L’Europe a voté la réduction ou la suppression des péages ferroviaires

La pandémie ferait-elle bouger les lignes plus vite qu’on ne le croit ? On pourrait le penser ! Le Parlement européen a voté hier jeudi la proposition de règlement européen établissant des mesures donnant aux États membres la liberté nécessaire pour soutenir le fret ferroviaire de manière neutre, économiquement justifiée et transparente.

Le Covid-19 a poussé le secteur ferroviaire dans un trou noir, du moins pour le transport voyageurs. Le fret s’en est mieux sorti mais a néanmoins aussi dû faire face à de grandes pertes. Le secteur du transport combiné a subi une contraction de volume de 15% au cours de la période avril-juin, alors que le nombre de trains sur le réseau était beaucoup plus élevé, rappelle l’association UIRR. L’association allemande Netzwerk Europäischer Eisenbahnen (NEE), explique de son côté que la baisse des volumes de fret due à la baisse de la production industrielle et à l’interruption des chaînes logistiques, ainsi qu’à une politique tarifaire agressive dans le transport routier de marchandises, y compris la baisse des prix du diesel, ont désormais conduit à un déplacement du trafic vers la route. Le « monde d’après » qui tourne le dos aux modes durables, ça ne pouvait pas rester en l’état…

Les infrastructures ferroviaires jouent un rôle clé dans la stratégie d’augmentation de la part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises. C’était l’occasion de remettre sur la table la problématique des péages ferroviaires, une demande qui ne date pas de la pandémie. De fait, le différentiel entre les coûts réels de la route et du rail est un sujet de longue date. En mai dernier, flairant le bon moment, 12 entreprises publiques européennes dont la SNCF, la Deutsche Bahn ou encore Mercitalia (Italie), remettaient le couvert en constatant que « le rail et le transport routier de marchandises ne font pas face aux mêmes problématiques de coûts et de concurrence. » Sans rapport réel avec la pandémie, cela mettait néanmoins un argument de plus sur la balance. Depuis peu, la Commission européenne travaillait sur une proposition de règlement prévoyant l’assouplissement des obligations relatives aux redevances d’accès aux voies, aux frais de réservation et aux surtaxes. Dans le texte, le Conseil précisait que, le cas échéant, les États membres pouvaient appliquer la dérogation à l’obligation de payer les redevances d’accès aux voies en fonction des segments de marché (passagers ou fret), de manière transparente, objective et non discriminatoire.

Rappelons qu’un règlement diffère d’une directive : le règlement a effet quasi immédiat, quand la directive prend le temps de la transposition en droit national, parfois plusieurs années, comme par exemple le quatrième paquet ferroviaire. C’est donc dans un parcours d’extrême urgence – autre « bienfait » de la pandémie -, que la Commission avait transmis en juin dernier son projet au Parlement européen, qui l’a voté hier. La décision est antidatée au 30 mars 2020 et se poursuivra jusqu’au 31 décembre et peut être prorogée si nécessaire. Les États membres peuvent appliquer la décision pour le transport de passagers et de fret et sont tenus d’informer la Commission européenne de toute mesure qu’ils prennent. Ceux qui le feront devront indemniser les gestionnaires d’infrastructure pour les pertes qui en résulteront l’année suivante, rapporte Railway Gazette. Le secrétaire de l’ERFA Conor Feighan, une association d’opérateurs privés, a déclaré que « nous ne savons pas quand cette pandémie prendra fin ni quelle sera son évolution. Il est donc important que la Commission ait la capacité d’agir de manière décisive dans l’extension du règlement. Les États membres disposent désormais d’un outil important pour soutenir le secteur du fret ferroviaire et l’ERFA appelle tous les États membres à agir de manière proactive dans la mise en œuvre des dispositions de ce règlement. »

Dans les milieux ferroviaires, on savoure la performance. En début d’année, alors qu’on ne se doutait de rien, une telle demande paraissait encore si radicale ! Et puis les réticences sont tombées les unes après les autres. À la mi-août, le ministère autrichien des transports a annoncé que les frais d’accès aux infrastructures seraient réduits pour soutenir les flux de fret ferroviaire. Le ministère agissait en réponse à une baisse du trafic, directement attribuée à la pandémie. Fin août, le Premier ministre français Jean Castex a annoncé que la France renoncerait aux frais d’accès aux voies pour le reste de 2020 et les réduirait de moitié pour l’ensemble de 2021, si la réglementation le permettait. La Belgique va probablement suivre aussi.

L’indemnisation des gestionnaires d’infrastructure risque de créer de gros débats en cas d’entreprises intégrées : quelle preuve aura-t-on que cet argent sera bien versé aux « infras » ? Ce sera en revanche bien plus clair pour les gestionnaires indépendants, comme Infrabel en Belgique, Trafikverket en Suède ou Adif en Espagne. On peut dire que pour la plupart des réseaux européens, cette mesure tombe mal si elle n’est pas compensée dans l’immédiat. Aux quatre coins d’Europe, de très nombreux chantiers sont en cours pour la modernisation des voies, elle-même gage de qualité pour le trafic fret, notamment.

Reste à voir qui peut en profiter. Les péages ferroviaires sont certes des coûts fixes dans le business des opérateurs, il n’en demeure pas moins que des différences d’impact s’appliquent selon la taille des transporteurs. Au-delà de cette mesure, c’est toute la chaîne logistique qui doit être favorable au train. On en est loin ! Comme souvent, le recours à la route durant la première vague de la pandémie pourrait devenir pérenne chez de nombreux chargeurs. La reconquête ne sera pas une chose aisée alors que de nombreux défis structurels s’annoncent au secteur, notamment le digital, mais pas que.

En dehors du cercle ferroviaire, on parle aussi de « monde d’après » mais en plus radical. Certains n’hésitent pas à parler d’un « moment historique pour faire disparaître les parasites, » sans qu’on sache à qui est destiné cette magnifique étiquette. D’autres invitent à « éjecter les opérateurs qui n’ont rien à faire dans la profession [ferroviaire], » imaginant sans doute le retour aux monopoles d’antan. Tout cela fait désordre et ne répond pas au motif principal : le transfert modal et la pérennité du système ferroviaire. Ces deux objectifs ne pourront être atteint que si on fait confiance à tous les opérateurs, ce qui augmentent les volumes transférés sur rail. L’objectif est de ne pas casser ce qui a patiemment été construit ces vingt dernières années.

>>> À lire : Quel chemin de fer veut encore la puissance publique ?

Les nouvelles règles entreront en vigueur le lendemain de leur publication au Journal officiel de l’UE. Ensuite, il appartiendra aux États membres d’adopter ces règles et de démontrer leur réelle volonté face aux lobbies routiers qui ne manqueront pas de contre-attaquer…

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Une TRAXX Lineas, ici sur un service aux Pays-Bas (photo Nicky Boogaard via license flickr)

cc-byncnd

Publié par

Frédéric de Kemmeter

Cliquez sur la photo pour LinkedIn Analyste ferroviaire & Mobilité - Rédacteur freelance - Observateur ferroviaire depuis plus de 30 ans. Comment le chemin de fer évolue-t-il ? Ouvrons les yeux sur des réalités plus complexes que des slogans faciles http://mediarail.be/index.htm

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