Pologne : CPK , le projet de nouvel aéroport et lignes à grande vitesse


03/04/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Vu de l’Ouest, on a de la Pologne une image d’éternel « pays de l’Est » un peu lointain, périphérique. Or le pays veut justement saisir l’opportunité de sa géographie pour devenir un grand carrefour des transports du nord-est européen. C’est l’objet du projet CPK, le plus grand d’Europe.

Centralny Port Komunikacyjny (CPK) est un « hub de transport » à construire entre Varsovie et Łódź, et qui comprend trois éléments : un nouvel aéroport, des lignes ferroviaires à grande vitesse et des autoroutes qui s’y croisent.

Ce projet de hub est situé à environ 37 km à l’ouest de Varsovie et devrait se développer sur une superficie d’environ 30 km². L’objet central de ce projet était avant tout de remplacer l’actuel aéroport Chopin, que l’on dit enclavé et trop proche de la capitale Varsovie. Cela rappelle un peu Berlin…

Le nouvel aéroport baptisé Solidarność a été dimensionné pour pouvoir accueillir 40 millions de passagers par an. Il devrait être construit sur la municipalité de Baranów, dans le district de Grodzisk de la voïvodie de Mazovie, pour ceux qui connaissent…

Ce projet titanesque – un des rares d’Europe pour cette dimension -, a été adopté le 7 novembre 2017 par une résolution du Conseil des ministres, et le 2 juin 2018, une loi spéciale portant sur le CPK était signée par le président de la République de Pologne de l’époque, Andrzej Duda.

Il aura donc fallu un projet d’aéroport pour dimensionner la grande vitesse ferroviaire polonaise

De leur côté, les projets associés de grande vitesse ferroviaire datent de bien avant, mais la crise financière de 2008 avait mis les études au frigo. Les polonais devaient – et doivent toujours -, se contenter d’un réseau qui respire encore çà et là l’ère soviétique, malgré d’indéniables progrès en matériel roulant et quelques grandes rénovation récentes.

Il aura donc fallu un projet d’aéroport pour dimensionner le réseau grande vitesse ferroviaire polonais. Utopie ?

Plus qu’un simple aéroport

Sur le papier, ce projet dépasse le simple stade de son objet central, l’aéroport. D’une part en effet, la zone CPK comprendrait une Cité Aéroportuaire qui prévoit, entre autres, des bâtiments destinés aux salons, foires, congrès et conférences, ainsi que des bureaux.

D’autre part, le CPK prévoit également des investissements ferroviaires d’envergure : il s’agit de relier ce hub aux villes dans tout le pays. Le réseau, bien évidemment relié à la capitale, doit permettre de voyager entre Varsovie et les plus grandes villes polonaises en moins de 2h30. Cela nécessiterait près de 1.980 km de voies nouvelles à construire, dont la moitié prévu pour de la grande vitesse.

Pour faire passer le projet, on l’a aussi inscrit dans un périmètre plus vaste. Ses promoteurs expliquent qu’aucun des 19 pays d’Europe centrale et orientale ne dispose d’un hub aéroportuaire à l’échelle mondiale. 

Côté ferroviaire, comme l’illustre la carte ci-contre, il s’agit de se trouver au centre du jeu entre, d’une part la projet Rail Baltica en cours de construction (du moins partiellement), et d’autre part divers projets en République tchèque et en Hongrie, lesquels sont connectés avec l’Allemagne et l’Autriche.

Le projet s’inscrirait aussi dans le futur réseau ferroviaire à grande vitesse dit « des Trois Mers » (Autriche, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Bon nombre de ces tronçons font partie du réseau transeuropéen de transport (RTE-T).

