MSC : puissance maritime et verticalisation terrestre


26/03/2024 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Bien qu’il aurait pu être un client de premier plan pour le transport ferroviaire, MSC, leader mondial du conteneur, a plutôt choisi d’internaliser ses opérations afin de maximiser ses revenus. Pour ce faire, l’entreprise a pris l’initiative de mettre en place tous les éléments nécessaires à son activité : une filiale logistique, une filiale de transport, et même la construction de ses propres wagons. Cette approche, caractérisée par une verticalisation poussée, est plutôt inhabituelle. Nous ne parlerons ici que du fret.

Il était une fois…

L’histoire commence à Sorrente, près de Naples, où Gianluigi Aponte, né en 1940, fonde un empire maritime familial qui emploie aujourd’hui près de 180 000 personnes. Avec sa conjointe, issue du monde bancaire, Gianluigi débuta modestement dans le transport maritime en proposant des tarifs compétitifs avec quelques navires d’occasion. Par la suite, il conduisit sa société vers le transport de conteneurs, marquant le début de l’expansion mondiale des boîtes jaunes aux couleurs de l’entreprise.

Le groupe revendiquerait 793 porte-conteneurs et un trafic de près de 22 millions d’EVP (Équivalent Vingt Pied). Il dispose aussi d’une filiale croisières, MSC Cruise, qui opère 23 navires sur toutes les mers du globe, et dont le gigantisme ne fait pas vraiment l’unanimité, singulièrement à Venise.

MSC s’est construit en dehors des circuits financiers traditionnels. C’est une entreprise qui ne va pas sur les marchés pour lever des capitaux.

À la tête de l’empire, il y aurait le fils et la fille, tous de la cinquantaine, mais le père est toujours aux commandes. RFI explique que MSC n’est pas cotée en bourse et que les affaires de famille restent en famille. L’entreprise ne publie pas ses résultats. Un spécialiste du secteur explique ainsi que MSC s’est construit « en dehors des circuits financiers traditionnels. C’est une entreprise qui revendique son indépendance, qui grandit par croissance uniquement endogène, et qui ne va pas sur les marchés pour lever des capitaux. » Elle aurait beaucoup gagné d’argent durant et juste après la pandémie grâce à l’explosion des taux de fret.

Le groupe est aujourd’hui devenu un conglomérat géant, avec une division passagers qui inclut les navires de croisières. Dans l’escarcelle aussi, l’acquisition de l’opérateur privé italien NTV-Italo, non encore représenté ci-dessous.

Au-delà de sa réussite corporative, notre attention se portera sur les initiatives terrestres, notamment en Europe, au niveau du fret et de la logistique. MSC, à travers des filiales dédiées, a développé une verticalisation atypique en internalisant ses activités logistiques et de transport, et même en investissant dans la construction de ses propres wagons.

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De la modestie au gigantisme : 793 porte-conteneurs, dont certains XXL (photo MSC)

Construire ses propres flux logistiques

Medlog, une filiale de MSC, est un prestataire mondial de services de transport terrestre et de logistique. Avec une présence dans 70 pays, Medlog transporte plus de 4,4 millions d’Équivalents Vingt Pieds (EVP) par an. Appartenant entièrement à la famille Aponte, Medlog emploie plus de 70 000 personnes à travers le monde.

La première manifestation ‘terrestre’ de MSC, en dehors d’avoir ses propres terminaux portuaires, fut de créer MSC Rail en décembre 2012, avec siège social à Lisbonne. La présence au Portugal d’un gouvernement conservateur permit ensuite à MSC de racheter le fret ferroviaire portugais – l’ancien CP Carga -, en janvier 2016. Une initiative qui ne fut pas remise en cause par le gouvernement progressiste suivant « car CP Carga accumulait des pertes importantes ».

C’est à cette occasion qu’est créé Medway, en novembre 2016, une filiale à 100% de MSC, et qui utilise notamment le rail pour gérer ses propres flux logistiques, mais également le camionnage et l’aérien. Le siège social est alors à Lisbonne.

