Hambourg : garantir l’avenir grâce au ferroviaire


26/02/2024 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Le port de Hambourg est excentré en Europe et l’approfondissement de l’Elbe atteint certaines limites. Pour éviter une marginalisation, crainte malgré tout bien lointaine, la société du port a non seulement investi dans une société ferroviaire mais a pour actionnaire… un armateur ayant lui-même une filiale de fret ferroviaire.

Les limites de l’Elbe

Pour que les grands porte-conteneurs puissent accéder au port de Hambourg, d’énormes quantités de limon doivent être constamment extraites du chenal de navigation de l’Elbe. Comme il y a trop de limon dans l’Elbe, la Direction générale fédérale des voies navigables et de la navigation a décidé début novembre 2022 de réduire d’un mètre la profondeur des eaux navigables entre Hambourg et la mer du Nord. Selon les autorités du port, en 2022 environ 40 millions de mètres cubes de limon ont été dragués dans le chenal d’accès, soulevant au passage des questions écologiques.

Au total, Hambourg doit réunir plus de 100 millions d’euros par an pour draguer les limons de l’Elbe. Le récent approfondissement de l’Elbe a également coûté environ 800 millions d’euros. Ces aspects purement maritimes montrent la vulnérabilité du grand port allemand.

Côté rail, pas de limon

Malgré son implantation excentrée, le port de Hambourg, troisième d’Europe en trafic conteneurs, charrie malgré tout près de 8 millions de TEU (Twenty Equivalent Unit – Équivalent Vingt Pieds). Le trafic intermodal est donc intense et procure une bouée bienvenue. HHLA (Hamburger Hafen und Logistik AG), l’autorité portuaire de la ville (dans le nord les ports appartiennent aux villes, pas à l’État), a une politique ferroviaire très offensive.

Railtrans est à l’origine un opérateur ferroviaire tchèque créé en 2003. La société migra vers le nom de Metrans, son nouvel actionnaire, et au début des années 2010, elle devenait l’opérateur intermodal dominant en République tchèque et en Slovaquie voisine. Elle exploitait régulièrement ses propres trains en open access vers divers grands ports européens, notamment Hambourg , Rotterdam et Koper, en Slovénie.

Metrans opère près de 650 trains par semaine dans toute l’Europe centrale, de la Baltique à l’Adriatique.

HHLA a acquis Metrans dont elle détient maintenant 100% des parts. Il est assez rare qu’une autorité portuaire dispose de son propre opérateur, sans faire appel à l’entreprise publique nationale (dans ce cas-ci DB Cargo). L’opérateur relie Hambourg avec son arrière-pays, en particulier avec les économies orientées vers l’exportation d’Europe centrale et du Sud-Est.

En exploitant 20 terminaux en propre et un nombre de lignes en constante augmentation, l’entreprise optimise à la fois le trafic ferroviaire et la manutention des conteneurs. Plus de 130 locomotives TRAXX, Vectron et autres et près de 3.700 wagons spéciaux permettent de couvrir près de 650 trains par semaine dans toute l’Europe centrale, de la Baltique à l’Adriatique. Au passage, cela permet à Hambourg de sécuriser ses flux et ses activités. Récemment, le réseau s’est encore étendu avec l’acquisition du groupe Adria Rail, présent en Serbie et en Croatie.

Un armateur italien dans l’actionnariat de HHLA !

En octobre 2023, La ville « libre et hanséatique de Hambourg (FHH) » (c’est ainsi que se défini Hambourg en Allemagne), informait HHLA d’un accord avec Mediterranean Shipping Company S.A. (MSC) sur une participation stratégique dans HHLA dans le cadre d’un accord d’investisseur. Cet accord avait été avalisé plus tôt par la coalition SPD/Verts qui a la majorité au Sénat de la ville. Or le port est une véritable identité de la ville, suscitant certaines craintes. De plus MSC, basé en Suisse, est un concurrent de Hapag-Lloyd, l’autre grand groupe maritime traditionnel de Hambourg.

Le conseil d’administration de la HHLA, quelque peu surpris par le projet de la ville et de MSC, n’a accepté qu’après avoir fait des concessions, notamment une injection financière de 450 millions d’euros de la part de MSC. Les autorités de la ville se sont empressées de leur côté d’expliquer que l’offre de MSC ne portait que sur les 66,7 millions d’actions de classe A cotées en bourse et ne concernait pas les autres actions de classe S, détenues par la ville.

Les critiques d’il y a quatre mois semblent s’estomper à la vue des mauvais chiffres 2023 de HHLA. Le résultat d’exploitation (Ebit) a enregistré une baisse de 54% avec 93 millions d’euros. Ce chiffre est même inférieur aux attentes qui étaient de 100 à 120 millions d’euros. Lors de la pandémie, des frais de stockage élevés pour les conteneurs avaient permis de réaliser d’importants bénéfices.

Avec des chiffres en baisse, il fallait faire quelque chose pour le port

D’un autre côté, Hambourg juge que ses concurrents, singulièrement Rotterdam et Anvers, peuvent supporter plus facilement les baisses car ils ont dépassé les hambourgeois en termes de volume total de conteneurs transportés. En outre, Hapag-Lloyd a récemment annoncé une alliance avec la compagnie danoise Maersk, ce qui impliquerait qu’à partir de 2025, Hambourg se verrait retirer 10% des flux au profit de Bremerhaven et Wilhelmshaven. Le leitmotiv d’aujourd’hui est donc « qu’il fallait faire quelque chose pour le port ». Et c’est la raison notamment d’un accord avec MSC.

Hambourg et le plus grand armateur du monde veulent à l’avenir gérer HHLA en tant que coentreprise, dans laquelle MSC détiendra au maximum 49,9% et la ville 50,1%, au lieu des 69% actuels. L’intention de MSC est d’augmenter considérablement son volume de conteneurs dans les terminaux HHLA à Hambourg, à partir de 2025 et de le porter à au moins 1.000.000 TEU par an à partir de 2031.

Si cet accord est d’esprit maritime, il ne faut pas perdre de vue Medlog, la filiale logistique de MSC, qui détient l’opérateur maritime Medway. Ce transporteur est occupé à tisser un réseau européen de transport de conteneurs par rail. Récemment, pour aller vite, MSC a repris l’usine Wärtsilä à Trieste, dans le but de la transformer en constructeur de wagons porte-conteneurs. Un élément de plus de l’intégration verticale, car rien n’est le fruit du hasard.

Metrans d’un côté, cogestion avec MSC de l’autre, Hambourg bâti son avenir en pariant sur le ferroviaire et en sécurisant les activités portuaires et économiques dans un monde où la géopolitique est très troublée ces derniers temps…🟧



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Usager ou client ? L’éternelle dichotomie


18/02/2024 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Le monde d’après-guerre fut en partie reconstruit avec les idées d’avant, où une certaine forme de soumission des citoyens par rapports à leurs services publics était la norme. Mais dans une société contemporaine qui valorise l’individualisme, l’entre-soi et le choix de sa consommation, ce pacte tacite a volé en éclat. Cette nouvelle donne a eu un impact certain sur la manière de « vendre » le train.

Jadis

Cette injonction de la tâche bien faite a alors induit l’idée d’une sorte de « prix à payer » par toute personne extérieure qui utilise un service public, et notamment ferroviaire : le citoyen qui utilise le train DOIT se conformer aux règlements et aux injonctions du personnel, responsable de la bonne exécution de ces derniers. Dans un tel contexte, les cheminots se sentirent investis d’une sorte d’autorité supérieure par rapport à l’usager « qui lui doit obéissance ». À travers le rail, il y avait une sorte de contrôle de l’État sur le citoyen.

Une tentative de définition

La définition des services publics a toujours – et reste toujours -, l’objet de débats passionnés entre diverses académies et auteurs. Sa connotation politique est évidente et explique cette surchauffe permanente. Nous retiendrons notamment que le service public désigne une dimension politique et culturelle. Il ne peut être appréhendé en dehors de choix politiques pour sa mise en œuvre et en dehors de préoccupations culturelles (pour la détermination de ses finalités). (3)

Le pouvoir structurellement dominant de l’agent administratif par son savoir, son autorité lié à sa fonction, son pouvoir arbitraire de décision

Pour Scotti et Allari, des auteurs comme Santo et Verrier (1993) relèvent cinq composantes caractérisant les organisations publiques dans les grandes démocraties :

  • la poursuite de finalités externes/extraverties ;
  • l’absence de rentabilité capitalistique ;
  • des missions assurées en concurrence nulle ou imparfaite ;
  • des systèmes complexes et extrêmement cloisonnés ;
  • une soumission de l’action administrative au politique.

Scotti et Allari expliquent que plusieurs auteurs décrivent par la sociologie administrative le pouvoir structurellement dominant de l’agent administratif par son savoir, son autorité lié à sa fonction, son pouvoir arbitraire de décision. Cette approche envisage dès lors le citoyen comme « soumis » à l’autorité des organisations publiques. Mais les choses ont changé.

Dans beaucoup de pays européens, existent de fortes diversités en matière de définition du service public : termes utilisés, doctrines et concepts, échelons territoriaux compétents (local/régional/national), caractère marchand ou non de certains services, ainsi que types d’acteurs concernés (public/mixte/privé/associatif).

Dans la tradition française, règne derrière l’expression service public de fortes confusions entre missions de service public, monopole, entreprises publiques, statut des personnels et finalement rôle de l’Etat. Ces définitions ne sont pas nécessairement partagées dans d’autres cultures européennes.

Évolutions

Le début des années 80 marque la fin de la vision socialiste de l’Etat et son remplacement durable par une vision différenciée, tournant le dos de manière définitive aux Trentes Glorieuses et aux théories de Keynes, au « consensus au lendemain de la guerre » comme on le dit en France. Il y a plusieurs causes avancées. La première concerne les organisations elles-mêmes. On serait passé d’une phase d’équipement à une phase de gestion.

Aux chemins de fer, cela pourrait se traduire par le passage de la production technicienne vers « un service rendu ». Il ne s’agirait plus d’étaler ses talents X-Ponts mais d’offrir quelque chose qui attire, sans contraintes, dans un contexte d’État de droit où citoyen a le choix du train, de l’avion et de l’auto.

Une seconde cause serait la montée du niveau d’éducation des populations et par là du niveau d’exigence des usagers, qui n’entendent plus subir sans broncher les délais ou le traitement de leur dossier, ni les mauvais services en transport public. (4) L’usager mieux éduqué, mieux informé et plus exigeant a tout changé. Cela a bousculé les usages au travail des agents de l’ensemble du secteur public.

L’usager mieux éduqué, mieux informé et plus exigeant a tout changé

Au niveau de la tutelle, cette nouvelle donne impliqua de donner davantage d’autonomie aux institutions publiques : l’Etat forme le cadre législatif et financier ; les entreprises publiques mettent en œuvre à leur manière, chacune à son métier. (5)

Il s’en est suivi l’arrivée progressive du New Public Management développé dans toutes les démocraties, qui considéra l’usager plutôt comme un consommateur de services qui évoluait sur un marché concurrentiel avec des attentes et des besoins pour lesquels ils devaient investir.

Scotti et Allari expliquent que cette conception minimaliste de l’Etat a conduit à de nombreuses démarches pour orienter les organisations publiques et notamment les agences vers une approche client de type commercial. Dans ce cas, le consommateur ou client des services publics n’avaient pas plus de spécificités qu’un client d’entreprises classiques.

Cette approche nouvelle a conduit à réorienter les processus de travail au sein des administrations publiques – et notamment du chemin de fer -, dans un contexte où cela n’avait jamais été envisagé auparavant. Cela s’est concrétisé par certaines formes de libéralisations qui ont touché les services publics en monopole de manières variées, dans un mouvement qui affecta l’ensemble des organismes de gestion publique.

Qui subordonne qui ?

Comme l’a expliqué l’Institut Vaugirard (6), les sociétés contemporaines s’appuient désormais sur une anthropologie individualiste qui valorise l’individualisme, l’entre-soi et une réalisation de soi autocentrée. L’individu moderne rêve d’un monde fait à sa mesure et pour lui, un monde où la réalité se confond avec ce qu’il souhaite, un monde où la contrainte est limitée et sans cesse repoussée.

La dérégulation, la privatisation et la disparition de certains monopoles publics ont du coup donné aux usagers un nouveau statut plus proche de ceux de client ou de consommateur. Plutôt que d’être subordonnés au fonctionnement des services publics, ils devenaient des acteurs économiques plutôt que des passifs, qui peuvent désormais acheter, choisir sur un marché et faire valoir des droits (« je paye, j’obtiens. Je n’obtiens pas, tu me rembourses. » ) (7)

Dans un entretien au Monde en février 1989, Michel Rocard eu ces mots : « Il faut dire qu’il y a en France une tradition très autoritaire, très régalienne. (…) J’aurais, moi, tendance, ici ou là, à ne pas trouver scandaleux qu’on parle de client, au sens, du secteur privé, où le client est roi même si cela ne vaut pas pour la totalité des services. J’ajouterais une autre dimension : quand cette relation avec le public est mieux faite, tout le monde s’en porte mieux. » (8)

Comme le rappelle site 15 Marches, selon Le Robert, un(e) client(e) serait « une personne qui reçoit d’une autre personne, d’une entreprise, contre paiement, des fournitures commerciales ou des services ». Cette définition semble convenir au transport, qui est très largement payant, explique le site. (9)

L’impact de ces évolutions sur le cheminot est considérable. Car si l’usager a théoriquement une obligation de respect vis-à-vis de l’Etat, tel n’est plus le cas du client, qui devient plus ou moins roi et devant qui « il faut s’aplatir ». Le monde marchand n’est pas celui des valeurs cheminotes.

Le personnel ferroviaire de première ligne, à savoir les accompagnateurs de trains, les guichetiers et dans une certaine mesure les chefs de (petites) gares furent les premiers à pâtir de cette situation, confrontés à une population « rebelle » moins encline à l’obéissance aux règles que par le passé.

« Une équipe fantastique avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler lors du développement du train à très grande vitesse. Une équipe qui n’avait qu’un mot à la bouche : bonheur du client.»

Dans ce nouveau monde où il y a injonction de se focaliser sur un client qui a le choix du transport, l’expérience du transport est capitale, et donc la conception des niveaux de service offerts.

Lors de la conception du train AGV destiné au privé italien NTV-Italo, un retraité du constructeur Alstom La Rochelle expliquait avoir fréquenté « une équipe fantastique avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler lors du développement du train à très grande vitesse. Une équipe qui n’avait qu’un mot à la bouche : bonheur du client.» (10)

C’est ce qui ressort aussi des autres opérateurs, avec des accents particuliers qui sont les leurs, tant chez Flixtrain que WESTbahn ou MTRX. S’il y a bien-sûr des conditions de vente obligatoires lors d’un achat de billet, force est de constater qu’on n’est plus dans l’univers des « usagers réglementés ».

En conclusion, la manière de « vendre le train » et l’efficience du service offert prime désormais sur toute autre considération, ce qui a une implication sur la manière de concevoir le matériel roulant et la billetterie. On peut prendre comme exemple récent les mini cabines des Nightjets des ÖBB, lesquelles sont destinées à rencontrer une demande insistante de voyage seul mais dans une intimité que n’offre pas le bon vieux compartiment à six couchettes.

On peut aussi prendre comme autre exemple les nombreux attributs du matériel roulant neuf en ce qui concerne l’accès aux personnes à mobilités réduites. Et on peut encore rajouter ces emplacements vélos que réclament une minorité de cyclo-navetteurs.

Tout ceci ne permet peut-être pas de distinguer de manière affirmative si on est usager ou client. Mais il demeure incontestable qu’on est un citoyen avec des demandes particulières. A chacun de voir…🟧

  1. 2013 – Georges Ribeill – Les autobiographies des cheminots français. Simples témoins ou analystes critiques ? – Rail & Histoire
  2. 2003 – Philippe Charrier – Les représentations du travail chez les cheminots des ateliers de Chambéry : les figures de l’artisan-compagnon, de l’ouvrier et de l’opérateur – Rail & Histoire
  3. 2009 – Nelly Scotti / Elisa Allari (CERGAM) – Le management de la relation de service public : une question de bon(s) sens !
  4. 1998 – Gilles Jeannot – Les usagers du service public
  5. 2024 – Frédéric de Kemmeter – Les cheminots : qui sont-ils ? – Le dico ferroviaire de Mediarail.be
  6. 2015 – Institut Vaugirard – Non, l’usager n’est pas un client ! Du parcours usager au parcours citoyen, l’enjeu de la relation – Partenariat de l’Institut Vaugirard – Humanités & Management et du Secrétariat général des Ministères Economiques et Financiers
  7. 2006 – Ygal Fijalkow – De l’usager au client-consommateur, actualité d’une question sociale
  8. 2006 – Ygal Fijalkow – De l’usager au client-consommateur, actualité d’une question sociale
  9. Le blog de 15 Marches – Pourquoi tu m’appelles « usager » alors que j’m’appelle « client » ?
  10. Commentaire lu sur LinkedIn à ce lien



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Le train est décarboné mais globalement sous-utilisé. Un colloque se penche sur ce paradoxe


05/02/2024 – Billet invité – Auteur : Association Ferinter
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Mediarial.be dispose ici d’une rubrique : le billet invité. Vous avez envie de donner votre point de vue sur un sujet de ce blog, vous êtes le bienvenu sous conditions de sérieux et d’argumentations. Exclusivement ferroviaire et mobilité. Politique, idéologie et promos sont exclues. 

Les opinions des billets invités n’engagent pas la rédaction de Rail Europe News


En février 2013, une dizaine de chercheurs en sciences sociales réunis à Paris et regroupés dans le groupe FERINTER ont décidé de lancer un appel à construire un réseau international de recherche sur les restructurations des transports ferroviaires. Ce réseau, qu’ils appelleront bientôt FERINTER – International Railway Studies, a pour objectif l’étude du secteur des transports par voie ferrée au sens large. Il s’agit de mettre en lumière ses différentes configurations supranationales, transnationales et nationales, ainsi que l’analyse des dynamiques à l’œuvre. Le réseau FERINTER, qui compte aujourd’hui une quarantaine de membres, vise à encourager les échanges et le dialogue entre universitaires (sociologues, politistes, historiens, économistes, juristes, géographes, etc.), acteurs du ferroviaire (représentants de structures supranationales, de l’Etat, des collectivités territoriales, du management des entreprises publiques ou privées, des organisations syndicales, de cabinets d’expertise, etc.), et passionnés des chemins de fer.

Depuis sa création, le réseau FERINTER a organisé divers évènements qui sont listés sur la page d’accueil de leur site.

Voici le texte d’introduction au colloque des 14 et 15 mars prochains.

Climat : au train où vont les choses…
Urgences environnementales et transports ferroviaires

Le transport ferroviaire a globalement des coûts externes moins élevés que les autres modes de transport, que ce soit sur le plan de la pollution locale, des émissions de gaz à effet de serre ou encore de l’accidentologie et des gaspillages de temps liés aux encombrements. Ce constat apparaît comme une évidence.

Toutefois, la part modale du train dans le système de transports demeure très limitée. En 2019, les transports ferrés prenaient en charge en France environ 9 % des transports de marchandises tandis que la part modale pour le transport voyageur atteignait à peine 11 % (réseaux de métro et de tramway inclus). Pire, comme l’essentiel du transport des personnes s’effectuait en Ile-de-France, l’usage du train pour se déplacer en régions était bien inférieur à cette moyenne. Comment expliquer un tel paradoxe ?

L’objet de ce colloque est d’explorer les conditions de cette “étrange défaite” des chemins de fer. Il s’agit également d’interroger les effets de l’emballement de la crise environnementale sur cette dynamique de long terme. Le pire est-il à venir, ou bien au contraire pourrait-on voir naître dans les années à venir un aggiornamento politique en faveur des modes de transport moins polluants, au premier rang desquels les chemins de fer ?

Le transport ferré en retrait

Le rail a perdu son statut de mode de transport motorisé incontournable progressivement à partir de la période de l’entre-deux-guerres. Durant les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, on a vu un mouvement combiné de montée en puissance de la motorisation individuelle ainsi que la modernisation et une extension très importante des routes et voies carrossables reliant chaque demeure, ferme ou petite entreprise.

En conséquence, la voiture a facilité un éclatement des lieux de vie, d’emplois et de loisirs et le développement de l’étalement urbain (zones commerciales aux portes des villes, centres sportifs excentrés, lieux de loisirs campagnards). Or les usagers des transports choisissent essentiellement leur mode de transport en fonction des moyens dont ils disposent et de la commodité qu’offre une modalité de transport plutôt qu’une autre. La crise climatique ne l’affecte qu’à la marge dans ses choix de vie quotidienne et le transport public n’offre trop souvent que des prestations médiocres dans le contexte d’un habitat étalé.

L’usager des transports choisi le mode en fonction de la commodité qu’offre une modalité de transport. La crise climatique ne l’affecte qu’à la marge

Par ailleurs, l’accès quasi illimité à n’importe quel endroit et à toute heure que permet la motorisation individuelle a induit une hausse très importante des différents types d’activités sociales (professionnelles, de loisirs et les courses), s’étalant toute la journée et en soirée. Cela a contribué à marginaliser le chemin de fer et le transport public en général, particulièrement hors des grandes villes.

En outre, le secteur aérien et sa libéralisation dès les années 1980, au niveau européen et mondial, ont multiplié les transporteurs et les offres de prix, souvent à la baisse, rendant ce transport accessible à un plus large public. L’apparition de l’aviation low cost dans les années 1990 a accentué le phénomène et a contribué, pour les destinations européennes, à marginaliser le train dans les mœurs touristiques.

Une économie moins favorable au rail

Dans la sphère productive, le trafic du charbon et du minerai de fer en France a atteint son pic au tournant des années 1960 et marque les prémices de la décrue massive du transport ferroviaire de marchandises entamée durant la décennie suivante. Le déclin des industries lourdes et l’essor d’activités économiques plus légères – basée sur un tissu d’entités de tailles plus réduites et plus éclatées – la transformation des modes d’organisation de la production – marquée notamment par une augmentation de la division spatiale des processus de production et par la diffusion du modèle de la lean production, prônant notamment une réduction des stocks porteuse d’exigence accrue en matière de livraison “juste-à-temps” – ou encore le développement du e-commerce – ont favorisé le transport par camion.

Dans l’ensemble, la tertiarisation de l’économie n’est pas favorable au transport de marchandises par voie ferrée. D’autant que les clients sont désormais encouragés à exiger des délais de livraison de plus en plus courts auxquels le transport routier malgré le déluge de poids-lourds sur les routes et de camionnettes en ville sont considérés comme mieux adaptés.

La préférence automobile

Aujourd’hui pour les voyageurs, le transport ferroviaire n’est plus massivement utilisé que pour les déplacements au sein et en périphérie des grandes villes (les RER en Île-de-France, les S-Bahn en Allemagne et plus généralement tous les systèmes dits de “transit de masse”). Néanmoins, dans certains pays, le trafic interurbain demeure massif. C’est notamment le cas en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark.

Le fait le plus massif est qu’au sein de l’Union européenne, plus de 80 % des kilomètres motorisés parcourus le sont en voiture

Dans l’Hexagone en revanche, la part modale du train dans les trafics de longue distance, concerne surtout les déplacements en provenance et à destination de l’Île-de-France. Certes, malgré une raréfaction du nombre de trains, le « trafic voyageurs » y a récemment augmenté. Mais c’est grâce à la plus grande capacité des TGV mais hélas pas en augmentant la fréquence des circulations. 