Dans un grand élan d’optimisme – il en faut par les temps qui courent -, le CPK espère aussi reconnecter l’Ukraine lorsque la guerre sera terminée. En janvier dernier, la société CPK a signé un accord avec les chemins de fer ukrainiens (Ukrzaliznyca) pour stipuler une coopération plus étroite dans la construction de nouvelles infrastructures de transport, y compris un projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Varsovie et Lviv, prolongé on l’espère vers Kiev. L’espoir fait vivre…

Cet ensemble devrait ainsi à terme rapprocher toutes les grandes villes « de l’Est » qui n’ont aujourd’hui que des liaisons ferroviaire peu ou moyennement performantes. En 2021, la Commission européenne (CE) a d’ailleurs publié le dernier projet de règlement sur le réseau transeuropéen de transport (RTE-T), plaçant CPK sur la carte en tant que terminal d’échange essentiel. Mais comment justifier de tels investissements et sur base de quelles études ?

CPK vient justement de donner la réponse ce 31 mars en diffusant une étude élaborée sur base de la libéralisation en Europe. Cette étude résume l’expérience acquise à ce jour par les pays de l’Union européenne en matière de libéralisation avec l’entrée d’autres opérateurs ferroviaires et à la mise en service réussie de nouvelles liaisons ferroviaires à grande vitesse (Espagne, Italie, France).

Sur base des trafics étudiés, CPK a alors envisagé quels étaient les flux correspondants su l’ensemble de la Pologne. Cela a donné une carte où l’on voit que le potentiel se situe à l’Ouest d’un axe Gdansk-Varsovie-Cracovie. Les villes de Wroclaw et Poznan en seraient les premières bénéficiaires.

Chose intéressante, la ligne venant de Gdansk ne passe pas par la capitale mais bien par « son » nouvel aéroport, le fameux hub, où elle rejoint plus au sud la CMK, une ligne existante à 200km/h filant en direction de Katowice et Cracovie. Varsovie n’est finalement qu’une branche de ce vaste réseau. On connait des pays où une telle conception engendrerait des tonnerres politiques…

Un aéroport entre critiques et géopolitique

Le volet ferroviaire ne semble pas souffrir de critiques à l’inverse de l’élément aéroportuaire, qui fait l’objet de certains doutes car « conçu avant la pandémie ». Des voix discordantes – mais c’est toujours le cas dans ce type de projets -, s’interrogent sur les besoins réels postpandémiques et l’aviation en général à l’heure des défis climatiques.

Certains voient un projet très politique du pouvoir en place et préfèreraient une extension d’aéroports existants. Tout cela sans poser le débat de la présence exclusive de Ryanair sur l’autre aéroport, celui de Varsovie-Modlin, où l’irlandais aurait des soucis de capacités et n’a pourtant pas l’intention de déménager. Il demanderait dès lors une extension de « son » aéroport sur le compte du contribuable polonais tout en ferraillant contre le projet CPK. Ryanair dans l’arène politique, on ferait bien de se méfier…

Une pièce maîtresse de la géopolitique

Mais un autre argument plutôt inédit justifierait ce chantier : CPK pourrait être utilisé pour transporter des fournitures humanitaires, d’autres marchandises et… du matériel militaire à travers le continent. Et ce ne sont pas que des mots. L’Ukraine n’est pas loin, la Russie non plus. D’après Politico, qui cite Reuters, le général de l’armée américaine Ben Hodges, qui est le commandant des forces terrestres américaines en Europe, aurait décrit le projet CPK (d’aéroport) comme « ce dont l’OTAN a besoin en termes de mobilité militaire (…) Le projet ajoutera une capacité qu’aucun autre nœud en Pologne, ou ailleurs en Europe de l’Est, ne peut égaler.« 

L’ambassadeur des États-Unis en Pologne, Mark Brzezinski, a également embrayé sur ce thème en expliquant que « les événements actuels ont montré qu’une infrastructure ferroviaire fiable et résiliente est extrêmement importante pour la sûreté et la sécurité de la région.« 

Mais tout cela nous éloigne de la fonction ferroviaire du CPK, qui nous intéresse davantage.

