen, auxquels s’ajoutent 3 centres de colis à Daillens, Frauenfeld et à nouveau Härkingen. Dans ce paysage renouvelé, il est encore fait appel au train pour gérer les différents flux.  En 2017, CFF Cargo acheminait chaque jour 21 trains de courrier et 38 trains complets de colis dans toute la Suisse. Pas d’automotrices ni de voitures-postales, mais des wagons transportant des caisses mobiles. Grande-Bretagne, Suisse, le courrier et les colis par train font encore partie du monde actuel. Où en est-on aujourd’hui dans cette vaste logistique ? Quel est la situation du courrier et des colis en cette ère de e-commerce ? Là, il ne s’agit plus de l’histoire mais du présent et futur que nous vous présenterons à une autre page.

Le futur, dans les pays qui y croient encore…

Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm