Le rail pour remplacer les routiers ?

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
18/10/2021 –
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Ces derniers temps, des problèmes liés au manque de chauffeurs routiers ont obligé certains logisticiens à recourir au train. Le rail comme roue de secours, cela est nouveau dans le monde de la logistique.

Récemment, la presse britannique relatait que la Grande-Bretagne était frappée par une grave pénurie de chauffeurs de camion cette année, certains détaillants et compagnies pétrolières avertissant ce mois-ci qu’ils avaient du mal à maintenir des services complets.

Le problème des chauffeurs routiers tient au Brexit qui a mis fin au recrutement dans l’UE, à un arriéré d’examens de conduite causé par le Covid-19 et à des réformes fiscales sur le travail indépendant qui ont poussé des conducteurs de l’UE vers la sortie. Une enquête de la Road Haulage Association (RHA) auprès de ses membres estime qu’il y a maintenant une pénurie de plus de 100.000 conducteurs qualifiés au Royaume-Uni.

En Italie, la pénurie de chauffeurs routiers peut aller jusqu’à ralentir le flux des conteneurs à destination et en provenance des ports. Le président de Federlogistica et le vice-président de Conftrasporto, Luigi Merlo, souligne qu’il y a une pénurie totale d’au moins 20 000 chauffeurs en Italie, un chiffre qui tend à augmenter, expliquant qu’il est désormais impossible d’en trouver même dans les pays de l’Est. « Certains de nos membres, des entreprises et des consortiums de transport comptant des centaines d’employés, les recherchent avec difficulté et ont publié un site internet où ils peuvent trouver des offres d’emploi, mais pour l’instant l’urgence demeure« , ajoute-t-il.

En Allemagne, la demande de transport de marchandises est extrêmement élevée et l’offre est faible. Le problème : la pénurie de chauffeurs routiers, qui va continuer à s’aggraver en Allemagne à l’avenir. Cette pénurie de travailleurs qualifiés dans la logistique menace de devenir un facteur de croissance fortement régulateur de l’économie. Les chaînes de supermarchés, en particulier, pourraient être menacées à l’avenir par la pénurie de chauffeurs routiers dans le secteur de la logistique. Une évolution similaire est également susceptible de menacer les biens de consommation tels que les vêtements, les textiles, les meubles ou les produits électriques, qui sont presque toujours transportés par des chauffeurs routiers.

A cela s’ajoute – mais ce n’est pas liés aux problèmes des routiers -, les grands retards des chaînes d’approvisionnement mondiales et les perturbations que cela provoque au niveau des grands ports d’Europe. Des conteneurs qui tardent à arriver et de longues heures d’attente aux portes des terminaux portuaires, la perturbation atteint tous les niveaux de la logistique et se répand dans toute l’Europe. Des trains programmés doivent être reprogrammés pour ne pas partir vide !

Au vu de ces exemples, n’y-a-t-il pas tout un monde à revoir en profondeur ?

Intermodal

Le rail comme solution logistique
La résilience de la chaîne d’approvisionnement fait référence à la capacité d’une chaîne d’approvisionnement donnée à se préparer et à s’adapter à des événements inattendus. Le rail pourrait – sous certaines conditions -, être une partie de la solution pour une logistique plus résiliente. Les perturbations maritimes avec des flux de conteneurs disparates et tendus devrait être une opportunité pour le rail de développer le train à la demande de manière digitale.

Mais il serait suicidaire de croire que la pénurie de chauffeurs routiers suffirait à opérer du transfert modal. Cette pénurie sera probablement temporaire et ne peut être lue comme un élément de revitalisation ferrovaire. Les ennuis d’en face ne sauveront pas le rail à long terme, que du contraire.

Une des clés est d’investir pour améliorer les infrastructures logistiques nationales, y compris ses infrastructures « dures » (ports, routes, réseaux ferroviaires) et « douces » (les industries de services qui sous-tendent la logistique) en mettant l’accent sur l’amélioration des performances douanières, la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement et la qualité des services, la cybersécurité et la durabilité environnementale. 

Les fameux corridors européens auraient dû permettre cela mais force est de constater que nous sommes loin de l’optimal. Comme l’explique l’association européenne du fret ERFA (European Rail Freight Association), la mise en place des RFC n’a pas encore donné l’élan escompté pour accroître la compétitivité du fret ferroviaire. 

Un train ne devrait pas être déprogrammé parce que ce ne sont pas les conteneurs prévus. Un train Gênes-Francfort supprimé pourrait malgré tout rouler pour faire un Gênes-Dortmund, par exemple. Les trois-quarts de son trajet restent identiques, seule la portion Francfort-Dortmund est nouvelle. Un programme informatique devrait être capable d’opérer ce changement, en y intégrant le fait que le parcours rallonger doit être effectuer avec probablement un conducteur de train supplémentaire. Bien-sûr, ce changement perturbe la rotation des wagons et des locomotives sur le trajet final. Mais là encore, un opérateur bien outillé devrait pouvoir reconstruire une rotation rapide de son matériel roulant et du personnel.

On voit tout de suite qu’il ne s’agit plus ici de coopérer entre diverses entités qui ont des intérêts propres, mais d’avoir un transport ferroviaire qui soit centralisé au niveau de chaque opérateur sur une aire européenne. Cela demande bien-sûr de pouvoir contrôler toute la chaîne d’approvisionnement et de transport. Il faut pour cela pouvoir être très réactif.

Remettre la logistique sur les rails, c’est aussi créer une belle opportunité : cesser les longs trajets routiers avec des chauffeurs qui ne rentrent qu’une fois par mois à leur domicile. Le métier de chauffeur routier ne deviendrait plus qu’un métier de derniers kilomètres, parfois 150 kilomètres, mais avec la certitude que le travailleur de la route rentrera chaque soir à la maison.

Enfin remettre la logistique sur les rails, c’est répondre à cette pénurie de chauffeurs que nous constatons dans de nombreux pays d’Europe. Mais il faut prendre garde : si la pénurie est temporaire et peut se résoudre d’ici quelque temps, il y a de fortes chances pour que la logistique se tourne de nouveau vers la route. C’est donc maintenant que le rail doit démontrer tous ses atouts.

Intermodal

18/10/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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L’Europe a voté la réduction ou la suppression des péages ferroviaires
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Intermodal : l’importance croissante du gabarit P400


26/04/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Les trains intermodaux ont représenté la moitié du trafic ferroviaire de marchandises de l’UE en 2019, seule « vraie » année de référence. Cela signifie qu’une attention particulière doit être accordée à ce mode de transport, qui combine le rail pour la majeure partie du trajet et le camion pour les trajets terminaux avant et après le transport. Plutôt que d’éparpiller l’argent dans toute l’Union européenne, l’accent a été mis sur un réseau dédié où des investissements majeurs sont réalisés en matière de capacité, de modernisation et de signalisation. Ce réseau transeuropéen de transport (RTE-T) a été formalisé par 9 corridors à travers l’Europe. Le règlement RTE-T est l’instrument juridique par lequel les États membres de l’UE conviennent des paramètres techniques du réseau ferroviaire et reçoivent des fonds de l’UE.

Parmi les paramètres techniques importants, le fameux gabarit P400 est une demande criante des opérateurs intermodaux. La référence P400 est la norme de mesure utilisée pour les semi-remorques chargées sur un wagon-poche. Cette nomenclature indique que la hauteur maximale à laquelle une semi-remorque peut être transportée par rail est limitée à 4 mètres. Cette limite est fixée de la base du wagon au sommet de la semi-remorque, la suspension étant sans air pour respecter cette hauteur.

Les origines du P400 : une demande routière

Cette hauteur de 4m est évidemment une demande de l’industrie routière qui veut utiliser au maximum les cotes officielles des routes et autoroutes européennes, qui fixent la hauteur des camions à 4m. Le Megatrailer, par exemple, est un type de semi-remorque développé dans les années 1990 par Ewals Cargo Care en coopération et en consultation avec l’industrie automobile européenne.  L’objectif était de développer une remorque capable de transporter 100 mètres cubes de marchandises. Cela représentait une augmentation d’environ 25% par rapport aux remorques conventionnelles de l’époque.  Ces semi-remorques permettent de charger 33 europalettes avec une hauteur libre à bord de 2,70m.

Si cette hauteur peut correspondre à une demande particulière, il n’en est pas de même pour tous les transports, comme le montre la photo ci-dessous. De nombreuses palettes ont rarement besoin de toute la hauteur disponible, du fait du poids des sacs et de la résistance des emballages. Il est donc courant d’avoir des camions qui transportent entre 10 et 30% d’espace libre, parfois bien plus ! On peut alors se demander pourquoi il fallait impérativement à ce que tous les camions fassent 4m de haut. Malheureusement, ces dimensions sont devenues des arguments de vente et de promotion : plus il y a des m³, plus le transport est écologique. Comme souvent, le chemin de fer n’a pas d’autre choix que de s’adapter s’il veut prendre des parts de marché dans le transport intermodal. Une adaptation très lourde…

Pas toujours remplis jusqu’au plafond, nos camions… (photo Ewals Cargo Care via wikipedia)

Or ce gabarit Megatrailer demande, dans certains pays, des travaux importants de mise à niveau de la voie et des passages sous ponts et tunnels. C’est ici que l’appartenance de telle ou telle ligne au réseau RTE-T est d’une importance capitale, car l’Europe peut aider. Le gabarit P400 est en revanche impossible dans certains pays comme par exemple la Grande-Bretagne, du fait de son réseau ferré qui dispose d’un gabarit historiquement plus restrictif. Ce pays, qui est aussi tourné vers le transport maritime à courte distance, préfère alors utiliser les caisses mobiles, qui est une unité semblable au conteneur mais adaptée aux cotes plus larges du transport routier.

Le gabarit P400 oblige à effectuer de nombreuses adaptations, parfois coûteuses. C’est là qu’on trouve tout l’intérêt d’inscrire une ligne ferroviaire nationale dans un corridor européen, car l’Europe peut intervenir selon certains mécanismes. Cependant, outre qu’il y a des choix à faire, il existe de nombreuses lignes reliant par exemple des zones industrielles ou portuaires qui sont en dehors des RTE-T, et ne bénéficient pas des fonds européens. C’est pour cela que des organismes comme l’UIRR ou RNE demandent que l’on considère le gabarit P400 de bout en bout, pas seulement sur les lignes principales d’un pays.

Hupac, l’un des plus grands opérateurs d’Europe, a présenté quelques chiffres sur le réseau P400 et son expansion en Suisse et en Europe centrale et du Nord, qui est son objectif actuel. La Suisse dispose aujourd’hui de 2 corridors – Lötschberg/Simplon et Gothard/Ceneri -, avec leurs tunnels adaptés qui permettent un gabarit de chargement P400. Selon Hupac, cela pourrait générer un transfert de plus de 80 % du trafic routier vers le rail. De même, l’ouverture du tunnel de base du Ceneri peut avoir un impact sur le transfert modal dans le corridor entre Rotterdam et Gênes.

Les tunnels suisses adaptés d’emblée pour le P400 (photo Kecko via license flickr)

Arcese et TX Logistik, par exemple, ont lancé un nouveau service de fret intermodal entre l’Interporto de Bologne (Italie) et le terminal nord TKN de Cologne (Allemagne). Ce service est ouvert aux semi-remorques P400, grâce aux corridors suisses et à l’ouverture du nouveau tunnel de base du Ceneri l’année dernière. Les ports et les centres logistiques italiens sont les premiers à bénéficier de ces améliorations, d’autant que le gabarit P400 est désormais disponible sur certains itinéraires italiens, notamment jusqu’à Bari, dans le sud du pays, permettant des liaisons vers la Grèce et la Turquie.

Dans le traité de Lugano de 1996, la Suisse et l’Allemagne avaient convenu de moderniser leurs chemins de fer. Les Suisses ont tenu parole avec deux corridors et les Pays-Bas ont également une ligne de fret dédiée de Rotterdam à la frontière allemande. Malheureusement, il semblerait que les mises à jour du réseau ferroviaire allemand se fassent attendre. Vu des Pays-Bas et de la Suisse, le potentiel de la route Rotterdam-Gênes ne pourra pas être pleinement exploité tant que les Allemands n’auront pas suivis pas le mouvement. Selon les informations de la Deutsche Bahn, la dernière étape du Rheintalbahn ne serait prête qu’en 2035. Presque 40 ans après le traité de Lugano. Heureusement, le gabarit de chargement P400 est déjà disponible.

(photo press Hupac)

La France promotionne de son côté un système hybride et plus onéreux d’autoroutes ferroviaires conçue par l’industrie nationale, le système Lohr-Industrie, qui impose des terminaux très particuliers où les remorques ne sont pas grutées mais embarquées latéralement. De nombreux acteurs du transport combiné ne souhaitent cependant pas en faire un usage exclusif et veulent conserver la technique traditionnelle du wagon poche et des semi-remorques grutées, jugée moins chère et plus facile à implanter.

Les circulations P400 « classiques » en France sont encore soumises à une Autorisation de Transport Exceptionnel (ATE), ce qui signifie que le trafic ne peut pas être garanti sur la durée, ce qui est néfaste pour la planification et le développement du transport intermodal. Ainsi, ECR a pu faire circuler des trains P400 entre la frontière espagnole et Saarbrucken au prix d’une lourde gestion de demandes d’ATE pour chaque train, soit environ 1000 demandes par an rien que sur le corridor Méditerranée. CFL Cargo doit également demander des ATE entre Bettembourg et Lyon Port Édouard Herriot. Elles ne sont valables que 6 mois. Ceci dit, la prise de conscience en France est réelle et les choses évoluent.

Beaucoup d’opérateurs veulent la solution technique classique du wagon-poche et semi-remorque préhensible par pince (photo Leci trailers)

Cette demande de gabarit P400 coïncide aussi avec une demande pour des trains plus longs, de 750m voire 1000m, qui poserait quelques problèmes avec les voies d’évitements et certaines gares, pas conçues pour de telles longueurs. L’objectif est d’avoir des trains intermodaux de 2.000 tonnes et d’accroître le transfert modal avec les Megatrailers. Tout ceci démontre une fois encore la grande importance de la qualité des infrastructures ferroviaires. Cela coûte cher, mais une fois adaptée, une ligne ferroviaire est ainsi valable pour les 30 prochaines années au moins. Il faut donc, pour se faire une idée, diviser le prix des travaux par 30. Cela donne une autre perspective…

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Un nouveau service petits colis par rail en Grande-Bretagne

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
25/02/2021 –
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RAIL Operations UK va bientôt lancer son premier service « petits colis » sous sa marque Orion High Speed ​​Logistics en avril prochain, rapporte International Railway Journal. Le service débuterait par une opération régulière de cinq allers-retours, pour finalement passer à six, et transportera principalement des marchandises légères et des colis entre les Midlands et l’Écosse.

Comme on le sait, les petits colis du style « Sernam » en France ou « B-Colis » en Belgique ont quitté la scène ferroviaire dès l’arrivée, au milieu des années 90, de gros intégrateurs comme Fedex, UPS ou DHL, qui utilisent l’avion et permettent ainsi de livrer en moins de 24h dans toute l’Europe. La quasi-totalité des opérateurs étatiques avait alors arrêté les frais, car ce secteur demande une logistique plus proche de la poste et que de toute manière, l’organisation du travail à la sauce ferroviaire ne se prêtait pas à la réactivité d’un entrepôt style Amazon. Si le courrier est encore très partiellement transporté en Grande-Bretagne par train, les colis avaient là aussi disparu du paysage ferroviaire.

Orion-UKLe retour des trains à colis ,

Une société semble vouloir changer cela. Et tailler des croupières à Amazon & CO. Les cinq milliards de colis livrés au Royaume-Uni chaque année font du marché de la livraison express une valeur de 19,76 milliards d’euros.  

Orion High Speed ​​Logistics est une filiale de Rail Operations (UK) Ltd, dirigée par le PDG Karl Watts. Les autres filiales de la société sont Rail Operations Group (ROG), un opérateur spécialisé dans le transfert de matériel roulant et Traxion, une entreprise d’entreposage de matériel roulant. Leurs business fait qu’ils ont plutôt l’expériences des détails du transport ponctuels et exceptionnel.

Le réseau, tel que prévu à termes…

Le principe d’Orion est basé sur le développement du fret léger au travers de l’exploitation d’automotrices voyageurs converties, et à utiliser une combinaison de centres logistiques et de grandes gares voyageurs en guise de réseau, pour atteindre des destinations comme Aberdeen en Écosse, Swansea ou Plymouth à l’ouest et au sud. Le but est d’aller vite, ce qui aurait l’œil attentif du monde de la logistique. Le réseau sera composé d’une vingtaine de gares et de douze ports ou terminaux logistiques. Ceux-ci devraient être reliés par des trains offrant des temps de trajet imbattables. Par exemple, Orion envisage un trajet de 5,5 heures entre Londres et Glasgow, contre une dizaine d’heures pour un trajet en camion. L’utilisation des gares du centre-ville renforce encore l’attractivité de ce service.

Orion-UK

Orion-UKLes classe 319 qui circulaient naguère sur le Thameslink, devenues classe 769 (photo Orion)

Tous les services logistiques d’Orion devraient être exploités par des flottes d’automotrices bimodes de Classe 769, qui sont en réalité des 319 converties pour transporter de fret léger et équipées d’un moteur diesel. Les automotrices bimode sont une obligation du fait de la non-électrification des entrepôts. Elles ont été développées par Porterbrook mais louées à ROG, qui est la vraie société opérationnelle d’Orion. Ce sont des unités excédentaires converties d’automotrices de Classe 319 à quatre voitures qui circulaient à l’origine sur la ligne suburbaine Thameslink et étaient donc alimentées par un troisième rail 750 V DC et le 25 kV AC par caténaire. La conversion a consisté en l’ajout d’un alternateur diesel de 390 kW sur deux remorques, entraînant les moteurs de traction via la ligne de bus existante. Après avoir pris en compte les pertes et la nécessité d’alimenter les équipements auxiliaires, cela donne à l’unité 550 kW de puissance diesel aux roues. Bien que ce soit un peu plus de la moitié de la puissance de traction électrique de l’unité, cela suffit pour atteindre 140km/h en pallier.

Certaines unités classe 319 seront aussi louées par ROG sans grandes transformations.

Les futures classe 93 de Stadler (photo Orion)

La société a en outre commandé une flotte de 10 locomotives tri-mode électrique-batterie-diesel-électrique de Classe 93 Stadler avec une livraison en début 2023. Le programme de décarbonation exige en effet que le fret ferroviaire réduise ses émissions de CO2. Et les Classe 66, qui ont largement modifié le paysage ferroviaire britannique depuis 25 ans, ne répondent plus aux normes actuelles d’émissions de particules. La locomotive Classe 93 est décrite comme un tri-mode car elle dispose de trois sources d’énergie différentes. Cependant, elle ne dispose que de deux modes de fonctionnement, électrique et hybride diesel / batterie. En mode électrique, les batteries sont chargées lors du freinage ou depuis le transformateur. La Classe 93 sera équipée d’un moteur six cylindres Caterpillar C32 turbocompressé, d’une puissance de 900 kW à 1 800 tr / min, qui répond à l’exigence d’émission EU97 / 68 phase IIIB.

ROG considère que la Classe 93 sera une véritable locomotive à trafic mixte, capable de transporter des trains de voyageurs rapides et des trains de marchandises jusqu’à 2.500 tonnes sur des itinéraires entièrement électrifiés. De plus, il considère que cela pourrait changer le paradigme commercial des opérations de fret ferroviaire intermodal dans lequel l’incitation commerciale est de maximiser les revenus en augmentant la longueur des trains, même si cela augmente les temps de parcours.

Initialement prévu sur London Gateway – Liverpool en mai 2020, Orion Logistics débuterait plutôt l’exploitation du service Londres – Liverpool entre juillet et août 2021. Le service de livraison d’Orion sera soutenu par des technologies de logistique numérique qui fourniront un service client de pointe, tel que le suivi en temps réel. Diverses options sont envisagées pour les livraisons du dernier kilomètre depuis les gares du centre-ville.

Le pari de battre la route…

Orion prévoit de déployer à terme ses services de logistique à plus grande vitesse dans tout le pays, fonctionnant jusqu’à 160 km/h. La société espère fournir des fréquences et des vitesses plus élevées que les opérateurs de fret ferroviaire britanniques traditionnels, limités à 120 km/h, et offrir une alternative intéressante au fret routier en offrant une livraison rapide et flexible en divers points de la Grande-Bretagne. L’ère post-Covid semble nourrir de grands espoirs et on ne peut que saluer cette initiative Orion, alors qu’en Europe, l’Eurocarex semble ne plus être qu’une brochure souvenir…

25/02/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

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Comment faire revenir les petits colis dans nos trains

Jadis…(photo Getty Image)

Les petits colis ont déserté les trains depuis longtemps. Il y a une raison à cela. Mais on dit parfois que le facteur sonne toujours deux fois. Et il semble que ce soit le cas…

Jadis, le chemin de fer était tellement dominant qu’il devait s’occuper de beaucoup de choses. Non seulement des voyageurs, mais aussi des marchandises, de la poste et des petits colis. Tous les chemins de fer d’Europe avaient mis en service des wagons spécifiques pour chaque secteur. La poste, notamment, a longtemps disposé de ses propres wagons ou de compartiments spécifiques dans certains trains. Il en fut de même plus tard, quand on s’échangea des milliers de petits colis à travers le pays, sous le nom de « messagerie ». Les colis ferroviaires (par opposition aux colis transportés pour le compte de la Poste) constituaient une catégorie à part de trafic de marchandises de diverses valeurs. Si le volume de ce trafic était suffisant, il était transporté séparément du trafic ferroviaire principal de marchandises, soit dans le compartiment des trains de voyageurs, soit dans des trains spéciaux de fourgons à colis.

Tour & Taxis, Bruxelles…(photo SNCB)

Les compagnies de chemin de fer exploitaient des parcs de fourgons routiers spécialisés pour la collecte et la livraison de colis, bien que dans les petites gares de campagne, il était habituel que le client livre ou collecte lui-même les colis à la gare. C’est ainsi qu’il y eut le Sernam en France, SNCB Colis en Belgique (avant ABX) ou encore Red Star Parcels au Royaume-Uni.

Le Sernam (photo CAV SNCF)

Les derniers kilomètres dans les années 70… (photo SNCB)

Ce service particulier des colis était une tâche pour les chefs des petites gares. D’ailleurs, le même comptoir permettait aussi de déposer – ou enlever – les bagages que l’on expédiait à l’avance, du temps où faire un voyage prenait une toute autre dimension qu’aujourd’hui…

Mais les temps changèrent. La libéralisation des services postaux et de messagerie, qui commença au début des années 1990 en Finlande, en Suède ou en Nouvelle-Zélande, s’était fortement accélérée au début des années 2000 à une échelle mondiale, avec par exemple en Europe l’adoption des trois directives postales par le Parlement Européen. Avec la disparition des frontières administratives intra-européennes, dès janvier 1993, la concentration des entreprises industrielles et commerciales et la délocalisation des unités de production, l’enjeu principal des années 90 et 2000 fut la mise en place par différents acteurs d’un réseau couvrant les différents pays membres de l’Union dans un délai de livraison compris entre 24 heures et 72 heures. Dans beaucoup de cas, ces délais étaient impossibles à tenir sans le recours massif à l’avion-cargo. Or l’aviation était elle aussi un secteur en pleine libéralisation. Colis et avion ont alors convergé pour ne faire qu’un seul système. Il devenait clair que l’impact de cette libéralisation sur l’outil ferroviaire était tout simplement la disparition complète du secteur colis. Pour de nombreuses raisons liées notamment à la réactivité et à l’organisation du travail que réclame le colis livré le lendemain ou surlendemain de sa commande. Pour des raisons de capacités financières quand il fallut acheter et construire des entrepôts automatisés géants sans devoir passer par 36 décisions politiques.

(photo DB Schenker)

Ainsi sont apparus de très gros intégrateurs comme Fedex, UPS ou DHL, pour ne citer que les principaux, armés de centaines d’avions et des milliers de camionnettes spécialisées. Celles d’UPS font même l’objet d’un modèle spécifique. Aucune compagnie ferroviaire étatique ne pouvait répondre à une telle réorganisation du secteur. Dans le même temps, la Poste, profitant de l’énorme intérêt généré par cette nouvelle activité, quittait aussi le rail et installait de nouveaux centres de tri aux abords des autoroutes plutôt qu’à côté des gares, où il n’y avait de toute manière plus aucunes possibilités d’extension. On peut d’ailleurs affirmer que la Poste s’en est mieux sorti sur le créneau colis que son ancien allié ferroviaire, par son expérience des tris automatisés et de la distribution.

(photo Getty Image)

C’est de cette manière qu’une nouvelle industrie est née, échappant complètement au secteur ferroviaire. Aujourd’hui, le marché mondial des colis représentait près de 430 milliards de dollars US en 2019, contre un peu moins de 380 milliards de dollars US en 2018. En Europe, l’Allemagne reste le plus grand marché, l’Italie et le Royaume-Uni ayant connu les plus fortes croissances parmi les principaux pays (8,5 % et 7,1 % respectivement).

Liège airport (photo Getty Image)

Liège airport (photo Getty Image)

Retour au rail ?
Il y a eu quelques croyances sur la possibilité pour le rail de revenir sur le marché des colis. En 2008, le projet EuroCarex tenta de créer un TGV fret de nuit, qui devait relier des aéroports de fret comme Roissy à Liège ou Lyon. Après un essai en 2012 entre Lyon et Londres, le projet n’a jamais décollé et reste aujourd’hui une brochure destinée à garnir les étagères.

Cependant, ces dernières années, certaines entreprises ont exploré des moyens novateurs pour ramener le trafic de marchandises légères et de colis vers les chemins de fer. Certains projets sont passés à la réalisation concrète.

En 2011, Jeff Screeton a décidé qu’il était temps de relancer Red Star, l’ancien réseau de colis exploité avec succès par British Rail jusqu’à sa privatisation. Il a fondé Intercity Railfreight (ICRF), une société qui utilise les gares comme installations de transbordement pour une grande variété de types et de tailles d’envois, offrant aux clients un service rapide, fréquent, fiable, sûr et moins cher que l’équivalent routier. Il ne s’agit pas de trains spéciaux, mais de trains de voyageurs ordinaires utilisés pour le transport de colis. Le premier et le dernier kilomètre sont effectués avec des solutions de transport pratiquement sans carbone, parfois en utilisant des vélos cargo. ICRF a désormais accès à plus de 100 services ferroviaires voyageurs quotidiens dans les East Midlands, le Great Western et les réseaux de franchise CrossCountry, offrant des services rapides et fréquents entre les centres-villes, dans une zone allant d’Aberdeen à Londres et Penzance – couvrant un certain nombre de régions du pays traditionnellement difficiles d’accès pour la messagerie routière.

Nottingham (photo InterCity RailFreight)

«Aujourd’hui, nous avons des fruits de mer de première qualité livrés le jour même en urgence depuis les Cornouailles vers des restaurants de Londres. Notre vision est celle d’un service de courrier local vers le train, le train fait 90 miles par heure, puis le colis est distribué localement vers le client. Ajoutez à cela la visibilité, nous pouvons suivre les trains 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous avons un tableau d’affichage en temps réel de l’endroit où se trouve le train, » explique Jeff Screeton. InterCity RailFreight a ainsi récemment développé son propre système de transport bio-sécurisé spécialisé, Medi FastTrack. Jusqu’à présent, l’accent a été mis sur la rapidité, la fiabilité et les avantages environnementaux de l’utilisation du rail pour le transport d’échantillons biologiques sensibles au temps.

Cette initiative ressemble à d’autres en Europe, comme Perceval en France qui propose le transport de colis limités à 30 kg au travers de son réseau « Colis Express TGV » couvrant, selon leur page web, 38 destinations en France, 140 gares en Allemagne et d’autres ailleurs.

Cependant, le but est plutôt de reprendre des volumes plus importants au secteur de la logistique avec des trains dédiés. Il y a déjà quelques exemples.

(photo Mercitalia)

Le 7 novembre 2018, le groupe FS Italiane a lancé un service innovant de fret ferroviaire à grande vitesse, sous le nom de Mercitalia Fast. Le train circule à une vitesse pouvant atteindre 300 km/h. Il s’agit du premier service de transport ferroviaire de colis à grande vitesse au monde. Les marchandises voyagent à bord d’un train à grande vitesse qui a une capacité de charge équivalente à celle de 18 semi-remorques, grâce à l’utilisation de conteneurs roulants, ce qui rend les opérations de chargement et de déchargement rapides, efficaces et sûres. Le service Mercitalia Fast a été conçu pour répondre aux besoins de clients tels que les courriers express, les opérateurs logistiques, les producteurs, les distributeurs et les marchandises urgentes. Le train relie le terminal Mercitalia de Maddaloni-Marcianise (Caserta), la porte logistique du sud de l’Italie, à l’Interporto de Bologne, l’un des plus importants centres logistiques du nord de l’Italie, en utilisant le réseau italien à grande vitesse chaque jour, en 3 heures et 30 minutes. Le service permet d’alléger la circulation sur la principale autoroute italienne d’environ 9.000 camions par an, ce qui réduit de 80 % les émissions de dioxyde de carbone à volume de transport égal. À l’avenir, la société prévoit d’étendre les services Mercitalia Fast à d’autres terminaux situés dans les principales villes italiennes desservies par le réseau à grande vitesse.

>>> À lire : Fast : le train qui emporte les petits colis à 250km/h

(photo Mercitalia)

Cette année, c’est de nouveau en Grande-Bretagne que va se lancer une entreprise. Le transporteur Rail Operations Group a récemment précisé le démarrage de Orion Logistics, prête à faire des essais en 2021 avec d’anciennes rames voyageurs Thameslink classe 319 transformées et équipées de moteurs diesel, reliant le complexe portuaire London Gateway au centre de Londres.

>>> À lire : Un nouveau service petits colis par rail en Grande-Bretagne

(photo Orion)

Un autre nouvel entrant, Varamis Rail, vise le couloir de la East Coast Main Line avec des trains de voyageurs électriques convertis. Le modèle commercial repose sur des trains spécialisés, mais couplés avec des trains de voyageurs circulant en tandem avec des sillons de trains de voyageurs, ce qui permet de partager les péages ferroviaires. Comme Orion ou InterCity RailFreight, Varamis Rail veut utiliser les quais existants des grandes gares dans le cadre de sa stratégie.

Nous sommes encore loin des volumes de DHL ou Fedex, mais finalement, est-ce nécessaire de se battre contre de tels géants bien établis ? Les exemples ci-dessus démontrent que le colis par rail a une carte à jouer sur certains segments spécifiques, comme le fret médical. L’avantage du train, c’est qu’il y a nettement plus de gares que d’aéroports. Or, on sait que dans chaque ville, moyenne ou grande, il y a toujours des restaurants et au moins un hôpital ou un centre médical à servir rapidement. On pourrait étendre le système vers le secteur de la pharmacie, puis d’autres secteurs. Qui sait, un jour Amazon pourrait être intéressé ! Un créneau à encourager et à faire grandir pour faire revenir des colis sur nos rails…

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Comment l’Europe améliore le fret ferroviaire en Espagne et au Portugal

05/01/2021 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire
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Puisque c’est l’Année du rail, on peut déjà montrer à quoi sert l’Europe. Exemple avec ici deux pays qui ont bien besoin d’une revitalisation de leur réseau classique respectif. Deux projets en cours de réhabilitation de lignes ferroviaires pour connecter les ports et plateformes logistiques de la Méditerranée de l’Ouest et de l’Atlantique, avec le reste de l’Europe.

L’Espagne modernise et reconstruit des sections de deux corridors de fret ferroviaire vitaux pour le pays. Le premier reliera le Portugal à Hendaye/Irun et fait partie du RTE-T Atlantique qui part de Mannheim, en Allemagne, et aboutit au réseau portugais via Burgos en Espagne. L’autre axe modernisé part du Levante (Valencia), et remonte sur Saragosse par une ligne à voie unique assez pentue. Ces ensembles sont représentés en rouge sur la carte ci-dessous :

>>> Voir plus de détails sur le corridor Atlantique

L’acheminement des conteneurs et du fret en général a toujours posé un grand problème depuis l’Espagne, pour au moins deux raisons :

  • Ni l’Espagne ni le Portugal ne sont de grandes nations industrielles, à l’inverse de l’Italie;
  • Les deux pays doivent composer avec un réseau ferroviaire classique doté d’un écartement de 1668mm, incompatible avec le réseau français et européen de 1435mm.

Il en résulte une interminable attente aux frontières tant à Port-Bou qu’à Irun, où les wagons se voient changer leurs essieux. En dépit de cela, un corridor européen est prévu, traversant le nord plus industriel de l’Espagne. Divers chantiers et améliorations permettent déjà aujourd’hui d’enregistrer des progrès sur les trafics de et vers Irun.

Le corridor Atlantique
Il aboutit aux trois ports portugais de Setúbal et Sines, au sud de Lisbonne, et de Leixões à proximité de Porto. Deux routes sont possibles pour rejoindre l’Espagne :

  • L’une au sud via Entroncamento – Abrantes puis Elvas et Badajoz, permettant de rejoindre Madrid via Ciudad Real;
  • L’autre plus au nord, via Coimbra, rejoint la section Fuentes de Oñoro – Salamanca puis permet d’atteindre Medina del Campo.

Medina del Campo est le point commun qui ramène ces deux routes vers Irun/Hendaye. Le tronçon sud provenant de Sines ne peut rejoindre Badajoz que via un grand détour. On construit donc 80 kilomètres de voies entre Evora et Elvas, proche de la frontière pour raccourcir grandement cette boucle (carte). Les travaux de cette portion ont débuté en septembre 2019, pour une ligne qui dans un premier temps ne verra aucun train de voyageurs.

Cette ligne nouvelle portugaise n’aura dans un premier temps qu’une seule voie électrifiée sur une plate-forme prévue pour une double voie à l’avenir si nécessaire. La voie conserve l’écartement ibérique de 1668mm, mais pourrait être facilement adapté au standard européen de 1435mm grâce aux traverses polyvalentes. La ligne a été conçue pour la circulation des trains de marchandises de 750 mètres de long et ne comprend aucun passage à niveau. L’objectif est que les trois lots mis en chantier soient opérationnels d’ici 2022.

Comme le montre la carte ci-dessus, les travaux de cette ligne permettront de relier trois plateformes logistiques. La partie nord-est de ce grand « S » faisait partie d’un projet de ligne à grande vitesse Madrid-Lisbonne, mais dont les ambitions ont été revues à la baisse. Ce projet intéresse hautement un acteur ferroviaire comme Medway, du groupe maritime MSC, qui est présent à Sines mais aussi dans tout le Portugal et qui développe des trafics.

Le 98204 sort de Badajoz et se dirige vers Elvas, direction Entroncamento. Locomotive diesel portugaise série 1900, analogue aux 72000 de la SNCF (photo Álvaro Martín via license flickr)

Espagne
La partie espagnole est encore moins avancée qu’au Portugal. Elle part de Badajoz pour aller vers Ciudad Real et Madrid et est techniquement très en retard. L’Estramadure ne dispose que de voies uniques non-électrifiées.

Ce à quoi ressemble cette ligne, avec un train de charbon de passage à Almorchón (photo Trenero592 via licence flickr)

À l’automne 2017, le gouvernement espagnol a annoncé que le tronçon Mérida – Puertollano avait été choisi pour faire partie du corridor Atlantique à travers l’ouest de l’Espagne. Ce tronçon bénéficie du coup d’une attention toute particulière et depuis 2019, un contrat d’étude d’une valeur de 1,18 millions d’euros a été notifié, comprenant le support technique nécessaire à la rédaction de la documentation requise pour l’étude d’impact environnemental (DIA) et la rédaction des projets de construction pour l’électrification et toutes les procédures nécessaires jusqu’à leur approbation finale. L’amélioration de la ligne Puertollano-Mérida, d’un coût prévu de 382 millions d’euros, est cofinancée par le Fonds européen de développement régional (FEDER) par le biais du PO multirégional Espagne 2014-2020.

Troisième chantier : Cantábrico – Mediterraneo
Ce chantier nous mène en Méditerranée, à côté de Valencia, grand port de conteneurs et disposant d’une usine du constructeur automobile Ford GM España ainsi que le constructeur ferroviaire Stadler, auteur des fameuses locomotives Eurodual et Euro 4000 qui percent bien en Europe.

La ligne de 315 kilomètres reliant Sagunt, au nord de Valencia, à Saragosse est pentue, à voie unique et non électrifiée.

Au-delà de Saragosse, elle s’attache à un autre projet franco-espagnol : l’axe du Somport, le fameux Pau-Canfranc en France, qui fait l’objet de tant de dossiers depuis plus de vingt ans, et dont nous ne parlerons pas ici. Si ce n’est pour indiquer que c’est la route la plus directe vers la France.

Cette ligne, qui était sur le point de fermer en 2000, faisait partie d’une proposition de développement d’un couloir ferroviaire reliant les ports de Santander, Bilbao et Pasaia dans la région de Cantábrico avec ceux de la côte méditerranéenne. En 2015, Ford GM España testa la ligne en y envoyant quelques un de ces trains, de 550m de long.

Un train destiné à la centrale thermique d’Andorra/Teruel (photo Luis Zamora/Eldelinux via license flickr)

Lors de la neuvième conférence annuelle des Journées RTE-T, qui s’est tenue à Ljubljana les 25 et 27 avril 2018, l’ancien ministre du Développement Íñigo de la Serna a présenté des propositions de lignes supplémentaires dans les corridors atlantique et méditerranéen à inclure comme projets RTE-T au cours de la Période de financement de l’UE 2021-2027. Ses plans incluaient la ligne Sagunt à Saragosse, qui a été acceptée par la DG Move de la Commission européenne dans le cadre du corridor Cantábrico – Mediterráneo le 21 novembre 2018. Cela a permis à d’autres travaux d’infrastructure de se qualifier pour un cofinancement de l’UE jusqu’à 50%. Les actions développées comprennent, entre autres, l’adaptation de la voie et de l’infrastructure dans la section Teruel-Sagunto et la réalisation d’ouvrages d’art entre Teruel et Saragosse pour promouvoir le trafic de fret ferroviaire, ainsi que la réparation de cinq remblais et l’adaptation de tronçons de 750 mètres. Le schéma directeur de cette infrastructure a un horizon d’exécution jusqu’à 2022-2023 et un investissement global initial prévu de 386,6 millions d’euros.

Entamées depuis cinq ans, des améliorations pour plusieurs dizaines de millions d’euros ont déjà permis de voir le trafic être multiplié par… 12, passant de 3 à 36 trains par semaine. La filiale SNCF Captrain España l’utilise notamment pour un trafic généré par Opel Saragosse et par un trafic d’ArcelorMittal destiné à Sagunto. La ligne, encore non électrifiée, fait justement le bonheur des locomotives Stadler Euro 4000.

Cet exemple intéressant montre comment sont utilisés les subsides de l’Europe et ce que peut apporter l’Union, malgré les critiques. Car on peut parier sans se tromper que sans plan européen, les lignes de Badajoz, de Teruel et d’Evora n’auraient jamais été modernisées. Elles auraient pu même disparaître. C’est la preuve qu’une bonne infrastructure crée de la demande et qu’il faut y mettre de l’argent pour parvenir à des résultats encourageants.

Comment quatre acteurs créent un flux intermodal


21/12/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Intermodal_Mediarail(photo Stena Line)

Stena Line, LKW Walter, le port de Rostock et CFL Multimodal ont conclu un accord de partenariat pour élargir leur offre de services respective. Cette nouvelle connexion intermodale fonctionnera en 3 allers-retours par semaine, transportant des semi-remorques ainsi que des conteneurs. L’occasion de présenter ces quatre acteurs au business différent, mais qui ont des points communs et ont tous un intérêt à s’unir.

Lors de la libéralisation du marché ferroviaire en 2007 au Luxembourg, le Groupe CFL a créé, pour ce qui concerne le fret ferroviaire, la société CFL cargo. La société CFL multimodal, une filiale de CFL Cargo, propose des services de transport combiné rail-route longue distance et offre une gamme de services diversifiée : solutions de transport routier, maritime et aérien, entreposage, dédouanement, ainsi que toutes les autres prestations de la chaîne logistique. Le groupe utilise au Grand Duché le centre intermodal de Bettembourg-Dudelange, situé sur le Rail Freight Corridor 2 (Mer du Nord-Méditerranée) et au carrefour de la Lorraine, du Luxembourg belge et de la Sarre. Ce terminal d’une capacité annuelle de 600.000 unités intermodales (semi-remorques ou conteneurs) est relié par trains intermodaux réguliers aux principaux ports et régions industrielles d’Europe. En août dernier, CFL Intermodal, une autre filiale opérationnelle cette fois, élargissait encore sa flotte avec une commande de 50 wagons-poche T3000e de type Sdggmrss chez le slovaque Tatravagónka, pour augmenter ses capacités en transport de semi-remorques. Ces wagons sont équipés de capteurs qui fournissent des données de localisation GPS en temps réel. Le Track & trace de la solution intégrée de CFL intermodal, baptisée Mirabelle, est donc disponible sur les portails des clients et des fournisseurs. CFL Intermodal est le véritable opérateur des solutions ferroviaires, quand CFL Multimodal est plutôt une société de services logistiques. L’une et l’autre travaillent évidemment main dans la main.

CFL_Cargo_Mediarail(photo CFL Cargo)

Le « petit luxembourgeois » a ainsi réussit à se hisser au rang des grands du monde ferroviaire grâce précisément à la libéralisation, sans laquelle nous n’en aurions jamais entendu parlé. Le trafic enregistré à Bettembourg était encore de 208.660 UTI pour l’année 2019, ce qui indique qu’il reste un beau potentiel pour l’avenir. Maintenir la place de Luxembourg au milieu des grands flux européens est la stratégie même de CFL Multimodal et de son terminal.

CFL_Multimodal_Mediarail

Le port de Rostock fêtait en 2020 ses 60 ans de façon particulière. Créé en 1957 et ouvert en avril 1960, il a vécu 30 ans dans l’ancienne RDA et… 30 ans dans l’actuelle Allemagne réunifiée. Avec la réunification allemande, un repositionnement du port était nécessaire et le trafic de ferry a été étendu dans toute la Baltique. Le trafic roll-on / roll-off a alors gagné en importance, notamment pour le transport des produits forestiers en provenance de Scandinavie, ce qui justifie de nos jours Rostock comme destination importante pour les trains intermodaux.

Green_Deal_Mediarail(photo Rostock Hafen)

Green_Deal_Mediarail(photo Rostock Hafen)

En 2019, le seul secteur des ferry engloutissait un trafic de 16,2 millions de tonnes sur les 25,68 au total. Le Rostock Trimodal Terminal est une joint-venture entre Euroports, Kombiverkehr Deutsche Gesellschaft für kombinierten Güterverkehr mbH et Hafen- Entwicklungsgesellschaft Rostock mbH. Il exploite plus de 40 liaisons directes entrantes et sortantes par semaine avec des horaires de trains et de navires fixes. C’est ce terminal qui est maintenant relié à Bettembourg.

Voilà pour les terminaux, qui ont bénéficié de tas de subsides de la part des institutions politiques, municipales, nationales et européennes. Cela montre toute l’importance de l’État stratège : aider à la conception des infrastructures et laisser les gens de métiers construire eux-mêmes les trafics. La preuve par l’exemple : outre le secteur ferroviaire représenté ici par CFL Multimodal, nous retrouvons deux autres acteurs qui pouvaient à priori ne pas se sentir concernés. Et pourtant…

IntermodalLKW Walter est aussi présent dans un autre port allemand : Kiel (photo Kiel Hafen)

LKW Walter est un transporteur routier qui naquit déjà en 1924, et qui opère ses transport par camions complets dans toute l’Europe et ainsi que vers la Russie, l’Asie centrale, le Moyen-Orient et même l’Afrique du Nord. Elle fait partie des 50 premières entreprises autrichiennes. Son principal business concerne le transport de marchandises emballées non dangereuses – principalement des biens de consommation, du bois et du papier, des produits chimiques, des métaux, de l’automobile et de l’électronique. Les transports sont effectués en partie à l’aide du transport combiné rail/route et short sea Shipping. LKW Walter est en réalité un des plus gros utilisateurs du transport combiné et ses remorques sont présentes sur un grand nombre de trains intermodaux dans toute l’Europe. En 2020, LKW Walter a traité plus de 446.000 transports intermodaux, économisant ainsi plus de 382.000 tonnes de CO2.

Stena Line est l’une des principales compagnies de ferry de Scandinvie et d’Europe avec 36 navires et 18 liaisons exploitées en Europe du Nord. Stena Line est un élément crucial du réseau logistique maritime nord-européen et qu’elle développe en combinant le transport ferroviaire, routier et maritime. Fondée en 1962 et basée à Göteborg, cette entreprise « familiale » fait partie du groupe Stena AB qui compte à ce jour environ 16.000 employés et un chiffre d’affaires annuel d’environ 37 milliards de SEK (3,67 milliards d’euros). Ce qui, on en conviendra, nous éloigne de l’aimable PME… A priori on pourrait croire que Stena Line se contente de déposer les semi-remorques à terre, mais l’entreprise a vite perçu les avantages de la massification du train. « Nous avons constaté une forte demande chez nos clients pour un service intermodal régulier entre le sud de l’Europe occidentale, y compris la France et l’Espagne, et la Scandinavie. Nous voyons un grand potentiel de développement dans les deux sens avec des produits tels que le bois, le papier et l’acier venant du nord et les aliments frais, les fruits et légumes et les produits de consommation venant du sud », explique Fredrik Johansson, Shipping Logistics Sales & Business Development Manager chez Stena Line Group. Stena Line est présent au Danemark ainsi qu’entre la France et le Benelux avec la Grande-Bretagne et l’Irlande.

Stena_Line_map_Mediarail(photo Stena Line)

Stena_Line_ship_Mediarail(photo Stena Line)

Ce sont donc ces quatre acteurs qui mettent leur spécialisation en commun pour créer un nouveau flux intermodal. On réussit ainsi à connecter toute la région Moselle/Ardennes/Luxembourg/Sarre que l’on sentait jadis un peu à l’écart des grands flux nord-sud. On crée un hub dans un miniscule pays qui n’était pas appelé à cela. C’est ce qu’on appelle une stratégie à long terme. Une stratégie payante : «le lancement de cette nouvelle connexion intermodale est une autre étape importante dans l’expansion de notre réseau, reliant le terminal intermodal de Bettembourg-Dudelange aux principaux ports et pôles économiques d’Europe. CFL multimodal s’engage à proposer au marché des solutions de transport durable pour les remorques et conteneurs avec ou sans grue et à accompagner ses clients dans leurs projets de transfert modal », déclare Alain Krecké, directeur commercial de CFL multimodal.

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Comment une région peut dynamiser une économie favorable au train. L’exemple du nord italien

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
21/07/2020

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Comment les ports et les régions du nord de l’Italie peuvent-ils être aussi dynamiques ? Grâce à une régionalisation de la politique économique qui porte ses fruits dans une des régions les plus riches d’Europe. Et cela même si la politique italienne semble être une grosse kermesse permanente…

La Republicca décrivait magistralement en 2001 la culture politique du Nord italien : « Étrange ville de Trieste. Elle est en marge de l’économie et du système national, et quand les affaires publiques sont en jeu, [on y trouve] plein d’industriels [ainsi que la] droite et la gauche [communiste] qui mobilisent les seigneurs de l’économie, les maîtres de petits empires. » En un mot, un vaste mouvement public/privé qui soutient fermement une économie régionale exportant dans toute l’Europe. Mais comment fonctionne ce nord, destination phare de tous les trains de fret d’Europe et qui revendique tant sa différence avec le reste de la Péninsule ?

L’Italie est représentative d’un processus de régionalisation à l’œuvre dans l’ensemble de l’Europe. Le modèle régional italien a longtemps été original en Europe, car à mi-chemin entre le modèle centraliste et le modèle fédéral des Länder allemands. Dans les divisions territoriales officielles, les régions du nord de l’Italie sont très différentes les unes des autres, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des institutions locales et sociales.  La manière dont le développement économique a commencé après la Seconde Guerre mondiale, la structure sociale et institutionnelle, la répartition du capital physique et humain et leur évolution ultérieure ont déterminé dans les années 80 la consolidation d’un modèle aux caractéristiques particulières et au potentiel de croissance élevé même en l’absence de grandes entreprises « leaders » dans la région. Il est évident que le poids de l’histoire de villes à l’origine marchandes comme Venise, Vérone, Milan, Turin ou Gènes joue un rôle essentiel dans la culture économique italienne. Il a pour conséquence d’engendrer des flux commerciaux extraordinaires où le train trouve ici son terrain de jeu favoris, comme le montre entre autres le port de Trieste.

>>> À lire : Le port de Trieste, champion du report modal

Impact sur l’économie
Dans le Nord-Ouest (Turin et son futur tunnel vers la France…), la région est de loin la plus avancée du pays au niveau industrialisation. De l’autre côté, au Nord-Est (Vérone, Venise), on entretient généralement l’idée d’un territoire à fort taux de croissance économique, qui en un peu plus de trente ans a su se transformer d’une zone en retard de développement en une zone évoluée, avec des niveaux de revenus analogues aux régions européennes les plus développées. Les régions du nord-est partagent également une structure économique dans laquelle les systèmes de petites et moyennes entreprises manufacturières prédominent et une main-d’œuvre proche du plein emploi.

L’intérêt pour le Nord-Est, par exemple, réside précisément dans sa diversité : son décollage se fait sans « préalables » fondamentaux en termes de disponibilité de ressources naturelles et financières, son développement n’est pas issus d’interventions d’industrialisation étatique, mais est plutôt liée à la fois à la force des réseaux et des liens des entreprises avec le territoire local et à sa projection, presque dès le début, sur les marchés internationaux. Trois régions du nord disposent d’un « statut spécial », comme le montre la carte ci-dessous :

Extrait de Rives nord-méditerranéennes – Dominique Rivière – Les Régions entre Nations et Europe : l’Italie (lien en fin d’article)

La particularité italienne en matière d’organisation logistique du territoire est qu’il s’agit d’une politique nationale décidée au travers de plusieurs lois édictées entre 1990 et 2002. L’Etat définit la planification générale, les règles de financement et de gestion tout en laissant
aux acteurs locaux (administrations territoriales, CCI) la mise en oeuvre. Une politique qui montre toute sa souplesse et un extraordinaire dynamisme.

Cette régionalisation des structures italiennes a un impact majeur sur le tissu industriel du nord italien, lequel est caractérisé par un réseau très dense de PME dynamiques, dotées d’une belle souplesse et d’une grande capacité d’adaptation. Ces entreprises, familiales pour la plupart, sont spécialisées dans une production particulière et situées dans une même zone géographique et regroupées au sein de districts industriels spécialisés. Ces ensembles sont fortement soutenus par un tissu de banques locales et régionales, qui peuvent prêter à bon compte. Les districts industriels italiens se caractérisent aussi par une forte ouverture au progrès technique, une production ciblée et sur-mesure. Ils concentrent une part importante de leur activité à l’exportation. Il ne faut dès lors pas chercher bien loin pourquoi il y a tant de trains entre des régions et le nord de l’Europe, au point de devoir construire cinq tunnels ferroviaires dans les pays voisins pour absorber tous ces flux…

>>> À lire : Tunnels ferroviaires – Qui va gagner la bataille des Alpes ?

Cinq ports stratégiques
À ce paysage spécifiquement lié à l’Italie viennent encore se greffer, dans la même région, cinq ports largement tournés vers le monde, et même six si on compte la zone de Venise-Mestre. L’essentiel de la conteneurisation liée à l’économie italienne se concentre en Ligurie, avec les trois ports de Savone/Vado, Gênes et La Spezia qui représentent l’interface des régions du Piémont et de la Lombardie. Cet ensemble se fait appeler « The southern gateway to Europe. » Un peu plus au sud, la Toscane possède le port généraliste de Livourne, qui est lui aussi tourné vers l’export vers l’Europe Centrale. Cet ensemble compte beaucoup sur le train pour prétendre à être la voie la plus courte entre l’Orient et l’Europe du Nord.

Gênes est n°12 européen pour les conteneurs (derrière Le Havre, n°10) avec 2,7 millions d’EVP, et cela engendre de gros flux ferroviaires. Le port est terminus – ou origine -, du grand « corridor 1 » RTE-T Rotterdam-Gênes. Plus à l’ouest, le port méconnu de Savona/Vado-Ligure vient de se doter d’un nouveau terminal pour accueillir les conteneurs géants de type ULVC. Ce terminal géré par l’entreprise privée APM Terminal (groupe Maersk), a pour objectif de déplacer 40% des volumes de conteneurs par chemin de fer, grâce à un premier ensemble de 5 liaisons ferroviaires de Vado Ligure vers des centres intermodaux du nord de l’Italie (dont Milan et Padoue), qui s’enrichiront progressivement de nouvelles destinations vers l’Europe du Sud. Ce terminal est situé sur la grande ligne côtière Nice-Gênes.

En dessous de Gênes, on trouve deux autres ports. La Spezia, avec 17 kilomètres de voies ferrées, offre au mode ferroviaire une part de marché de plus de 30% de la demande globale de trafic de conteneurs.

(photo Porto La Spezia)

Plus au sud, Livourne semble orienté vers la Toscane mais en réalité, via Bologne, le port est aussi prisé pour ses flux vers l’Autriche, l’Europe Centrale et l’Europe du Nord.

De l’autre côté de la Péninsule, au fond de l’Adriatique, on trouve Venise et surtout Trieste, ancien port des Habsbourg, en pleine renaissance. Comme le rappel le Journal de la Marine Marchande, Trieste a performé en 2019 sur les conteneurs, avec 790 000 EVP, soit un joli +9 %.  Sur la question de la présence chinoise, le président Zeno D’Agostino répond : « Nous ne sommes pas en Grèce, avec Le Pirée, forcé de vendre ses bijoux de famille. Je ne fais pas de la géopolitique (…) Ici, c’est notre situation de puissance qui crée de l’intérêt, je fais des affaires. » Bingo ! Les conteneurs sont là, et les turcs Ekol et Mars Logistics y débarquent des milliers de bahuts venus par navires RoRo. « C’est un double record », se réjouit D’Agostino, « pour le volume de conteneurs et pour nos 10.000 trains comptabilisés, car cela signifie 210.000 camions en moins sur les routes ». Les deux logisticiens turcs monopolisent à eux seuls des trains complets intermodaux vers toute l’Europe. Que dire de plus ?

Quand l’état stratège encourage les pôles logistiques
Une caractéristique essentielle de l’attractivité du nord de la Péninsule est la mise en place de pôles logistiques dédiés, avec la bénédiction de Rome, mais qui laisse aux régions le soin des détails selon leur structure politique et fiscale évoquée plus haut. Une politique qui porte manifestement ses fruits. L’Italie compte une dizaine d’interporti localisés dans les zones industrielles du nord représentant 20 à 25% du parc logistique national. La loi 240/90 définit ces « villages de fret » comme « un complexe de structures et de services intégrés visant à l’échange de marchandises entre les différents modes de transport, comprenant une gare ferroviaire apte à former ou à recevoir des trains complets et en liaison avec les ports, les aéroports et des facilités de communication. »

Ces interporti doivent de facto, selon la loi, comporter une gare intermodale. Voilà comment l’état devient stratège, sans se mêler de la nature du béton ou des propriétaires d’entrepôts. Ces structures et services sont financés par des capitaux publics et privés locaux et régionaux. Il va de soi que l’activité ferroviaire n’est pas réservée à l’unique entreprise étatique nationale, Mercitalia, mais à une variété d’opérateurs ferroviaires selon la demande et la construction des flux logistiques.

>>> À lire : Italie – Quand un armateur géant opère ses propres trains intermodaux

>>> À lire : L’italien GTS Rail investit dans son avenir

Livourne, port « le plus au sud du nord italien », dispose par exemple dans son arrière-pays du Vespucci Interport, un terminal intermodal relié à la ligne Prato-Bologne, qui sera remodelée et adaptée aux normes européennes, permettant d’accéder aux marchés d’Europe centrale et du nord par le Brenner et le Gothard.

Cet ensemble vise donc bien l’exportation, avec comme passerelle Bologne, qui dispose lui aussi d’un interporti très important. D’autres ports sont reliés à d’autres interporti, tous avec terminal ferroviaire, ce qui engendre de gros flux ferroviaires. Le plus grand interporto est celui Vérone-Quadrante Europa. En 2019, environ 28 millions de tonnes de marchandises y ont transité, dont 8 millions par train (28,6% de part modale), dont la plupart étaient des flux intermodaux. Cela a représenté 15.950 trains comptabilisés, soit une moyenne de 53 trains/jour.

Trieste, de son côté, dispose de plusieurs chantiers pour améliorer son accès ferroviaire. Le port a tout d’abord remporté un cofinancement via le programme CEF (Connecting Europe), dans le cadre de la conception et de la rédaction de la documentation pour l’étude d’impact environnemental d’un nouveau terminal ferroviaire devant desservir sa plate-forme logistique. Pour ses exportations, le gestionnaire d’infra RFI a remis en service l’ancienne ligne dite « des Habsbourg », un itinéraire de 14 kilomètres comportant des pentes de 25‰, entre Trieste Campo Marzio et Villa Opicina, à la frontière avec la Slovénie. Objectif : ajouter un itinéraire complémentaire vers la Hongrie et l’Est de l’Europe, voire l’Autriche, pour contourner une ligne littorale saturée.

Des acteurs de renom
Cette dynamique n’a pas échappé à de nombreux acteurs de la logistique, et pas seulement italiens. À Gallarate, au nord de Milan, des transitaires innovants ont fondé en 1967 la société Hupac SA avec les CFF dans le but de combiner la route et le rail. En 1993, Hupac a introduit le principe de « Gateway » (porte d’entrée) à Busto Arsizio, un terminal voisin qui est aujourd’hui le plus important de l’entreprise. L’ensemble Gallarate/Busto Arsizio, entièrement privé, traite annuellement 8 millions de tonnes et effectue le transbordement de près de 420.000 unités de transport intermodal par an, ce qui représente 42% de l’ensemble du trafic européen d’Hupac. D’ici la fin de 2021, le système informatisé central gérera également la circulation interne des trains, contrôlant les aiguillages, les signaux et les passages à niveau du terminal de manière sûre et flexible. Les trains de 740m seront alors généralisés.

>>> À lire : Hupac, un géant de l’intermodal

Busto Arsizio et Gallarate en une seule photo

Mentionnons encore un autre pionnier du train intermodal, bien italien celui-là : Ambrogio. Cet entrepreneur de Turin, visionnaire, a entièrement fondé sa logistique par trains complets grâce à une flotte de 400 wagons et 1.300 caisses mobiles, qu’il possède en propre. Il a notamment lancé ses train depuis les années 60, à destination de Neuss (DE), Muizen (BE) et Mouguerre, à côté de Bayonne. Il est même devenu actionnaire du BLS (c’est plutôt rare dans le milieu…), la ligne principale suisse qui relie Berne à Domodossola, via le tunnel du Lötschberg, une infrastructure géante (et complémentaire du Gothard), qui absorbe une grande quantité de trains venant du nord de l’Italie.

(photo Ambrogio)
Ambrogio en Belgique. Depuis plus de 50 ans… (2020, photo Mediarail.be)

Tous ces gens ont très largement bénéficié de la politique européenne des frontières ouvertes, sans laquelle tout cela n’existerait pas avec une telle amplitude. Mais on se rend compte aussi que ce dynamisme est le fait d’entrepreneurs et d’élus locaux qui ont une vision, celle que ne peut pas avoir un ministère au niveau national ! Rome établit le cadre, les normes… et l’argent, et les régions mettent en oeuvre tout un système qui nous montre comment on peut allier trains et logistique.

>>> À lire : Le rail peut-il réellement apprivoiser la logistique ?

Une conséquence : l’invasion des Alpes
Bien évidemment, cette économie vivifiante du nord de l’Italie explique aussi l’énorme flux de poids-lourds qui transite par les Alpes. Les records sont battus d’année en année : en 2018 environ 2,7 millions de PL ont franchit le seul Brenner autrichien. En 2010 le rapport rail-route était encore de 36% pour le rail et 64% pour la route, en 2017 on était passé à respectivement 29% et 71%. Sur le Gothard, en Suisse, on tente désespérément de descendre le trafic à 650.000 PL annuel, mais les dernières statistiques 2019 ont montré le passage de 898.000 véhicules, malgré les très bons scores du rail, avec 70,5% de parts de marché, soit tout l’inverse de l’Autriche. Il faut dire aussi que le transit alpin est encore considéré « bon marché » côté autrichien, ce qui explique partiellement ces chiffres.