Où en est-on actuellement ?

2028 serait – en principe -, la date d’ouverture d’une toute première ligne à grande vitesse de 148 km reliant Varsovie à Łódź, en passant bien évidemment par le fameux « aéroport-hub ». Le 28 novembre 2022, des contrats ont été attribués au consortium polonais Biuro Projektów Metroprojekt et Sud Architekt Polska pour le premier tronçon de 40 km de ligne ferroviaire à grande vitesse entre CKP et Varsovie. D’autres contrats vont permettre de poursuivre jusqu’à Łódź.

Une fois terminée, les voyageurs pourront rejoindre CPK en seulement 15 minutes depuis Varsovie et 30 minutes depuis Łódź.

Cet axe « central » ferroviaire doit ensuite être prolongé vers Wroclaw, pour lequel on en est encore qu’aux études d’itinéraires. Cette ligne sera conçue pour une vitesse maximale de 350 km/h mais est fort curieusement prévue pour être exploitée avec des trains circulant à une vitesse de 250 km/h. L’obtention du permis de construire est espéré pour 2024 afin de débuter les travaux.

D’abord vers Wroclaw, Katowice et Cracovie

En janvier 2021, le gestionnaire d’infrastructure signait un petit contrat pour la modernisation de 21 ponts et viaducs sur la Centralna Magistrala Kolejowa (la ligne ferroviaire centrale – CMK) qui est justement située au sud de l’emplacement du hub. Cette ligne a été construite entre les années 1971-1977 dans une configuration quasi rectiligne. Elle a une longueur de 224 km et relie plus précisément Grodzisk Mazowiecki, à 30km au sud de Varsovie, à Zawiercie, à environ 45 km au nord-est de Katowice et à environ 70 km au nord-ouest de Cracovie. Électrifiée en 3kV, elle est actuellement limitée à 200km/h.

Les travaux de rénovation de ponts visent en fait à faire passer la vitesse à 250 km/h. Fin 2023, après avoir achevé les travaux nécessaires et lancé le système ERTMS/GSM-R et le système ETCS niveau 2, les trains devraient circuler à la vitesse autorisée de 250 km/h sur la ligne CMK.

La suite du programme, avec les autres lignes, notamment vers Poznan et Gdansk, est encore en gestation. Dans la plupart des cas, le tracé doit encore être convenu car la proportion exacte entre nouvelles infrastructures et modernisation des lignes existantes n’est pas encore été précisée, rappelle Railway Gazette.

Kristian Schmidt, chef de la direction générale de la mobilité et des transports de l’UE (DG-MOVE), expliquait en début d’année sur Money.pl que « d’ici 10 à 20 ans, le réseau ferroviaire polonais pourrait être meilleur que dans les pays de la ‘vieille’ Union européenne, où les investissements dans ce moyen de transport ont été négligés pendant des années« .

Après l’ouverture du CPK et la mise en service de nouvelles lignes ferroviaires, le nombre de passagers ferroviaires longue distance devrait doubler pour atteindre 120 millions de passagers par an, selon ses promoteurs.

Côté aérien, le nouvel aéroport à 8 milliards d’euros devrait aussi ouvrir en 2028 pour une première partie, dans laquelle on transférerait la totalité du trafic de l’actuel aéroport de Varsovie Chopin. Les plans de conception des bâtiments clés du CPK devrait être prêts dès le milieu de cette année, sans plus de précisions. On s’interroge néanmoins sur la soutenabilité de tels délais qui paraissent davantage faire partie d’une stratégie de communication. Cela dit, quand on voit les délais d’autres grands projets aériens (Berlin…), on se dit que 3-4 années de plus resteraient finalement dans la norme…

Voilà donc un projet qu’il conviendra de suivre avec attention, tout comme son frère aîné du Nord, Rail Baltica. 🟧

03/04/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Publié par

Frédéric de Kemmeter

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