La nécessaire lutte contre le changement climatique

Le fait le plus massif est qu’au sein de l’Union européenne, plus de 80 % des kilomètres motorisés parcourus le sont en voiture. Le transport routier bénéficie d’un soutien important de la part des pouvoirs publics que ce soit sur le plan de l’infrastructure et de la fiscalité, même si les dépenses d’exploitation, d’entretien des véhicules routiers personnels demeurent pour l’essentiel à la charge de leurs détenteurs. S’ils l’acceptent, c’est probablement que le déplacement en voiture est souvent associé à un sentiment de liberté lié à un statut social avantageux, sans oublier les voitures de fonction qui représentent une part significative du parc automobile en France.

Or ces déséquilibres qui avantagent la route à ce point, ne sont pas compatibles avec un impératif de lutte contre le changement climatique qui a pris depuis les années 1990 une place croissante dans le débat public. Ce combat est aujourd’hui largement reconnu comme une urgence qui devrait impérativement structurer l’ensemble des politiques publiques. Avec 30 % des émissions totales de CO2, le secteur des transports est actuellement un des principaux responsables du réchauffement climatique. 

Si ce constat impose d’une part de chercher à limiter la croissance exponentielle des flux de transports traditionnels, elle impose également de mener à marche forcée une décarbonation des systèmes de transport. Pour l’heure, cette dernière se matérialise notamment en Europe dans le “Green deal” et le paquet législatif “Fit for 55” (fin programmée de la commercialisation des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers thermiques et hybrides neufs en 2035). 

Le transport ferroviaire est aujourd’hui le mode de transport qui émet le moins de CO2 et dont l’impact environnemental global est le plus faible

Il se peut que la pertinence du transport ferroviaire (lourd et même éventuellement léger, comme les tramways ou des métros), ne soit pas la meilleure solution à tous les types de déplacements à tous les moments de la semaine ou de la journée. Il n’en reste pas moins que le transport ferroviaire est aujourd’hui le mode de transport qui émet le moins de CO2 et dont l’impact environnemental global est le plus faible. Cela justifierait qu’il soit plus que jamais au centre de cette politique de décarbonation et qu’il bénéficie à ce titre d’un traitement absolument prioritaire.

Certes, l’idée d’un retour du chemin de fer à l’avant plan ne se fera pas sans dépenses significatives. Mais quel est le coût social, environnemental et économique des autres modalités de transports ? Nous postulons que la comparaison serait favorable aux chemins de fer. Mais le rail n’aura comme financement que ce que la puissance publique et les usagers et chargeurs voudront bien lui accorder. Des arbitrages courageux singulièrement au niveau du ministère des Finances, sont inévitables. 🟧

Climat : au train où vont les choses…
Urgences environnementales et transports ferroviaires
Colloque Ferinter à Paris – 14 et 15 mars 2024



Fret_SNCF

Livre de l’association Ferinter :

SNCF

Si l’on en croit les gros titres de la presse libérale, la SNCF serait une vieille dame incapable de s’adapter aux défis du XXIe siècle. À l’encontre de ces représentations du sens commun, ce livre propose une analyse pluridisciplinaire des transformations du système ferroviaire français et de son principal acteur, la SNCF, qui resitue leurs évolutions récentes dans une perspective historique.

La première partie est consacrée aux politiques publiques et aux évolutions du droit national et communautaire à l’origine de l’ouverture à la concurrence et de l’effritement du modèle traditionnel du service public. La deuxième se concentre sur les stratégies de la SNCF et les glissements marchands de sa politique commerciale. La troisième interroge enfin les conséquences de cette nouvelle politique sur le travail et l’emploi. Si la filialisation, la sous-traitance et la recherche de flexibilité ont des effets sur le travail et ses conditions de réalisation, ces transformations ne signent pas fatalement l’arrêt de mort du service public ferroviaire, qui peut encore se réinventer. 

Ce livre sera disponible au colloque des 14 et 15 mars 2024 à Paris.

Articles complémentaires :

Le réseau ferré européen ? Un vrai patchwork de technologies…
12/09/2022 – Si vous pensez que le chemin de fer, c’est juste de la politique et des finances, alors vous allez souffrir. Car l’infrastructure ferroviaire, c’est avant tout de la technique nationale, laquelle est un frein à la standardiasation et au rêve européen de trains sans frontière. On vous explique tout cela très succinctement.


L’Europe et la libéralisation ferroviaire : comment en est-on arrivé là ?
20/02/2023 – Comment se fait-il que l’économie publique et la planification, qui disposaient après l’après-Seconde Guerre mondiale d’une assise politique puissante en Europe, ne soit pas parvenue à être au cœur du projet européen ? Ou pour le dire autrement, pourquoi l’économie marchande a finalement pris le dessus, y compris en matière ferroviaire ? C’est ce que tente modestement d’expliquer ce très long article, une fois n’est pas coutume…


Les nouveaux entrants : opportunités ou risques pour les territoires et le service public ? – Colloque Ferinter de Bourges
16/01/2023 – C’était le sens de ces deux journées d’études organisées par l’association Ferinter à Bourges ces 12 et 13 janvier. Cette belle ville de province avait été choisie pour sa desserte exclusivement possible en TER, à l’écart des grands flux TGV, ce qui traduisait bien le thème de ce colloque…


Qui bénéficie réellement de la libéralisation du secteur ferroviaire ?
06/11/2022 – On peut observer par tous les angles possibles le phénomène de la libéralisation des chemins de fer en Europe, mais la littérature spécialisée semble prioritairement se concentrer sur la notion de concurrence sans toutefois chercher plus en profondeur les vrais motifs qui ont conduit à cette lente et difficile libéralisation du secteur ferroviaire. Voyons cela de plus près.


Le fret ferroviaire, entre ouverture à la concurrence et écologisation du transport de marchandises


14/01/2024 – Billet invité – Auteur : Pascal Simon-Doutreluingne
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Les opinions des billets invités n’engagent pas la rédaction de Rail Europe News


Pascal Simon-Doutreluingne est professeur agrégé d’économie-gestion, docteur en droit public. Il est enseignant depuis 1998 et a passé dans plusieurs lycées. Il a été deux fois membre de jury à l’École Nationale d’Administration (ENA) ainsi qu’à l’Éducation Nationale.

L’ensemble réglementaire depuis ses débuts

L’ouverture à la concurrence dans le transport ferroviaire de fret s’est manifestée de différentes manières et fut influencée par divers facteurs. Les textes européens, de la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement des chemins de fer communautaires à la proposition de directive sur l’utilisation des capacités d’infrastructure ferroviaire dans l’espace ferroviaire unique européen COM(2023) 443/2, de novembre 2023, ont envisagé, très progressivement la libéralisation du transport ferroviaire.

Et d’ores et déjà, il importe de rappeler que si l’on s’obstine à évoquer une « déréglementation », ce processus d’ouverture à la concurrence s’apparente plus à une démonopolisation. Car comment envisager qu’il puisse s’agir de déréglementation, alors que les directives et règlements européens envisagent autant de sujets ? Il faut évoquer autant l’interopérabilité des réseaux nationaux (directive de 1996 puis 2001), l’accès des entreprises de transport ferroviaire aux infrastructures (1995), la nuisance sonore (2002 puis 2012) ou l’harmonisation sociale (2005 et 2007) que la création de l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer (AFE) chargée la délivrance des autorisations des véhicules (locomotives et wagons) destinés aux activités transfrontalières ainsi que de l’octroi des certificats de sécurité uniques des entreprises ferroviaires opérant dans plusieurs États membres.

L’ensemble réglementaire, ainsi formé, devait permettre l’émergence d’un marché unique du transport ferroviaire de fret, à partir de la première moitié de la décennie 2000.

Le lent déclin du transport des marchandises par chemin de fer

Alors que la question de la tarification et offres de services – les entreprises en concurrence attirent les clients en proposant des tarifs compétitifs et des services de qualité comme offrir des services supplémentaires tels que le suivi en temps réel des marchandises, le regroupement de cargaisons – est censée découler de cette mise en concurrence, la fiabilité et la performance du transport ferroviaire de fret sont régulièrement remis en cause et amenuisent la confiance des clients. La compétitivité de ce mode de transport reste l’objet d’inquiétude, autant pour les emplois qu’il procure que pour sa participation aux objectifs environnementaux.

La compétitivité de ce mode de transport reste l’objet d’inquiétude, autant pour les emplois qu’il procure que pour sa participation aux objectifs environnementaux.

C’est le constat du dernier rapport de l’autorité des transports. Le déclin du fret ferroviaire date de la première moitié des années 1970. L’embellie en 2021, à la suite du report modal de la route sur le chemin de fer, n’a pas duré face au réflexe routier qui (re)prend le dessus quand l’activité économique croît. On peut, ainsi, lire que si « sur les trois premiers trimestres 2022, une hausse de 22 % du trafic fret en Italie, de 10 % en Allemagne et de 2 % en France, la fin de l’année 2022 montre un recul de l’activité fret en France. En conséquence, le marché du fret ferroviaire s’est très légèrement contracté en 2022, avec une part modale qui reste faible [en France] (11 %) par rapport notamment à l’Allemagne (19 %) ou la Suisse (34 %) ».

L’avenir « vert » du fret ferroviaire

Sans verser dans l’optimisme technologique (ou techno-optimisme), l’innovation technologique étant disponible de la même manière dans les trois pays cités par l’autorité des transports, les solutions telles que le suivi des marchandises par GPS, l’optimisation des itinéraires, l’utilisation de wagons spécialisés, etc., peuvent offrir des services plus efficaces et compétitifs.

C’est tout le sens de la décision de la Commission d’autoriser, en vertu de l’article 107 TFUE, une aide de l’État français d’un montant total estimé de 450 millions d’euros destiné à soutenir les services de transport par wagons isolés. Il s’agit là de la reconnaissance du rôle crucial des États d’agir dans le cadre juridique européen et de, rappeler ainsi, qu’ils ont la capacité à agir pour développer le report modal d’une partie de l’activité de transport de marchandises de la route vers le rail. D’autant plus quand on sait que l’Agence européenne de l’environnement chiffre les rejets de CO2 du fret ferroviaire à 20,97 g/t-km, à l’échelle européenne, contre 75,33 g/t-km pour le routier. Le constat est sans appel, le fret ferroviaire émettant trois à quatre fois moins de CO2 que la route.

Le report modal de l’avion sur le train aura été une préoccupation plus prégnante que celui du camion sur le train.

Serait-ce, aussi, une manière de rattraper le temps perdu ? Car si l’interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen à grande vitesse date du début de la libéralisation, par la directive 96/48/CE du 23 juillet 1996, ce n’est que cinq ans plus tard que cette interopérabilité pour le ferroviaire transeuropéen conventionnel est envisagée par la directive 2001/16/CE du 19 mars 2001. L’Union européenne ou (et ?) les États membres ont, semble-t-il, privilégié le transport de passagers à grande vitesse dans ce processus visant à permettre l’utilisation courante des différents systèmes ferroviaires des États membres et le passage sûr et sans heurt d’un réseau national à un autre. Le report modal de l’avion sur le train aura été une préoccupation plus prégnante que celui du camion sur le train.

Il n’en reste pas moins, qu’il y a, de toute évidence, un lien entre aides d’État et transition écologique, ceci bien avant l’orientation de politique générale issue du Pacte vert européen, à en juger par les préoccupations de l’Union européenne, exprimées dès 2011, concernant les transports compétitifs et économes en ressources. Depuis le Pacte vert, la Commission européenne pousse à renforcer ce lien, qu’il s’agisse de la révision des lignes directrices « aides d’État-transport ferroviaire » lancée par la Commission européenne en octobre 2021 et qui doit aboutir avant la fin de son mandat, ou encore de l’initiative d’écologisation du transport de marchandises, présentée en juillet 2023.

Cela pourrait, enfin, être une nouvelle étape vers l’ambition européenne d’établir un espace ferroviaire unique, qui est loin d’être nouvelle. Il faut se rappeler que la Communauté économique européenne s’en est souciée dès la fin des années 1970, face au déclin du rail. L’espace ferroviaire unique envisage donc de redynamiser le secteur en s’attaquant à trois chantiers : le financement et la tarification de l’infrastructure, les obstacles à la concurrence et la surveillance réglementaire de cette même concurrence.

Autant d’objectifs qui doivent être pris en compte et en charge par les autorités publiques, européennes comme nationales. On surveillera les deux prochains rendez-vous annoncés que seront le règlement révisé portant sur le réseau de transport européen RTE-T aux Journées de l’interconnexion en Europe qui se tiendront à Bruxelles du 2 au 5 avril 2024. 🟧

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Lineas, Belgique, ici à Ath (photo Mediarail.be)

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Quand le transport est un élément concurrentiel pour les industriels
10/10/2022 – Cela fait longtemps que l’on parle de logistique mais cette discipline doit tenir compte en son sein d’un élément qui a toujours été considéré comme secondaire : le transport. Or de nos jours, on semble enfin se rendre compte qu’au contraire, le transport est un élément concurrentiel capital pour une entreprise. Le train doit dorénavant travailler cet aspect avec beaucoup de sérieux.


Suède : 750.000 tonnes de copeaux de bois brûlés chaque hiver
04/05/2023 – La centrale de cogénération de Värtan est la plus grande usine de biocarburants de Suède. Elle alimente en chaleur l’équivalent de 190.000 appartements et produit de l’électricité pouvant recharger 150.000 voitures électriques. Chaque semaine, pendant la saison de chauffage, huit ou neuf trains…


Le fret ferroviaire français : d’où on vient et où va-t-on…


27/12/2023 – Billet invité – Auteurs : Patrice Salini et Christian Reynaud
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Note de Rail Europe News : cet article traite du fret ferroviaire français en regard au récent rapport de la Commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, remis le 20 décembre dernier à l’Assemblée Nationale. Le texte ci-dessous reprend cinq thèmes principaux qui ont animé les débats. Pour chacun d’eux Rail Europe News introduit quelques éléments de contexte.

Patrice Salini est – depuis 1973 -, à la fois économiste des transports, enseignant et conférencier, et a notamment fait une carrière le menant au Ministère des Transports et à celui de l’Équipement, ainsi que dans diverses institutions telles l’INRETS ou le Conseil National des Transports. Il a aussi été Directeur des Etudes de l’IMTL (Institut Management Transport Logistique) de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC) ainsi que professeur Associé à l’Université Paris-Sorbonne.

Christian Reynaud est expert en transport et aménagement. Après un diplome en service public en France et un doctorat en mathématiques et statistiques à la Columbia University, Christian a eu une carrière le menant au Ministère de l’Équipement puis a été directeur du DEST au sein de l’INRESTS, directeur du Nestaer et ensuite responsable des études socio-économiques au BG Consulting Engineers. Il est actuellement expert indépendant.

Le fret ferroviaire français

De nombreux rapports parlementaires ou officiels se sont succédé depuis des décennies sur le rail et singulièrement sur le fret ferroviaire. Souvent ces rapports précèdent ou succèdent à une rupture, un évènement majeur. Cette fois-ci le contexte dit de la « discontinuité », suite annoncée d’une aide illégale de plus de 5 milliards d’Euros à Fret SNCF, constitue un prétexte naturel… Mais on ne peut qu’être surpris et déçu devant le contenu du rapport, qui tombe dans la facilité quand il s’agit de comprendre, d’analyser une situation, ou de proposer des solutions. La question – concrète – de savoir comment permettre au rail de progresser en volume et en part de marché ne trouve pas de réponse en dehors de la taxation supplémentaire de la route et l’accroissement des subventions.

La question – concrète – de savoir comment permettre au rail de progresser en volume et en part de marché ne trouve pas de réponse en dehors de la taxation supplémentaire de la route

Quelle est la « date » du déclin ?

Contexte – Cette question demande de quoi on parle : t/km, part modale ? Beaucoup situent le pic des tonnages à 1974 avant un déclin continu, d’autres pointent la très tardive libéralisation de 2006 comme motif du déclin du fret ferroviaire. Qu’en est-il ?

Patrice Salini – En réalité du point de vue historique le premier grand déclin en tonnes.km intervient dans les années 1930, avec des facteurs de déclins – et des explications – qui ont des points communs avec la période récente (baisse des trafics lourds, offre inadaptée, inadaptation commerciale et tarifaire). Après guerre, la différenciation principale concerne le taux de croissance des deux modes routiers et ferroviaires dans un contexte de croissance forte et un contenu pondéreux évident. Le rail progresse mais moins vite. Et le second déclin intervient au milieu des années 1970. La route poursuit alors sa croissance tandis que le rail recule presque très régulièrement …

Quelle est la cause du déclin ?

Contexte – Compétitif dans le transport lourd et singulièrement les vracs, le fret ferroviaire a notamment souffert de la contraction de la sidérurgie et de la fin des mines de charbon. L’industrie aujourd’hui est volatile et les envois sont multiples et plus petits. Un manque d’adaptation au monde industriel actuel ?

Patrice Salini – On a plusieurs phénomènes aussi bien dans les années 1930 et depuis 1975. Bien entendu la « dématérialisation » de l’économie (plus de services dans le PIB), la baisse des pondéreux, le choix français de mix énergétique et de localisation de la production sidérurgique, les chocs pétroliers, la désindustrialisation, la croissance de la part des produits importés, etc.. se combinent pour affecter la structure et la quantité de la masse transportable en France. Mais il y a aussi – surtout – l’approche du marché par le rail qui peine à s’adapter aussi bien tarifairement que techniquement, ou commercialement. La Sncf n’a jamais vraiment cherché à avoir une approche de groupe, une offre globale.. Et puis, quand on regarde les systèmes de transport aujourd’hui on est frappé : qui innove le plus lentement, avec les solutions les plus chères, n’a pas de réseau standardisé, de procédures communes, de gabarits identiques et suffisants,  d’alimentation électrique commune etc.. : le chemin de fer bien malheureusement ! On constate d’ailleurs que paradoxalement la part de l’international régresse dans le fret ferroviaire.

Quand on regarde les systèmes de transport aujourd’hui on est frappé : qui innove le plus lentement, avec les solutions les plus chères, n’a pas de réseau standardisé…

Christian Reynaud – La baisse dite « structurelle » (structure de production) a commencé en effet assez tôt avec la chute du transport de produits lourds, et donc une baisse du potentiel transportable: baisse du transport de matières premières et de produits lourds liée au recul en France de l’industrie lourde, mais aussi à des phénomènes de délocalisation dans des pays tiers, voire à l’intérieur du pays vers les façades maritimes. Cette baisse était auparavant régulièrement estimée en calculant la différence entre un potentiel ferroviaire (avec une part modale fixé par produit) et un trafic observé.

Mais le recul du fer a aussi été lié à l’augmentation de la compétitivité de la route et des difficultés pour le fer de capter des trafics plus diffus comme cela a été dit. Il faut aussi mentionner des problèmes d’interoperabilite du fer, plus aigus que pour la route,  ne lui permettant pas de bien se positionner sur le marché international en forte croissance.

Là dessus se sont greffées les questions de logistique et de développement du transport combiné (TC) permettant de mieux s’adapter aux besoins du marché pour des trafics plus diffus et sur longe distance : le TC devenait le seul segment en croissance sans véritablement s’imposer face à la route, mode plus flexible et particulièrement compétitif sur le marché international qui était devenu le plus dynamique. Le marché international (y compris l’acheminement portuaire) fait environ la moitié de l’activité ferroviaire en France, et ceci sur des distances plus longues, ce qui devrait être un atout pour le fer si les obstacles d’interoperabilite (de toutes sortes, techniques, commerciaux…) pesaient moins et si une offre de qualité ferroviaire, y compris offre de sillons pouvait être proposée.

Donc des décrochages successifs du fer pour des raisons de nature différente depuis plus de 50 ans. En tonnage le recul des produits lourds a été sans doute le plus marquant, mais cela n’est qu’un indicateur, qui ne suffit pas pour apprécier des performances.

Il faut aussi mentionner des problèmes d’interoperabilite du fer, plus aigus que pour la route, ne lui permettant pas de bien se positionner sur le marché international en forte croissance.

Patrice Salini – Je rajouterai que face à cela, depuis l’abandon de Commutor au début des années 1990, la SNCF n’a plus osé innover ou penser à innover. Le rail, réputé mode de transport massif n’est plus un mode de massification. La capacité disponible du rail – qu’on pourrait mesurer en termes de nombre d’équivalent 40’ à l’heure sur un axe, et a fortiori sur un réseau complexe – est actuellement faible et je pense qu’elle a tendance à régresser… Et ça ne tient pas qu’au nombre de sillons, mais aux régimes d’acheminement, au système de contrôle-commande, .. au type de trains etc. Chaque jour l’écart de compétitivité avec la route augmente.. et les solutions préconisées ne s’en soucient guère.

La stratégie nationale fret SNDFF, un énième plan ?

Contexte – Présentée en septembre 2021, cette stratégie répondrait à l’objectif d’un doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030, inscrit dans la Loi portant lutte contre le dérèglement climatique. Elle identifie 72 mesures concrètes, visant à répondre à quatre enjeux majeurs.

Patrice Salini – Je ne comprends pas bien ce qu’il y a derrière tout cela, en dehors d’objectifs dont tout le monde sait qu’ils sont très irréalistes, et que les programmes pour les atteindre n’ont pas été déclinés concrètement. Comment fait-on pour créer la capacité, les fréquences, la fiabilité, les coûts, permettant au rail de reprendre la main ? A cette question on répond avec des propositions très homéopathiques et un peu de paranoïa.

Comment fait-on pour créer la capacité, les fréquences, la fiabilité, les coûts, permettant au rail de reprendre la main ?

Christian Reynaud – Je suis d’accord et je ne vois pas de stratégie non plus avec une approche qui énonce des objectifs de part modale sans traiter de la demande, qui réorganise totalement le jeu des acteurs, laissant à la SNCF un cœur d’activité évidemment non rentable, et devant se plier à une planification par corridor de l’UE : où est la cohérence ? Dans les analyses la spécificité du marché international est le plus souvent absente et il ne faut pas s’étonner que le dialogue avec Bruxelles soit difficile avec les conséquences que l’on connaît.

La taxation des transports : quel(s) meilleur(s) remède(s) ?

Contexte – le prix des choses, les externalités supposées ou réelles des uns et des autres. On dit la route plus compétitive car elle ne paie pas le prix de ses nuisances. Qu’en est-il ?

Patrice Salini – Depuis les années 1930 nous sommes confrontés à la même posture consistant à expliquer le recul du rail par une concurrence routière qui serait déloyale.  La taxation serait ainsi un moyen de rétablir une concurrence saine. Cette idée est doublement fausse. D’abord parce que la compétitivité du rail ne réside pas dans la seule tarification de l’usage des infrastructures, le rail d’ailleurs ne payant pas son propre coût d’usage, et le paie de moins en moins, sans effet sur sa compétitivité d’ailleurs.

Actuellement la sous-tarification routière concerne le réseau local, départemental et les routes nationales non concédées. Une éventuelle taxation ne changerait pas grand-chose en termes de concurrence – j’avais fait le calcul à l’époque du projet d’écotaxe -, et affecterait le coût global de la logistique en France.

Comme je l’ai dit plus haut, la compétitivité du rail requiert capacité, fréquence, qualité, fiabilité,.. et efficacité économique (prix). Ne s’intéresser qu’aux prix c’est ne rien comprendre, ce qui n’empêche pas d’affiner le complexe système de tarification mis en place dans les pays de l’UE mêlant taxation des véhicules, tarification d’usage, accises sur les carburants, etc.., et de progresser enfin sur la question des conditions de travail et de rémunération des travailleurs mobiles.

Actuellement la sous-tarification routière concerne le réseau local, départemental. Une éventuelle taxation ne changerait pas grand-chose. Le rail requiert capacité, fréquence, qualité, fiabilité et efficacité économique.

Christian Reynaud – Pour la taxation je ne vois pas non plus de politique en liaison avec une planification écologique et développement des infrastructures, les calculs économiques étant souvent pas assez précis, faisant référence à des moyennes nationales : il n’est pourtant pas si difficile de savoir sur qui et où, une taxation aura un impact, si l’on retourne à un minimum d’analyse de trafic et de flux entre zones…

La discontinuité, que faut-il en penser ?

Contexte – Le 18 janvier 2023, la Commission européenne décidait d’ouvrir une enquête approfondie pour les avances de trésorerie consenties à Fret SNCF depuis le début de l’année 2007 jusqu’au 1er janvier 2020, ainsi que l’annulation de la dette financière de Fret SNCF au moment de son changement de statut et l’injection de capital de 170 millions d’euros consécutive à cette transformation. En réponse, le Gouvernement a présenté un plan de « discontinuité » de Fret SNCF afin d’éviter le remboursement, qui pourrait signer la liquidation de l’opérateur.

Christian Reynaud – On ne voit clairement pas de solution aujourd’hui pour un système ferroviaire viable…et le seul but semble d’éviter une sanction. Il y a eu un peu la même chose, (et sans doute pas aussi grave) lorsque l’on a créé RFF pour faire du zèle (ou jouer au plus malin) avec la commission qui menaçait.

Patrice Salini – En arriver à créer la « discontinuité » est le seul moyen trouvé pour éviter la faillite pure et simple.. puisqu’il s’agit ici de faire face à une dette illégale de plus de 5 milliards €. Ce qui me pose problème, c’est qu’on ait créé une société « Fret Sncf » dont la structure financière n’était pas durable et qui a accumulé une dette aussi faramineuse.. tout en perdant largement de sa substance en chiffre d’affaires sans sembler imaginer que ça posait un problème !  

La solution – pour ne pas avoir à rembourser la dette – est effectivement celle de la discontinuité comme on l’a joué – après d’autres tergiversations coûteuses et inutiles d’ailleurs – avec la SNCM. Je rappelle ici que ça n’a pas empéché l’entreprise s’estimant lésée  (Corsica Ferries) de réclamer avec succès une indemnisation du préjudice subit devant les tribunaux. Mais ici la différence est que la nouvelle société devra se défaire des activités porteuses, et se concentrer sur le wagon isolé. Je crois deviner qu’on ferait ce choix pour sauvegarder le plus d’emplois, mais je ne suis pas certain qu’ils soient durables… On en appellera donc au « service public » du wagon isolé, …  vieille thèse de la CGT mais sans réel débouché.

P.S. Pour mémoire, le plan Fret 2006 (qui date de 2003) prévoyait le retour à l’équilibre en 2006. (Cliquer pour agrandir)

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Des anciens de Space X veulent construire des wagons autonomes
24/01/2022 – Après la société américaine Intramotev Autonomous Rail, ce sont maintenant trois anciens ingénieurs de SpaceX qui s’associent pour construire des wagons de train de marchandises autonomes et alimentés par batterie. Le trio est composé du PDG Matt Soule et des co-fondateurs…


Suède : 750.000 tonnes de copeaux de bois brûlés chaque hiver


04/05/2023 – Billet invité – Auteurs : texte de Ulf Nyström – photos de Kasper Dudzik
Texte original en suédois publié le 7 novembre 2020
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Mediarial.be dispose ici d’une rubrique : le billet invité. Vous avez envie de donner votre point de vue sur un sujet de ce blog, vous êtes le bienvenu sous conditions de sérieux et d’argumentations. Exclusivement ferroviaire et mobilité. Politique, idéologie et promos sont exclues. 

Les opinions des billets invités n’engagent pas la rédaction de Rail Europe News


Note de Rail Europe News : cet article traite du transport par trains des copeaux de bois au départ d’une douzaine de plateformes en Suède et en Norvège. Il faut se rappeler la grande importance de l’industrie forestière dans les pays scandinaves. Particularité : ces copeaux sont transportés par les fameux conteneurs de la firme autrichienne InnoFreight. Texte original directement traduit du suédois sans aucune modification. Rail Europe News remercie vivement les auteurs pour leur autorisation.

Texte original et lien du site : 750 000 ton flis eldas varje vinter

La centrale de cogénération de Värtan est la plus grande usine de biocarburants de Suède. Elle alimente en chaleur l’équivalent de 190.000 appartements et produit de l’électricité pouvant recharger 150.000 voitures électriques.

Chaque semaine, pendant la saison de chauffage, huit ou neuf trains entrent dans la gare de triage de Värtan avec des copeaux sous forme de plaquettes de combustible provenant de nombreux terminaux différents en Suède. Les plaquettes destinées à Stockholm Exergi sont chargées dans 12 terminaux en Suède et en Norvège.

Chaque train transporte entre 1.000 et 1.300 tonnes de copeaux.

En effet, lorsque la centrale bioénergétique KVV8 fonctionne à plein régime, l’équivalent de trois brouettes de copeaux de bois sont nécessaires chaque seconde pour produire de la chaleur et de l’électricité pour les habitants de Stockholm. Cela représente 12.000 mètres cubes de copeaux de bois par jour.

Cet automne chaud (ndlr : en 2020), la chaudière n’a démarré que le 5 octobre et les premiers trains de copeaux de la saison ont été annulés ; il n’y a pas de place pour plus de quelques jours de consommation de copeaux dans l’entrepôt de Värtan.

En hiver on brûle 12.000 mètres cubes de copeaux de bois par jour.

« Au printemps dernier, nous avons brûlé jusqu’au 15 avril, mais nous sommes prêts à brûler de début septembre à mi-mai« , explique Johannes Raudsaar, responsable du transport des copeaux de bois par train et par camion jusqu’à Värtan.

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La locomotive à batterie Wall-E emmène 9 wagons à l’intérieur de l’installation de déchargement (photo et remerciements Järnvägar / Kasper Dudzik)

Déchargement dans la matinée

Les trains de copeaux arrivent à la gare de Värtan vers minuit. À partir de 6 heures du matin, les wagons, généralement neuf par neuf, sont tirés à travers le hall de déchargement, puis retirés par la locomotive à batterie Wall-E de 26 tonnes.

Bien que la puissance de la locomotive ne soit que de 60 kW, soit environ 80 chevaux, elle est suffisante pour tirer et pousser neuf wagons d’un poids total de 600 à 700 tonnes, car il n’y a pas de différences de hauteur significatives dans le Värtan. La vitesse maximale est de 14 km/h.

Un train et demi peut être déchargé avant que Wall-E n’ait besoin de nouvelles batteries ; il y a deux ensembles de batteries pour la locomotive. La locomotive est équipée d’un petit moteur diesel et d’un générateur pour l’alimenter.

Lorsque les wagons entrent dans le hall de déchargement, un robot prélève un certain nombre d’échantillons du chargement. « Nous vérifions principalement le taux d’humidité des copeaux, mais aussi l’absence de corps étrangers dans les copeaux« , explique M. Raudsaar.

Au fil des ans en effet, des sangles déchirées, quelques chaînes de tronçonneuse et un nombre important de gants de protection de travailleurs se sont retrouvés mélangés dans les copeaux.

Zéro déchets et 50% d’humidité

La teneur en corps étrangers doit être nulle. Le taux d’humidité varie généralement entre 45 et 55 %. Une fois que le contenu des conteneurs, trois par wagon, a été vérifié, les conteneurs sont soulevés un par un par un gigantesque dispositif de levage et de rotation.

« Le conteneur est d’abord pesé avec sa charge pour que nous sachions si nous pouvons le soulever« , explique Sebastian Lindqvist, opérateur de locomotive radio et de déchargement.

Chaque conteneur pèse généralement de 16 à 22 tonnes, en fonction du taux d’humidité et du degré de compactage des copeaux. Le dispositif de levage peut supporter 25 tonnes.

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Chaque train transporte entre 1.000 et 1.300 tonnes de copeaux. (photo et remerciements Järnvägar / Kasper Dudzik)

« Nous soulevons ensuite le conteneur et le retournons pour que son contenu tombe sur le tapis roulant qui achemine les copeaux vers une unité de criblage et de broyage. Si les copeaux ne tombent pas, nous devons secouer le conteneur. C’est facile maintenant, mais en hiver, lorsqu’il y a de la neige et de la glace dans le conteneur, nous pouvons être amenés à le secouer pendant un certain temps. »

Chaque conteneur chargé pèse entre 16 et 22 tonnes

Lorsque le conteneur est replacé sur le wagon, Lindqvist saisit l’équipement de radiocommande et fait reculer le train de quelques mètres pour que le dispositif puisse entamer le levage et la rotation du conteneur suivant.

Une fois que les 27 conteneurs des neuf wagons ont été vidés, Sebastian Lindqvist reconduit les wagons dans la cour de l’usine et en reprend neuf nouveaux.

Six heures pour décharger un train

Il faut environ six heures pour décharger 26 à 30 wagons. Par conséquent, lorsque deux trains arrivent à Värtan la même nuit, il faut 12 heures pour les vider de tous les copeaux de bois.

« Nous pourrions traiter quatre trains par jour si nous travaillions 24 heures sur 24, » explique M. Raudsaar, « ce qui nous permettrait d’approvisionner le four en copeaux de bois par voie ferrée. Mais aujourd’hui, nous acheminons la plupart des copeaux de bois par bateau. »

Les copeaux sont transportés sur de gigantesques tapis roulants pour être broyés et criblés. Vient ensuite la chaudière à copeaux, où l’énergie des copeaux est convertie en chaleur par des générateurs pour produire de l’électricité.

Quelle énergie produite ?

La centrale de chauffage aux biocarburants de Värtan a été inaugurée il y a près de cinq ans, en février 2016, devenant ainsi la plus grande de Suède. Les copeaux d’épicéa et les résidus forestiers tels que les branches, les cimes et les brindilles qui ont été déchiquetés sont convertis en 750 GWh d’électricité et 1.700 GWh de chaleur.

Cela équivaut au chauffage d’environ 190.000 appartements de taille normale. La production maximale de vapeur est de 375 MW et la production maximale d’électricité est de 140 MW. 🟧

Västran
Train de copeaux de bois (photo et remerciements Järnvägar / Kasper Dudzik)
Ulf Nyström

Ulf Nyström – Kasper Dudzik
Järnvägar.nu

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Pologne : CPK , le projet de nouvel aéroport et lignes à grande vitesse


03/04/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Vu de l’Ouest, on a de la Pologne une image d’éternel « pays de l’Est » un peu lointain, périphérique. Or le pays veut justement saisir l’opportunité de sa géographie pour devenir un grand carrefour des transports du nord-est européen. C’est l’objet du projet CPK, le plus grand d’Europe.

Centralny Port Komunikacyjny (CPK) est un « hub de transport » à construire entre Varsovie et Łódź, et qui comprend trois éléments : un nouvel aéroport, des lignes ferroviaires à grande vitesse et des autoroutes qui s’y croisent.

Ce projet de hub est situé à environ 37 km à l’ouest de Varsovie et devrait se développer sur une superficie d’environ 30 km². L’objet central de ce projet était avant tout de remplacer l’actuel aéroport Chopin, que l’on dit enclavé et trop proche de la capitale Varsovie. Cela rappelle un peu Berlin…

Le nouvel aéroport baptisé Solidarność a été dimensionné pour pouvoir accueillir 40 millions de passagers par an. Il devrait être construit sur la municipalité de Baranów, dans le district de Grodzisk de la voïvodie de Mazovie, pour ceux qui connaissent…

Ce projet titanesque – un des rares d’Europe pour cette dimension -, a été adopté le 7 novembre 2017 par une résolution du Conseil des ministres, et le 2 juin 2018, une loi spéciale portant sur le CPK était signée par le président de la République de Pologne de l’époque, Andrzej Duda.

Il aura donc fallu un projet d’aéroport pour dimensionner la grande vitesse ferroviaire polonaise

De leur côté, les projets associés de grande vitesse ferroviaire datent de bien avant, mais la crise financière de 2008 avait mis les études au frigo. Les polonais devaient – et doivent toujours -, se contenter d’un réseau qui respire encore çà et là l’ère soviétique, malgré d’indéniables progrès en matériel roulant et quelques grandes rénovation récentes.

Il aura donc fallu un projet d’aéroport pour dimensionner le réseau grande vitesse ferroviaire polonais. Utopie ?

Plus qu’un simple aéroport

Sur le papier, ce projet dépasse le simple stade de son objet central, l’aéroport. D’une part en effet, la zone CPK comprendrait une Cité Aéroportuaire qui prévoit, entre autres, des bâtiments destinés aux salons, foires, congrès et conférences, ainsi que des bureaux.

D’autre part, le CPK prévoit également des investissements ferroviaires d’envergure : il s’agit de relier ce hub aux villes dans tout le pays. Le réseau, bien évidemment relié à la capitale, doit permettre de voyager entre Varsovie et les plus grandes villes polonaises en moins de 2h30. Cela nécessiterait près de 1.980 km de voies nouvelles à construire, dont la moitié prévu pour de la grande vitesse.

Pour faire passer le projet, on l’a aussi inscrit dans un périmètre plus vaste. Ses promoteurs expliquent qu’aucun des 19 pays d’Europe centrale et orientale ne dispose d’un hub aéroportuaire à l’échelle mondiale. 

Côté ferroviaire, comme l’illustre la carte ci-contre, il s’agit de se trouver au centre du jeu entre, d’une part la projet Rail Baltica en cours de construction (du moins partiellement), et d’autre part divers projets en République tchèque et en Hongrie, lesquels sont connectés avec l’Allemagne et l’Autriche.

Le projet s’inscrirait aussi dans le futur réseau ferroviaire à grande vitesse dit « des Trois Mers » (Autriche, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Bon nombre de ces tronçons font partie du réseau transeuropéen de transport (RTE-T).

Dans un grand élan d’optimisme – il en faut par les temps qui courent -, le CPK espère aussi reconnecter l’Ukraine lorsque la guerre sera terminée. En janvier dernier, la société CPK a signé un accord avec les chemins de fer ukrainiens (Ukrzaliznyca) pour stipuler une coopération plus étroite dans la construction de nouvelles infrastructures de transport, y compris un projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Varsovie et Lviv, prolongé on l’espère vers Kiev. L’espoir fait vivre…

Cet ensemble devrait ainsi à terme rapprocher toutes les grandes villes « de l’Est » qui n’ont aujourd’hui que des liaisons ferroviaire peu ou moyennement performantes. En 2021, la Commission européenne (CE) a d’ailleurs publié le dernier projet de règlement sur le réseau transeuropéen de transport (RTE-T), plaçant CPK sur la carte en tant que terminal d’échange essentiel. Mais comment justifier de tels investissements et sur base de quelles études ?

CPK vient justement de donner la réponse ce 31 mars en diffusant une étude élaborée sur base de la libéralisation en Europe. Cette étude résume l’expérience acquise à ce jour par les pays de l’Union européenne en matière de libéralisation avec l’entrée d’autres opérateurs ferroviaires et à la mise en service réussie de nouvelles liaisons ferroviaires à grande vitesse (Espagne, Italie, France).

Sur base des trafics étudiés, CPK a alors envisagé quels étaient les flux correspondants su l’ensemble de la Pologne. Cela a donné une carte où l’on voit que le potentiel se situe à l’Ouest d’un axe Gdansk-Varsovie-Cracovie. Les villes de Wroclaw et Poznan en seraient les premières bénéficiaires.

Chose intéressante, la ligne venant de Gdansk ne passe pas par la capitale mais bien par « son » nouvel aéroport, le fameux hub, où elle rejoint plus au sud la CMK, une ligne existante à 200km/h filant en direction de Katowice et Cracovie. Varsovie n’est finalement qu’une branche de ce vaste réseau. On connait des pays où une telle conception engendrerait des tonnerres politiques…

Un aéroport entre critiques et géopolitique

Le volet ferroviaire ne semble pas souffrir de critiques à l’inverse de l’élément aéroportuaire, qui fait l’objet de certains doutes car « conçu avant la pandémie ». Des voix discordantes – mais c’est toujours le cas dans ce type de projets -, s’interrogent sur les besoins réels postpandémiques et l’aviation en général à l’heure des défis climatiques.

Certains voient un projet très politique du pouvoir en place et préfèreraient une extension d’aéroports existants. Tout cela sans poser le débat de la présence exclusive de Ryanair sur l’autre aéroport, celui de Varsovie-Modlin, où l’irlandais aurait des soucis de capacités et n’a pourtant pas l’intention de déménager. Il demanderait dès lors une extension de « son » aéroport sur le compte du contribuable polonais tout en ferraillant contre le projet CPK. Ryanair dans l’arène politique, on ferait bien de se méfier…

Une pièce maîtresse de la géopolitique

Mais un autre argument plutôt inédit justifierait ce chantier : CPK pourrait être utilisé pour transporter des fournitures humanitaires, d’autres marchandises et… du matériel militaire à travers le continent. Et ce ne sont pas que des mots. L’Ukraine n’est pas loin, la Russie non plus. D’après Politico, qui cite Reuters, le général de l’armée américaine Ben Hodges, qui est le commandant des forces terrestres américaines en Europe, aurait décrit le projet CPK (d’aéroport) comme « ce dont l’OTAN a besoin en termes de mobilité militaire (…) Le projet ajoutera une capacité qu’aucun autre nœud en Pologne, ou ailleurs en Europe de l’Est, ne peut égaler.« 

L’ambassadeur des États-Unis en Pologne, Mark Brzezinski, a également embrayé sur ce thème en expliquant que « les événements actuels ont montré qu’une infrastructure ferroviaire fiable et résiliente est extrêmement importante pour la sûreté et la sécurité de la région.« 

Mais tout cela nous éloigne de la fonction ferroviaire du CPK, qui nous intéresse davantage.

Où en est-on actuellement ?

2028 serait – en principe -, la date d’ouverture d’une toute première ligne à grande vitesse de 148 km reliant Varsovie à Łódź, en passant bien évidemment par le fameux « aéroport-hub ». Le 28 novembre 2022, des contrats ont été attribués au consortium polonais Biuro Projektów Metroprojekt et Sud Architekt Polska pour le premier tronçon de 40 km de ligne ferroviaire à grande vitesse entre CKP et Varsovie. D’autres contrats vont permettre de poursuivre jusqu’à Łódź.

Une fois terminée, les voyageurs pourront rejoindre CPK en seulement 15 minutes depuis Varsovie et 30 minutes depuis Łódź.

Cet axe « central » ferroviaire doit ensuite être prolongé vers Wroclaw, pour lequel on en est encore qu’aux études d’itinéraires. Cette ligne sera conçue pour une vitesse maximale de 350 km/h mais est fort curieusement prévue pour être exploitée avec des trains circulant à une vitesse de 250 km/h. L’obtention du permis de construire est espéré pour 2024 afin de débuter les travaux.

D’abord vers Wroclaw, Katowice et Cracovie

En janvier 2021, le gestionnaire d’infrastructure signait un petit contrat pour la modernisation de 21 ponts et viaducs sur la Centralna Magistrala Kolejowa (la ligne ferroviaire centrale – CMK) qui est justement située au sud de l’emplacement du hub. Cette ligne a été construite entre les années 1971-1977 dans une configuration quasi rectiligne. Elle a une longueur de 224 km et relie plus précisément Grodzisk Mazowiecki, à 30km au sud de Varsovie, à Zawiercie, à environ 45 km au nord-est de Katowice et à environ 70 km au nord-ouest de Cracovie. Électrifiée en 3kV, elle est actuellement limitée à 200km/h.

Les travaux de rénovation de ponts visent en fait à faire passer la vitesse à 250 km/h. Fin 2023, après avoir achevé les travaux nécessaires et lancé le système ERTMS/GSM-R et le système ETCS niveau 2, les trains devraient circuler à la vitesse autorisée de 250 km/h sur la ligne CMK.

La suite du programme, avec les autres lignes, notamment vers Poznan et Gdansk, est encore en gestation. Dans la plupart des cas, le tracé doit encore être convenu car la proportion exacte entre nouvelles infrastructures et modernisation des lignes existantes n’est pas encore été précisée, rappelle Railway Gazette.

Kristian Schmidt, chef de la direction générale de la mobilité et des transports de l’UE (DG-MOVE), expliquait en début d’année sur Money.pl que « d’ici 10 à 20 ans, le réseau ferroviaire polonais pourrait être meilleur que dans les pays de la ‘vieille’ Union européenne, où les investissements dans ce moyen de transport ont été négligés pendant des années« .

Après l’ouverture du CPK et la mise en service de nouvelles lignes ferroviaires, le nombre de passagers ferroviaires longue distance devrait doubler pour atteindre 120 millions de passagers par an, selon ses promoteurs.

Côté aérien, le nouvel aéroport à 8 milliards d’euros devrait aussi ouvrir en 2028 pour une première partie, dans laquelle on transférerait la totalité du trafic de l’actuel aéroport de Varsovie Chopin. Les plans de conception des bâtiments clés du CPK devrait être prêts dès le milieu de cette année, sans plus de précisions. On s’interroge néanmoins sur la soutenabilité de tels délais qui paraissent davantage faire partie d’une stratégie de communication. Cela dit, quand on voit les délais d’autres grands projets aériens (Berlin…), on se dit que 3-4 années de plus resteraient finalement dans la norme…

Voilà donc un projet qu’il conviendra de suivre avec attention, tout comme son frère aîné du Nord, Rail Baltica. 🟧

03/04/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Trains de nuit : commandes massives pour six projets en Europe


26/03/2023 – Mis à jour le 20/01/2024 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog (English version)
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Six pays – ou plutôt six opérateurs -, misent en Europe sur de nouveaux trains de nuit par l’achat de matériel roulant neuf. La plupart des projets sont situés sur la moitié Est et Nord de l’Europe. Quatre pays concernés n’ont pas de grande vitesse. Ce sont essentiellement des entreprises historiques qui procèdent à ces achats. L’occasion d’un rapide tour d’horizon.

Note : cet article a été mis à jour le 20 janvier 2024.

Une Europe coupée en deux

Norvège, Suède, France, Finlande, Autriche et Italie. Il suffit de tracer une ligne de Trondheim à Palerme pour se rendre compte que cinq des six pays se situent sur la moitié Est de l’Europe. Et nous ne comptons pas la Pologne et les autres sur d’éventuelles commandes à venir.

Les trains de nuit, que l’on pensait atteint d’une lente agonie, restent plus que jamais d’actualité dans cette partie de l’Europe alors que pour la moitié Ouest de l’Europe, dans laquelle on inclue volontairement l’Allemagne, on mise plutôt sur la grande vitesse.

Bien-sûr, nous n’oublions pas les initiatives de Snälltåget en Suède, SNCF en France, Caledonian Sleeper en Grande-Bretagne, RegioJet estival vers la Croatie, ou bientôt European sleeper entre Bruxelles et Berlin. Mais hormis le cas britannique, ces exemples bienvenus utilisent du matériel roulant plutôt ancien, même reconfiguré.

Nous ne parlons ici que des investissements très récents et futurs, ce qui indique que certains opérateurs y ont vu un intérêt.

Les constructeurs des années 60-70 ne sont plus qu’un lointain souvenir

Le matériel roulant, encore et toujours

Des centaines de voitures-couchettes et voitures-lits furent construites dans les années 60 et 70. Les principaux constructeurs de jadis – Nivelles, Carel Fouché, Ansaldo, LHB, Donauwörth et autre Hansa Waggonbau -, ne sont plus qu’un lointain souvenir, absorbés dans les grandes restructurations de l’industrie des années 1990-2000. Talgo, qui avait construit des TrenHotel sur base de ses fameuses rames articulées, n’en construit plus non plus.

Les débuts de la libéralisation ont été marquées par de grands besoins pour les locomotives interopérables d’une part, et pour les automotrices régionales d’autre part, afin d’alimenter les nouveaux candidats qui répondaient aux appels d’offres par du neuf plutôt que du recyclé. Cette politique industrielle sembla avoir mis en sourdine les projets de voiture classique « UIC » comme on en fabriquait encore il y a encore 30 ans.