>>> À lire : Petite chute du trafic ferroviaire dans les Alpes suisses

La formation de trains complets, que ce soit au départ des ports maritimes ou des interporti intérieurs, démontre une fois encore toute l’importance des infrastructures ferroviaires au nord de la Lombardie pour améliorer les parts de marché, quoiqu’en pensent les anti-béton. La Suisse a terminé son contrat avec trois tunnels alpins dont le dernier sera ouvert cet automne 2020. L’Autriche poursuit son tunnel du Semmering (Brenner) tandis que la France, plus en retard, entame le grand tunnel Lyon-Turin. Soit cinq infrastructures géantes chargée de capter les flux de l’Italie.

(photo Contship Italia via license flickr)

Ainsi s’explique ces trafics importants vers un pays qui n’est pourtant pas la première puissance industrielle d’Europe. Le cas italien, atypique, avec ses régions « à statut spécial » dotées d’un solide réseau bancaire régional, nous montre un modèle puissant et créatif, où les PME dominent et convergent vers les interporti. Massifiées, leurs marchandises peuvent alors partir rejoindre les rayons de tous les magasins d’Europe. L’importance du trafic routier signifie qu’il y a encore du potentiel pour le rail, des marchés à prendre. Cela justifie donc pleinement les grandes infrastructures et les multiples travaux au nord des Alpes.  Cela justifie aussi que des acteurs multiples puissent opérer sur les voies ferrées, pour ne pas être dépendant financièrement de décisions politiques en haut lieu, loin du terrain.

On conclura aussi en lisant ce qui précède qu’il n’y a pas de bons services trains sans bonnes infrastructures, ce qui passe souvent par de la reconstruction voire du neuf, ce qui implique travaux et béton. Cela aussi, ça fait partie du « monde d’après ». Il reste à voir maintenant comment cette économie va pouvoir se faufiler à travers la crise du Covid-19, qui semble s’éterniser…

Sources :

2001 – Confluences-Méditerranée – Paolo Stella-Richter – Le système des autonomies régionales en Italie

2006 – Rives nord-méditerranéennes – Dominique Rivière – Les Régions entre Nations et Europe : l’Italie

2011 – Banca d’Italia – Seminari e convegni – L’economia del Nord Est

2016 – Echo Geo – Dominique Rivière – Réforme territoriale à l’italienne : d’une géographie des intérêts à une géographie de la rigueur

2018 – www.ihk-eupen.be – Italie: le Nord gagnant

2018 – Istituto nazionale di statistica – Struttura e dinamica delle unità amministrative territoriali italiane – Dall’unificazione del Regno al 2017

2020 – Pagella Politica – Giovanni Toti – La Liguria è davvero il «primo porto» del Mediterraneo?

21/07/2020 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Pour approfondir :

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Hupac s’étend en Lombardie et va gérer Novara
05/11/2021 – Combiconnect, une filiale du géant suisse Hupac, a pris 80% des parts du site intermodal de Novara, à l’ouest de Milan. À l’avenir, Hupac veut allonger les voies à 740 mètres ainsi qu’installer de nouvelles voies pour l’entrée et la sortie des trains avec de nouveaux portiques avec lecture Ocr, qui liront…


Comment le fret ferroviaire peut revenir après le Covid19

Shuttle Melzo-Rotterdam de passage dans le Limbourg néerlandais, avril 2019 (photo Rob Dammers via license flickr)

Contrairement à une idée fort répandue, ce ne sont pas les transporteurs maritimes qui ont créé la mondialisation mais bien les industriels eux-mêmes. Au fil des décennies, les entreprises mondiales ont pu ainsi concentrer leur production géographiquement afin d’économiser de l’argent et de créer des usines mono-produit, parfois au niveau mondial. Le transport maritime n’a été qu’un simple facilitateur, un outil de la mondialisation, matérialisé par le conteneur ISO. Mais ces transporteurs n’étaient pas à l’origine des flux. C’est là que se situe le plus grand défi pour les chemins de fer. Pour plusieurs raisons.

Prenons justement l’exemple du transport de conteneurs par rail : il dépend entièrement des décisions industrielles des chargeurs. Certains préfèrent décharger dans un port plutôt qu’un autre, pour des raisons très diverses qui concernent l’optimisation de leur chaîne logistique. Les politiciens, malgré leur bonne volonté, ne peuvent rien faire sur la construction de ces flux : cela relève de l’entreprise privée, de son business et de sa clientèle. Si plusieurs industriels décident de modifier leurs flux logistiques, il peut arriver qu’un transporteur maritime préfère alors éviter un port et se concentrer dans un autre port voisin. Cela a un impact majeur sur le trafic des trains : une route maritime en moins, cela signifie la disparition de 10 à 30 trains intermodaux par semaine. Personne ne demandera l’avis des opérateurs ferroviaires, qui sont en position de simples sous-traitants. Or tout le monde connait la très lente réactivité du chemin de fer, contrairement au transport routier. Ce qui se passe avec le monde maritime pourrait très bien arriver au sein du Continent européen.

Jadis, le fret ferroviaire en Europe avait comme unique actionnaire l’État, ce qui signifiait souvent un manque d’argent et des décisions industrielles absurdes, souvent politiques. Tout le monde est perdant avec ce système.

Parfois, il y a un manque très clair de réactivité. En France par exemple, la SNCF a supprimé l’année dernière, pour des raisons techniques, un flux de produits alimentaires entre Perpignan et Paris. Elle aurait pu remplacer les vieux wagons par des conteneurs frigo à l’instar de ceux utilisés par les espagnols, de la firme hollandaise Unit45. Mais rien ne s’est passé. En Allemagne, le rachat du logisticien Schenker par la Deutsche Bahn n’a pas apporté la souplesse et les trafics au rail, parce que les flux logistiques de Schenker « ne convenaient pas au transport par rail et aux habitudes de travail du chemin de fer  » ! Tout cela montre la grande difficulté de faire coïncider les métiers ferroviaires avec ceux de la logistique…

>>> À lire : Fret ferroviaire, pose-t-on les bonnes question ?

C’est cela qu’il faut éviter après la pandémie : il y a de l’espoir pour un renouveau du fret ferroviaire, à condition de ne plus répéter les erreurs du passé.

Transformation à long terme
La pandémie du COVID-19 oblige la plupart des entreprises à apporter de grands ajustements à leurs besoins actuels en matière de chaîne d’approvisionnement. Beaucoup de CEO déclarent que les flux industriels sont appelés à devenir davantage « régionaux », plutôt que mondiaux. Même le patron du transporteur maritime français CMA-CGM ne dit pas le contraire, et cela va même influencer son propre business maritime, a-t-il prévenu la semaine dernière. Ce régionalisme pourrait être une grande opportunité pour les chemins de fer.

Plutôt que d’être de simples sous-traitants, les opérateurs ferroviaires devraient « avoir la main » sur les flux logistiques, en proposant des services complets entre bassins de production et de consommation. Il se peut que certaines propositions de flux puissent convenir à un grand nombre d’industriel.

Un domaine dans lequel les chemins de fer peuvent gagner des parts de marché est celui de l’entreposage, qui a beaucoup changé au cours de la dernière décennie, les systèmes d’information ayant rendu ces entrepôts plus efficaces pour localiser et préparer les articles stockés. Actuellement, de nombreuses entreprises offrent des espaces d’entreposage à court terme pour servir les entreprises qui ont besoin d’une plus grande flexibilité dans leur stockage. C’est une demande croissante d’entreprises plus petites, qui n’ont pas les capacités techniques des grands opérateurs comme DHL ou Amazon.

Le chemin de fer dispose là d’une grande opportunité, à condition d’être associé à un ou plusieurs partenaires qui dispose(nt) des ressources nécessaires pour construire des flux massifiés. L’État peut encourager cela, en disposant des terrains industriels, en encourageant la législation du travail vers plus de flexibilité la nuit et par des mesures fiscales au lancement. Tout cela doit bien-sûr être contrôlé.

Ces entrepôts doivent être des outils de massification des petits et grands colis, lesquels doivent pouvoir chaque soir remplir 2 ou 3 trains complets, chacun reliant en une nuit un bassin de consommation en Europe. L’idée n’est évidemment pas neuve, mais les chemins de fer n’ont jamais bénéficié d’entrepôts conçu pour ses caractéristiques. Plutôt que de construire le long des autoroutes, il faut construire le long des voies ferrées, même si cela impacte sur la signalisation du réseau (aiguillages supplémentaires, ré-espacement des signaux). Un entrepôt conçu sur base des techniques ferroviaires est un entrepôt conçu en longueur, 300 ou 500m. Cela permet d’éviter de devoir couper un train et d’effectuer de nombreuses manœuvres, très coûteuses.

Vers un renouveau

Le cabinet international d’avocats Baker McKenzie relatait récemment que la gestion des risques de la chaîne d’approvisionnement est devenue une priorité pour de nombreuses entreprises. Si le coût de ces processus de gestion des risques peut être élevé, il est souvent plus que compensé par les économies qu’il peut générer en contribuant à éclairer les décisions relatives à l’achat de stocks, à la gestion et à la délocalisation des processus de production entre les sites. Il est clair que cette activité s’est accrue de façon urgente, afin d’atténuer certains des impacts immédiats de COVID-19, notamment la chute énorme de la production dans certains secteurs.

À plus long terme, la numérisation de la chaîne d’approvisionnement sera de plus en plus le moyen par lequel les entreprises commenceront à élaborer des stratégies et à acquérir une résilience commerciale contre les perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Dans ce contexte, les grandes analyses de données peuvent aider les entreprises à rationaliser leur processus de sélection des fournisseurs, tandis que le cloud computing est de plus en plus utilisé pour faciliter et gérer les relations avec les fournisseurs.

>>> À lire : Digital : un potentiel énorme pour le rail

Les opérateurs ferroviaires disposent déjà d’une flotte de locomotives modernes construites et entretenues par l’industrie, qui peuvent passer les frontières plus simplement que par le passé. Il faut maintenant accélérer la numérisation des wagons, par exemple l’identification par QR Code et le positionnement par satellite, accélérer la mise en place de processus automatisés, comme l’attelage automatique, et numériser l’ensemble de la chaîne opérationnelle.

Certains emplois basiques disparaîtront, quand d’autres seront créés. Profitons de l’ère de l’après-Covid pour remettre en selle un chemin de fer moderne, diversifié et en phase avec les flux logistiques de demain.

La politique des transports post-Covid ne passera pas par des interdictions de tel ou tel mode de transport. Elle passera par un encadrement et une diversification des transports, là où ils sont le plus pertinents. Le chemin de fer a une belle carte à jouer.

Il est donc impératif que le rail prenne lui-même en charge les flux logistiques et démontre sa capacité à servir les chaines industrielles de manière optimale. Souplesse, flexibilité dans les processus de travail et digitalisation des supply chains ferroviaires sont les clés du futur.

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(photo railcare)

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Automatisation, technologie et destination Chine pour le port fluvial de Duisbourg

Le port fluvial de Duisbourg, plaque tournante logistique importante de la Ruhr et de l’Europe, a signé en décembre 2019 un partenariat de long terme avec le groupe Cargo Beamer, une société ferroviaire intermodale qui dispose d’un concept particulier.

Duisburger Hafen AG (duisport) est la société qui gère le premier port fluvial d’Europe et qui demeure une plaque tournante logistique trimodale importante au cœur de la Ruhr. On y traite 65,3 millions de tonnes (2018) et la partie intermodale (conteneurs), traite tout de même 4,1 millions d’EVP (2018 – EVP = équivalent 20 pieds). Le problème de ce port est curieusement… son trafic routier : « les trois quarts du fret sur les routes européennes sont transportés par des semi-remorques, qui n’ont pas pu utiliser le rail pour des raisons techniques ». Le partenariat conclu avec Cargo Beamer vise à remédier à cette situation.

CargoBeamer AG est une société de transport intermodale qui pourrait faire penser à la technique française des autoroutes ferroviaires version Lohr Industrie mais qui s’en diffère fortement. Chez l’allemand, les wagons disposent de bacs qui translatent sur le côté, avec la remorque dessus, comme le montre la vidéo ci-dessous :

Cargo Beamer a l’avantage de pouvoir prendre en charge les semi-remorques « non-cranable » (pas de prise par pinces et grues), qui représentent 90% du parc des semi-remorques d’Europe. C’est dire le potentiel qui attend cette technique, concurrencée en partie par le système Nikrasa d’une autre firme allemande. Mais Cargo Beamer a l’avantage de la rapidité : il décharge et charge un train entier en 15 minutes !

Cargo Beamer et Duisport veulent créer un réseau de transport intermodal « automatisé » : il s’agirait de créer des hubs numérisés qui peuvent également traiter des charges partielles « LTL » et « LCL » (chargement partiel « Moins d’un camion » ou « Moins d’un conteneur ») pour ses clients – transitaires et logisticiens. Il s’agit de clients qui n’ont que quelques palettes à expédier mais qui ne remplissent pas un conteneur ou un camion complet. On regroupe toutes les palettes d’une même destination dans un seul ou plusieurs conteneurs, qui auront donc des charges de différents chargeurs. Cela parait simple en apparence, mais au niveau logistique et… des assurances, c’est tout autre chose !

« Nous avons développé la technologie CargoBeamer exactement pour ce marché », confirme le Dr Hans-Jürgen Weidemann, PDG et co-fondateur de CargoBeamer AG. « Ce n’est que par l’automatisation, la numérisation et par le traitement de l’énorme marché des semi-remorques de toutes sortes que le modal shift de la route vers le rail peut se produire dans le secteur des marchandises. La technologie Cargo Beamer est basée sur le chargement et le déchargement entièrement automatisés et à haut débit de semi-remorques de tous types. »

Le réseau de terminaux d’embarquement et de débarquement pour semi-remorques de Cargo Beamer n’est qu’un pilier de la vision d’avenir des deux partenaires. Des entrepôts automatisés devraient pouvoir gérer les palettes par origines/destinations en déchargeant ou chargeant automatiquement des unités intermodales, que ce soit des conteneurs ou des caisses mobiles terrestres. Les portiques classiques pour le chargement et déchargement des conteneurs sont aussi au programme du port fluvial de Duisbourg.

Une autre nouveauté est appelée de CBoXX. Les partenaires s’appuieront sur ce conteneur ferroviaire robotisé de grand volume qui peut être chargé et déchargé rapidement. Pourquoi ce nouveau choix plutôt qu’un produit éprouvé depuis les années 60 ? Parce qu’aujourd’hui le conteneur maritime a été avant tout optimisé pour les navires océaniques et non pour la logistique ferroviaire continentale automatisée. Il pose des problèmes de capacité. Le « CBoXX », bien plus volumineux, permettra de relier des centres de marchandises modernes à de nouvelles offres aux coûts unitaires très compétitifs, en particulier sur le marché des chargements partiels que nous évoquions plus haut.

Quel est l’avantage du CBoXX ? Comme le montre la photo ci-dessous, il « remplit complètement » la longueur du wagon Cargo Beamer, alors que les semi-remorques ne le remplissent que partiellement. Or tout vide entre caisses est une perte de ressources en transport : ce sont des espaces en moins qui ne sont pas vendus. L’utilisation optimale de l’espace de chargement garantirait l’installation de 88 palettes industrielles normalisées sur un wagon unique d’une longueur de 19 mètres. Comparé à un conteneur de 40 pieds, le CBoXX augmente le poids de transport de 80% et le volume de 57%.

