La LGV Bruxelles-France a déjà 25 ans…


12/12/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Il y a 25 ans, une ligne à grande vitesse complète mettait Bruxelles à 1h30 de Paris. C’était aussi la première fois qu’on traversait une frontière à 300km/h, sans la moindre gare ni douane. Celle qu’on appelait la « branche Ouest » en Belgique devenait l’un des maillons clés du TGV Nord-européen, quelque chose qu’on a un peu oublié de nos jours.

Avant l’arrivée du TGV, le trafic entre Paris et la Belgique et les Pays-Bas, ainsi que vers Cologne était assuré par des rames tractées. Des locomotives interopérables principalement françaises CC40100 ou belges des séries 15, 16 et 18 ont été utilisées. Au milieu des années 1990, jusqu’à douze paires de trains circulaient entre Paris et Bruxelles via Aulnoye et Mons. Six d’entre eux poursuivaient leur voyage vers les Pays-Bas via Roosendaal, Rotterdam, La Haye et Amsterdam. Une autre poignée de trains parcourait la dorsale wallonne en Belgique via Jeumont, Charleroi, Namur et Liège, puis vers Aix-la-Chapelle et Cologne.

Déclin

Au début des années 90, on estimait que le trafic Bruxelles-Paris tournait autour des 2,3 millions de voyageurs annuels. Entre les quatre pays (France, Belgique, Allemagne et Pays-Bas), le trafic par train représentait au total 3,15 millions de voyageurs, ce qui représentait seulement 15% de tous les déplacements évalués à l’époque à 21 millions de voyages.[1]

Sur le segment Trans-Europ-Express, une chute de 20% du trafic avait été constatée alors que l’aviation, même sur de si courtes distances, progressait de 45% entre les seules années 1991 et 1993. Manifestement, le service international Paris-Benelux/Allemagne ne correspondait plus aux attentes et demandait quelque chose de disruptif.

Cette disruption avait déjà mûri au cours des années 1980, quand le TGV inauguré en France devenait un espoir pour remettre le train au coeur de la mobilité, alors que l’aviation devenait de plus en plus accessible à tous. Un projet de train international à grande vitesse était en gestation dans une aire s’étalant de Paris au Benelux. En octobre 1987, une décision politique était prise à Bruxelles pour construire un réseau à grande vitesse entre la France et l’Europe du Nord, y compris les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

La partie belge de ce projet TGV a suscité dans le pays des passions politiques comme jamais, à un moment où l’État devenait fédéral (1989). Les Régions belges formellement institutionnalisées (Flandre, Bruxelles, Wallonie) avaient reçu comme compétence l’obtention des permis de bâtir, qui furent une arme pour un vaste jeu d’échec politique avec le gouvernement fédéral. Le TGV faillit ne jamais passer par Liège mais plus au nord… Il a fallu de fortes doses de talents en négociations pour accoucher le tracé définitif des quatre lignes nouvelles totalisant 220 km à construire sur le territoire belge. Avec un tracé via Liège-Guillemins, mais qui ne concerne pas la ligne de cet article.[2]

Aux Pays-Bas, le projet présenté au parlement néerlandais en 1991 avait d’abord été rejeté. C’était avant que la LGV-Zuid ne soit approuvée en 1996 en tant que projet majeur, et qu’un accord soit conclu avec la Belgique sur une route via Breda, et non via Roosendaal. L’Allemagne, en revanche, n’a jamais opté pour une nouvelle ligne entre Aix-la-Chapelle et Cologne, mais pour un tronçon de voie rénové à 250 kilomètres à l’heure seulement entre Duren et Cologne.

TGV
1996, du côté d’Antoing (photo Mediarail.be)

Des travaux par étapes

Les premiers travaux concernant ce qu’on appelait la « branche Ouest » débutèrent en 1993, en même temps qu’un nouvel atelier de traction à Forest, juste au sud de Bruxelles-Midi.

En France, les premiers coups de pelle pour la LN3 de Paris à Lille avaient eu lieu vers 1989 et la partie française fut terminée pour mai 1993, au moment donc où les Belges commençaient leurs travaux.

Les longs palabres politiques – et souvent inutiles -, ont débouché sur le maintien de la vieille idée de tracé qui trônait depuis les années 70 dans les tiroirs belges : un passage au sud d’Enghien, de Ath et de Tournai.

Si l’ensemble du projet entre Bruxelles-Midi et frontière française s’étale sur 88 kilomètres, la véritable ligne nouvelle ne débute qu’à Lembeek, près de 16 kilomètres au sud de Bruxelles-Midi. Le génie civil « pur » n’a concerné que 72 kilomètres, bien que le passage ait entraîné une reconstruction complète de la gare de Hal, à 11 kilomètres au sud de Bruxelles, ainsi que la reconfiguration complète de la ligne L96 entre Bruxelles et Lembeek (mise à quatre voies). Le tracé traverse la dernière commune belge d’Esplechin, et se poursuit en France avec la première commune rencontrée, Wannehain.