En réalité pas tout à fait. Siemens, qui rachetait à tour de bras dans les années 90 et 2000, reprit l’usine Simmering-Graz-Pauker (SGP) située à Vienne-Simmering, laquelle est aujourd’hui la seule du groupe allemand à fabriquer de « vraies » voitures.

Plus à l’Est, dans des pays dénués de grande vitesse, on trouve la firme roumaine Astra Vagoane Călători, située à Arad, une survivance d’une ancienne entreprise roumaine, laquelle fabrique toujours des voitures classiques, dont des voitures-lits.

La firme Skoda n’a pas non plus abandonné les voitures tout comme l’espagnol CAF, qui a fournit l’ensemble des voitures du Caledonian Sleeper en Grande-Bretagne. On peut donc dire qu’il reste une petite poignée de constructeurs pour contenter tout le monde.

Obtenir du matériel roulant neuf, plutôt que de l’ancien, est devenu le fil conducteur de six projets en Europe, qui ont tous leurs aspects propres. Avec, on va le voir, quelques innovations.

Autriche

On ne reviendra pas sur la plus grande des commandes, celle des ÖBB. En 2018, les chemins de fer fédéraux autrichiens (ÖBB) et Siemens Mobility signaient un accord-cadre global de plus de 1,5 milliard d’euros, portant notamment sur une commande comportant 13 rames Nightjets de 7 voitures, des rames blocs indéformables, à l’inverse de ce que l’on pratiquait jusqu’ici (des voitures isolées dégroupées et regroupées).

Les ÖBB ont logiquement choisi la gamme ‘Viaggio’ de Siemens, laquelle est justement construite à Vienne-Simmering. Les premières voitures étaient présentées le 6 septembre 2022, coup d’envois des premiers essais pour des rames prévues en priorité sur les flux Vienne-Italie. Les autrichiens innovent avec l’abandon des compartiments à 6 couchettes, ramenés à 4, et surtout par l’adoption de « mini-cabines » individuelles (photo), lesquelles doivent répondre aux demandes de plus en plus affirmées d’intimité de la clientèle individuelle.

En décembre 2023, les premières rames nouvelles circulaient entre Vienne et Hambourg.

Italie

En juin 2022, Trenitalia lançait un appel d’offres pour l’acquisition de nouveau matériel roulant pour les services Intercity Notte à destination de la Sicile. L’accord-cadre porte sur la fourniture d’un maximum de 370 voitures sur une période de cinq ans, avec une quantité minimale garantie de 70 véhicules. Cela parait beaucoup pour la seule destination Sicile, mais rien en dit que Trenitalia n’envisage pas d’autres destinations à terme. La valeur totale de l’accord-cadre est de 732,6 millions d’euros, la commande minimale de 70 voitures devant s’élever à 138,6 millions d’euros.

En Italie, une flotte financée notamment avec l’argent du PNRR

Cette nouvelle flotte est financée par une partie des 200 millions d’euros alloués à Trenitalia pour l’achat de nouveau matériel roulant et, chose intéressante, fait partie du plan national de relance et de résilience de l’Italie (PNRR). L’avis d’appel d’offres ne précisait pas le type de voitures à fournir, mais Trenitalia devrait passer commande auprès d’un seul fournisseur afin de simplifier l’exploitation et la maintenance, tout en préservant l’intégrité de la marque Intercity Notte.

En août 2023, on apprenait qu’un contrat-cadre était signé avec un consortium composé de Škoda Transportation et Titagarh Firema SpA (TFA).

France

Ce n’est pas du côté de la SNCF, mais bien d’un opérateur privé qu’il faut chercher, avec un futur projet dont on sait peu de chose jusqu’ici. Midnight Train veut « réinventer le train de nuit » à prix compétitifs face à l’avion. Il s’agit ici d’une société en mode start-up qui dispose d’un management haut de gamme puisqu’on y trouve, derrière les deux fondateurs Adrien Aumont et Romain Payet, des personnalités comme Franck Gervais, ancien CEO de Thalys ou encore Odile Fagot, ancienne Directrice Transformation & Performance Finances chez SNCF.

Midnight train veut lancer des trains de nuit avec un concept novateur d’hôtel sur rail avec voiture-restaurant et voiture-bar. L’opérateur indique qu’il dispose des finances requises et qu’il a fait le choix d’un constructeur pour son matériel roulant, sans donner plus de précisions à l’heure d’écrire ces lignes.

Jusqu’ici, on connait Midnight train au travers de sa communication de marketing glamour auprès de 60.000 abonnés à sa newsletter et ses réseaux sociaux. L’objectif est « d’installer la marque et de créer du désir avant l’arrivée du produit », explique la société aux Echos.

Il nous faut maintenant remonter sur les rives de la Baltique pour trouver d’autres projets.

Finlande

On connait mal ce pays mais il y a bien des trains de nuit entre la capitale Helsinki, au sud du pays, et la Laponie tout au nord. VR, l’opérateur national finlandais, concluait en décembre 2022 l’acquisition d’une petite flotte de trains de nuit en attribuant un contrat au tchèque Škoda Transtech. Le contrat de 50 millions d’euros porte sur la fabrication et la livraison de 9 voitures-lits, de huit wagons porte-voitures et de pièces de rechange. Les Finlandais, comme les Autrichiens, les Slovaques, les Tchèques et quelques saisonniers, continuent en effet l’exploitation des trains autos-couchettes.

Ce contrat prévoit des options pour l’achat de 30 voitures-lits et de 30 wagons porte-autos supplémentaires. Les Finlandais ont la chance d’avoir déjà en circulation des voitures-lits double étage, grâce à un gabarit d’encombrement très généreux. Le parc actuel comprend 80 voitures-lits et 33 véhicules de transport de voitures.

Il est prévu que le nouveau matériel roulant issu de ce contrat initial avec Škoda Transtech entre en service d’ici à la fin de 2025.

Trois des quatre pays scandinaves ont passé commandes

Suède

La suède compte pas mal de trains de nuit, dont un récent Stockholm-Hambourg lancé en 2022 mais avec des voitures plus anciennes louées chez RDC Deutschland. De son côté, l’opérateur privé Snälltåget (Transdev) fait rouler un Stockholm-Berlin avec des voitures-couchettes et à places assises.

Suite à une décision à l’automne 2022 du Riksdag, le Parlement suédois, Trafikverket s’est vu accorder une facilité de prêt de 3,855 milliards de SEK (356 millions €) par le Bureau de la dette nationale suédoise pour acheter de nouvelles locomotives et de nouvelles voitures. Rappelons qu’en Suède, c’est la société d’État Trafikverket qui détient une grande partie du matériel roulant, pour le relouer ensuite à différents opérateurs.

En mars 2023, Trafikverket devait lancer un appel d’offres pour 16 locomotives et 99 voitures pour le service de train de nuit sous contrat entre Stockholm, le Norrland mais aussi vers l’Allemagne. Une petite polémique amusante s’est insérée dans ce dossier quand quelques politiciens se sont inquiétés de savoir si ces voitures auraient le gabarit suédois ou continental ! Cela influerait sur la longueur des lits. Le gabarit suédois est en effet plus généreux que celui de l’Europe, mais on parle ici de quelques dizaines de centimètres…

L’objectif est de mettre les nouveaux trains en service en 2027-2028.

Norvège

On termine avec un autre pays scandinave qui n’a jamais abandonné tout à fait ses trains de nuit, et qui compte aussi sur le renouveau de ce marché. En Norvège aussi, c’est une société d’État, Norske Tog, qui est propriétaire des rames et les loue. Mais la Norvège semble innover sur plusieurs points.

En février 2023, Norske tog signait un contrat géant avec Stadler. Il s’agit dans un premier temps de 17 rames longue distance sous la marque Flirtnex, avec option jusqu’à 100 rames. Mais la particularité est qu’une partie des rames vont comporter des places couchées en compartiment de 2 ou 4 places. Autre particularité intéressante, en journée, les compartiments des « rames de nuit » pourront être transformés en coin salon fermé pour les familles ou pour les voyageurs d’affaires. C’est une première car jusqu’ici, l’argument généralement entendu était qu’un train de nuit était extrêmement coûteux du fait d’une utilisation exclusive sur le trajet nocturne. Cet argument vole donc en éclat avec le choix de Norske tog de faire opérer ces trains de nuit comme de jour. La dernière particularité est l’entrée du suisse Stadler sur ce marché de trains de nuit, ce qui n’était pas vraiment la spécialité de ce constructeur.

Au final…

D’ici 2030, nous aurons donc le loisir de tester différents trains de nuit d’au moins trois constructeurs (Siemens, Skoda, Stadler), les projets italiens, français et suédois n’étant pas encore formellement attribués à l’heure d’écrire ces lignes.

Puissent ces exemples donner des idées aux pays « du côté l’Atlantique » qui, pour le moment, font le service minimum en la matière, ou ne font plus rien du tout comme en Allemagne ou en Espagne. Le seul exemple est le Caledonian Sleeper britannique dont la formule pourrait parfaitement être développée sur le Continent. 🟧

Train_de_nuit
(Photo ÖBB)

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La définition UIC de la grande vitesse

L’Union internationale des chemins de fer (UIC) considère qu’une vitesse commerciale de 250 km/h est le critère principal pour définir la grande vitesse ferroviaire. Néanmoins, l’UIC peut considérer qu’une vitesse supérieure à 200km/h peut être qualifiée de « grande vitesse » si le fonctionnement de l’infrastructure respecte les principes suivants :

  • équipement de la voie,
  • matériel roulant spécifique (unités automotrices),
  • système de signalisation embarquée (sans signaux latéraux),
  • exploitation par poste de commande centralisé
  • et séparation géographique ou temporelle du trafic de marchandises et de voyageurs.

Avec cette définition élargie, on peut alors affirmer qu’en 2020, la barre symbolique des 50.000 km de lignes à grande vitesse dans le monde aurait été dépassée. En 5 ans, la longueur du réseau à grande vitesse mondial se serait accrue de 20%, ce qui représente un saut d’environ 10.000 km de lignes dans le monde. Cette augmentation est principalement liée au développement spectaculaire du réseau à grande vitesse en Chine mais aussi ailleurs en Asie, un continent qui compte pratiquement les trois quarts du kilométrage total mondial. Le quart restant de ce réseau mondial ne concerne que l’Europe, principalement en Espagne, la France, l’Allemagne et l’Italie.

Cela montre qu’il y a de grandes disparités entre les continents du monde. Mais chaque continent a sa culture et ses enjeux propres.

En 5 ans, la longueur du réseau à grande vitesse mondial se serait accrue de 20%, ce qui représente un saut d’environ 10.000 km de lignes dans le monde.

Afrique

En Afrique le Maroc est le seul pays à avoir obtenu fin 2018, une ligne à grande vitesse de 186 km entre Tanger et Kenitra où les TGV Al Borak (analogues aux TGV Duplex d’Alstom), peuvent poursuivre vers Rabat et Casablanca par le réseau classique. À long terme il est prévu une ligne vers Marrakech et plus tard vers Agadir. En Égypte, les contrats signés en 2022 entre les autorités de transport et Siemens prévoient un réseau de quelque 2000 km de lignes nouvelles qui devrait relier les principales villes du delta du Nil, pour remonter jusqu’à Abou Simbel.

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Une rame à grande vitesse ONCF Alstom RGV2N2 à la gare de Tanger Ville en novembre 2018 (photo NicholasNCE via wikipedia)

Amérique du sud

L’Amérique du Sud semble bouder la grande vitesse ferroviaire. Les grands projets qui était prévu au Brésil entre Sao Paulo et Rio de Janeiro qui sont distantes de 450 km semblent abandonner Au Chili on ne parle plus d’une ligne entre Santiago et Valparaíso. En Argentine le pays peu peuplé en dehors de la capitale Buenos Aires ne milite pas pour la grande vitesse ferroviaire.

États-Unis

Il y a beaucoup de prudence en Amérique du Nord. Malgré une carte régulièrement remaniée, les projets à grande vitesse étaient plutôt rares à la fin des années 2020. Amtrak a certes lancé ses trains Acela en décembre 2000 sur le corridor nord-est entre Washington Philadelphie New York et Boston, mais cela n’en fait pas exactement des trains à grande vitesse.

Cela dit, le cousin américain du TGV-M, l’Avelia Liberty ou Acela II d’Amtrak (qui ne sera pas un Duplex), sera mis en service sur le corridor nord-est à des vitesses supérieures à celles de ses prédécesseurs. Les 11 voitures de l’Acela II, avec leurs 17 tonnes à l’essieu, seront autorisées à circuler entre Trenton et New-Brunswick à 257 km/h, ce qui pourrait (un tout petit peu) améliorer la position des États-Unis sur le rang mondial de la grande vitesse.

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(photo : Fan Railer via wikipedia)

Les progrès sur deux autres projets sont relativement lents. Le projet californien n’avance que sur sa partie centrale. Un autre projet au Texas demande encore pas mal de fonds et de travail en amont. Le projet en Floride n’est pas de la grande vitesse et ne concerne qu’une ligne apte à 200 km/h.

En Asie, la Chine domine encore et toujours avec près de 43.000 kilomètres de lignes nouvelles. Le Japon veut miser sur le train à sustentation magnétique

Asie

En Asie, la Chine domine encore et toujours. Près de 43.000 kilomètres de lignes nouvelles ont été mis en service ces quinze dernières années, ce qui est phénoménal. Cette maîtrise chinoise, grandement aidée jadis par l’Europe, est maintenant devenu un des piliers de la Belt and Road Initiative (BRI) et de sa soif d’expansion diplomatique dans le monde, au travers de nombreux chantiers d’infrastructures. La Chine développe ainsi des projets à grande vitesse dans d’autres contrées, notamment vers le Laos.

Le Japon, avec déjà 3.000 kilomètres de lignes à grande vitesse indépendantes de tout le reste du réseau, semble quant à lui vouloir faire le grand saut vers une autre technologie, celle de la sustentation magnétique. Le Chūō Shinkansen est un projet national qui reliera Shinagawa, à Tokyo, à Nagoya, dans le centre du Japon, en 40 minutes seulement. Mais des nuages s’amoncellent sur ce projet, la préfecture de Shizuoka refusant un permis après des craintes sur les conséquences hydrauliques qu’entraîneraient la construction de cette ligne.

Maglev

L’Europe en demi-teinte mais bien avancée

En Europe, l’actualité est dominée par l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Italie, et dans une moindre mesure la France et l’Allemagne.

L’Espagne continue ses constructions, notamment le Y-Basque dont on a déjà parlé, mais aussi vers le nord-ouest du pays et, peut-être, vers le Portugal. L’Italie poursuit ses programmes, plus particulièrement entre Naples et Bari, dans le sud de la Péninsule, mais aussi au nord, où on avance projet par projet entre Milan et Vérone.

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(photo HS2)

La Grande-Bretagne, avec son projet HS2, risque de remporter la palme du prix au kilomètre. Le projet est devenu tellement onéreux (zones urbaines et zones écologiques à traverser), que seuls les 225 kilomètres entre Londres et Birmingham ont la certitude de voir le jour, les travaux étant largement entamés. Mais la moitié du réseau HS2 risque, plus au nord, de ne jamais voir le jour ou alors bien loin dans ce siècle.

En Suède, on préfèrerait rénover le réseau ferroviaire existant et mettre le paquet sur le réseau routier et les voitures électriques

La France reprend ses objectifs de construction, avec un projet dans le sud-ouest entre Bordeaux et Toulouse ainsi que vers Bayonne, tandis que sont relancées les études sur le projet de ligne nouvelle Provence Côte d’Azur.

En Allemagne, on se concentre actuellement sur la finalisation de la nouvelle ligne Stuttgart-Ulm, dont un tronçon a été inauguré en décembre dernier. Cette ligne se greffe sur un autre projet controversé sans réel lien avec la grande vitesse, Stuttgart 21. Dans les cartons aussi un projet entre Dresde et la frontière tchèque, apparemment assez avancé, les tchèques eux-mêmes ayant pris des décisions sur leur sol jusqu’à Prague.

La Pologne semble se diriger vers un gigantesque projet de réseau à grande vitesse qui prévoit de construire un réseau de 2000 km de 12 lignes à grande vitesse centrées sur un nouvel aéroport à construire à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Varsovie, et dont nous reparlerons prochainement.

Les mauvaises nouvelles viennent par contre de la Suède, qui semble s’éloigner du concept de la grande vitesse ferroviaire. Ce pays nous offre un cas d’école en matière de lobbying. En effet, le gouvernement actuel justifie la modernisation de l’infrastructure ferroviaire existante (sans qu’on sache ce que cela recouvre),  tout en investissant – et c’est ici qu’on attrape des sueurs froides -, plutôt dans l’amélioration des routes et l’installation de points de recharge pour voitures électriques. La transition par la route et le rafistolage ferroviaire, voilà une idée qui laisse perplexe au pays de Greta.

Il faudra veiller maintenant à ce que l’Europe ne deviennent pas un Continent sans projets, même si la transition impose qu’on construise autrement que ce que l’on faisait hier. 🟧

Talgo
Le Talgo Avril, dernier né de la firme espagnole, conçu pour 350km/h (photo Talgo)

20/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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L’expérience client se fait parfois sans fenêtre. Mais pourquoi au juste ?


13/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Qui n’a jamais eu la désagréable surprise de voir son siège réservé sans fenêtre ou de manière très partielle ?  De manière globale, si on y est prête un peu d’attention, on peut s’apercevoir que les sièges sont disposés sans tenir vraiment compte de l’implantation des fenêtres.  Ce n’était pas comme cela avant. Mais aujourd’hui il y a une raison à tout cela.

Au temps où les trains étaient composés de voitures à voyageurs, il a fallu uniformiser au maximum les dimensions et le confort pour que ces voitures puissent passer d’un pays à l’autre. C’est pour cela que sont apparus dans les années 60 les gabarits UIC X puis Z. Ces gabarits ont permis de construire un diagramme de voiture différent mais uniformisé selon que l’on soit en première classe ou en seconde classe. C’était une époque où on voyageait encore beaucoup dans des compartiments.

Cependant, dans les années septante, les opérateurs ferroviaires désirèrent mettre davantage de voyageurs dans les voitures et de donner plus d’intimité. Il s’agissait aussi de moderniser considérablement la seconde classe par rapport à la première classe.

Pour disposer les sièges en fonction de l’implantation des fenêtres, le choix de places en vis-à-vis peut être privilégié. C’est ce qu’on peut voir dans le diagramme suisse ci-dessous :

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(diagramme CFF)

On remarque que la disposition des sièges en vis-à-vis s’intègre bien à la disposition des fenêtres, que ce soit en 2e classe ou en première classe. En 2e classe, on obtenait ainsi une voiture de 77 places assises qui ont toutes une vue sur fenêtre, mais qui ont le désavantage d’être en vis-à-vis.

L’option de placer des sièges en file indienne comme dans les avions a permis d’obtenir une voiture de 80 places assises en seconde classe en maximisant les sièges par deux. Mais dans ce cas, il n’était plus possible de tenir compte de l’implantation des fenêtres. Cette disposition a été largement utilisée à partir des années 70 et 80, notamment dans les voitures Corail de la SNCF et les voitures à couloir central de la Deutsche Bahn.

C’est à partir de ce moment que certains sièges se sont trouvés face à un trumeau ou avec une fenêtre partielle. Cependant, il faut reconnaître que ces problèmes n’apparaissaient que sur un nombre restreint de sièges rapport au total disponible dans une voiture. Au final, on réussissait malgré tout à ce que chaque siège ait au moins une partie de fenêtre. De plus, on pouvait parfois trouver une astuce commode, en retournant les sièges, comme le montre cet exemple entouré de rouge :

Siege-train
(diagramme CFF)
Siege-train
Une des nombreuses voitures Intercity de la DB au format UIC Z, ici à Berlin en 2018 (photo Mediarail.be)

La caisse unique

À l’apparition de la grande vitesse, la distinction des caisses entre première classe et 2e classe disparaissait. Il fallait minimiser les frais d’étude et on a donc construit une caisse unique pour tous les conforts disponibles. La disposition des sièges semble avoir été quelque chose de secondaire par rapport à la conception de la structure des caisses.

Les grandes fonctions de la structure de la de caisse sont reprises par la norme EN 15380-4. Cela concerne entre autres la structure et le dimensionnement de la caisse, la dissipation de l’énergie dans la structure du véhicule, la résistance aux chocs, le transfert de la traction et de l’effort de freinage. Mais aussi le transfert des forces transversales, par exemple dans les courbes, entre la caisse du véhicule et le bogie. Ou encore le transfert des charges verticales entre la caisse du véhicule et le bogie.

Les structures transmettent, à des niveaux différents, selon le type de train, l’ensemble de ces efforts. Une structure de caisse est donc le squelette (l’ossature d’un véhicule de voyageur) qui doit être dimensionnée pour pouvoir résister aux combinaisons de charge et adaptées aux diverses sollicitations exceptionnelles et de services qu’elle rencontreront pendant leur vie commerciale.

La structure de caisse doit être conçue dès le lancement des études. Elle doit suivre les principes de l’architecture du train en respectant des données ou contraintes fondamentales, comme par exemple le gabarit et les limites de masse. Elles doivent de plus répondre aux sollicitations statiques, dynamiques et environnementales imposée par les conditions d’exploitation, de sécurité et de confort.

C’est une des raisons majeures de l’option de la caisse unique qui garnira l’ensemble d’une rame, qu’elle soit ou non à grande vitesse :

Siege-train
(Extrait de « Matériel roulant », Tome 2)

La disposition des sièges est cependant une composante liée à l’environnement choisi. Le choix de l’architecture intérieure dépend à la fois des spécifications de l’exploitant ou du donneur d’ordre et de nombreux facteurs techniques, économiques et culturels. Ce choix conditionne de nombreuses performances, dont la capacité, la rentabilité et l’habitabilité pour les voyageurs. Ce choix est déterminant pour la performance globale du produit, les performances d’expansion et la maintenance.

Siege-train

L’exploitant cherche toujours à accueillir un maximum de voyageurs avec différents niveaux de confort selon le segment de marché et le débit de voyageurs de la ligne a desservir. La montée et la descente des voyageurs dans des temps d’arrêt très variables en fonction du trafic, de la ligne ou du réseau doit être assuré en toute sécurité. La distribution des accès sur l’ensemble de l’architecture du train est essentielle et a des impacts sur le confort d’accès et sur le diagramme des voitures.

L’architecture et les principes d’aménagement retenus doivent également contribuer à maximiser la charge et la surface utile au maximum, et donc la capacité en voyageur. Mais il faut aussi tenir compte du pas entre sièges (photo). Cette conception impactera directement sur la disposition des sièges.

On peut remarquer qu’à l’origine sur les premiers TGV français, les sièges de première classe étaient parfaitement disposés avec les fenêtres.

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Il y a bien longtemps, quelque part dans les années 70… (photo SNCF)

Le diagramme ci-dessous nous montre une structure de remorque TGV unifiée quelle que soit la classe, et ce que cela donne sur la répartition des sièges. Alignement parfait en première classe, désaxement en seconde :

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Comme la structure d’une voiture TGV surpasse toute autre considération, avec le même nombre de fenêtres, il devenait évident qu’il n’était plus possible de placer tous les sièges en fonction de l’implantation des fenêtres. Quelques sièges se sont retrouvés face à un beau trumeau ou avec 20cm de fenêtre.

Un scénario identique se répétait aux autres matériels roulants, que ce soit les ICE en Allemagne ou les Talgo en Espagne.  Il en était de même sur les trains à grande vitesse italiens. Mais il faut reconnaître que cela ne concerne qu’un petit nombre de sièges sur le nombre total d’une rame.