CBoXX répond à ce problème mais n’est pas appelé à circuler sur routes : ce serait une boîte volumineuse qui ne se déplacerait que vers un entrepôt jouxtant directement un terminal Cargo Beamer

Le CBoXX vise loin : 35 trains hebdomadaires relient le port fluvial à la Chine. Avec la technologie CBoXX, Duisbourg peut transférer une plus grande partie du fret maritime de Chine vers le rail plus rapidement grâce à l’automatisation, aux changements rapides de voie aux frontières avec la Russie et la Chine et grâce à l’utilisation optimale du volume et du poids sur les wagons. « La route terrestre par chemin de fer n’est pas seulement plus rapide, elle relie également de nombreuses zones urbaines en Chine, en Asie centrale, en Russie et en Europe », explique Erich Staake, CEO de Duisport. Pour les transitaires, les coûts sont l’un des facteurs les plus importants dans le choix du mode de transport. Et le CBoXX de CargoBeamer rend le transport ferroviaire incroyablement attrayant puisque la société affirme que le système réduit les coûts de transport de 50% par unité de charge – par rapport à un conteneur standard de 40 pieds. Le tout est de voir dans quelle mesure tant les trains russes que chinois puissent accepter ce genre de nouvelle unité intermodale.

C’est pourquoi Cargo Beamer essaie non seulement d’entrer sur le marché européen, mais essayent maintenant de pénétrer le marché chinois, ce qui au passage leur permet de garder la main mise sur cette technologie intermodale, avant qu’elle ne soit copiée… CargoBeamer propose un système de transport complet pour la nouvelle route de la soie et son corridor de ceinture (chemin de fer). La société prétend accélérer la transition entre les interfaces d’écartement des rails et vise à réduire la complexité des opérations, en raison du traitement semi-automatisé du fret.

Dans un premier temps, les partenaires démarrent sur des itinéraires de transport en utilisant le premier parc de wagons Cargo Beamer avec utilisation des grues traditionnelles et des bacs Cargo Beamer pour tous types de semi-remorques. Les terminaux à conteneurs existants à Duisburg peuvent donc être utilisés. En attendant une automatisation plus poussée…

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ÖBB, un acteur qui joue dans la cour des grands

Focus sur un « petit » chemin de fer qui se veut se faire un nom en Europe centrale : les ÖBB. Il y a une dizaine d’années, ce cadre de l’opérateur suisse CFF Cargo déclarait : « nous devons faire attention à notre voisin autrichien. Il est nettement plus gros que nous« . Il parlait alors de Rail Cargo Group, dont il devinait déjà les projets d’expansion en dehors des frontières de l’Autriche.

Les ÖBB actuels ont une histoire qui remontent à 1947, bien que l’histoire très mouvementée du rail autrichien (fin de l’Empire, Anschluss), soit bien évidemment antérieur à cette date. En 1992, les ÖBB ont été séparés du budget fédéral et transformés en une société dotée de son propre statut juridique (un croisement entre une GmbH et une AG en termes commerciaux autrichiens). La société est détenue à 100% par la République d’Autriche. En 2004, les ÖBB ont été réorganisés en ÖBB Holding AG et plusieurs filiales en exploitation. La société de portefeuille supervise les activités des sociétés qui lui sont affectées, afin de coordonner une approche stratégique cohérente et ventiler les tâches à l’ensemble de l’entreprise. Le 1er janvier 2005, les filiales d’ÖBB-Holding AG sont devenues autonomes et indépendantes sur le plan opérationnel. Ce modèle appelé « germano-alpin » semble répondre au mieux aux critères de l’Europe ferroviaire sans frontières, avec cependant une insatisfaction chronique : l’infrastructure, qui est encore accusée de privilégier les trafics de l’opérateur historique. C’est en tout cas le grief souvent répété de l’opérateur privé Westbahn.

Les ÖBB (Österreichische Bundesbahnen) ont donc plusieurs activités filialisées :

ÖBB-Personenverkehr Aktiengesellschaft, qui gère le trafic voyageurs local, régional et longue distance. Cette filiale gère les marques commerciales Cityjet, Railjet et la très populaire Nighjet;

Rail Cargo Austria Aktiengesellschaft (RCA), filiale logistique pour le transport de marchandises. Elle détient – et c’est là la crainte suisse évoquée plus haut -, 100% de l’ancien MÀV Cargo, la division fret des chemins de fer hongrois. Certains ont traduit cela par une forme de retour à l’ancien Empire…

ÖBB-Infrastruktur Aktiengesellschaft, 18.200 collaborateurs, la filiale infrastructure parfois décriée en tant que responsable de l’attribution des itinéraires. ÖBB Infra est surtout responsable de l’exploitation et de la maintenance du réseau ferroviaire autrichien ainsi que de la planification, de la conception et de la construction de l’infrastructure ferroviaire, qui inclus l’ensemble des 1.061 gares et des arrêts ferroviaires, ce qui est fondamentalement différent d’Infrabel ou de SNCF Réseau.

Ces trois ensembles comportent chacun des filiales propres, mais aussi parfois des filiales partagées, comme ÖBB-Technische Services, une filiale transversale qui emploie 4.000 collaborateurs effectuant la gestion et la maintenance de 22.500 véhicules ferroviaires au sein de 25 ateliers. Plus de 270 millions de voyageurs et 100 millions de tonnes de fret utilisent chaque année les 5.000 kilomètres du réseau. 51 entreprises ferroviaires sont officiellement enregistrées, dont Westbahn et Regiojet.

Un chemin de fer de qualité
Les suisses ont raison de craindre leur voisin ferroviaire : la qualité autrichienne peut égaler celle des CFF. A titre d’exemple : les trains Zurich-Salzbourg-Vienne ne sont pratiquement exploités que par du matériel autrichien, en l’occurrence les très belles rames Railjet.

On peut être étonné de la politique ferroviaire autrichienne : nouveaux branding (Railjet, Nightjet), nouvelles gares, expansion à l’international, les ÖBB montrent un visage offensif et tourné vers l’avenir. Avec une question majeure : où trouvent-ils tout cet argent ?

En 2010 les ÖBB menaient un programme d’austérité. L’entreprise publique, un poids lourd fortement déficitaire, devait alors faire face à une perte de 329,8 millions d’euros. Christian Kern, futur chancelier autrichien, reprenait la présidence exécutive des ÖBB et confia son impression au cours d’une interview : « Notre réseau de vente fonctionne comme un fromage et les ÖBB ne sont en aucun cas préparé à des concurrents tels que Westbahn. »

Kern avait cependant dû admettre que la cure d’austérité décidée en 2003 avait entraîné des pertes de synergie massives, gonflé considérablement les frais généraux et laissé le réseau en très mauvais état. L’autonomie des filiales ne changait rien à cette situation désastreuse. Mais plutôt que de revenir en arrière comme on le suggère souvent dans les États latins, Christian Kern s’attela à transformer le mammouth ferroviaire en une entreprise rentable. Il refonda totalement la structure du personnel et du management de l’entreprise, ramena RCG à la rentabilité, investi dans des campagnes de marketing et d’image, mis en route des améliorations sur la qualité et la ponctualité des trains, et a même géré le projet du siècle dans les délais et les coûts, à savoir la nouvelle gare de Vienne-Hauptbahnhof.

C’est probablement ici que l’on peut noter toute la différence entre certains états européens qui préfèrent s’en tenir au statu quo de leur entreprise ferroviaire, et l’Autriche qui a décidé de transformer son chemin de fer en une entreprise qui n’alourdit pas la dette publique. Une question de choix politique… Il est particulièrement intéressant de noter que le redressement a réussi sans réductions d’effectifs importantes. ÖBB employait 42.419 personnes à la fin de l’année 2010. En 2015, le personnel comptait encore 41.150 personnes.

En 2016, Christian Kern devient chancelier et chef du SPÖ, et c’est un « vétéran du rail » qui lui succède. Andreas Matthä, 53 ans, directeur de l’infrastructure, devient le CEO d’une entreprise qui remonte la pente. Matthä a pu s’entourer d’un staff efficace pour poursuivre l’oeuvre de Kern. Depuis 2017, toutes les filiales du groupe généraient de nouveau des résultats positifs. En 2018, dernière année comptabilisée, les ventes atteignaient 5,6 milliards d’euros. Les investissements furent à nouveau centrés sur les infrastructures ferroviaires avec presque 2 milliards d’euros investis dans de nouvelles constructions et des extensions, ainsi que dans la maintenance de l’infrastructure.

Au centre, Clement Först et Andreas Matthä (photo OBB Cargo blog)

Kurt Bauer est responsable du transport longue distance chez ÖBB Personenverkehrs AG. Il a travaillé auparavant au département de DB Fernverkehr AG, dont il était responsable pour les processus de planification et, en tant que chef de projet senior, de projet stratégique dans le transport de passagers. Il connait donc bien le sujet ‘grande ligne.’ S’il n’est pas à l’origine de la création des Railjets (2008), il fut par contre le maître d’œuvre de la reprise des trains de nuit allemands et suisses, sous la marque Nightjet. Dans une récente interview, Bauer expliquait : « Je suis un économiste pur et dur. L’échec des allemands est une opportunité pour les ÖBB ». Comment se fait-il qu’un segment ruineux pour la Deutsche Bahn devienne rentable pour les Autrichiens ? « En tant que chemin de fer de petite taille, nous pouvons également adopter des méthodes non conventionnelles » répond doctement Kurt Bauer. Tout un symbole…

Le secteur cargo ne peut survivre que si les exportations autrichiennes se portent bien. Les taux de croissance élevés des pays voisins profitent aux exportations autrichiennes. Selon l’Institut d’études économiques internationales de Vienne (WIIW), les entreprises autrichiennes exportent annuellement pour environ 84 milliards d’euros chez les principaux pays d’Europe de l’Est. Rail Cargo Group est la deuxième plus grande entreprise de logistique ferroviaire en Europe après Deutsche Bahn. Avec sa situation centralisée entre l’Adriatique et la mer Baltique, RCG peut tirer profit des trafics sur la façade Est de l’Europe, où la concurrence est moindre qu’en Allemagne. Trieste est le premier port… autrichien.

Docteur en physique théorique et en chimie, Clemens Först est le patron de RCG. L’entreprise, que les suisses craignent beaucoup, relie18 pays situés entre la Méditerranée et la Mer Noire, avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 2 milliards d’euros et près de 30 milliards de tonnes-kilomètres. Le groupe RCG couvre l’ensemble de la chaîne de valeur logistique, du transporteur ferroviaire (marque Rail Cargo Logistics) à l’opérateur intermodal (exploitant ferroviaire), en passant par tractionnaire (Rail Cargo Austria, Rail Cargo Hungaria, Rail Cargo Carrier) et exploitants de terminaux (Terminal ferroviaire de fret). « Nous sommes la seule compagnie de chemin de fer en Europe à afficher régulièrement des chiffres positifs au cours des cinq dernières années », explique Clemens Först.

L’infrastructure est aussi un gros morceau. Près de 2 milliards sont investis annuellement. En juillet 2019, le bureau d’étude allemand SCI Verkehr dévoilait un tableau des investissements ferroviaires par habitant : l’Autriche était deuxième au classement avec 218 euros d’investissement par habitant. Un exercice un peu simplifié, tant les données politiques, socio-économiques et sociales diffèrent entre les États. Un autre graphique de l’association allemande Allianz Pro Schiene montre que les investissements ferroviaires autrichiens dépassent ceux de la route. C’est vrai en chiffres absolus, si on tient compte des trois tunnels ferroviaires que le pays est en train de construire. Car sans cela…

Bien que l’infrastructure soit une compétence exclusivement nationale, les ÖBB ont petit à petit étendu leur business à travers toute l’Europe. Et peuvent montrer l’exemple.

Expansion internationale
Pour un chemin de fer qui n’est pas un géant en Europe, le salut passe par la croissance internationale, laquelle est difficilement rencontrée sur le seul marché intérieur. C’est la clé du succès autrichien, et la politique européenne du rail convient parfaitement à cette stratégie.

En 2016 déjà, Christian Kern avait affirmé son intention de se concentrer sur le développement des activités internationales de transport de voyageurs et de fret, alors que la performance financière de la société continuait de s’améliorer. Muni de son management offensif, Andreas Matthäs a poursuivi le travail avec acharnement. Face à la stagnation de la demande intérieure, place à l’offensive à l’international.

Les ÖBB se positionnent en Europe sans filiale internationale, autrement dit directement avec le nom RCG, qui devient une marque. RCG a autant de latitudes que n’importe quelle entreprise privée en logistique, tout en utilisant certaines synergies maison, comme pour la traction et les ateliers d’entretien.

Rail Cargo Group a, par exemple, ouvert son propre bureau au port italien de Trieste et dispose d’entrepôts logistiques en partenariat dans les pays autour de l’Autriche. L’entreprise a atteint en novembre 2018 son objectif ambitieux de traiter un total de 400 trains entre la Chine et l’Europe en 2018 et devrait atteindre un total de 600 trains entre les deux continents cette année, ce qui montre que la société a une politique offensive.

Sur le segment voyageur, l’Autriche se distingue de l’Allemagne sur plusieurs points. D’une part, les ÖBB savent qu’ils ne bénéficieront jamais de la grande vitesse ferroviaire et qu’ils ne peuvent donc pas capitaliser sur ce segment. La ligne nouvelle construite à l’ouest de Vienne n’est conçue que pour un maximum de 230km/h. L’entreprise publique ne peut donc compter que sur la qualité de ses services. D’autre part, le gouvernement n’entend pas régionaliser le transport local par une délégation de service public, à l’inverse de son grand voisin. Inversement, le pays a laissé l’arrivée de concurrents sur le segment grande ligne, celui de… Kurt Bauer. A ce jour, Westbahn et Regiojet opèrent en open access sur les voies autrichiennes. Cela n’a pas mis les ÖBB par terre, comme le croyaient certains conservateurs…

Les ÖBB ont mis de l’ordre dans l’organisation de leurs différents trafics voyageurs, afin de fournir une image claire aux 250 millions de clients annuels. Le branding « Jet » a été appliqué aux trois segments du transport voyageurs des ÖBB : Cityjet pour le trafic local, Railjet pour le trafic grande ligne de jour, et Nightjet pour les trains de nuit.

La marque « Jet » pour tous les trains : Cityjet, Railjet et Nightjet (photo ÖBB-Personenverkehr)

Les ÖBB ont rehaussé la qualité des seuls types de train sur lesquels ils peuvent compter : l’Intercity classique. Ainsi naquit en 2008 les Railjets, trains de jour qui ont remplacé la grande majorité des Eurocity et Intercity. Le réseau Railjet s’est étendu à l’international, notamment vers Munich, Zürich et Budapest. Il est encore absent sur la ligne Munich-Innsbrück-Vérone. Les chemins de fer tchèques, de leur côté, ont opté pour le même concept, avec le même type de rames, sur la liaison Graz-Vienne-Prague. Les ÖBB préparent déjà la suite de leur offensive, à la faveur des commandes de matériel roulant : vers Trieste et vers Berlin dès le mois de mai 2020.

>>> Voir notre page spéciale Railjet

Si on observe la carte Railjet, on peut déjà voir que Vienne-Hauptbahnhof est devenu un hub où se croisent quatre trafics de l’Europe centrale. C’est une carte que les ÖBB veulent jouer magistralement…

Notre dernier exemple fait le plus de bruit actuellement : les trains de nuit. On vous rassure : ces trains sont particulièrement silencieux. Simplement, ils ont été soudainement invités dans le débat public à la faveur de la soudaine vague verte venue de Suède. Depuis lors, c’est honte à l’avion et bénédiction pour le train, « ce vieux transport lent qui remet l’humain au centre ». Les ÖBB ont joué une très belle carte. Pas vraiment à cause du climat, mais pour le business.