Le groupe déborda rapidement sur son voisin espagnol en créant Medway Iberia, puis Medway Italia ainsi que plus récemment Medway Belgium. MSC occupe en effet un terminal à lui seul dans le port d’Anvers et les boîtes jaunes sont coutumières dans les circulations du fret ferroviaire belge.

Portugal, Espagne, Italie et Belgique, il manquait la France pour faire le lien. En mars 2023, le directeur général de Medway, M. Bruno Silva, déclarait aux médias portugais l’intention de commencer ses opérations en France en 2025, en investissant 45 millions d’euros dans 8 locomotives et 350 wagons intermodaux.

Ports secs et terminaux

C’est d’abord au Portugal que MSC débuta avec ses ports secs : à Entroncamento puis à Aveiro. En avril 2023, Medway reprenait la gestion de trois terminaux espagnols en Estrémadure : à Badajoz, Mérida et Navalmoral.

En juillet 2023, Medway recevait enfin le feu vert pour la construction au Portugal d’un terminal de 22 hectares à Famalicão (Lousado). Cet investissement de 63 millions d’euros permettrait d’édifier le plus grand port sec, dit-on, de la péninsule ibérique. En plus d’être connecté à la ligne Minho, le complexe disposerait de quatre lignes ferroviaires de 750 mètres et une capacité de 10.000 EVP.

Mais il y aussi tout une série de partenariats, que nous décortiquons plus bas.

Avoir sa propre filiale ferroviaire

La filiale Medway, créée on l’a vu en 2016 des suites de MSC Rail, est dorénavant classé ‘opérateur ferroviaire’ en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche, Portugal, Espagne et Italie et possède du matériel roulant, exploité par des partenaires, en Turquie et en Inde.

Le rachat de CP Carga en 2016 avait permis à MSC de mettre la main sur la totalité du matériel roulant, soit 34 locomotives électriques, 30 locomotives diesel et 2.917 wagons tous types. Dans ce parc, les locomotives Siemens Eurosprinter assez récentes, ancêtre des Vectrons. Mais de nouvelles locomotives étaient nécessaires.

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En reprenant CP Carga, Medway a mis la main sur d’autres trafics (photo Medway)

En 2016, la nouvelle Medway faisait l’acquisition via Alpha Train de six machines Stadler Euro4000, aptes à la fois au Portugal et à l’Espagne. Quatre de ces machines faisaient l’objet d’un contrat de leasing à long terme.

En Italie, Medway avait obtenu la licence ferroviaire et le certificat de sécurité pour opérer sur certaines lignes italiennes en juin 2019. S’en est suivi l’obtention d’un parc de locomotives. En 2021, Medway recevait ses deux premières locomotives Traxx F140DC de l’usine Bombardier de Vado Ligure (aujourd’hui Alstom). Elles font partie d’une commande plus importante de 6 machines via un leasing auprès d’Alpha train. Par la suite, 10 autres Traxx étaient commandées via un leasing chez Akiem. 15 machines supplémentaires Traxx F140DC3 complétèrent ce parc, qui évoluera probablement à l’avenir.

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Les premières Traxx DC3 d’Italie, à Vado Ligure, dans ce qui s’appelait encore Bombardier (photo Medway)

« Les nouvelles locomotives contribueront à la réalisation des objectifs ambitieux de l’année prochaine (2022), l’entreprise prévoyant d’exploiter environ 5.000 trains par an, contre 2 000 cette année » expliquait Federico Pittaluga à Shipping Italy.

Toujours en 2021, Medway commandait 16 locomotives électriques Euro6000 à six essieux chez Stadler, à Albuixechà (Valence). D’une puissance continue de 6 MW et d’une vitesse maximale de 160 km/h, ces locomotives à l’écartement de 1 668 mm circulent tant sous 3 kV CC qu’en 25 kV 50 Hz. D’un poids de 121 tonnes, elles sont destinées aux services transfrontaliers ibérique.