Par ailleurs certains exploitants comme la Renfe ou Trenitalia exploitent des trains à 3 ou 4 classes avec une différenciation encore plus marquée de la disposition des sièges selon les différents conforts.

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Le plus de voyageurs au mètre…

Les contraintes de rentabilité ont aussi joué sur le nombre de sièges. Ces dernières années, on semble vouloir battre de record en record. Au fil des études et des créations de nouvelles rames, le nombre siège au mètre augmente. Rien de mieux qu’un petit tableau pour s’en convaincre, en comparant uniquement les rames à simple niveau, à motorisation encadrée ou répartie :

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(tableau Mediarail.be)

On doit aussi considérer que ce choix est irréversible. Le concept d’architecture retenu ne pourra plus être modifié pendant toute la durée de vie du matériel roulant, sachant que la conception choisie impactera beaucoup de paramètres, par exemple d’exploitation et de confort. Bien entendu par la suite on pourra toujours changer la disposition des sièges mais on ne pourra jamais changer la disposition des fenêtres et la structure de la caisse.

Il y en a que cela arrange…

Si certains sont surpris de la disposition de leur siège en embarquant à bord, on peut aussi se demander si c’est si important que cela. L’expérience client diffère d’un voyageur à l’autre. Dans notre époque actuelle, ils sont plusieurs à vouloir la pénombre maximale pour regarder un film ou tapoter sur leur PC ou smartphone. Regarder le paysage est devenu accessoire pour beaucoup, particulièrement en hiver où il fait noir assez tôt le soir.

On pourrait cependant suggérer aux opérateurs de faire une distinction entre les places entièrement sans fenêtres et celles qui en sont pourvues. On pourrait par exemple vendre le siège avec trumeaux à des gens qui de toute manière ne lèverons pas le nez de leur smartphone ou PC. C’est en quelque sorte aussi une expérience client pour ce public-là, lequel pourrait choisir lors de leur réservation une place sombre pour s’adonner à leurs activités digitales. 🟧

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Un ICE 3 en seconde classe, avant lifting (photo Mediarailbe)

13/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Le Talgo Avril, dernier né du constructeur espagnol


06/03/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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On va devoir s’y habituer. Après les ICE de Siemens, le Frecciarossa d’Hitachi rail, le TGV-M d’Alstom, un quatrième larron est à poser sur l’étagère : le Talgo Avril. Entendez : des trains conçus pour au minimum V250. L’occasion de parler d’un firme qui s’installe durablement dans la grande vitesse ferroviaire et qui a des atouts à faire valoir.

On ne présente plus Talgo. Le 21 août 1941, Alejandro Goicoechea, , technicien basque,  mena l’expérimentation sur site d’un très curieux ensemble ferroviaire articulé. Cet ensemble était tiré par une locomotive à vapeur et atteignit déjà 75km/h sur le tronçon Leganés-Villaverde. Encore fallait-il vendre le produit, sans quoi son utilité était nulle. L’entrepreneur s’empressa en 1941 et 1942 de protéger son « concept articulé » par deux brevets espagnols (n°151396 et n°159301) et deux français (n°883808 et n°898376). La firme Talgo était née.

80 années plus tard, l’entreprise est toujours bien présente, n’a pas été rachetée par on ne sait qui, et demeure une référence dans le paysage ferroviaire industriel. La firme repose sa réputation sur ses rames articulées. Mais à la différence d’Alstom qui le fait avec des bogies à deux essieux, Talgo a conçu un système ingénieux de « roues indépendantes », comme l’illustre fort bien la photo ci-dessous :

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La rame articulée version Alstom, avec un bogie intercalaire qui est la marque de fabrique du constructeur français (photo Mediarail.be)
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La rame articulée version Talgo, avec un arceau intercalaire comportant deux roues indépendantes (photo Talgo via twitter)

La centre de gravité très bas des rames Talgo permet à la firme d’offrir une largeur plus généreuse, ce qui permet une configuration différente des sièges, nous le verrons plus loin.

Généralement, la technique de rame articulée, tant de Talgo que d’Alstom, ne permet pas la motorisation répartie tout au long de la rame et oblige donc à maintenir le concept de rame encadrée par deux motrices. Alstom a pourtant conçu une rame articulée à grande vitesse avec motorisation répartie, l’AGV, mais n’a plus poursuivi dans cette voie après les 25 rames vendues à NTV-Italo.

Il y a les défenseurs de la rame encadrée par deux motrices, tout comme ses détracteurs, qui font valoir que sur une rame de 200m, on perd pas mal de sièges à cause de leur présence.

On notera aussi que cette technologie de roue indépendante de Talgo a permis aussi d’élaborer le train à écartement variable, l’Espagne ferroviaire ayant été bâtie à l’écartement 1.668mm, alors que le reste de l’Europe, et le voisin français, ont l’écartement standard 1.435mm.

>>> À lire : les rames Talgo I à III et leurs locomotives

Le Talgo à grande vitesse

En avril 1998, la RENFE commandait 32 rames à grande vitesse destinée à couvrir les services AVE entre Madrid et Barcelone, dont l’ouverture était prévue pour 2004. Cette fois, plus question d’acheter Alstom comme pour Madrid-Séville (inauguré en 1992), mais d’opter pour un pur produit national. Le consortium entre Talgo et Adtranz (devenu Bombardier par la suite) remportait l’appel d’offre et s’activa alors sur ce qui s’appelait le « projet Talgo 350. »

Ainsi arrivèrent sur les voies espagnoles le Talgo S-102 et ses étranges motrices au long nez, appelé « pato » (canard) outre-Pyrénées. Étrange ou pas, le Talgo « pato » a tout de même été vendu en Arabie Saoudite dans sa configuration grande vitesse.

>>> À lire : la fiche technique du S-102

Le Talgo Avril

En 2016, la RENFE a attribuait à Talgo un marché de 15 nouvelles rames à grande vitesse, en retenant le nouveau train Avril développé par l’industriel espagnol.  D’un montant de 786 M€, le contrat incluait également la maintenance pour 30 ans. Aptes à 330 km/h, ces rames devaient être équipées pour le service international, avec ASFA, LZB, ERTMS et TVM430, ce qui indiquait une utilisation programmée de facto pour la France, du moins pour certaines rames.

Le Talgo Avril –  acronyme de « Alta Velocidad Rueda Independiente Ligero » -, reprend bien-sûr les bases et l’expérience des rames articulées qui ont fait le succès de la firme espagnole. Mais il est avant tout le fruit d’une vision.

Talgo souhaitait tirer le meilleur parti du gabarit européen pour réaliser des gains d’efficacité. Dans un système dominé par des coûts fixes élevés, il est primordial d’attirer le plus grand nombre possible de voyageurs et de maximiser l’utilisation des actifs. Transporter plus de voyageurs par train permet d’augmenter les revenus, même avec tarifs réduits, et rendre le rail plus attractif, une exigence forte des clients opérateurs.

Il fallait donc maximiser la capacité d’emport sur une rame d’une longueur de 200 m. Les remorques ont une largeur de 3.200 mm, soit environ 200 à 250 mm de plus que les voitures européennes dites « UIC ». Combiné à l’absence de bogies et à des intercirculations très courtes entre remorques, Talgo réussit au final à caser 521 places assises moyennant un aménagement inédit à 5 places de front en classe Turista et à 4 places de front en classe Preferente.

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Un aménagement en configuration des sièges 3+2 (photo Talgo)
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(photo Talgo)
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(photo Talgo)

Avec 12 remorques et l’utilisation de sièges 3+2 et 2+2, le Talgo Avril offre 497 sièges dans les versions à deux classes et un maximum de 581 dans une variante à grande capacité. En configuration double, la version grande capacité offrirait jusqu’à 1.162 places sur un seul niveau avec un seul conducteur, ce qui permet de maximiser l’utilisation de chaque sillon.

Talgo_Avril
(photo Talgo)

Les motrices ont abandonné leur nez « pato » au profit d’un design plus classique mais recherché pour minimiser la résistance à l’air. En regardant bien, ces motrices, du fait de leur longueur, sont un poil moins larges que le tronçon lui-même, ceci pour s’inscrire dans les courbes conformément aux critères des STI. Elles sont équipées au total de 8 moteurs asynchrones triphasés et de commandes à convertisseurs IGBT. La puissance nominale n’est que de 8 000 kW, bien inférieure à celle des autres trains à grande vitesse, mais cela permet de réduire la consommation d’énergie.

Concrétisation

Un premier prototype fût développé et présenté à InnoTrans 2012 à Berlin, tandis qu’un premier programme de tests se déroula d’avril 2014 à mai 2016, afin de certifier que plus de 100 caractéristiques de la rame soient conformes aux spécifications techniques d’interopérabilité. C’était un changement important par rapport aux S-102, puisque le Talgo Avril devait être aussi un train à vendre à l’international.

Autre différence : il fallait homologuer le Talgo Avril pour une exploitation à 330 km/h, ce qui était une première pour un train adoptant la technologie de changement d’écartement automatique de Talgo. Tous les trains précédents à changement d’écartement étaient en effet limités à 250 km/h maximum. Le prototype a finalement été approuvé en Espagne le 13 mai 2016 après avoir parcouru plus de 76.000 kilomètres. Il répond aux spécifications techniques d’interopérabilité.

En 2017, une option pour 15 rames supplémentaires était confirmée par la RENFE, avec différentes configurations d’aménagement, et notamment 10 rames munies des équipements de signalisation français TVM et KVB.

Viser le marché européen

Le développement du Talgo Avril a permis à l’entreprise d’anticiper  à la fois la libéralisation et l’internationalisation du matériel roulant et des opérateurs. Le train a été conçu, selon le constructeur, pour être compétitif sur un marché ouvert et faire tomber les nombreuses barrières à l’interopérabilité qui persistent encore.

Le premier témoignage de cette politique est venu de France, quand la société Le Train a signé pour 10 rames Talgo Avril qui sont prévues monoclasse mais avec « un confort supérieur au lowcost » ainsi que l’emport possible d’une quarantaine de vélo.

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Outre l’internationalisation en cours des opérateurs ferroviaires nationaux européens, les scénarios d’exploitation complexes posés par les écartements mixtes dans la péninsule ibérique ont fait évoluer la plateforme Avril vers cinq variantes distinctes (ci-contre). Sur les 40 unités actuellement commandées, les deux principales différences tiennent aux 15 rames qui seront équipées pour le changement d’écartement 1435/1668 mm (et destinées à la Renfe), tandis que 15 autres rames – également destinées à la Renfe -, n’auront que l’écartement 1435 mm. Dix d’entre elles devraient en outre être certifiées pour circuler en France. À cela s’ajoute les 10 nouvelles commandes de la société française Le Train, appelées à ne circuler qu’en France, et dont on ne connaît pas les détails à ce jour sauf qu’elles ne seraient aptes qu’à circuler qu’en France.

L’efficacité énergétique, la grande capacité, l’interopérabilité et les faibles coûts du cycle de vie deviennent dorénavant des arguments incontournable pour faire du Talgo Avril un outil commercial puissant dans le monde changeant du marché européen du transport ferroviaire voyageurs. Le Talgo Avril a commencé les essais sur un tronçon de la ligne Madrid-Galice, après avoir terminé les essais d’homologation début février. Ces différentes phases devraient alors mener aux autorisations de l’Agence nationale pour la sécurité ferroviaire et de l’Agence ferroviaire de l’Union européenne. 🟧

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(photo Talgo)

06/03/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Une entreprise d’État pour louer des trains ? Le cas de Norske tog


26/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Créée dans le cadre de la réforme des chemins de fer norvégiens, Norske tog AS est aujourd’hui propriétaire de la presque totalité du matériel roulant ferroviaire voyageur en Norvège, à l’exception des rames express de l’aéroport Flytoget et de certains matériels roulants utilisés sur la ligne touristique Flåm Line. Norske tog AS est donc une entreprise d’État qui a pour but de louer le matériel roulant aux opérateurs en Norvège, y compris bien entendu l’opérateur public Vy (ex-NSB).

La gouvernance ferroviaire norvégienne

Le 12 mai 2015, le ministère norvégien des transports publiait un livre blanc décrivant un projet de réforme du secteur ferroviaire norvégien. Le livre blanc a été approuvé par le Parlement norvégien (le Stortinget) le 15 juin 2015 et la réforme impliquait une libéralisation partielle du secteur ferroviaire par l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires de transport de passagers ainsi que des changements dans la structure organisationnelle du secteur.

Le secteur ferroviaire actuel en Norvège se compose entre autres basiquement :

  • de la Direction des chemins de fer norvégiens Jernbanedirektoratet;
  • du gestionnaire d’infrastructure Bane NOR SF, responsable des actifs ferroviaires appartenant à l’État;
  • du loueur public de matériel roulant Norske Tog AS;
  • de l’opérateur public historique Vy (anciennement NSB);
  • de Entur AS qui est un canal national de vente de billets de train. La société collecte également des données de voyage pour tous les transports publics en Norvège;
  • D’une série de délégation de service public;
  • D’opérateurs de fret ferroviaire indépendants.

En Norvège, cette architecture institutionnelle fait débat, car le pays n’est pas membre de l’Union européenne et ne devrait donc en théorie coller à aucune de ses directives. Cependant, la Norvège fait partie de ce qu’on appelle Espace économique européen (EEE), qui est une union économique rassemblant 30 États européens : les 27 États membres de l’Union européenne et 3 des quatre États membres de l’Association européenne de libre-échange.

Ceci pourrait expliquer pourquoi la Norvège pratique une politique fort semblable aux prescrits de l’Union européenne, sans en être membre. Mais le pays semble avoir pousser très loin la segmentation de son secteur ferroviaire, puisqu’on y trouve des dispositions que l’Europe ne réclame pas nécessairement, comme le montre la liste ci-dessous. Il en est ainsi de la mise à disposition du matériel roulant.

Norgske_tog

Une société pour servir tout le monde

Le matériel roulant était jusqu’alors la propriété de l’opérateur ferroviaire national, Norges Statsbaner AS (NSB AS). Le matériel roulant a un long cycle de vie et est spécifiquement développé pour le système ferroviaire et le climat norvégiens. Il représentait donc une barrière potentielle à l’entrée de nouveaux opérateurs ferroviaires sur le marché norvégien du transport de passagers.

Afin de réduire les barrières à l’entrée et d’assurer une concurrence égale pour les services de trains de voyageurs, le ministère des transports a décidé que le matériel roulant devait être placé dans une société distincte. Par conséquent, le matériel roulant a été transféré de Norges Statsbaner AS à Norske tog AG (jadis connu sous le nom de Materiellselskapet AS) et devait être mis à la disposition des opérateurs ferroviaires qui remporteraient les appels d’offres pour les paquets de trafic.

Il faut cependant noter cette contradiction avec Flytoget, une société qui gère le trafic des trains entre Oslo et son aéroport. Cette entreprise n’a pas dû céder son matériel roulant à Norske Tog AS et le possède elle-même, alors que l’opérateur public Vy a dû le faire.

Norske tog AS est désormais détenue à 100 % par l’État norvégien via le ministère des Transports. La société a été créée en tant qu’entité juridique distincte, dotée d’une notation officielle, afin de lui permettre d’utiliser le marché des obligations (tant au niveau national qu’international) pour lever des capitaux.

Missions et objectifs

Les missions de Norske tog AS sont d’acquérir, de gérer et de louer des trains de voyageurs, avec pour objectif de disposer d’un matériel roulant suffisant, moderne, au bon coût et de haute qualité. Or c’est ici que cela devient intéressant. Car cette location concerne aussi l’opérateur historique Vy, une chose plutôt rare dans la pratique ferroviaire en Europe.

Norske tog AS a en effet pour mission « de contribuer à garantir la concurrence dans la fourniture de services de transport de passagers à des conditions égales entre les compagnies ferroviaires, et d’éliminer les barrières à l’entrée pour les nouveaux opérateurs ferroviaires. » On n’est donc pas dans une optique de protection de l’opérateur historique mais bien d’une mise à égalité de tout le monde dans la qualité du matériel roulant.

D’ailleurs, la société précise bien que « dans le cadre de son rôle d’acquisition de nouveau matériel roulant, Norske tog AS veille à ce que les nouveaux trains de voyageurs soient commandés conformément aux exigences norvégiennes et que la remise à neuf des véhicules existants soit également prévue. » Il y a donc une volonté d’uniformiser les critères de confort et de technologie du matériel roulant afin de ne pas avoir, d’une part une barrière à l’entrée et d’autre part, d’avoir une continuité du confort quel que soit l’opérateur.

Quels seraient les avantages d’une telle politique ?

C’est toute la question. Pour ses promoteurs, il y a avant tout l’idée d’éliminer la barrière forte que constitue un matériel roulant qui doit être exploiter dans les conditions météo norvégiennes, rendant les trains plus onéreux, même s’il s’agit de matériel européen standardisé.

Outre ce qui précède, l’État norvégien justifie l’existence de Norkse tog par l’avantage :

  • d’avoir une stratégie en matière de matériel roulant, avec des évaluations concrètes des coûts et des avantages ;
  • d’être responsable au niveau national des décisions relatives au renouvellement de la flotte ;
  • d’avoir l’expertise technique nécessaire dans le choix du matériel roulant.

Parmi les grands sujets qui agite le monde du matériel roulant en Europe, à cause de ses coûts parfois monstrueux, figure notamment la problématique d’installation de l’ETCS à bord des trains. Norske tog s’emploiera à l’installer sur le matériel roulant existant mais aussi à l’exiger sur le matériel roulant nouveau ou en commande.

Les opérateurs qui louent les rames à Norske tog seront responsables de l’entretien des rames, mais certains observateurs constatent que les contrats ne précisent pas ce qui constitue « un entretien adéquat », en dehors évidemment d’une conformité aux exigences minimales de sécurité.

Les détracteurs cette politique norvégienne craignent aussi que l’investissement dans la maintenance soit réduit au minimum, de sorte que les rames seraient « usées » avant d’avoir atteint leur durée de vie prévue.

Crainte aussi pour « un laisser-aller » supposer de l’entretien intérieur des rames (lavage, WC, …) s’il n’y a pas de véritables concurrents sur une ligne donnée. Or cet argument reste parfaitement valable aussi envers un monopole étatique, lequel n’a aucun incitant pour « être plus propre » et mieux entretenu, si ce n’est de demander davantage de sous à l’État…

Jusqu’ici, sur les trois lots octroyés pour 10 ans dont deux opérés par des entreprises privées (SJ et Go-Ahead), on n’a pas observé de tels phénomènes. Un rapport récent du Transportøkonomisk institutt suggère cependant une attention particulière à la maintenance et aux difficultés d’accès aux ateliers, lesquels sont intégrés dans une société à part, Mantena.

Les actifs de l’entreprise Norske tog

Le matériel roulant et les employés de NSB AS ont été transférés à Norske tog AS le 15 octobre 2016, conformément au contrat d’achat d’actifs. Des obligations d’un montant de 5,9 milliards de NOK ont été transférées de NSB AS à Norske tog AS le 9 décembre 2016, et au 31 décembre 2016, Norske tog AS recevait des actifs d’un montant de 9,2 milliards de NOK mais aussi… une dette de 8,2 milliards de NOK.

Norske tog AS bénéficie d’une notation A+ de S&P et vise à utiliser le marché obligataire international pour assurer le financement de ses investissements futurs.

Avec 51 employés à l’heure actuelle, Norske tog AS est une entreprise relativement petite, dotée d’une structure « plate » avec des équipes dédiées et spécialisées. Comme tous les employés ont été transférés de NSB AS, ils possèdent une grande expérience du travail dans l’industrie ferroviaire norvégienne, ainsi qu’une connaissance approfondie de tous les types de matériel roulant, notamment une connaissance technique approfondie des véhicules plus anciens.

Cela signifie aussi que Norske tog dispose d’un site qui présente la totalité de son matériel roulant à louer.  La société a 4 clients auprès desquels il loue ses trains : Vy gruppen, Vy Tog, SJ Norge et Go-Ahead.

Norske tog dispose d’une flotte d’environ 300 rames de 17 types différentes. Le parc actuel de trains est divisé en trois catégories, selon l’âge :

  • Moins de dix ans : Flirt (type 74, 75, 75-2 et 76);
  • Environ 20 ans : 71 rames, qui datent toutes des années 2000 (types 72, 73A, 73B, 93).
  • Plus de 20 ans : 67 rames, 21 locomotives et 135 voitures des années 70, 80 et 90 (types 69C, 69D, 69H, 70, 92, Di4, El18, 5, 7 et voitures-lits WLAB2).

En novembre dernier, Norske tog recevait la 150ème automotrices FLIRT de Stadler. Il s’agissait d’une classe 74 et était la dernière automotrice relative à l’accord – qualifié de géant à l’époque -, entre les anciens NSB et Stadler, signé le 2 septembre 2008.

Flytoget, dont on parlait plus haut, a également acquis récemment de nouvelles rames en pure propriété. En mars 2022, une lettre d’intention a été signée afin que Norske Tog rachète une partie de l’ancien matériel roulant de Flytoget, en l’occurence 6 rames de type 71. Flytoget reste donc à l’écart du système norvégien sauf pour faire reprendre son matériel ancien.

Il faut cependant y ajouter des commandes récentes. La politique norvégienne est de renouveler le matériel roulant et on peut dire que le pays a mis le paquet. En 2021, Norske tog avait travaillé, selon ses dires, sur la plus grande acquisition de train jamais réalisée en Norvège. Pour ensuite passer commande comme suit :

  • En janvier 2022, Norske tog signait un contrat cadre de 1,820 milliard d’euros avec Alstom pour fournir 30 rames Coradia Nordic pour trains locaux, avec une option d’achat de 170 rames supplémentaires. Les 30 premières rames sont attendues pour 2025 ;
  • En février 2023, Norske tog a puisé dans le même contrat cadre pour confirmé 55 rames supplémentaires à livrer d’ici 2027.

Ces trains Coradia Nordic pour Norske tog sont spécialement adaptés au réseau ferroviaire norvégien et aux conditions météorologiques norvégiennes. Les trains régionaux désormais commandés peuvent rouler jusqu’à 200 km/h là où l’infrastructure le permettra.

>>> À lire : InterCity Oslo – tunnels, ponts et grande vitesse pour gagner jusqu’à une heure de trajet

Mais ce n’est pas tout. Après les trains régionaux, Norske tog comptait aussi s’attaquer aux trains longue distance. D’une part sur les trains de jour mais aussi sur les trains de nuit. Le loueur a ainsi signé le 17 février dernier un contrat géant avec à nouveau Stadler.

Il s’agit dans un premier temps de 17 rames longue distance sous la marque Flirtnex, avec option jusqu’à 100 rames. Particularités, une partie des rames vont comporter des places couchées en compartiment de 2 ou 4 places. Particularité intéressante, en journée, les compartiments des « rames de nuit » pourront être transformés en coin salon fermé pour les familles ou pour les voyageurs d’affaires. C’est une première car jusqu’ici, l’argument généralement entendu était qu’un train de nuit était extrêmement coûteux du fait d’une utilisation exclusive sur le trajet nocturne. Cet argument vole donc en éclat avec le choix de Norske tog de faire opérer ces trains de nuit comme de jour. Evidemment tout dépendra du choix d’exploitation de l’opérateur à qui seront louées ces rames.

Autres nouveauté, les places assises de nuit – plébiscitées selon une enquête de 2019 -, seraient de véritable « transat » avec une disposition des sièges en 2+1. Sur son site, Norkse tog évoque même que « sur les nouveaux trains longue distance, il y aura une offre « couchée » plus large avec des fauteuils inclinables comme en première classe dans les avions ». Les esquisses de Norske tog semblent cependant différentes de ce que présente Stadler. Quelle que soit la solution retenue, on note  cependant déjà une amélioration sensible par rapport à tout ce qui se faisait jusqu’ici, quand l’Allemagne fait circuler quelques ICE de nuit, dans des fauteuils fixes et sans éteindre les lumières…

« Le train ne doit pas être uniquement un moyen de transport, mais aussi une expérience en soi et un lieu de séjour agréable », expliquait à la presse Sille Svenkerud Førner, chef de projet chez Norske Tog. Rendez-vous en 2026 pour voir circuler les premières rames.