Quand la Deutsche Bahn abandonna ses trains de nuit, Kurt Bauer appliqua directement sa théorie : ce qui est une perte pour les autres devient une opportunité pour les ÖBB. Fin 2016, le réseau Nighjet naissait sur les cendres des trains de nuit allemands. Pour Bauer, les comptes sont bons : le trafic Nighjet n’apporte que 3% des passagers mais… 20% des recettes du segment grande ligne au complet ! Le petit chemin de fer d’Europe centrale ne pouvait pas laisser passer une telle opportunité. La suite est connue…

>>> À lire : Nightjet, la renaissance du train de nuit

Les Nighjets ont considérablement étendu la marque ÖBB et la qualité autrichienne bien au-delà du périmètre de l’Europe centrale, puisque le réseau de trains de nuit atteint Rome, Zurich, Berlin, Hambourg et bientôt, Bruxelles et dans un an, Amsterdam. En Suisse, des voix sont remontées jusqu’au Conseil fédéral pour s’inquiéter de l’absence des CFF dans le réseau des trains de nuit. Mais les CFF n’ont pas la carrure financière des ÖBB et se préoccupent surtout des flux nord-sud Bâle-Milan, les plus lucratifs.

En dépit de leurs importantes subventions, les ÖBB ont en définitive une double mission : se faire une place parmi les grands et s’installer durablement en Europe centrale. Pour cela, la stratégie comporte trois volets :

  • trouver des méthodes opérationnelles qui coûtent le moins cher aux contribuables ;
  • exporter la qualité autrichienne pour se faire connaître;
  • trouver des relais de croissance dans les deux segments voyageurs et fret.

Jusqu’ici, il semble que cette stratégie soit une réussite…

(photo © ÖBB / Christian Auerweck)

 

 

Quand l’avion va inspirer le fret ferroviaire

C’est le sens de l’accord de collaboration sur le projet collaboratif appelé «Aero-Ferro Benchmark», signé entre les loueurs de wagons GATX et Ermewa, ainsi que l’École Centrale de Lyon et la Technische Universität Berlin.

L’objet de ce domaine de recherche est le suivant : que peut apprendre le transport de fret ferroviaire de l’aviation – et vice-versa? Par le passé, l’industrie aéronautique a réussi à changer les choses et à agir de manière plus efficace et plus rentable sur le marché actuel. Ce sont donc des pratiques aériennes qui pourraient guider à l’avenir guider le transport de fret ferroviaire, sous certaines formes et conditions.

À l’origine du projet

Avec l’École Centrale de Lyon et l’entreprise GATX, deux autres partenaires ont rejoint ce projet de coopération franco-allemand « Aero-Ferro Benchmark ». Tout cela remonte à l’initiative de Peter Reinshagen de Ermewa SA et du professeur Markus Hecht de l’Université technique de Berlin. La carrière de Peter Reinhagen dans le secteur de l’aviation lui a permis de mieux comprendre les différences de processus de production et de culture d’entreprise dans les secteurs du fret ferroviaire et de l’aviation. En collaboration avec le professeur Hecht, il a développé l’idée d’un benchmarking entre les deux modes de transport. Ce projet est soutenu par les associations allemande et française de détenteurs de wagons privés VPI et AFWP. D’autres partenaires de l’industrie et de la science sont « cordialement invités à apporter leur expertise à ce projet. »

Déjà en mai dernier, Ermewa avait lancé un nouveau groupe de réflexion baptisé « Ermewa Think Tank – (R)evolution », où l’entreprise entend organiser de manière régulière des conférences sur diverses thématiques et créer des pistes de réflexions pour lancer de nouvelles initiatives tant au sein de l’entreprise que dans le secteur dans son ensemble. « Nous voulons promouvoir le développement d’approches innovantes pour le transport ferroviaire de marchandises, afin de favoriser ce mode transport, qui est le plus respectueux de l’environnement », expliquait alors Peter Reinshagen, directeur général d’Ermewa. C’est donc en toute logique que ce loueur proactif signait pour l’Aero-Ferro Benchmark avec les allemands.

Des idées aéronautiques pour le fret ferroviaire ?

Par le passé, l’industrie aéronautique a parfaitement réussi à adopter de nouvelles stratégies. Aujourd’hui, elle est plus efficace et plus rentable que jamais. Les quatre partenaires impliqués dans ce projet veulent initier des démarches similaires et lancer une réflexion inédite pour le transport de fret ferroviaire. Cela comprendra la production d’études scientifiques comparant la conception des processus, les modèles commerciaux et les cultures de sécurité des secteurs du fret ferroviaire et de l’aviation, et évaluera la possibilité de s’approprier les meilleures pratiques des deux secteurs.

« Nous voulons créer un secteur ferroviaire ‘à haute altitude’. L’industrie aéronautique est confrontée à de nombreux problèmes et défis similaires, mais, dans le passé, elle a souvent trouvé de meilleures solutions que la nôtre », a déclaré Peter Reinshagen, directeur général d’Ermewa SA, expliquant son engagement en faveur de ce benchmarking. L’aéronautique est confrontée à des problèmes et à des défis similaires dans de nombreux domaines, qu’elle a souvent mieux résolus, selon le responsable des chemins de fer. L’autre partenaire du projet, Johann Feindert, PDG de GATX Rail Europe, en est convaincu : « L’analyse comparative systématique est la passerelle vers un système de fret ferroviaire innovant et plus efficace. Nous croyons fermement que le secteur ferroviaire doit quitter sa zone de confort pour augmenter de manière significative sa part dans la répartition modale. Cela implique de remettre en question les idées reçues et de faire face à des vérités inconfortables. » Un discours qui tranche dans un monde ferroviaire souvent réticent à l’idée d’adopter des méthodes d’ailleurs.

« Du point de vue de la recherche ferroviaire, le projet représente un nouveau territoire passionnant », enchaîne le professeur Mohamed Ichchou de l’École Centrale de Lyon, ce que confirme son collègue de l’Université technique de Berlin, Markus Hecht : « Ici, nous regardons au-delà de l’horizon de notre propre domaine d’expertise. Travailler avec des entreprises nous permet également de mener des recherches sur le terrain pour le secteur. » C’est que les universités doivent parfois faire face aux reproches d’être trop théoriques et de manquer d’expertise de terrain.

Au cours des trois prochaines années, doctorants et étudiants pourront travailler sur divers aspects de la conception des processus dans les industries de l’aéronautique et du transport ferroviaire de marchandises. L’accent est mis principalement sur :

  • La sécurité

Comment les acteurs assurent-ils la mise en œuvre et le développement ultérieur d’une culture de la sécurité durable ? L’industrie aéronautique repose sur l’échange international de données entre entreprises et sur le traitement des erreurs.

  • L’entretien

Comment les deux modes de transport organisent-ils leur maintenance? En aviation, la maintenance prédictive et basée sur les conditions est depuis longtemps une réalité. Qu’est-ce qui a fait ses preuves ici, comment les expériences peuvent-elles être transférées aux chemins de fer?

  • Les modèles d’affaires

Quels sont les modèles commerciaux de leasing avec lesquels les modes de transport opèrent sur le marché? L’aviation a commencé à calculer les coûts de leasing uniquement pour les heures utilisées et les temps de maintenance. Cela peut-il aussi être un modèle pour le rail? Et inversement, le lien entre la location et la maintenance, comme il est d’usage dans le transport ferroviaire de marchandises, en quoi pourrait-il être un potentiel pour l’aviation ?

Un premier symposium, sur lequel le concept de recherche et les résultats intermédiaires seront présentés et discutés, aura lieu en 2020 à la frontière franco-allemande. D’autres ateliers d’accompagnement du projet sont également prévus. Nous sommes impatients d’en voir les premiers résultats.

ERTMS : qui va payer pour les opérateurs de fret ?


21/06/2019 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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C’est la question essentielle qui agite le secteur du fret ferroviaire aux Pays-Bas. En mai 2019, le gouvernement néerlandais a en effet décidé de migrer le réseau ferroviaire néerlandais vers la technologie ERTMS pour 2032. Cela impacterait fortement sur le marché du fret néerlandais car, on le sait, les Pays-Bas ont une énorme fonction de transit : 85% du trafic marchandises passe par la frontière allemande.

>>> Voir aussi : L’ETCS, une implantation difficile selon la Cour des Comptes européenne

Le problème principal n’est pas difficile à comprendre : l’implantation de l’ERTMS oblige à implémenter la composante ETCS sur les locomotives. Or, beaucoup d’entre elles ne sont pas équipées, car l’ERTMS n’est présent que sur la seule Betuwelijn, pas sur le reste du réseau classique. Les opérateurs ont vite fait leurs comptes : les coûts d’implémentation de l’ETCS sur les locomotives n’apportent aucunes plus-values dans l’immédiat. Il va s’écouler une quinzaine d’années avec des « îles sans ERTMS », comme les ports, et d’autres tronçons équipés. Selon les sources un peu divergentes, équiper les 500 à 600 locomotives demanderait de 116 à 150 millions d’euros ! Insupportable pour des opérateurs déjà fragilisés par un marché très concurrentiel, selon l’association Rail Good. Qui demandent à l’État de bien vouloir les aider si on désire réellement faire du transfert modal.

Le fait que les opérateurs ferroviaires critiquent l’ERTMS, un élément essentiel de la sécurité et de la gestion du trafic, peut paraitre paradoxal. « L’ERTMS est avant tout un concept d’infrastructure, les opérateurs n’avaient rien demandé », entend-on souvent dire. C’est ici que l’on trouve une forte discordance : comment les opérateurs comptent-ils améliorer leurs services de trains dans les conditions de signalisation actuelles, avec des circulations par blocs ? Croient-ils réellement que les infrastructures peuvent être dédoublées indéfiniment ? Pourquoi les opérateurs devraient-ils être exemptés de la transformation digitale, sous prétexte que cela coûte trop cher ?

Il est cependant exact que transformer le chemin de fer en un vaste outil technologique très onéreux, pour seulement 15 à 20% de part de marché, peut poser question. Pendant ce temps-là, les routiers et les bateliers offrent des services de transport avec des outils très simples, sans sophistication excessive : des camions et des péniches, qui se déplacent quand ils veulent, sans qu’on doive demander les horaires six mois à l’avance !

L’autre fait bien connu est que l’État lui-même subsidie bien davantage les « techniques simples » (camions, barges) que le train, parce que la transformation digitale et technologique de ces secteurs est plus facile (GPS, outils logistiques rapidement implémentés) et qu’ils offrent beaucoup plus d’emplois (ce qui intéresse hautement les politiciens), alors que le chemin de fer reste un secteur fermé. Malheureusement, soutenir le transport routier, c’est accepter la pollution et les nombreux accidents.

Enfin, en dépit de tous les discours positifs, on voit très bien que les acteurs de la logistique veulent avant tout éliminer au maximum les coûts du transport, qui sont des éléments clés de leur business. Ce secteur n’a pas besoin d’un transport technologique sophistiqué, mais d’une flexibilité maximale en temps réel. On ne peut pas dire que l’ERTMS va apporter cette flexibilité tant recherchée. La logistique ne s’intéressera au chemin de fer que si cela lui apporte une solide plus-value. Sinon, elle préfère la flexibilité du transport routier. Et tant pis pour la planète, du moment que le client est servis…

On peut donc comprendre l’effroi des opérateurs de fret ferroviaire, déjà fragilisés par la concurrence « des techniques simples », si on vient lui mettre des obligations technologiques très coûteuses. La question est clairement politique : si on subsidie avec autant de ferveur un transport polluant, pourquoi ne le fait-on pas pour un transport durable, malgré son coût ? La grande frayeur des distributeurs est qu’à cause du train sophistiqué, le pot de yaourt augmente de 10 cents. Qui verra réellement la différence ? Qui refusera de le payer et de le manger ? 🟧

21/06/2019 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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Allemagne : quand la Deutsche Bahn aide le secteur routier

Le monde change, et la numérisation du transport se poursuit à grand pas. Parfois avec des acteurs inattendus, comme la Deutsche Bahn qui se met à essayer des camions… L’utilisation de camions roulant en ‘peloton’ sur les autoroutes allemandes serait sûre, techniquement fiable et facilement applicable dans la routine d’une entreprise de logistique, indique un communiqué de presse. Ce sont les résultats tirés du premier test mondial sur le terrain avec des ‘pelotons de camions’ dans le cadre d’opérations logistiques réelles, que les partenaires du projet ont présenté à Berlin la semaine dernière.

Mais pourquoi une entreprise ferroviaire s’intéresse-t-elle au groupage par camion ? Comme on le sait, le groupe Deutsche Bahn exploitait son trafic marchandise au travers de la filiale Schenker, une société achetée en 2002. DB Schenker regroupait toutes les activités de transport et de logistique de la Deutsche Bahn (sauf le fret ferroviaire), employant plus de 72 000 personnes réparties sur environ 2.000 sites dans environ 140 pays. Depuis 2016, les activités de fret ferroviaire ne sont plus exploitées sous la marque DB Schenker Rail, mais en tant qu’unité commerciale autonome sous la marque DB Cargo, au sein du groupe Deutsche Bahn. C’est donc plutôt sur le segment logistique que s’effectue ce test de camions en peloton.

L’autre raison est plutôt de nature technologique. Comme l’explique la professeure Sabina Jeschke, membre du conseil de la DB pour la Numérisation et la Technologie, en utilisant cette technologie, DB Schenker souhaite élargir son modèle d’affaires numérique. « Chez Deutsche Bahn, nous apportons une nouvelle technologie au secteur routier. Avec le projet de ‘peloton’, nous élargissons encore notre rôle de pionnier dans le domaine de la conduite autonome et en réseau ».

Côté technique, on définit ‘par peloton’ un système utilisé par des véhicules routiers dans lequel au moins deux camions conduisent en convoi serré sur une autoroute, avec l’aide de systèmes d’assistance à la conduite et de contrôle. Tous les véhicules du peloton sont reliés les uns aux autres par une sorte de ‘timon électronique‘ qui utilise une communication de véhicule à véhicule. Le camion de tête détermine la vitesse et la direction tandis que les autres suivent. L’avantage de cette technologie réside dans l’effet de glissement qui permet au véhicule suivant de conduire plus efficacement.

DB Schenker n’a pas entreprit ces tests seule, mais avec des partenaires. Le ministère fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique (BMVI) a versé un financement de 1,86 million d’euros aux partenaires du projet MAN Truck & Bus et à l’université des sciences appliquées de Fresenius. Selon les partenaires du projet, l’utilisation de pelotons de camions pourrait permettre une utilisation plus efficace de l’espace sur les autoroutes, une réduction des encombrements et une sécurité routière accrue.

>>> Voir : La Suisse prépare un réseau de fret souterrain automatisé

Dans le cadre de ce projet, des chauffeurs professionnels ont conduit deux véhicules reliés électroniquement sur l’autoroute A9 entre les succursales de DB Schenker à Nuremberg et à Munich, pendant près de sept mois. Après avoir parcouru quelque 35.000 kilomètres de test, les chauffeurs routiers, dont les véhicules étaient distants de seulement 15 à 21 mètres, ont fait l’éloge du confort de conduite et du sentiment général de sécurité. L’essai sur le terrain a également démontré des économies de consommation de carburant.