Côté technique, la LGV a adopté les critères SNCF avec la TVM430 et le 25kV, car il n’y avait pas d’autres exemples de LGV à l’époque des études, fin des années 80. La SNCB de l’époque lui  a attribué une cabine de signalisation particulière, le bloc B12, toujours d’actualité et situé à Bruxelles.

TGV
1996, du côté d’Antoing (photo Mediarail.be)

Il n’y a pas à proprement parlé de chef d’œuvre en génie civil comme on en voit souvent en France ou en Allemagne. L’exception réside tout de même avec ce long viaduc de 2005 m en forme de U (servant de murs antibruit comportant une galerie pour le personnel), et qui permet d’enjamber à la fois le canal Ath-Blaton, la Hunelle, la Dendre orientale et la ligne L90 Grammont-Ath-Jurbise.

Un viaduc similaire mais moins long et doté d’un bow string est aussi présent pour enjamber l’Escaut à Antoing (photo ci-dessus)

Concernant la chronologie, l’inauguration de la grande vitesse belge a cependant pu bénéficier d’une étape préalable avec l’ouverture le 2 juin 1996 d’une courte section entre Antoing, au sud de Tournai, et Esplechin, premiers vrais kilomètres de la ligne à grande vitesse en Belgique, où la frontière était passée à 300km/h, une première quasi mondiale. Cela a pu lancer les premiers TGV, Eurostar et Thalys via Mons, tout en répondant au souhait de la région wallonne d’avoir « son » TGV direct vers Paris (mais curieusement pas vers Cologne…).

La ligne L1 Lembeek-Esplechin fut ouverte à l’exploitation le 14 décembre 1997, et les TGV via Mons ou Ath-Tournai n’étaient plus qu’une image d’archive. Le temps de parcours entre Paris et Bruxelles chutait à 1h30. Il a cependant encore fallu finaliser un certain nombre de travaux de moindre ampleur entre Lembeek et Bruxelles-Midi. Ce n’est par exemple qu’en 2007 que le saut de mouton de Bruxelles-Midi permit de faire arriver les voies TGV (numérotées L96N) à 200m à peine des quais de la gare du Midi (photo ci-dessous). Le trajet tombe à 1h25 pour la plupart des TGV entre les deux capitales.

TGV
Une rame TGV Réseau dans son ancienne livrée, en 2013, sur le viaduc en question (photo Mediarail.be)

En janvier 2005, c’est le gestionnaire Infrabel – une SA de droit publique -, qui prenait le relais de la SNCB pour l’exploitation de cette ligne. C’est donc le bloc B12 qui a la gestion intégrale des circulations jusqu’à la frontière française.

La réception définitive de l’ensemble complet des quatre lignes TGV belges (220 kilomètres), n’eut lieu qu’en décembre 2009. Depuis, il n’y a plus de projet grande vitesse dans le pays, mais une politique recentrée sur le réseau national et qui mobilise bien des énergies…

Aujourd’hui

Il ne faut pas confondre cette ligne nouvelle – numérotée L1 par Infrabel -, avec les trains qui roulent dessus. Thalys, Eurostar et, aujourd’hui, TGV Inoui sont des choses séparées. Ce sont des opérateurs qui ne sont pas propriétaire de la ligne et qui roulent dessus moyennant un péage annuel. Bien évidemment, tout ce matériel roulant doit disposer des systèmes de signalisation belge TBL1+ et TVM430. L’implantation de l’ERTMS est en cours d’étude tant en Belgique qu’en France.

Bien entendu, la justification d’une ligne nouvelle à grande vitesse suppose l’apport de résultats tangibles par rapport au passé. Et ce sont forcément les opérateurs qui apportent ces résultats.

Thalys seul a pu faire passer le trafic de 2 à 5,3 millions de voyageurs sur Bruxelles-Paris. Eurostar se sert de la L1 pour rejoindre Lille, le tunnel sous la Manche puis Londres, le tout en 1h51. Il y a environ 2 millions de voyageurs entre Bruxelles et Londres (chiffres 2019). On peut donc parler de progrès spectaculaires pour les capitales de même que pour Lille, mais au détriment de villes intermédiaires comme Mons ou St Quentin. Pourquoi ne pas avoir conservé 2 ou 3 « Corails » (ou quelque chose de plus « actuel »), en guise de TER express dans les 2 pays ? À l’exemple du train Benelux classique conservé entre Bruxelles et Amsterdam en dépit de la grande vitesse.

Il n’est pas improbable de voir un jour d’autres matériels roulants sur cette L1, on songe singulièrement aux Frecciarossa de Trenitalia, qui sont déjà présents à Paris… 🟧

[1] Source : Rail International – Mars 1995 p 40-41 – non consultable online
[2] Il s’agit de la « L2 » Louvain-Ans, inaugurée le 15 décembre 2002.

TGV
Une rame Thalys dans sa nouvelle livrée Ruby, en septembre 2021 (photo Mediarail.be)

12/12/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Publié par

Frédéric de Kemmeter

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