Conclusion

La Norvège a fait le choix d’un paysage ferroviaire très fragmenté, trop peut-être. Le nouveau gouvernement de gauche a stoppé les démarches d’attribution d’un quatrième lot à la concurrence, en l’attribuant directement à Vy, héritier des anciens NSB. Vy cependant devra continuer de louer les rames à Norske tog, car de ce côté la politique demeure jusqu’ici inchangée.

La société de leasing nationale, une solution durable ? Pourquoi pas. C’est une pratique courante dans l’aérien. Ses détracteurs rappellent cependant que les Coradia Nordic ou les Flirt Stadler sont configurées aux normes norvégiennes et qu’on voit mal les voir rouler ailleurs, ce qui veut dire que ces actifs sont non-transférables comme un avion, qui lui peut être vendu partout dans le monde. Ajoutons qu’aux temps anciens de NSB, c’était forcément la même chose…

Une question demeure cependant : est-ce à un loueur de « forcer » la future politique marketing d’un opérateur ? En effet, le choix d’aménagements intérieurs par une entreprise d’État est bel et bien un choix de marketing. On enlève donc une partie cruciale de ce qui fait vivre un opérateur. Cela signifie que les futurs candidats n’auront d’autres choix que de suivre ce que le loueur a décidé. On peut penser aussi que ces nouvelles commandes seraient taillées sur mesure sur base des considérations de l’opérateur historique, mais rien ne permet de le prouver jusqu’ici…🟧

Norgske_tog
Les futures rames longue distance Stadler. On ne sait pas encore qui les exploitera (photo Stadler)

26/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La quinzaine de Rail Europe News – Newsletter 086

Du 02 au 22 février 2023

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
23/02/2023

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Politique des transports
L’Europe et la libéralisation ferroviaire : comment en est-on arrivé là ? – Comment se fait-il que l’économie publique et la planification, qui disposaient après l’après-Seconde Guerre mondiale d’une assise politique puissante en Europe, ne soit pas parvenue à être au cœur du projet européen ? Ou pour le dire autrement, pourquoi l’économie marchande a finalement pris le dessus, y compris en matière ferroviaire ? C’est une question qui mérite une réponse un peu longue, sous un angle historique.
Ce long article, une fois n’est pas coutume, revient sur le lent processus qui a mené la Commission européenne à procéder à une refonte du paysage ferroviaire tel qu’on le connait maintenant. Il rappelle d’abord qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale, il y avait l’existence de deux nébuleuses précocement investies dans la construction européenne : celle de l’économie d’entreprise d’une part, et celle de l’économie publique d’autre part. Pourtant une de ces deux arrivera davantage à s’imposer plutôt que l’autre. Le tout est de savoir pourquoi, et comment.
Il est souvent admit un peu vite que « tout cela a débuté avec l’arrivée de Thatcher et Reagan, qui ont complètement repenser le monde » . En réalité, cela date de bien plus tôt. La construction même du « Marché Commun » portait déjà les germes d’un système d’économie de marché. La France a eu du mal à s’imposer mais a finalement signé le Traité de Rome en mars 1957.
L’élément économique apparait aussi dans les chemins de fer, à priori pas concernés car il s’agit d’une matière encore très nationale. Dans sa première plaquette  « L’Exploitation de la SNCF en 1949 d’après les données statistiques », Louis Armand met en exergue la quantification de la modernisation des engins en traction, modernisation qui se répercute bien évidemment sur la productivité du personnel de conduite et d’entretien, mais aussi sur d’autres facteurs.
De nos jours, les bénéficiaires de la libéralisation ferroviaire ne sont pas nécessairement les nouveaux entrants. On vous explique tout cela dans l’article.
(La suite est à lire sur Mediarail.be) 🟧 [Retour à la page Gouvernance ferroviaire]

France – Appel urgent à renégocier les prix de l’énergie – La hausse sans précédent des prix de l’énergie début 2023 fragilise chaque jour un peu plus l’équilibre économique des acteurs du ferroviaire.
Le gestionnaire français SNCF Réseau avait confirmé aux opérateurs ferroviaires fin 2022 une hausse sans précédent de l’énergie. Les prix sont passés de 111,95 euros du mégawatt-heure à 473,51 euros en 2023. On en était encore à 45 euros en 2019. Mais la hausse de l’énergie concerne aussi les carburants fossiles. Le diesel est encore fortement utilisé dans le fret ferroviaire, tout particulièrement sur les embranchements industriels non électrifiés, mais pas seulement.
Un appel à renégocier – L’Association Française du Rail (AFRA), qui rassemble les opérateurs alternatifs à la SNCF, appelle à une renégociation immédiate des contrats pour revenir à un prix de l’énergie soutenable. Elle s’inquiète de la situation financière préoccupante de certains opérateurs et redoute qu’ils ne soient rapidement plus en mesure de payer leurs factures à SNCF Réseau. « Nous alertons depuis des mois le ministère des Transports mais le gouvernement regarde ailleurs : cette hausse du prix de l’énergie est insoutenable pour tous les acteurs du ferroviaire, » alerte Raphaël Doutrebente, Président de la commission Fret de l’AFRA et Président d’Europorte. « Certains opérateurs nous font déjà remonter une situation financière préoccupante et craignent de ne rapidement plus être en mesure de payer leurs factures d’électricité à SNCF Réseau. Nous appelons donc à une renégociation immédiate des contrats pour revenir à un prix de l’énergie soutenable. » L’énergie représentait déjà 20% des coûts des opérateurs. Alors que le ferroviaire est un mode énergétiquement sobre – il consomme 6 fois moins d’énergie que la route – et que son principal atout est sa traction électrique, le gouvernement n’a pas prévu de dispositif d’aide adapté pour soutenir le ferroviaire dans cette crise conjoncturelle.
(Sources : AFRA – France) 🟧 [Retour à la page France et à la page Énergie]

Europe – Une étude confirme la valeur ajoutée de la grande vitesse pour l’Europe – Une étude confirme que l’investissement dans un réseau européen complet de TGV apporte une valeur ajoutée à la société européenne et réduit massivement l’empreinte environnementale du transport européen de passagers, créant ainsi une mobilité durable et équitable.
Ce rapport, rendu public fin janvier dernier, présente les principales conclusions qui sous-tendent la mise en place d’un réseau européen de trains à grande vitesse (TGV) reliant les principales villes et régions européennes, en combinant les investissements dans la construction de nouvelles lignes TGV et dans la numérisation des lignes existantes, par le biais de l’ERTMS.
Il confirme que l’investissement dans un réseau européen complet de TGV apportera une valeur ajoutée à la société européenne et réduira massivement l’empreinte environnementale du transport européen de passagers. Le rapport propose un plan directeur pour un réseau de TGV reliant toutes les capitales et grandes villes de l’UE et appelle la Commission et les États membres à une mise en œuvre coordonnée avec un financement suffisant au cours des prochaines décennies.
(La suite est à lire sur Railtech.be) 🟧 [Retour à la page Infrastructures et à la page Grande vitesse]

Grandes lignes
République tchèque – RegioJet commande 13 locomotives TRAXX supplémentaires chez Alstom – Malgré ses plaintes relatives aux délais de livraison, RegioJet a annoncé qu’il avait signé un contrat avec Alstom pour 13 Traxx MS 3 supplémentaires. Certaines de ces locomotives devront permettre l’opérateur d’exploiter ses services en République tchèque et le trafic vers la Slovaquie, la Hongrie, l’Autriche et la Pologne (l’une des Traxx assure régulièrement un train de Prague à Przemyśl). Les chaudrons sont en cours de construction dans l’usine polonaise d’Alstom à Wrocław.
Des délais trop longs – On se souvient que RegioJet avait commandé ses premières locomotives Traxx MS3 en mars 2019, chez ce qui s’appelait à l’époque Bombardier. Deux des 15 locomotives multi-systèmes n’ont été réceptionnées par l’opérateur que fin 2020. Fin 2022, les livraisons de cette première tranche n’étaient toujours pas terminées et le chef de RegioJet avait exprimé son désir de mettre fin à la coopération avec Alstom, qui a repris le pôle locomotives TRAXX de Bombardier. Alstom doit maintenant gérer un des problèmes qui ternissaient la réputation de l’ex-constructeur canadien. Radim Jančura, CEO et propriétaire de RegioJet, a expliqué que « la capacité des Traxx à réaliser des économies d’énergie de l’ordre de 5 à 7 % par rapport à d’autres matériels de traction a convaincu RJ de faire cet achat. On a pu le vérifier par nous-mêmes. »
Création d’un pool leasing – Une partiede cette commande ira au pool de matériel roulant que RegioJet vient de décider de créer. L’opérateur compte augmenter ses revenus en louant des locomotives multi-systèmes à d’autres opérateurs, notamment des opérateurs de fret. Radim Jančura affirme que l’investissement dans le renouvellement de la flotte de matériel de traction constitue un « objectif à long terme » pour l’entreprise. Le parc complet au 7 février 2023 comptait 18 Traxx MS3 de la dernière génération et de quatre machines MS2. La livraison des véhicules est prévue pour l’automne 2024.
Regiojet prévoit également de développer son activité de fret ferroviaire international après avoir lancé son service inaugural bihebdomadaire entre Prague et Keckskemét, en Hongrie, en 2022.
(Source : Rynek Kolejowy) 🟧 [Retour à la page République tchèque]

Norvège – Alstom fournira 25 trains régionaux Coradia Nordic supplémentaires à Norske tog en Norvège – Norske tog a attribué à Alstom un nouveau contrat de plus de 230 millions d’euros pour la fourniture de 25 rames régionales de six voitures Coradia Nordic supplémentaires qui devraient entrer en service à partir de 2027. Ces nouvealles rames régionales « Class 77 » de Norske tog assureront un service de navette et de train rapide entre Ski et Stabekk dans la grande région d’Oslo. L’expansion de la flotte de trains permettra d’améliorer les services de transport dans toute la région très fréquentée. « Nous sommes impatients de recevoir 25 trains supplémentaires d’Alstom afin d’améliorer la capacité et les services aux passager », a déclaré Øystein Risan, PDG de Norske tog AS.
Il est important de rappeler qu’en Norvège, c’est une société d’État, Norske Tog, qui achète les trains pour ensuite les relouer. L’état norvégien garde ainsi la maîtrise du matériel roulant et de son financement. Les trains Coradia Nordic destinés à Norske tog ont été spécialement adaptés aux besoins du réseau ferroviaire norvégien et sont parfaitement adaptés aux conditions climatiques norvégiennes. Les nouveaux trains ont une vitesse maximale de 200 km/h, ce qui garantit un trajet rapide et confortable dans un environnement spacieux et relaxant. Chaque rame sera composée de six voitures à un étage. Les trains seront équipés du système de signalisation numérique ERTMS d’Alstom, un système de signalisation embarqué de norme européenne qui assure aux trains des mouvements sûrs en continu et une protection contre la survitesse. Cette architecture de signalisation en cabine évite au conducteur d’avoir à lire les signaux latéraux et fournit un ordinateur de sécurité embarqué qui prévient les actions du conducteur en cas de conditions dangereuses. Les trains seront donc capables de circuler à la fois sur les voies équipées du système de signalisation norvégien et sur les nouvelles voies équipées du système ERTMS en cours de déploiement.
Le Coradia Nordic est une rame électrique à plancher bas de dernière génération et à hautes performances. Le train standardisé est une plate-forme unique et polyvalente qui répond aux exigences du transport régional et interurbain. Une conception modulaire permet aux opérateurs de choisir la configuration et l’intérieur qui conviennent le mieux à leur marché et à leur stratégie commerciale. La plate-forme offre des solutions sans émissions telles que la batterie ou l’hydrogène pour les lignes non électrifiées. En outre, l’approche durable d’Alstom en matière de services prend en compte l’ensemble du cycle de vie du produit, de la conception initiale à la fin de vie, ce qui permettra de maximiser la valeur des actifs de Norske tog.
Alstom assemblera les trains pour Norske tog sur son site de Salzgitter, en Allemagne. Plusieurs sites français d’Alstom sont impliqués dans le projet, notamment Tarbes pour les systèmes de traction, Ornans pour les moteurs, Villeurbanne pour les systèmes de signalisation et Petit-Quevilly pour les transformateurs électriques. Norske tog AS est détenue par le ministère norvégien des transports et des communications. La société achète, possède et gère du matériel roulant pour le transport de passagers par train en Norvège.
(Source : Alstom) 🟧 [Retour à la page Norvège et à la page Grandes lignes]

Infrastructures
Espagne – Un chantier ferroviaire pas comme les autres : le Y-Basque – La nouvelle ligne à grande vitesse Vitoria – Bilbao – San Sebastian – frontière française, en réalité appelé Y-Basque, fait partie de la branche atlantique du projet prioritaire n° 3 de l’Union européenne, et concerne en territoire espagnol la ligne Madrid – Valladolid – Vitoria – frontière française. L’occasion de faire le point sur ce long chantier. En Espagne, cette ligne reliera les trois capitales de la Communauté autonome basque et rapprochera le Pays basque du reste de la péninsule et de la France. En outre, la nouvelle infrastructure ferroviaire sera reliée à Pampelune par le « Corredor Navarro ». Dès sa mise en service, les temps de trajet en train seront considérablement réduits pour les trois capitales basques. On peut ainsi compter que le temps de trajet entre Vitoria-Bilbao et Vitoria-San Sebastián sera réduit d’environ 60 %, et de 80 % pour la liaison Bilbao-San Sebastián. Les travaux avancent, certains ouvrages d’art terminés n’attendent plus que les rails, mais le projet a pris des années de retard tout en étant sujet à de multiples dates d’ouverture. Près de 41 ans se seront écoulés depuis qu’Abel Caballero, aujourd’hui maire de Vigo, lorsqu’il était ministre, a commencé à parler du « Y basque » et deux décennies se sont déjà écoulées depuis que la première pierre a été posée.
(La suite est à lire sur Mediarail.be) 🟧 [Retour à la page Infrastructures]

Services de fret
Grande-Bretagne – Des petits colis de retour dans les trains – Varamis Rail, le plus récent opérateur ferroviaire du Royaume-Uni, a collaboré avec Network Rail, Eversholt, Steer Consultancy et d’autres partenaires du secteur de la logistique pour lancer un service de transport de colis.
Ce service, lancé le 9 janvier, circule entre l’Écosse et Birmingham du lundi au vendredi et est destiné aux détaillants et aux sociétés de livraison tierces. Le but est donc de livrer des colis en réception jour A – livraison jour B, c’est-à-dire en saut de nuit.
De son côté, InterCity RailFreight (ICRF), présentait lors d’un congrès à Birmingham une solution de transport de petits colis à l’aide des espaces libres de certains intercity voyageurs. Les colis sont réceptionnés à même le quai par son propre personnel.
Le service « hub and bespoke » d’ICRF a permis de transporter des marchandises aussi diverses que des fournitures médicales et des fruits de mer de première qualité par train jusqu’à des gares de voyageurs pour les livrer par des moyens à faible émission de carbone (souvent des vélos-courriers) à destination des clients dans des hôpitaux et des lieux d’accueil haut de gamme.
Pour Varamis, Eversholt Rail a converti des automotrices Class 321 en les vidant de leurs sièges, afin de leur permettre de transporter des marchandises, tandis que Network Rail a fourni les licences d’exploitation, les contrats et les sillons nécessaires à l’exploitation du service.
Ces travaux sont réalisés par Gemini à Wolverton et furent achevés à la fin de l’année 2022. Les négociations se poursuivent avec plusieurs autres opérateurs, dont Orion, concernant ces trains et les baux seront conclus dans les mois à venir.
(La suite est à lire sur Railtech.com) 🟧 [Retour à la page Intermodal]

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La prochaine livraison aura lieu le 23 mars 2023

L’Europe et la libéralisation ferroviaire : comment en est-on arrivé là ?


19/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Comment se fait-il que l’économie publique et la planification, qui disposaient après l’après-Seconde Guerre mondiale d’une assise politique puissante en Europe, ne soit pas parvenue à être au cœur du projet européen ? Ou pour le dire autrement, pourquoi l’économie marchande a finalement pris le dessus, y compris en matière ferroviaire ?

C’est une question qui mérite une réponse un peu longue, sous un angle historique.

L’économie publique en recul ?

Plusieurs éléments historiques sont à prendre en compte si on veut comprendre le cheminement qui a mené à la situation actuelle.

La première chose à retenir est ce rappel énoncé en France dans le « Rapport sur les obstacles à l’expansion économique » (1959), où les auteurs expliquent qu’au cours de la guerre de 1914-1918 ou dans les années qui suivirent, et notamment au cours de la période d’inflation de 1920 à 1926, apparut une série de dispositions par lesquelles l’État (français) intervint dans les rapports de droit privé et réglementa certains échanges économiques. 

Après la Seconde guerre mondiale, les exigences de la reconstruction économique et de la lutte contre une inflation persistante ne devaient pas remettre en cause ces dispositions des années 1920. Cela expliquerait en partie pourquoi la France, comme d’autres pays, a tendu une oreille attentive à la planification étatique, laquelle promulguait de nombreuses contraintes.

Ces contraintes étaient encore soulignées dans le rapport de 1959, lequel constatait que « le principe de la liberté du commerce et de l’industrie et plus généralement des activités professionnelles subit aujourd’hui de nombreuses limitations, dont certaines ne paraissent plus motivées par des considérations d’intérêt général (…) il est aisé de constater qu’en fait certaines législations ou réglementations économiques ont actuellement pour effet, sinon pour but, de protéger indûment des intérêts corporatifs qui peuvent être contraires à l’intérêt général. » 

Cette volée de bois vert envers certaines dispositions de l’étatisme à la française indique déjà ce qui va suivre. Car dans les autres pays, le constat est à peu près le même.

La seconde chose à rappeler est l’existence, au sortir de la Seconde guerre mondiale, de deux nébuleuses précocement investies dans la construction européenne :

  • celle de l’économie d’entreprise ;
  • et celle de l’économie publique.

La troisième chose est l’observation d’une structuration progressive d’une mouvance de l’économie d’entreprise (dite néo-libérale) en Europe, laquelle prit racines sur une période allant des années 30 à la création par l’économiste autrichien Friedrich Hayek de la Société du Mont-Pèlerin en 1947 (photo). L’une des principales forces de cette mouvance fut de parvenir à fédérer des personnes au-delà des cénacles libéraux traditionnels, et donc à s’étendre. L’idée phare était de contrer l’idéologie planiste en pleine expansion depuis au moins les années 1930 et qui tendait à prévaloir dans les entreprises publiques.

D’autres éléments interviennent aussi dans le nouveau monde d’après-guerre. Jean Finez rappelle la lente pénétration des idées « modernisatrices » au sein de l’administration et l’extension de l’aire d’influence du ministère des Finances, véritable maître du jeu, en France comme ailleurs en Europe.

Pour preuve de cette lente financiarisation de l’administration, les États vont être obligé d’établir petit à petit un bilan et un compte de résultat à la manière des entreprises. Cela deviendra la règle plus tard dans la plupart des 190 pays membres de l’ONU afin d’avoir des éléments de comparaisons. Or, rien de tel que des chiffres pour comparer.

Une autre forme de « modernisation » est décrite par Catherine Vuillermot qui explique les missions d’études envoyées aux États-Unis par EDF après la seconde guerre mondiale. À cette époque, cette icône industrielle française était à la recherche de références managériales. Les rapports de mission, s’ils s’enthousiasmèrent pour les États-Unis, doutaient cependant de la possibilité de transposer en France les méthodes américaines. Pour autant, l’imprégnation du modèle américain s’opèra à petit pas, contribuant ainsi à faire pénétrer un modèle managérial plus conforme à l’économie de l’entreprise.

Enfin, et ce n’est pas à sous-estimer, la partition de l’Europe d’après-guerre en deux blocs idéologiques a certainement renforcé les antagonismes et encouragé l’idée d’un rejet du communisme, voir même d’une idéologie à combattre, malgré un environnement politique français bien spécifique où le parti communiste était devenu un acteur incontournable de la vie publique de l’hexagone.

Experts reconnus internationalement, des économistes ont joué un rôle clef, expliquant en partie la prééminence accordée au volet économique de la construction européenne

Mouvance néo-libérale, combat contre le communisme, financiarisation de l’administration, normes comptables, nouvelles références managériales et interrogations sur l’économie planifiée, à chacun de ces moments charnières, des économistes ont joué un rôle clef. Experts reconnus internationalement, les rénovateurs du libéralisme purent s’activer en première ligne des mouvements européens. Tout ceci peut en partie expliquer les difficultés de la mouvance de l’économie publique à faire entendre sa petite voix à la naissance de l’Europe.

La prééminence accordée au volet économique de la construction européenne sur une Europe politique peut aussi s’expliquer aussi après l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954, un sujet trop sensible et régalien. Se tourner vers l’économique sembla alors plus « plus simple » pour trouver un consensus.

Vers un Marché commun

Après l’échec de la CED en 1954, le Comité intergouvernemental de Bruxelles de juillet 1955 (six pays) propose 4 axes : « poursuivre l’établissement d’une Europe unie par le développement   d’institutions communes, fusion progressive des économies nationales, création d’un marché commun et harmonisation progressive de leurs politiques sociales. » Le socialiste belge Paul-Henri Spaak (photo) est chargé d’un rapport.

Dans ses mémoires, l’allemand Hans von der Groeben, l’un des rédacteurs du traité de Rome, aurait ainsi expliqué que « si l’on rassemble les objectifs fixés dans ce traité et les instruments donnés, sous forme de règles et d’institutions […], il apparaît que toutes les caractéristiques essentielles d’un système d’économie de marché sont réunies »

La France est alors sur la défensive à un moment où elle subit des difficultés économiques importantes sur fond de guerre coloniale en Algérie. La position française voyait l’école libérale comme une modalité assez mineure de la politique économique et exprima son fort scepticisme. Le ministre socialiste des Finances et des Affaires économiques de l’époque, Paul Ramadier, reprocha au rapport Spaak « d’aller à l’encontre du modèle français d’économie collective associant secteur nationalisé, planification et protectionnisme assumé. » Deux visions socialistes se font face…

Françoise Melonio, de son côté, analysait au Figaro que « la dénonciation du «grand méchant marché» est un lieu commun politiquement (…) les Français, aujourd’hui comme hier, se méfient du marché, s’inquiètent des conséquences sociales de l’individualisme radical (…) Cette dénonciation française de l’individualisme lié au monde de l’argent vient des contre-révolutionnaires et des catholiques, et se trouve reprise par les premiers socialistes. La tradition anglo-américaine, protestante, est très différente: le mot «individualisme» en anglais est d’emblée positif, les Américains valorisent l’héroïsme entrepreneurial

Pour la doctrine française, l’intérêt général est le socle de la République et le point d’intersection entre République et service public

Pour la doctrine française au contraire, l’intérêt général est le socle de la République et le point d’intersection entre République et service public. République et service public, catégories de pensée d’emblée laïque, y trouvent leur légitimité et leur finalité. Si le service public dépasse, aux yeux de certains experts, l’espace proprement français pour figurer « au niveau européen » c’est qu’il compte parmi « des valeurs qui sont inhérentes à notre civilisation », principalement « l’intérêt général » et « la solidarité ». 