Andreas Scheuer, le ministre Fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique, justifiait ces tests : « La mobilité du futur sera automatisée et mise en réseau. Cela vaut également pour la logistique. Je soutiens donc totalement le secteur dans la mise sur le marché de technologies qui puissent rendre les processus encore plus sûrs, plus efficaces et plus respectueux de l’environnement, tout au long de la chaîne de valeur. Les chauffeurs ont un rôle clé à jouer ici : ils seront des spécialistes de la logistique moderne dans un camion numérique. »

En peloton sur 40% des kilomètres parcourus par transport terrestre

Selon les recherches de DB Schenker, le groupage peut être largement utilisé dans le réseau logistique. Alexander Doll, membre du Directoire pour les finances, le transport de marchandises et la logistique chez Deutsche Bahn AG, : « Nous avons analysé notre réseau de transport européen et nous pouvons affirmer qu’environ 40% des kilomètres parcourus pourraient être effectués avec la technique du ‘peloton’. » Cependant, pour cela, des tests supplémentaires et la mise en place d’un cadre réglementaire sont encore nécessaires. Les clients en bénéficieraient également. « Avec la technique du ‘peloton’, nous pouvons offrir des transports encore plus fiables. »

Le système du peloton installé dans les camions MAN a fonctionné sans à-coups 98% du temps. Les interventions actives du chauffeur en seconde position n’étaient nécessaires qu’une fois tous les 2.000 kilomètres, ce qui est bien moins que prévu. En outre, le projet pilote a démontré une réduction de 3 à 4% de la consommation de carburant. « Nous avons pu montrer que la technique du peloton pouvait potentiellement contribuer à la réduction de la consommation de carburant et des émissions de CO2. Avant tout, nous sommes ravis que le système fonctionne de manière fiable et puisse renforcer la sécurité sur autoroute. En conséquence, la technique du peloton est une étape importante pour nous sur le chemin de l’automatisation », explique Joachim Drees, président du conseil d’administration de MAN Truck & Bus SE.

>>> Voir : Le train autonome, où en est-on réellement ?

Les scientifiques confirment que les chauffeurs se sentent en sécurité

Des scientifiques de l’Université des sciences appliquées de Fresenius ont étudié les effets psychosociaux et neurophysiologiques sur les chauffeurs. L’expérimentation sur le terrain a considérablement modifié l’attitude sceptique des conducteurs. « Un sentiment général de sécurité et de confiance dans la technologie se reflète dans l’évaluation de certaines situations de conduite par les chauffeurs. Aucune d’entre elles n’a été décrite comme étant incontrôlable » explique la professeure Sabine Hammer de l’Institut des Systèmes Complexes (Institut für komplexe Systemforschung , IKS) à l’Université des sciences appliquées de Fresenius. Les chauffeurs ont constaté que les véhicules d’autres usagers de la route empruntant des voies adjacentes ou traversant plusieurs voies étaient « désagréables », mais sans importance. « En raison des temps de réponse rapides du système, les chauffeurs préféreraient désormais une distance de 10 à 15 mètres entre deux véhicules », a déclaré M. Hammer.

« Les mesures EEG ne montrent aucune différence systématique entre les parcours en peloton et les parcours classiques en ce qui concerne le stress neurophysiologique imposé aux conducteurs, c’est-à-dire en termes de concentration ou de fatigue » a déclaré le professeur Christian Haas, directeur de l’ITS. Pour une utilisation internationale, les scientifiques recommandent des recherches plus approfondies avec des périodes plus longues en mode peloton. Les partenaires du projet sont convaincus que les développements futurs peuvent accroître le potentiel de cette technique. De plus, de nouveaux modèles économiques numériques en logistique pourraient être envisageables.

Potentiellement, les camions groupés par peloton pourraient être une réponse aux trajets qui ne demandent pas un train complet dans un circuit logistique. La participation de la Deutsche Bahn ne concerne donc que le secteur logistique qui semble invariablement conçu pour fonctionner avec le mode routier. Que veut-on prouver en isolant le fret ferroviaire dans un entité distincte, en dehors de la logistique ? C’est toute la question. « Nous produisons trop cher et trop sophistiqué » déclarait en 2016 un manager de la DB à Die Welt. Ce n’est pas la soudaine conscience actuelle sur le climat qui va changer quoique ce soit. Une certitude : la route avance, fait des progrès et n’attendra pas que le rail se réveille. Autant se le mettre durablement dans la tête…

Références :

2016 – Die Welt / Nikolaus Doll – Warum die Lok gegen den Lkw keine Chance hat

2018 – Trucking Info / Jack Roberts – Truck Platoons on the Horizon?

2018 – DB Schenker Infof – Platooning: world’s first practical use of networked truck convoys on the A9

2019 – www.deutschebahn.com/db-mediaportal

2019 – EDDI – Electronic Drawbar – Digital Innovation

Trafic routier en légère baisse sur le Gothard suisse

(photo Wikipedia, 2015)

L’Office fédéral des transports (OFT) vient de publier son rapport 2018 sur le trafic transalpin de marchandises. Il en ressort que la quantité de marchandises acheminées par route et par rail à travers les Alpes a augmenté l’année passée avec +2,0 %, soit un total de 39,6 millions de tonnes, ce qui donne la mesure de cet axe important entre l’Europe du Nord et l’Italie. Après avoir subi de grosses pertes l’année précédente en raison des fermetures de ligne à Rastatt (D) et à Luino (I), le rail s’est ressaisi en 2018. Le transport combiné non accompagné (TCNA) confirme sa position de leader : l’an dernier, il a permis d’acheminer par voie ferrée 19 millions de tonnes de marchandises en conteneurs, en caisses mobiles et en semi-remorques. Cela confirme largement que le concept d’autoroute ferroviaire avec chauffeurs reste un marché de niche. Ceux qui utilisent le transport combiné sont donc clairement de grands groupes ou sociétés ayant des correspondants de part et d’autre des Alpes pour amener et réceptionner les semi-remorques. Cela ne fait pas l’affaire des petits indépendants qui n’ont pas cette structure européenne, et que l’on retrouve donc sur les routes.

En 2018, 941.000 camions ou véhicules equivalents ont traversé les Alpes suisses, soit une baisse de 33 % depuis 2000, l’année où l’introduction de la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) et l’augmentation progressive de la limite de poids des camions à 40 tonnes ont posé de nouvelles conditions-cadre. Le nombre de courses a baissé davantage (-1,4 %) que le volume de marchandises transportées par la route (-0,2 %). Cela explique donc une meilleure productivité du secteur routier et un meilleur taux d’utilisation des camions. Parmi les quatre passages routiers à travers les Alpes suisses, le Saint-Gothard et le San Bernardino restent les liaisons les plus importantes. De plus, l’OFT analyse paradoxalement que « grâce aux incitations induites par la RPLP, les camions en trafic transalpin sont aujourd’hui équipés de moteurs nettement moins polluants. » Les Alpes seraient donc sauvées malgré tout ?

Le problème des objectifs chiffrés

Le rail dans son ensemble n’a pas pu égaler son niveau de performance de 2016. Conformément à la loi suisse, l’objectif de transfert de 650.000 camions à travers les Alpes suisses aurait dû être atteint en 2018. On en est encore loin, ce qui prouve la difficulté des lois avec objectif chiffré. La Suisse analyse ce résultat décevant par le fait que cet objectif n’ait pu être atteint faute d’acceptation politique dans les pays voisins d’une bourse du transit alpin ou d’un autre système de contingentement des courses de camions. D’où la tentation de certains d’instaurer des politiques autoritaires d’interdiction, ce qui pose la question démocratique…

L’OFT juge aussi les performances du rail. Il recense entre autres un manque de ponctualité et de fiabilité des exploitants : au cours du second semestre 2018, seuls 44 % des trains de marchandises sont arrivés à l’heure à destination. La proportion de trains accusant plus de trois heures de retard est passée à 29 %. Cette situation est due à des fermetures de tronçons pour cause de travaux, des déviations ainsi qu’à des manques d’effectifs et de matériel roulant pour certaines entreprises.

Conclusion

La politique Suisse est dans la bonne direction, mais le secteur routier améliore lui aussi ses performances. Le rail doit encore faire face à des défis importants en terme de processus de travail et d’organisation, meme si sa part de marché à travers les Alpes est élevées. Rien n’est impossible mais les tonnages en transit sont impressionnants et montre l’ampleur de la tâche pour un transfert de la route vers le rail. Reprendre ne fusse que déjà 20% des 941.000 camions signifierait la mise en route de 5.540 trains supplémentaires sur l’année, soit 15 à 16 par jour. C’est pas gagné….

 

 

 

Fret ferroviaire : pose-t-on les bonnes questions ?

Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance – Inscrivez-vous au blog
19/08/2018 –
(English version)
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David Briginshaw, éditorialiste de renom à l’International Railway Journal, signe un éditorial pessimiste dans l’édition du mois d’août. Il n’a pas tort. Intitulé « Les temps ne sont plus du côté des opérateurs de fret ferroviaire« , cette chronique est un compte rendu de la Conférence de juin à Gênes. Qu’avons-nous appris lors de cette grande messe ?

Briginshaw écrit d’emblée que l’évènement, dont le contenu était de haute tenue, ne fût pas à la hauteur des espérances. « Le rail détient une part de marché de 33% aux États-Unis, 30% en Inde et 80% en Russie (…), tandis que la part du rail sur le marché du fret européen ne représente que 11-12% ». Ce sont les chiffres rappelés par Renato Mazzoncini, Président de l’UIC. Viennent ensuite, comme de coutume, les traditionnelles causes dont on parle probablement depuis trente ans sans avoir trouvé de solutions tangibles. Un intervenant suisse à la Conférence, directeur dans une firme logistique, n’hésite pas à affirmer que le secteur routier a fait en cinq ans ce que le rail a fait en plus de vingt ans. Un réel problème…

La vraie question est : pourquoi la route et le secteur aérien progressent si vite et non le rail ? Répondre à cette question demande une certaine dose de sincérité et de bonne foi. Est-ce vraiment ce que nous pouvons espérer dans ce genre de grande conférence ? Souvent on peut s’attendre à des réponses très évasives ou consensuelles qui n’apportent rien aux débats. On trouve comme échappatoire le grand rêve du train digital, afin de pouvoir contenter tout le monde. Est-ce de cette manière qu’on fera progresser le rail ?

L’impression domine qu’on fait volontairement l’impasse sur ce qui dérange. Et les choses qui dérangent ne manquent pas, dans le grand monde ferroviaire. Malgré l’arrivée timide d’entreprises concurrentes, la plupart des pays vivent toujours avec une grosse entreprise d’Etat composée de travailleurs bénéficiant d’une législation du travail particulière. Le secteur ferroviaire est très réglementé et extrêmement intensif en main d’œuvre. Des discussions interminables sont parfois entreprises pour changer quoi que ce soit. On l’a clairement vu en France au printemps dernier. Dans ces conditions, on ne voit pas en quoi le digital pourrait changer quelque chose, sinon éliminer encore davantage d’emplois et provoquer d’énièmes grèves. C’est la raison pour laquelle certains intervenants des entreprises publiques restent prudents dans leurs propos. Ils savent que les changements dans le secteur ferroviaires sont très politiques. Aucune blockchain ne peut résoudre cette équation humaine.

Un autre challenge est celui du réseau ferroviaire. Beaucoup d’entreprises publiques considèrent qu’ils sont propriétaire du réseau, et qu’ils ont la priorité sur tout. Mais même des entités séparées comme Network Rail sont totalement menottées aux desideratas politiques. En Grande-Bretagne, des projets d’électrifications et des améliorations de voies ont été reportées par le pouvoir central. Comment peut-on alors décemment demandés aux transporteurs d’améliorer leurs prestations ? Aucune blockchain ne peut résoudre ce type de problème. C’est juste une question de volonté humaine…

L’ETCS était censé nous promettre un monde ferroviaire meilleur, avec davantage de trains sur les voies. Ce n’est pas vraiment le cas. Les conducteurs craignent pour leur sécurité avec des trains trop proches les uns des autres. Certains réseaux ont fait comprendre, comme en Allemagne, qu’ils ont un système de sécurité qui fonctionne aussi bien que l’ETCS. Ils n’ont donc pas de raison de changer intégralement de systèmes. En outre, il est apparu que le marché ferroviaire en concurrence est essentiellement composé de trains de fret qui parcourent 300 à 800km, et souvent beaucoup moins (fret local). Comme l’a dit un opérateur dans un autre séminaire : « je n’ai pas besoin d’une locomotive qui va de Stockholm à Palerme ». Il y a donc toujours, quelque part, un changement de locomotive et de conducteur. Certains opérateurs ne veulent pas que leurs locomotives partent trop loin de leur base, car à 1000km, il n’y a plus personne pour réparer ou rapatrier. L’Europ Assistance du rail n’existe pas encore vraiment…

Un autre point intéressant est le management du trafic. Dès qu’il y a un incident, le gestionnaire du réseau arrête les trains ! Il faut parfois un temps énorme pour identifier l’incident puis remettre le trafic en route, avec de nouveau des priorités défavorables aux trains de fret. Il semble impossible de détourner le trafic même quand il y a des itinéraires disponibles : pas d’urgence ! On l’a vu avec l’incident de Rastatt : peu de trains ont été détournés via Schaffhausen et Stuttgart. Ce manque de réactivité est causé par les procédures très lourdes du réseau ferroviaire. Et il ne se trouve pas grand monde pour tenter de changer les procédures. De plus, les conducteurs sont agréés pour tel ou tel itinéraire, et ne peuvent donc pas rouler sur d’autres. Les locomotives ont le même problème : elles doivent être agréées sinon elles sont interdites. Les TRAXX Bombardier ou Vectron Siemens bloquées à Bâle durant l’incident de Rastatt ne pouvaient pas rouler sous le 25kV en Alsace, ni rouler sous le système français KVB. Dans ce cas c’est plutôt une faute des opérateurs, pas des gestionnaires d’infrastructure. Les experts du rail savent que l’homologation du matériel roulant pour plusieurs réseaux est long et très coûteux. Aucune blockchain ne pourrait changer quoi que ce soit à ce niveau…

Tout cela est extrêmement dommageable pour le secteur ferroviaire. Comme chacun sait, un chauffeur routier peut emprunter n’importe qu’elle route sans être agréer. Idem pour un pilote aérien. Evidemment, les secteurs routiers et aérien travaillent dans un environnement ouvert.

Le dernier point concerne le fret lui-même. La logistique n’est clairement pas un métier de cheminots. C’est un secteur hyper concurrentiel, très réactif, où le turnover du personnel est très important. C’est une industrie qui est tout le contraire du chemin de fer, avec des entrepôts géants de plus en plus automatisés. Un responsable d’entreprise à Anvers me disait qu’en moins d’une demi-journée, il pouvait obtenir 10 camions pour emmener rapidement 10 conteneurs en Allemagne ou à Bâle. Avec le train, il aurait fallu prévoir cela 2 à 3 semaines à l’avance… Nous vivons à l’ère d’Amazon où les clients demandent à être livrés parfois dans la journée. Que peut faire le train dans un tel environnement ? Aucune blockchain ne peut y parvenir…

Comme nous tous, j’aimerais être beaucoup plus positif. Mais pour le moment, je ne vois pas beaucoup de choses qui me rassurent. Or le temps passe. Ni la route ni le secteur aérien ne vont ralentir leur progrès pendant que le train, lui, prend son temps…

Fret
Train de conteneurs de passage en gare de Warwick (GB) (photo de Robin Stott via license geograph.org.uk)

19/08/2018 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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