Medway a fait circuler 40.000 trains en 2023

En juillet 2023, MSC renforçait sa présence dans le secteur ferroviaire en élargissant sa flotte au sein de sa récente branche, Medway Belgium. Cette expansion comprenait l’acquisition de 15 nouvelles locomotives Siemens Vectron. Ces locomotives supplémentaires ont permis d’accroître la capacité opérationnelle du terminal d’Anvers, un hub logistique majeur. Elles sont utilisées pour le transport transfrontalier de marchandises à travers l’Europe, ainsi que pour compléter le transport de conteneurs par voie maritime afin de desservir l’arrière-pays étendu d’Anvers, renforçant ainsi la connectivité et l’efficacité des opérations logistiques de MSC dans la région.

En 2023, Medway faisait état en globalité de plus de 40.000 trains exploités par an, parcourant plus de 8,2 millions de km, avec une flotte mondiale de 115 locomotives et plus de 4.800 wagons.

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15 locomotives Vectron viendront garnir la flotte en Belgique (photo Medway)

Construire ses propres wagons

En 2021, Medway, à travers un consortium de 10 entreprises, élaborait une stratégie pour relancer l’industrie de fabrication de wagons au Portugal. Ce projet n’a pas encore vraiment abouti puisqu’en novembre 2021, Medway signait un contrat avec le slovaque Tatravagonka pour l’acquisition de 113 nouveaux wagons porte-conteneurs. Le but du partenariat serait de retravailler le wagon de marchandise dans un sens plus technologique.

Aller vite est semble-t-il un des motifs qui a guidé à la décision, en février dernier, de racheter à Trieste l’ancienne usine Wärtsilä que le groupe finlandais veut arrêter. Gianluigi Aponte veut reprendre le site pour y construire des wagons de marchandises dont il a bien besoin.

Construire ses propres wagons pour aller plus vite rappelle un peu la politique de Cargo Beamer, qui a ouvert à Erfurt un atelier du même genre précisément pour construire ses propres wagons sophistiqués.

Pour sortir du pur cadre maritime (les conteneurs), Medway fit l’acquisition en 2019 de caisses mobiles.

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Le terminal MSC d’Anvers, un des plus grands du groupe (photo MSC)

Terminaux maritimes et partenariats

Terminal Investment Limited (TiL) a été fondée en 2000 par la famille Aponte afin de garantir un accès constant à MSC. On ne le sait peut-être pas, mais l’accès aux terminaux portuaires n’est pas aussi aisé et les bateaux peuvent parfois faire la file en mer avant d’y accéder. La famille Aponte a voulu la garantie d’un accès sans attente pour ses navires.

TiL possède un portefeuille diversifié de terminaux à conteneurs, stratégiquement situés dans certains des ports les plus fréquentés au monde en termes de volume de conteneurs, notamment Singapour, Ningbo, Busan, Los Angeles, Long Beach, New York/New Jersey et trois en Europe : Rotterdam, Anvers et Valence. Mais aussi dans bien d’autres ports, à plus petite échelle.

MSC est partenaire de Renfe Mercancías et entre au capital de la société du port de Hambourg, HHLA

Toujours en 2023, MSC a publié une offre de reprise du logisticien du port de Hambourg, HHLA, lequel appartient à la ville de Hambourg et est propriétaire de trois des quatre terminaux à conteneurs du port ainsi que de l’opérateur ferroviaire Metrans, outil indispensable pour répandre les boîtes jusqu’au fin fond de la Pologne et de la Tchéquie. Selon cet accord, MSC détiendrait à l’issue de la transaction 49,9 % de HHLA, tandis que la ville conserverait une courte majorité de 50,1 %, Hambourg détenant aujourd’hui 69 %.

En septembre 2023, Renfe Mercancías indiquait avoir choisi Medway comme partenaire industriel. Cela implique un long processus car il ne s’agit pas ici de créer une entreprise commune.  

On pourrait encore continuer longtemps. Retenons ici que MSC, à l’origine simple transporteur maritime, devient un intégrateur complet et se diversifie dans le service à la clientèle. Pour cela il faut de l’argent, beaucoup d’argent. MSC répond en grande partie à la question du fret ferroviaire : ne pas se contente d’être un simple transporteur. Il faut capter les flux et en tirer les meilleurs bénéfices. 🟧



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Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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