Denord et Schwartz rapportent plus fondamentalement que l’administration française ne semblait pas prête à renoncer au rôle directeur de l’Etat dans l’économie. Une partie notable des dirigeants administratifs et politiques estimait que la France n’était pas en mesure de soutenir une libéralisation incontrôlée des échanges – et  qu’elle  n’y  avait  pas nécessairement intérêt.  Son industrie aurait manquer de compétitivité, en raison notamment du niveau important de la protection sociale.  

Cette conception des choses entretenue depuis la Seconde guerre mondiale aura probablement mis la France en porte-à-faux par rapport aux cinq autres fondateurs.

Mais les choses évoluèrent dès 1956 avec l’arrivée au pouvoir en France des « modernisateurs », associés à Jean Monnet (photo, assis à droite, en compagnie de Robert Schuman, président du Mouvement européen de 1955 à 1961). Ils font du marché commun un outil de rationalisation à grande échelle. Ils comptent notamment de « faire de la France un État moderne à un niveau de vie élevé », mais aussi « d’ouvrir largement les fenêtres [de la France] sur le monde ». L’alignement sur les concepts des autres pays voisins devînt alors un chemin obligatoire…

Le Traité de Rome fut finalement signé par six pays fondateurs, dont la France, le 25 mars 1957.

SNCF-TEE-TGV

Cependant, on remarqua rapidement que le principe de la supériorité du droit européen sur le droit national ne fut pas respecté en pratique, principalement parce que la mise en œuvre du programme politique inscrit dans le traité pouvait se heurter à la prépondérance des rapports de forces politiques et sociaux nationaux. « En somme, rien n’était joué dans le traité, et tout restait ouvert pour les partisans de ces ‘projets européens’ dont l’antagonisme s’affirma très tôt », reprennent Denord et Schwartz.

Les chemins de fer nationalisés, de leur côté, se sentent encore à l’écart de ce mouvement européen, tant leur politique sont le reflet de leur État respectif, en dépit de transformations internes avec les électrifications, la fin de la vapeur et la redoutable concurrence de l’automobile. Le secteur ferroviaire était considéré à l’époque comme stratégique, mais se présentait déjà comme trop réglementé, trop cloisonné, trop bloqué par l’histoire et les mentalités, rappellera bien plus tard Hubert Haenel au Sénat français. 

Les cheminots, au travers de l’UIC et par exemple du lancement des Trans Europ Express, ont pu faire valoir leur apport à l’Europe, la réalité démontrait que seuls les voitures à voyageurs et les wagons de marchandises traversaient les frontières, mais pratiquement jamais les conducteurs ni les locomotives, à part quelques cas résiduels avec les premiers TEE ou sur Paris-Bruxelles

La lente prééminence de l’économie dans les décisions de la politique ferroviaire

La prééminence de l’économie dans les administrations ferroviaires devînt une évidence au tournant des sixties. Louis Armand, patron de la SNCF de 1955 à 1958, puis de l’UIC dans les années 60, l’écrivit lui-même dans ses mémoires : « les chemins de fer nationalisés n’avaient pas toujours retrouvé le même niveau de rendement, le même allant que ceux de l’entreprise dont ils sortaient », allusion au PLM devenu, avec d’autres, une SNCF nationale « beaucoup plus complexe à gérer ». 

L’élément économique apparait aussi. Dans sa première plaquette  « L’Exploitation de la SNCF en 1949 d’après les données statistiques », Louis Armand met en exergue la quantification de la modernisation des engins en traction, modernisation qui se répercute bien évidemment sur la productivité du personnel de conduite et d’entretien, mais aussi sur d’autres facteurs. Cette idée pouvait trouver un écho favorable au travers d’une mouvance nationale qui tournait autour de l’ingénieur-économiste Maurice Allais, lequel exprima l’idée que rien n’interdisait à l’État de stimuler le marché dans les entreprises dont il a la propriété. Il proposa de « soumettre les entreprises nationalisées au même régime de concurrence que les entreprises privées dans des conditions d’égalité et leur appliquer strictement les mêmes règles de gestion ». Nous sommes à peine dans les années 50…

L’ingénieur-économiste Maurice Allais exprima l’idée que rien n’interdisait à l’État de stimuler le marché dans les entreprises dont il a la propriété

En Grande-Bretagne, un papier du Center for Economic Performance indiquait que le principal facteur motivant déjà – 15 ans à peine après sa nationalisation en 1947, une réduction drastique du rail britannnique (les fameuses « coupes Beeching »), était la réponse à la situation financière désastreuse de British rail, qui subissait des pertes de plus de 100 millions de livres par an au début des années 1960 (soit 2,53 milliards d’euros d’aujourd’hui…)

Les raisons de ces pertes britanniques sont complexes, explique le document : elles étaient en partie dues à l’évolution de la demande, qui s’était déplacée vers les bus et le transport routier. Elles étaient en partie dues à l’échec des programmes de réinvestissement et à une mauvaise gestion, et elles étaient en partie dues à un héritage du développement du réseau au cours du 19e siècle, qui avait entraîné une offre excédentaire de lignes et de gares. En fin de compte, au cours de la période 1950-1980, 42 % des lignes (environ 13.000 km sur 31.000 km) et près de 60 % des gares britanniques (3.700 sur 6.400) ont été fermées. 

À la même période, la Belgique démantelait l’ensemble de son réseau secondaire vicinal, pour des raisons analogues. Des exemples similaires se sont produits un peu partout en Europe, dans une certaine indifférence où l’idée germait qu’à l’avenir, le rail n’aurait plus comme mission que d’exploiter quelques grands axes.

Ces exemples démontrent que la doctrine économique n’est pas « un truc survenu à l’époque Thatcher » mais quelque chose qui a germé bien plus en amont. Cela remet en perspective la fameuse maxime « c’était mieux avant ». Mais de quel « avant » parle-t-on, au juste ?

Où sont les défenseurs de l’économie publique ?

Dans l’intervalle, la mouvance de l’économie publique se heurte à l’impossible constitution d’un réseau de groupes de soutien et de coopération. Quoique cette mouvance jouisse du soutien d’un ensemble de groupes d’acteurs bien insérés dans les premiers réseaux européens, elle ne dispose toutefois pas d’une assise sociale et cognitive suffisamment solide. Il y a une raison à cela.

La mouvance néo-libérale avait utilisé des recettes de lobbying ayant servi jusqu’alors utilement la cause des entreprises privées dans l’espace européen. Florence Autret rappelle ainsi que l’Allemagne, actrice historique de l’intégration européenne, a exporté à Bruxelles son propre mode de fonctionnement. Plus tard, la Grande-Bretagne fera de même.

En Allemagne, les entreprises et leurs représentants sont constamment sollicités par les autorités publiques à l’appui des politiques de régulation. Or cela heurte la tradition française qui veut que l’expertise soit réputée intégrée à l’administration  de  l’Etat,  via les fameux énarques qui intègrent les « Grands Corps » ou les rouages de la haute administration française.

Autant le « lobbying » est tabou en France, autant il constitue pour d’autres pays, un rouage naturel et essentiel de l’économie sociale de marché. En Allemagne, les entreprises – via les structures qui en émanent – participent directement et activement à l’action politique et sociale.

Le lobbying a donc été exporté à Bruxelles et la participation des groupes d’intérêt à la conception et à l’élaboration des politiques européennes est plus que tolérée, elle est même bienvenue.  La question demeure alors d’expliquer pourquoi la mouvance de l’économie publique n’a pas su utiliser les mêmes outils pour imprégner les instances européennes.

La (trop) longue période de mise en place et de consolidation du Marché commun entre 1958 et 1986 aurait permit une imprégnation juridique silencieuse et feutrée de l’économie de marché

Une autre explication à cette difficulté est plus sournoise. La (trop) longue période de mise en place et de consolidation du Marché commun entre 1958 et 1986, où peu de directives venaient chatouiller les politiques nationales, a été propice pour renverser le paradigme. Cette période de latence (ou de carence pour certains), quasi 30 années de somnolence, aurait permit une imprénation juridique silencieuse et feutrée de l’économie de marché dans tous les rouages politiques, ce qui aurait échapper à la vigilance des autorités nationales. Cette révolution aurait progressivement érigé l’économie publique en « problème » plutôt qu’en solution, et cela aurait permis de créer les conditions d’une profonde transformation amorcée dans le courant des années 1980, plutôt favorable à l’école de l’économie de marché.

Démunis sur le plan du lobbying, les partisans européens de l’économie publique échouèrent aussi faute d’un accord historique entre leurs divers représentants, et n’y parvinrent que bien tardivement dans les années 1980 sous l’impulsion d’acteurs gravitant notamment au sein de gros groupes publics et du Centre européen de l’entreprise publique (CEEP), devenu par la suite SGI Europe.

Le monde ferroviaire, terriblement nationaliste, avait toutes les peines du monde à pénétrer les rouages de l’Europe. Ainsi naquit en 1988 la CCFE, la Communauté des chemins de fer européens, devenue en 1998 la CER. Il s’agissait à l’origine d’un regroupement de 12 entreprises historiques qui fut un moment qualifié par ses détracteurs « d’ambassade de la SNCF et de la DB » au sein de l’Europe. Aujourd’hui, la CER représentent environ 71 % des kilomètres ferroviaires, plus de 76 % du fret ferroviaire et environ 92 % du transport de voyageurs au travers de 70 membres.

L’enjeu de ces deux « lobbies » – car il faut bien les appeler comme cela -, reste la promotion du secteur public dans les politiques européennes.

Les parlementaires européens allemands étant les plus nombreux dans l’hémicycle européen, ils furent parmi les plus actifs (avec les Britanniques) et les plus réputés pour leur professionnalisme, leur assiduité, mais aussi leur grande proximité avec certains intérêts économiques. Ils purent ainsi imprégner plus facilement les législations de l‘Europe de leur empreinte. La proximité idéologique des Pays-Bas, nation marchande, et de la Scandinavie n’a fait que renforcer cette tendance.

Alignement définitif sur le privé ?

L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en juin 1981 a pu faire croire que la France pourrait faire contrepoids à la Grande-Bretagne de Thatcher et à l’Europe du nord trop vite qualifiée de « libérale ». Mais contre toute attente, en fervent européen, François Mitterrand s’employa plutôt à relancer l’Europe main dans la main avec son « ami » d’outre-Rhin, Elmut Kohl. Ensemble, ils entraînèrent leurs partenaires européens sur la voie de la monnaie unique et de l’union politique, inscrites toutes deux dans le traité de Maastricht de 1992.

La décennie de l’avènement du Marché unique entre 1987 et 1997 peut être considérée comme un processus de convergence forcée de l’économie publique sur les conceptions managériales de l’entreprise privée, avec une législation qui prend la forme consolidée d’un acquis communautaire, articulé autour de la perspective d’une union douanière fondée sur l’économie de marché libre

La décennie de l’avènement du Marché unique entre 1987 et 1997 peut être considérée comme un processus de convergence forcée de l’économie publique sur les conceptions managériales de l’entreprise privée

Cet épisode est à mettre en parallèle avec l’instauration progressive du « New Public Management » au sein des administrations, une école managériale qui regroupe de façon protéiforme des réformes de l’Etat très variés conduites dans les pays de l’OCDE au cours des années 80-90 par des gouvernements désireux de réduire les dépenses publiques. Car le maître mot est désormais là : maîtriser les dépenses publiques pour ne plus revivre les horreurs des années 70 et 80, avec ses crises, l’inflation et ses politiques de dévaluation monétaire.

Le New Public Management percola dans les années 90 dans les pays dont les cultures politiques pouvaient l’admettre, Suède, Allemagne, Pays-Bas en tête puis plus tard l’Italie et d’autres pays. L’alignement sur les concepts managériaux du secteur privé se fit petit à petit et parfois dans la douleur, mais toujours avec une forte conviction. Même si les entreprises ferroviaires restèrent à capitaux publics, elles devaient obéir aux règles du droit privé et calquer leur gestion sur celle des entreprises privées. Ainsi, l’introduction d’impératifs de rentabilité, d’approches principalement financières, ou encore de critères de performance transformèrent en profondeur les modes d’intervention publique, explique Louise Gaxie

Ces impératifs furent les arguments qui permirent de construire la réforme du rail en Allemagne au début des années 90. Dans une magnifique thèse, Sonia Lemettre revient sur la dialectique utilisée à la fin des années 80 pour justifier la réforme de la Deutsche Bahn. Elle évoque « la dramatisation de la situation des chemins de fer et de l’évolution de la dette ferroviaire [qui ont] été l’un des ressorts rhétoriques principaux des argumentations portées par les acteurs ayant élaboré cette réforme. Le terme de ‘nécessité’ revient souvent dans les documents d’époque », explique-t-elle. Cette dialectique a été fortement utilisée par le Cercle de Kronberg et le Verkehrsforum Bahn, ce dernier ayant été directement impliqué dans les débats sur la réforme ferroviaire allemande. Un discours qui se renforca à mesure qu’il convainquit et qui était porté par de nouveaux acteurs.

Les conséquences de ces discours qui « exigent une transformation » de l’entreprise publique ont provoqué une refonte importante de l’architecture institutionnelle des opérateurs ferroviaires historiques. Y compris en France. Rémi Brouté et Jean Finez rappelaient par exemple au colloque de Bourges que « l’organigramme du groupe SNCF a petit à petit été calqué sur les logiques marchandes de notre époque, en tant que politique de valorisation du capital ». Une manière de rappeler les anciennes idées – finalement concrétisées -, de découpage du rail en départements plus ou moins indépendants pour mieux cerner les coûts et mesurer les subsides à accorder le cas échéant. Une logique marchande qui fait encore beaucoup de bruit de nos jours, alors que le train n’est pas une fonction régalienne…

Les Anglais avaient déjà montré la voie bien en amont, quand en 1986 British Rail fut découpé en départements (ci-contre). Avec humour, les anglais expliquent que ces découpages voulus sous le règne de Robert Reid « ont permis aux ingénieurs et aux spécialistes du marketing d’acquérir un nouveau sens de l’identité. » Tout restait BR mais tout était géré séparément. Non pas dans une optique de vente, mais d’efficacité.

Au fond, ce n’était jamais que l’application concrètes des idées déjà émises en France à la fin des années 60 et en Belgique au début des années 90, quand on parlait de « groupe », donc de découpages. En Italie, la poussiéreuse administration FS deviendra elle aussi une société par action dès 1991. La même année en Belgique, sans devenir une holding, la vieille SNCB devenait une « SA de droit public », régime inconnu jusque là.

L’Allemagne transforma ainsi la Deutsche Bahn dès 1994 en holding. La réforme juridique s’était accompagnée à l’époque d’un allégement inédit de la dette par le gouvernement fédéral, qui s’élevait en 1993 à l’équivalent de 34 milliards d’euros d’aujourd’hui. En 1999, les CFF suisses cessaient d’être une régie fédérale et devenaient, comme en Belgique, une « SA ».

Mais la sectorisation a aussi donné lieu à un éclatement du lobbying ferroviaire, lequel est maintenant représenté par une quinzaine de groupes au poids d’influence varié. En face, aviation et secteur automobile déplacent des montagnes en lobbying et ne parlent qu’une seule langue…

Logique capitaliste ou compartimentage pour mieux cerner les besoins ? A chacun de se faire son opinion. Il aura cependant fallu près de 30 années et 4 paquets législatifs pour réorganiser l’ensemble du secteur ferroviaire et définir ce schéma type qui définit ce qui doit être subsidié et ce qui peut vivre de ses propres recettes, le choix étant politique :

SNCF-SNCB-politique

Et le service public ferroviaire dans tout cela ?

Sans entrer dans des détails pompeux, il faut comprendre avant tout que la notion de service public n’a pas de fonction juridique spécifique dans de nombreux pays européens à la différence du droit français. Pour illustrer, citons John Bell et T. P. Kennedy qui constatent du « côté français une construction doctrinale et jurisprudentielle riche et complexe (sinon byzantine), alors que du côté de la common law britannique, sur le plan formel, c’est presque le vide juridique ».

L’approche allemande est aussi originale. L’expression « öffentlicher Dienstest » est une notion à contenu précis en droit administratif allemand qui ne fait pas référence à une activité administrative mais à une relation juridique, à savoir celle du personnel du secteur public avec son employeur, l’administration publique. Cette “fonction publique” peut être exploitée par n’importe quelle entreprise, à l’exception des fonctions régaliennes. Cela indique que l’exploitation ferroviaire n’est pas une fonction régalienne en Allemagne, pas plus d’ailleurs qu’en Europe. Les chemins de fer ne relèvement pas stricto sensu de la fonction publique mais du « secteur public », ce qui est très différent.

Toutes ces interprétations ont fort probablement percolé lors des laborieuses rédactions des directives européennes, et notamment celles relatives au service public ferroviaire.

Les premiers textes concernant la définition du service public, en application de l’article 77 (article 73 aujourd’hui) du Traité, remontent à 1965. Un premier règlement en 1969 précise les notions et définit les obligations de service public. Ces notions ont évolué en 1996 puis en 2007. 

Selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), les règles de la concurrence et du marché intérieur s’appliquent aux entreprises définies comme : « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de financement » (arrêt Höffner, 1991). Par ailleurs, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné. » 

Ces définitions très larges font entrer la très grande majorité des services publics dans la catégorie des services d’intérêt économique général, donc potentiellement soumis aux règles de la concurrence, dont le secteur ferroviaire.

Sur ce plan-là, certains pays ont été plus proactifs que d’autres, avec des résultats positifs. La période actuelle est celle de la délégation de service public pour les transports régionaux ou même certaines liaisons à plus longue distance. Les pays de plus petites tailles, comme ceux du Benelux ou le Danemark, ont logiquement attribué directement à leur opérateur historique les missions ferroviaires régionales.

Le service public est-il mort ? Certainement pas. Ce sont les autorités publiques elles-mêmes qui réalisent le périmètre du service public et peuvent décider d’en confier la gestion à des personnes privées. La maîtrise publique concerne aussi le financement de l’exploitation et le pouvoir de décider de rendre l’accès gratuit ou payant, se réservant un pouvoir d’homologation des tarifs maxima et, parfois, un pouvoir de fixation directe.   

Mais s’il y a une grande différence entre le XXème et le XXIème siècle, c’est que le transport ferroviaire ne pouvait plus être ce club fermé de techniciens de jadis, qui fabriquait sa propre vie et ses propres boulons. Exploité par contrats, le rail est scruté de partout, ce qui l’oblige à une certaine rigueur dans la consommation des deniers publics – et pour les nouveaux entrants, à démontrer qu’on peut faire mieux avec moins, ou “faire du train autrement.” Les contrats ont l’avantage de la transparence, mais ont entraîné une inflation bureaucratique liée au contrôle de leur bonne exécution.

À qui tout cela profite ?

Un gain pour les politiciens locaux. Karl-Peter Naumann, président honoraire de l’association de voyageurs allemande « Pro Bahn » expliquait ainsi en 2019 que depuis que « la responsabilité du transport régional a été transférée aux Länder, de manière globale, le transport régional est la réussite de la réforme ferroviaire. Beaucoup plus de passagers voyagent dans les transports régionaux. L’offre s’est nettement améliorée car elle n’est plus planifiée de manière centralisée par une autorité fédérale. Maintenant c’est gérer localement. » Une opinion en droite ligne avec le phénomène de régionalisation qui s’est emparé, à des degrés divers, d’une grande partie de l’Europe. Bien évidemment, cette régionalisation n’est possible qu’avec une structure institutionnelle ad-hoc et les flux financiers qui l’accompagnent. Dans certains pays, les régions n’ont aucune compétence rail. À ce titre, la Belgique est l’exemple contraire aux trois autres pays qui lui ressemblent, la Suisse, les Pays-Bas et le Danemark…

Un gain pour les opérateurs historiques. Cela peut paraître curieux et pourtant. La SNCF règna sur le Benelux depuis longtemps avec ses Trans Europ Express, puis avec l’Eurostar dès 1994 et Thalys dès 1996. La prochaine fusion des deux porte toujours clairement la marque SNCF. Il en est de même pour Lyria, où les suisses semblent uniquement faire partie du décor. Enfin la récente rupture de la coopération Elypsos (SNCF/Renfe) est encore une initiative de Paris. L’économie d’entreprise semble convenir à merveille à la grande maison française, qui ne cache plus ses besoins d’expansion à l’étranger. Et on s’en réjouit…

L’Espagne est devenue depuis peu le terrain de jeu d’opérateurs multiples, dont la SNCF, avec certes une formule « encadrée » pour préserver l’opérateur historique Renfe. Jusqu’ici cela semble fonctionner. En Italie, cela fait un bon bout de temps que Trenitalia ne conteste plus l’arrivée d’un concurrent sur « ses terres ». Le groupe public italien semble ainsi requinqué et se répand maintenant en France et en Espagne, en solo ou avec un partenaire, et dispose d’une stratégie pour l’international.

En Allemagne, l’éléphant Deutsche Bahn ne semble pas avoir été terrassé par le caniche Flixtrain qui opère ses trains verts outre-Rhin, tandis que les ÖBB ont pu répandre à plus de 1000km autour de Vienne un étonnant savoir-faire avec le marché de niche des trains de nuit.

En définitive, les quelques succès d’entrepreneurs privés ne semblent pas menacer une seconde les opérateurs nationaux qui s’accommodent finalement fort bien de la politique européenne. Tout cela avec des deniers publics et la bénédiction des tutelles politiques respectives.

Au final

Ce long papier avait pour but de montrer la lente progression des idées de l’économie libérale au sein des nations et au coeur de l’Europe. Il permet de mieux comprendre comment on en est arrivé à la politique ferroviaire actuelle. L’Europe « libérale » – un terme à redéfinir -, ne date donc certainement pas des années 80 mais a émergé cinquante ans plus tôt.

La sectorisation d’aujourd’hui a l’inconvénient d’une grande fragmentation mais a mis fin à l’époque du train « quoiqu’il en coûte » et du « puit sans fond à renflouer ». Dans certaines régions de France, le transport ferroviaire local peut engloutir à lui seul entre 16 et 20% d’un budget régional. Cela impose de la transparence et la recherche de nouvelles formules pour faire baisser les coûts.

On continue de distiller cà et là des croyances tenaces (et souvent idéologiques) que « l’Europe a détruit les petites lignes secondaires ». Outre que l’Europe n’a pas la main sur ce réseau secondaire, la vraie question est de comprendre pourquoi, dans un environnement contractuel, avec la transparence des finances, rien n’a été fait pour remettre en selle un chemin de fer secondaire plus viable pour les finances publiques. Des choses difficiles à expliquer en 240 caractères…

Le rail ne peut pas être une question de guerre entre deux courants de pensée, c’est juste un outil de transport parmi d’autres qui offre des solutions de mobilité décarbonées.

Si l’univers des contrats à l’inconvénient d’entraîner une vaste bureaucratie et de focaliser sur la défense d’intérêts contradictoires, il permet malgré tout de distinguer ceux qui propose une « vraie » politique ferroviaire et ceux qui ne s’en préoccupe pas. Qui donne de l’argent et qui n’en donne pas. Qui accueille de nouvelles idées ferroviaires et qui fait barrage. Une clarification bienvenue en cette époque où tout reste centré – qu’on le veuille ou non -, sur la maîtrise des finances publiques… 🟧

Quelques références :

  • 1982 – Georges Ribeill – Les cheminots (éditions La Découverte)
  • 1998 – Annales des Mines – Service public et concurrence – Les leçons des expériences européennes
  • 2002 – Dominique Barjot – L’américanisation en Europe au XXe siècle : économie, culture, politique (Institut de recherches historiques du Septentrion, 2002)
  • 2004 – Florence Autret – Influence allemande à Bruxelles : un état des forces économiques (Bulletin économique du CIRAC)
  • 2004 – Julien Coulier – La libéralisation dans le transport ferroviaire en Europe – Un essai d’analyse économique des stratégies des acteurs (thèse de doctorat – Université de Reims Champagne-Ardenne)
  • 2007 – Jean-Claude Boual – Europe et service public (Regards croisés sur l’économie, 2007)
  • 2010 – François Denord et Antoine Schwartz – L’économie (très) politique du traité de Rome (Cairns infos)
  • 2011 – Crisp – Aubin / Moyson – La régulation du rail en Belgique (bulletin du Crisp, 2011)
  • 2011 – David Azéma – Idéologie ou pragmatisme, le dilemme de la concurrence ferroviaire (Ville Rail & Transports du 21/09/2011)
  • 2011 – Vida Azimi – République et service public (Tous Républicains, 2011)
  • 2013 – Sonia Lemettre – Gouverner le fret ferroviaire en France et en Allemagne (1990-2010) : processus de diffusion d’énoncés réformateurs à l’ère du développement durable (thèse de doctorat – Université de Grenoble)
  • 2013 – Jean Finez – Les économistes font-ils l’économie ferroviaire ? Maurice Allais, la « théorie du rendement social » et les premières restructurations de la SNCF (Revue française de socio-économie, 2013)
  • 2014 – Patricia Pérennes – Les économistes et le secteur ferroviaire : deux siècles d’influence réciproque (Alternatives économiques – « L’Économie politique »)
  • 2016 – Le Figaro – Interview de Françoise Mélonio – Les Français ont-ils un problème avec le libéralisme ?
  • 2016 – Louise Gaxie – La construction des services publics en Europe – Contribution à l’élaboration d’un concept commun (thèse de doctorat – Université Paris Ouest Nanterre/La Défense)
  • 2018 – Center for Economic Performance – Gibbons / Heblich / Pinchbeck – The Spatial Impacts of a Massive Rail Disinvestment Program: The Beeching Axe (CEP Discussion Paper No 1563)
  • 2019 – Mélanie Vay – La mise en problème européen de l’économie publique – Socio-histoire des mondes de l’entreprise publique au contact de la politique européenne (1957-1997) (thèse de doctorat – Université de Paris 1 Panthéon/Sorbonne)
  • 2019 – Thomas Hammer – Die verantwortung des staatesfür die eisenbahn (thèse de doctorat – Deutschen Universität für Verwaltungswissenschaften Speyer)
  • 2021 – Ferinter – Champin / Finez / Largier – La SNCF à l’épreuve du XXIème siècle, regard croisés sur le rail français (Éditions du Croquant, 2021)
  • 2021 – Nelly Demonfort – L’influence du droit européen sur l’organisation politique et administrative des États et de leurs entités infra-étatiques (thèse de doctorat – Université de Nantes)
  • 2023 – Ferinter – Brouté / Finez – L’ouverture à la concurrence au prisme de la dette et de la valorisation du capital : ​politique de État-actionnaire, rentabilité du groupe SNCF et investissements des milieux d’affaires​ (Colloque de Bourges, 12/01/2023)

TER_SNCF

19/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Articles complémentaires :

Le rail, ce secteur multiple
Une série de fiches qui résument dans les grandes lignes l’environnement et la gouvernance de nos chemins de fer aujourd’hui. Il est important en effet d’avoir une vue globale du secteur ferroviaire si on veut par la suite comprendre toutes les interactions dans les détails.


Le rail, une matière encore très nationale
06/09/2021 – Le trafic international entre États membres de l’Union devait croître considérablement avec les frontières ouvertes et l’espace Schengen. Cela a-t-il vraiment profité aux chemins de fer ? Depuis la création des institutions européennes en 1957, on a souvent entendu dire qu’il s’agissait, pour un si petit continent comparé aux autres dans le monde, d’ouvrir les frontières pour ne faire…


Qui bénéficie réellement de la libéralisation du secteur ferroviaire ?
06/11/2022 – On peut observer par tous les angles possibles le phénomène de la libéralisation des chemins de fer en Europe, mais la littérature spécialisée semble prioritairement se concentrer sur la notion de concurrence sans toutefois chercher plus en profondeur les vrais motifs qui ont conduit à cette lente et difficile libéralisation du secteur ferroviaire. Voyons cela de plus près.


Il faut en faire plus pour promotionner le transport par rail
21/03/2022 – Rééquilibrer la taxation des transports est une chose. Mais cela ne fera pas à elle seule une politique de transfert modal. Il faut aussi que le rail démontre toute sa pertinence et réponde aux besoins. Le rail n’est plus le transport dominant qu’il était encore dans les années 1950. Aujourd’hui, il doit redevenir…


Questionnement à propos de la coopération ferroviaire
21/02/2022 – Le retrait de la SNCF de la coopération Elipsos avec son voisin Renfe fait ressurgir un sujet qui agite depuis longtemps le milieu ferroviaire, dans une Europe qui promeut un espace unique pour faire circuler ses trains. Comme souvent, il y a lieu de bien distinguer les choses avant de tirer des conclusions.


Nouveaux entrants : le choix d’acheter du neuf
03/01/2023 – C’est une question lancinante pour ceux qui veulent se lancer sur les rails européens : matériel roulant d’occasion ou du neuf ? La question ne pose guère dans les contrats de service public – les OSP -, où l’autorité exige de facto du matériel neuf pour le train du quotidien. Mais dans le secteur grande ligne, il est possible de démarrer avec de l’ancien rénové. Sauf que six opérateurs en…


Quand les Régions reprennent la main sur le train du quotidien
11/10/2021 – La régionalisation de l’Europe est un fait, quoiqu’avec des formules diverses d’un pays à l’autre. On peut s’en rendre compte au travers de la gestion du transport par rail, qu’explique cet article.



Tarification transfrontalière : une ode à la complexité
22/08/2022 – Le trafic ferroviaire transfrontalier est un sujet récurrent et fait l’objet de beaucoup d’attention. Ou pas assez, c’est selon. Les bonnes volontés qui veulent simplifier les choses se heurtent la plupart du temps aux roches dures que sont les bases légales qui régissent l’exploitation ferroviaire passe-frontière.


La politique ferroviaire en Grande-Bretagne : l’ère de Great British Railways
27/12/2022 – Ce second volet de la réforme britannique nous montre le basculement entre les années « franchises » et la fin de ce système qui s’écroula pour des raisons expliquées dans cet article. En cette époque post-pandémique, le rail britannique n’a plus la même clientèle et doit composer avec un environnement nouveau, sous le signe de Great British Railways.


Un chantier ferroviaire pas comme les autres : le Y-Basque en Espagne


12/02/2023 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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La nouvelle ligne à grande vitesse Vitoria – Bilbao – San Sebastian – frontière française, en réalité appelé Y-Basque, fait partie de la branche atlantique du projet prioritaire n° 3 de l’Union européenne, et concerne en territoire espagnol la ligne Madrid – Valladolid – Vitoria – frontière française. L’occasion de faire le point sur ce long chantier.

En Espagne, cette ligne reliera les trois capitales de la Communauté autonome basque et rapprochera le Pays basque du reste de la péninsule et de la France. En outre, la nouvelle infrastructure ferroviaire sera reliée à Pampelune par le « Corredor Navarro ».

Dès sa mise en service, les temps de trajet en train seront considérablement réduits pour les trois capitales basques. On peut ainsi compter que le temps de trajet entre Vitoria-Bilbao et Vitoria-San Sebastián sera réduit d’environ 60 %, et de 80 % pour la liaison Bilbao-San Sebastián.

Les travaux avancent, certains ouvrages d’art terminés n’attendent plus que les rails, mais le projet a pris des années de retard tout en étant sujet à de multiples dates d’ouverture. Près de 41 ans se seront écoulés depuis qu’Abel Caballero, aujourd’hui maire de Vigo, lorsqu’il était ministre, a commencé à parler du « Y basque » et deux décennies se sont déjà écoulées depuis que la première pierre a été posée.

Les spécificités de la politique en Espagne

Il faut connaître toutes les subtilités de la politique espagnole dans le contexte basque et catalan que l’on connait. Le train à grande vitesse espagnol AVE est une compétence exclusive de l’État central. En 1999, le gouvernement espagnol avait vaguement annoncé un projet visant à relier toutes les capitales provinciales à Madrid par le rail en moins de 4 heures. Sans plus…

Mais le pays Basque ne visait pas prioritairement, on s’en serait douté, à une liaison rapide avec Madrid. La région autonome a notamment usé du « fait régional » pour asseoir ses vues. La Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest explique qu’à la différence d’autres projets de LGV en Espagne, le Y-Basque a toujours été conçu comme un outil de structuration interne de la région. Alors qu’en Espagne les projets de lignes à grande vitesse ont été définis comme des lignes permettant la connexion d’une région ou d’une ville (normalement) avec Madrid, mais aussi avec l’Europe, dans le cas basque le projet fait plutôt référence à l’idée de réseau régional.

Contrairement à d’autres régions espagnoles, le pays basque avait en fait déjà une expérience ferroviaire à faire valoir. Le ministère des Transports basque intervient en effet, depuis sa création dans les années 1980, dans la planification d’une série d’infrastructures de transport au niveau régional. En matière ferroviaire, le ministère des Transports gère déjà à travers le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire Euskal Trenbide Sarea (ETS) et l’opérateur de transport (Eusko Trenbideak) le réseau métrique régional, mais pas le reste du réseau ferroviaire, qui reste du ressort de la Renfe (puis plus tard de l’Adif pour les voies et les gares). Cette responsabilité ferroviaire régionale a probablement donner des ailes au gouvernement basque dans la mise sur l’agenda d’un programme de modernisation du réseau ferroviaire basque, incluant donc la grande vitesse. Mais qu’en était-il alors des compétences ?

Pour faire pression et demander au gouvernement central espagnol la réalisation effective du projet, l’administration basque actionna un autre levier en jouant sur le fait que le projet de train à grande vitesse faisait – et fait toujours -, partie d’un projet prioritaire européen au sein des fameux RTE-T (le couloir Atlantique). Un projet régional argumenté au travers d’une idée européenne…

Au début des années 2000, près de vingt ans après la première ligne entre Madrid et Séville, la tension entre Lakua (le siège du gouvernement basque) et le Fomento à Madrid devînt palpable, avec des volées de bois vert par médias interposés.

En décembre 2002, le gouvernement basque lançait lui-même un appel d’offres pour la rédaction des projets de six tronçons du « Y-Basque », un terme qu’on exigeait voir apparaître en lieu et place de « AVE ». Il s’agissait davantage d’un geste symbolique, car les travaux ferroviaires devaient de toute manière recevoir l’aval de Fomento, lequel est aussi le seul habilité à recevoir des fonds communautaires du Feder et de la Banque européenne d’investissement (BEI). Les téléphones ont donc vivement chauffé.

On vous passe les détails rocambolesques et les passes d’armes conséquence des élections espagnoles et basque, avec ses changements de majorité, ses coulisses et ses tractations diverses. Toujours est-il qu’autour de 2004-2005, le projet avait deux cahiers des charges, un basque et un espagnol ! Ebullition et pression maximale de part et d’autre…

Retenons surtout que l’impasse entre les gouvernements régional et central a officiellement pris fin en avril 2006 avec la signature d’un accord entre l’administration générale de l’État, l’administration générale du Pays basque et l’ADIF, gestionnaire des infras ferroviaires, selon lequel l’ADIF (puis plus tard ADIF Alta Velocidad, une filiale du gestionnaire Adif créée en 2014), restait responsable de l’étude du projet et des contrats de construction couvrant les tronçons entre Vitoria-Gasteiz et Bilbao dans les provinces d’Araba et de Bizkaia. De son côté, pour marquer le « fait régional », le gouvernement basque se chargeait lui-même de l’infrastructure du tronçon de Gipuzkoa (vers San Sebastian).

On parle ici du génie civil, car les aspects purement ferroviaire voie-caténaire-signalisation resteront une compétence exclusive de ADIF Alta Velocidad.

Le contrat de construction du premier tronçon de l’Y était attribué le 26 avril 2006, deux jours après la signature du fameux accord, pour montrer la bonne volonté de chacun…

Adif-Alta-Velocidad

L’Union européenne, quant à elle, joua au début un rôle mineur au travers du programme de réseaux transeuropéens. Dans la période 2000-2006, 16 millions d’euros furent accordés pour la réalisation des études dans le cadre des aides RTE-T. Dans la période de programmation 2007-2013, le projet fît l’objet d’une aide d’environ 55 millions d’euros sur le budget RTE-T.

Mais en juin 2022, l’Union européenne donnait un coup de pouce plus important, en décidant d’accorder 145,4 millions d’euros pour la construction du « Triangle de Bergara » (nudo de Bergara, voir plus bas). Ce montant était le plus important parmi les 216,5 millions d’euros approuvés pour sept projets de transport en Espagne dans le cadre du programme « Connecting Europe », qui vise à améliorer les réseaux de transport et à promouvoir la mobilité durable.

Côté technique

Comme pour ses autres lignes à grande vitesse, les différentes lignes de ce Y sont construites à l’écartement UIC standard 1.435mm et auront une configuration de type 3, pour un tracé mixte fret/voyageurs, avec des courbes d’un rayon minimal de 3.100 m et des pentes maximales de 15 millièmes par mètre.

L’ADIF et ETS ont chacun établi leur propre cahier des charges. Avec quelques différences techniques : l’ADIF a ainsi fixé la vitesse de conception maximale à 250 km/h, tandis que l’ETS a opté pour une vitesse de 220 km/h, ce qui la met en dessous des critères de l’UIC (V250). L’argument d’une vitesse moindre tient aux courtes distances entre les trois villes, où les gains de temps liés à des vitesses plus élevées seraient minimes.

Dans les faits, les trains de voyageurs pratiqueront donc des vitesses de 220 à 240 km/h, tandis que les trains de marchandises rouleront jusqu’à 120 km/h. Comme la ligne est mixte fret/voyageurs, l’itinéraire desservira également deux plateformes logistiques : l’un à Jundiz près de Vitoria-Gasteiz et l’autre au port de Pasaia, à l’ouest d’Irún.

Ces nouvelles lignes devraient permettre d’effectuer Bilbao-San Sebastian en 0h38 au lieu de 2h40, Vitoria-Bilbao en 0h28 au lieu de 2h20 et Vitoria-San Sebastian en 0h34 au lieu d’1h40. En avril 2019, le département des transports du gouvernement basque annonçait que les trois capitales provinciales seraient reliées par des trains à la demi-heure aux heures de pointe, avec 21 voyages par jour sur chacun des trois axes. Il reste à voir si ce sera réalité…

Génie civil important

Le relief tourmenté de toute la région font que le génie civil est très important. Dans une orographie telle que celle du Pays basque, il est coûteux de tracer des rayons très larges et des profils essentiellement horizontaux. Cela fait d’ailleurs penser au projet entre Stuttgart et Ulm, dont un tronçon vient d’être ouvert. Ou aux différents projets autour d’Oslo dont nous avions déjà parlé. Le projet tel qu’il se dessine comprend 80 tunnels, et potentiellement deux de plus si la liaison entre Basauri et Bilbao-Abando est enfin décidée.

Cumulés, la longueur des tunnels totaliseraient 104,3 km et représenteraient 61 % de la longueur totale de l’itinéraire. Les viaducs comptent de leur côté pour un total de 17 km, soit tout de même 10% des tracés, ce qui ne laisse que 50,6 km, soit 29 % du tracé à même le sol, en tranchées ou en remblais.

Le nombre moyen d’ouvrages singuliers sur l’ensemble de la ligne, qu’il s’agisse de tunnels ou de viaducs, est de 71% du parcours.

Parmi la longue liste des tunnels, on peut retenir ceux d’Albertia (4.786m), d’Udalaitz (3.185m), de Zarátamo (2 .728m), d’Induspe (2.224m), de Galdakao (1.827m) ou encore du Ganzelai (1.365m)

Certains des viaducs parmi les plus remarquables sont  le viaduc sur la route A-2620 : 1.401m de long avec ses piles jusqu’à 90 m de hauteur. Ou encore les viaducs de San Antonio-Malaespera (837 m), de Mañaria (616m) ou surplombant la route A-3002, la N-1 et la rivière Zadorra, avec ses 505 m.

Le fameux nudo de Bergara

Lorsque le Y sera achevé, la distance entre Gasteiz et Bilbao devrait tombé à 73,8 km, tandis que le tronçon Gasteiz-San Sebastián aura une longueur de 103,9 km, étant entendu qu’il y a en réalité un tronc commun entre Gasteiz et le Triangle de Bergara (nudo de Bergara), qui est le véritable Y du projet basque, composé de cinq tronçons. Ce Y, qui rappelle celui des Angles au sud d’Avignon, permet de créer une troisième section Bilbao-San Sebastián de 108,9 km.

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Environ 60% des tracés sur les trois côtés du triangle sont en tunnel, et 10% en viaduc. Des jonctions en hauteur ou souterraines sont nécessaires à chacune des extrémités, mais ce n’est qu’à l’extrémité ouest qu’il y a une jonction en plein air.

La zone où le Nudo est construit est ponctuée de trous et de cavernes., ce qui pose des problèmes pour la construction des tunnels et des galeries d’accès. D’autre part, des problèmes financiers et légaux sont apparus. Les appels d’offres furent adjugés en septembre et octobre 2015 pour ensuite été annulées en raison de problèmes financiers parmi les entrepreneurs sélectionnés. Les appels d’offres furent alors relancés en janvier 2018 et les contrats d’une valeur de 384 millions d’euros ont été signé l’année même. Mais il y a encore eu d’autre contraintes liées à l’environnement.

Le Nudo est en effet situé dans une zone d’intérêt scientifique spécial, avec trois formes rares de faune et de flore. Railway Gazette raconte ainsi qu’au moment de la réattribution des contrats en 2018, un couple de vautours avait commencé à nicher à proximité. Leurs activités ont entraîné la suspension des travaux de janvier à mai 2019, d’avril à juin 2020 et de mars à septembre 2021. Parallèlement, le dynamitage de certaines parties du Nudo a été interdit lorsque huit colonies de chauves-souris ont été découvertes en train d’hiberner dans les grottes de Kobaundi.

La question des accès urbains

Elle agite les trois villes, Vitoria-Gasteiz, Bilbao et San Sebastian. L’enjeu : des gares actuellement étriquées qui doivent accueillir des voies à l’écartement UIC 1.435mm. Cela paraît un détail mais en Espagne, cela suppose soit de spécialiser des voies à cet écartement, et donc d’encore rétrécir l’espace concédé aux voies larges espagnoles, soit d’enfiler un troisième rail sur les voies existantes. Deux conceptions qui ne conviennent ni l’une ni l’autre, de part leur complexité. Du coup on songea à enterrer les voies UIC, comme on l’a fait à Gérone. Mais qui va payer ?

Le coût d’une profonde transformation des gares et de leurs accès agite forcément ces villes, car on a affaire alors à des transformations urbaines considérables qui peuvent être une opportunité, mais qui ressortent d’autres budgets. Tractations avec le Fomento de Madrid, le gouvernement basque, les gouvernements provinciaux et les mairies concernées…

Adif-Alta-Velocidad
Le projet de gare souterraine à Bilbao. C’est du lourd…

L’engagement des institutions pour l’arrivée de la grande vitesse à Vitoria et Bilbao a été signé en février 2022 avec l’accord entre le ministère des Transports et les mairies de Vitoria et Bilbao, qui comprend une mission de gestion pour le gouvernement basque dans la réalisation des travaux de génie civil pour les accès aux deux villes. Une option temporaire de gare TGV à voies UIC à Basauri, à l’entrée de Bilbao, est dans les cartons, avant la réalisation complète « d’une descente » sous la gare principale de Bilbao-Abando. Pour l’occasion, Raquel Sánchez, la ministre des Transports, de la Mobilité et de l’Agenda urbain avait fait le déplacement à Vitoria pour présenter ces accords institutionnels et indiquer sa volonté de mener à bien ces projets. Jusqu’ici, seule l’entrée à San Sebastian a été approuvée. Reste à déternminer celle de Bilbao et Vitoria.

« Il s’agit de projets complexes. Cela signifie parfois que nous ne pouvons pas suivre le rythme que nous voudrions« , a admis la ministre au journal El Diario, qui a voulu souligner le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un projet ferroviaire, mais aussi de grands projets de régénération urbaine dans les deux villes les plus peuplées du pays basque, ce qui implique d’autres budgets.

>>> Voir l’excellente documentation et les plans précis du Fomento concernant Vitoria et Bilbao.

Se raccorder à la France

Le projet basque se termine en principe à San Sebastian, non loin de la frontière française. Contrairement à Vitoria et Bilbao, la descente de 3km entre la fin de la ligne nouvelle à Hernani et la gare principale a donc déjà été décidée et se fera à double écartement. Ce sera donc la première des trois gares à être reconstruite pour les services à grande vitesse. Des appels d’offres ont été lancés fin 2019 et un contrat de 42 mois d’un montant de 80,4 millions euros a été attribué.

Pour rejoindre la France, il a été décidé en 2013 une mise à double écartement de la ligne existante San Sebastián-Irún via Errenteria et Oiartzun (en rouge sur la carte). L’idée, écartée pour son coût, de pousser jusqu’à la frontière française par une ligne de contournement (en bleu sur la carte), demeure pour le moment un trait de crayon. Les lieux, fortement urbanisés côté basque, tout comme à Hendaye, Saint Jean de Luz, Biarritz et Bayonne, auraient été l’argument pour créer, selon un accord de 2011, une déviation prévue autour du sud de l’agglomération San Sebastián-Irún jusqu’à Behobia, à la frontière française.

On ignore jusqu’ici qu’elle est la position française dans le cadre du projet GPSO. Il y a peu de chances que « la ligne bleue » apparaisse un jour au milieu des paysages basques, car cela implique de manière logique une coordination avec Nouvelle Aquitaine. On est pratiquement certain qu’on en resterait au bipôle Hendaye-Irun pour passer d’un pays à l’autre.

Les travaux de mise à double écartement sont (petitement) en cours entre San Sebastian et Irun. Ils ont débuté en février 2022 pour un investissement de 53 millions d’euros et c’est l’Adif – et non l’ETS basque -, qui est à la manœuvre. Les travaux comprennent des interventions sur l’infrastructure, la voie, la caténaire et les systèmes de sécurité tout au long du parcours de 20 kilomètres, l’adaptation des tunnels, des ponts métalliques, des gares et des arrêts pour les situations de trafic mixte revêtant une importance particulière.

L’ouverture complète du Y basque n’est pas encore arrêté malgré de nombreuses déclarations. Les travaux sont cependant fortement avancés au niveau génie civil. Mais il y a encore tout le reste, les voies, les aiguillages, la caténaire et la signalisation. Tout n’est pas encore figé. Dernièrement, une des options d’entrée en ville de Bilbao a été décidée, avec une gare qui aura des quais souterrains et dont on vous parlera dans une prochaine chronique.

Le Y-Basque avance, on évoque à voix (très) basse 2027, mais il y a encore beaucoup de travail. Par ailleurs, bien que non concerné par le Y-Basque, un autre chantier redémarre après des mois d’incertitudes, celui du tronçon reliant Venta de Baños et Burgos, qui ferait maintenant face à sa dernière ligne droite pour devenir une réalité.

En outre, en juillet 2022, le gouvernement espagnol autorisait la suite du programme avec le tronçon à grande vitesse Burgos-Vitoria, une ligne de 101,3 kilomètres de long dont le coût est estimé à 1,5 milliard d’euros. Cette nouvelle ligne représente le dernier maillon de l’axe complet Madrid-Vitoria-frontière française.

L’inauguration intégrale de la ligne Madrid-Vitoria permettra ironiquement de rapprocher le siège du gouvernement basque à un peu plus de 2h du Fomento de Madrid… 🟧

Y-Basque_TGV
Des éléments de génie civil déjà trerminés qui n’attendent plus que les voies… (photo Zarateman via wikipedia)

12/02/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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